Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision

[1] Le membre de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal) rejette la demande de prorogation du délai pour le dépôt ainsi que la demande de permission d’en appeler.

Contexte

[2] La demanderesse demande la permission d’en appeler de la décision rendue par le tribunal de révision le 9 avril 2013. Elle a reçu cette décision le 16 avril 2013. Le tribunal de révision avait établi qu’une pension de survivant du Régime de pensions du Canada n’était pas payable à la demanderesse, puisqu’il a conclu que bien qu’elle demeure légalement mariée à son époux (le défunt), ce dernier vivait en union de fait avec la personne mise en cause au moment de son décès le 16 juin 2011.

[3] La demanderesse a déposé une demande de permission d’en appeler (la demande) auprès du Tribunal de la sécurité sociale le 17 juillet 2013, soit deux jours après le délai de 90 jours prescrit par la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi).

Question en litige

[4] La division d’appel doit-elle proroger le délai prévu pour le dépôt d’une demande?

[5] Dans l’affirmative, l’appel a-t-il une chance raisonnable de succès, et la permission d’en appeler doit-elle être accordée?

Droit applicable

[6] Aux termes du paragraphe 57(2) de la Loi, « la division d’appel peut proroger d’au plus un an le délai pour présenter la demande de permission d’en appeler ».

[7] Aux termes des paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi, « il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission » et la division d’appel « accorde ou refuse cette permission ».

[8] Le paragraphe 58(2) de la Loi indique que « la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. »

Observations de la demanderesse

Dépôt tardif d’une demande

[9] La demanderesse explique que sa demande a été déposée en retard parce que ses parents ont été hospitalisés récemment, ce qui [traduction] « l’a retardée un peu ».

Demande de permission

[10] La demanderesse a présenté des observations détaillées, qui peuvent être résumées ainsi :

  1. Le tribunal de révision a violé les principes de justice naturelle. La demanderesse a obtenu les documents de la personne mise en cause en retard - à l’audience - et elle ne s’est pas vu accorder suffisamment de temps pour les examiner. Le tribunal de révision lui a offert un ajournement des procédures, mais il l’aurait avisé qu’elle ne se verrait probablement pas accorder une autre audience en personne.
  2. Le tribunal de révision a commis une erreur de droit en ne respectant pas une ordonnance judiciaire provisoire prononcée le 21 juin 2007 par la Cour supérieure de justice de l’Ontario. La Cour avait ordonné, entre autres, que le défunt [traduction] « maintienne en vigueur tous les avantages que lui offraient son ancien employeur et/ou son régime de pension, au profit de l’intimée ». La demanderesse indique aussi que le défunt avait envisagé qu’elle reçoive les prestations de survivant du Régime de pensions du Canada faisant partie de son programme de retraite.
  3. Le tribunal de révision a fondé sa décision sur de nombreuses conclusions de fait erronées. La demanderesse soutient qu’une grande partie des éléments de preuve présentés par la personne mise en cause étaient faux et trompeurs. Plus particulièrement, la demanderesse fait valoir que la personne mise en cause a fait une fausse déclaration sous serment selon laquelle elle habitait avec le défunt à titre de conjoint de fait, ou qu’ils avaient vécu ensemble pendant plusieurs années. La demanderesse ajoute que la personne mise en cause et le défunt ne pouvaient pas avoir vécu ensemble, compte tenu des erreurs (par exemple le prénom mal orthographié du défunt) dans sa demande de prestations de survivant. Durant l’audience du tribunal de révision, la personne mise en cause a expliqué qu’il y a peut-être eu des erreurs dans sa demande de prestations de survivant, puisqu’elle avait demandé à un employé de Service Canada de remplir le formulaire pour elle. La demanderesse met en doute la véracité de cette affirmation, puisqu’il y avait des incohérences apparentes dans les éléments de preuve présentés par la personne mise en cause.
  4. La demanderesse se fonde aussi sur le fait que les documents bancaires démontrent que les payements d’hypothèque pour une propriété étaient effectués uniquement par la personne mise en cause. Elle se fonde aussi sur un document intitulé Survivorship Application - Land qui a été rempli avec le registrateur. Ce document indique que la propriété détenue en possession conjointe par le défunt et la personne mise en cause ne doit pas être considérée comme étant le [traduction] « foyer conjugal, aux termes de la Loi sur le droit de la famille (Ontario), du défunt au moment du décès ». La demanderesse soutient qu’il n’y avait pas de « foyer conjugal » partagé par le défunt et la personne mise en cause, et elle affirme que la relation entre ces deux personnes a été fabriquée pour empêcher la demanderesse d’avoir droit aux prestations de survivant.

[11] Dans un document non daté (à la page 31 de ses observations), la demanderesse a écrit ceci :

[Traduction]

« 8. [Le défunt] m’a quitté le 1er novembre 2007, lorsqu’il a déménagé à Espanola (Ontario).

[...]

17. Je crois que je devrais recevoir la pension de conjoint survivant du Régime de pensions du Canada, car j’ai vécu avec [le défunt] pendant 31,5 ans avant son départ; sans compter les années suivant son départ, avec lesquelles la durée totale de notre mariage est de 36,6 ans.

18. Je crois que la conjointe de fait, qui a été sa conjointe durant seulement quelques années, ne devrait pas avoir la pension.

[...]

19. Je crois que les paiements devraient être faits à moi, car j’ai été son infirmière, sa femme de ménage, son épouse et la mère de ses enfants pendant toutes nos années de vie commune, de 1975 jusqu’à son départ. »

[12] Le Bureau du commissaire des tribunaux de révision a reçu ces mêmes observations le 14 août 2012, et le tribunal de révision en a pris connaissance.

[13] La demanderesse a aussi fourni de nombreux documents, notamment des dossiers bancaires, le programme de retraite du défunt, des documents de procédure, et des dossiers d’enregistrement foncier. Les dossiers bancaires faisaient partie de la trousse de documents reçus par la demanderesse à l’audience.

Observations de l’intimé et de la personne mise en cause

[14] Ni l’intimé, ni la personne mise en cause n’ont déposé d’observations écrites concernant la demande de permission.

Analyse

Dépôt tardif d’une demande

[15] Dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 833, la Cour fédérale a énoncé les quatre critères que la division d’appel devrait prendre en considération et évaluer lorsqu’elle doit déterminer si le délai de 90 jours dont dispose un demandeur pour déposer une demande de permission d’en appeler peut être prorogé. Ces critères sont les suivants :

  1. il y a intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel;
  2. la cause est défendable;
  3. le retard a été raisonnablement expliqué;
  4. la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie.

[16] La demanderesse m’a convaincue qu’il y a une explication raisonnable expliquant son retard dans le dépôt de la demande de permission. Il est raisonnable qu’elle ait été distraite par l’hospitalisation de son père cette semaine-là.

[17] Puisque le retard associé au dépôt de sa demande de permission est relativement court (seulement deux jours), et bien qu’elle n’ait présenté aucune observation quant à ses intentions, je suis prête à accepter que la demanderesse avait l’intention continue de déposer la demande. Sa lettre est datée du 12 juillet 2013, et elle y explique que son père a été hospitalisé cette même semaine. J’estime aussi que cette prorogation accordée ne cause aucun préjudice à l’intimé ou à la personne mise en cause, car le retard en question est court.

[18] Même si l’un des quatre critères n’est pas satisfait, je peux accorder une prorogation pour le dépôt d’une demande de permission : Lavin c. Procureur général du Canada, 2011 CF 1387. Toutefois, je suis d’avis que si la demanderesse ne parvient pas à me convaincre quant au dernier des quatre critères - c’est-à-dire le fait que la cause soit défendable - alors généralement je ne serais pas disposée à exercer mon pouvoir discrétionnaire et à proroger le délai de dépôt. Il est maintenant temps de me pencher sur les observations de la demanderesse concernant le dernier critère, dans le contexte de la demande de permission d’en appeler.

Demande de permission

[19] Bien qu’une demande d’autorisation d’interjeter appel soit un premier obstacle que le demandeur doit franchir - et un obstacle inférieur à celui auquel il devra faire face à l’audition de l’appel sur le fond - il reste que la demande doit soulever un moyen défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] A.C.F. no 1252 (CF).

[20] Dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 4, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si le défendeur a une cause défendable en droit revient à se demander si le défendeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique.

[21] Le paragraphe 58(1) de la Loi énonce les moyens d’appel qui peuvent être invoqués, lesquels se limitent à ce qui suit :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle, a outrepassé sa compétence ou a refusé de l’exercer;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[22] Aux fins des présentes, la décision du tribunal de révision est considérée comme une décision de la division générale.

[23] Avant d’accorder la permission, je dois être convaincue que les motifs d’appel de la demanderesse s’inscrivent dans les moyens d’appel prévus et qu’un appel en vertu de l’un ou l’autre de ces motifs a une chance raisonnable de succès.

(i) manquement à un principe de justice naturelle

[24] La demanderesse n’affirme pas catégoriquement que le tribunal de révision a violé un principe de justice naturel, mais on peut déduire cela à la lumière de ses observations. Elle soutient que le tribunal de révision ne lui a pas accordé suffisamment de temps pour examiner les documents de la personne mise en cause, puisqu’elle les a reçus seulement à l’audience et, deuxièmement, bien que le tribunal de révision lui ait offert un ajournement des procédures, il lui a indiqué qu’elle n’aurait peut-être pas droit à une autre audience en personne. La demanderesse n’a pas voulu se voir refuser une audience en personne et, par conséquent, elle s’est sentie contrainte de poursuivre les procédures le 10 janvier 2013, malgré le fait qu’elle sentait ne pas avoir suffisamment de temps pour examiner les documents de la personne mise en cause à ce moment.

[25] Je note que les documents de la personne mise en cause ont été envoyés à la demanderesse avant la tenue de l’audience. Toutefois, en raison des jours fériés et de problèmes de livraison, elle ne les a pas reçus avant l’audience.

[26] Les documents de la personne mise en cause sont les suivants :

  1. (a) Chronologie des événements établie par le défunt - fournit une chronologie de la relation entre la demanderesse et le défunt entre 2004 et 2006.
  2. (b) Document d’instructions concernant le titre de propriété, daté du 28 mai 2009 - démontre que la personne mise en cause et le défunt étaient propriétaires conjoints de la propriété.
  3. (c) Lettre datée du 29 mai 2009 envoyée au service fiscal de la ville du Grand Sudbury - indique que la personne mise en cause et le défunt ont acheté la propriété conjointement.
  4. (d) Protocole d’assurance à titre conditionnel de Cambrian Insurance, en vigueur du 29 mai 2009 au 29 mai 2010 - démontre que la personne mise en cause et le défunt étaient tous deux assurés en vertu d’une police d’assurance.
  5. (e) Relevé de compte automobile de l’Economical Insurance Group, daté du 25 mai 2011 - indique que la personne mise en cause et le défunt étaient titulaires d’une police conjointe en vertu d’un contrat d’assurance automobile personnelle.
  6. (f) Reçu de paiement daté du 1er novembre 2012, provenant de Cambrian Insurance Brokers Ltd. et envoyé à la personne mise en cause et au défunt.
  7. (g) Lettre de Canada Trust datée du 9 janvier 2012 - démontre que la personne mise en cause et le défunt étaient codébiteurs hypothécaires.
  8. (h) Courriel rédigé par la fille de la demanderesse daté du 2 décembre 2012 - indique que la personne mise en cause et le défunt ont acheté une maison ensemble en 2009.
  9. (i) Lettre datée du 2 décembre 2012 rédigée par une autre fille de la demanderesse - indique que la personne mise en cause et le défunt vivent ensemble dans la maison qu’ils ont achetée en 2009, et que la personne mise en cause prenait soin du défunt.
  10. (j) Certificat de décès du directeur des funérailles - indique que la personne mise en cause est l’épouse du défunt.

[27] La personne mise en cause a utilisé ses dossiers pour appuyer son allégation selon laquelle elle a été dans une union de fait avec le mari de la demanderesse pendant quelques années, jusqu’à son décès.

[28] La demanderesse note avec justesse que certains de ces dossiers étaient disponibles plusieurs années avant l’audience et que la personne mise en cause aurait pu les produire bien avant. Toutefois, la communication tardive de dossiers n’entraîne pas nécessairement une violation des principes de justice naturelle.

[29] La demanderesse n’explique pas pourquoi elle est d’avis que le tribunal de révision ne lui a pas accordé une audience équitable, pour l’une ou l’autre des raisons suivantes, afin qu’elle réponde à toute question soulevée dans les documents de la personne mise en cause : on ne lui aurait pas permis de faire comparaître d’autres témoins, d’effectuer un contre-interrogatoire plus vigoureux de la personne mise en cause, d’obtenir des dossiers additionnels, ou pour d’autres raisons. La demanderesse a mis en doute la pertinence et la véracité des documents de la personne mise en cause, mais elle n’a pas indiqué en quoi ses observations ou ses réponses auraient renforcé ou modifié la cause qu’elle a présentée ou aurait pu présenter à l’audience du tribunal de révision, si elle avait reçu les documents de la personne mise en cause bien à l’avance de l’audience. À la lumière des observations de la demanderesse, il est impossible de déterminer avec certitude comment sa cause aurait pu être modifiée, les arguments additionnels qu’elle aurait pu soulever, le contre-interrogatoire additionnel qu’elle aurait pu effectuer, ou les documents additionnels qu’elle aurait pu obtenir et fournir, et en quoi ceux-ci auraient pu être pertinents si elle avait reçu les documents de la personne mise en cause plus tôt.

[30] Le 15 janvier 2013, soit dans les jours qui ont suivi l’audience, la demanderesse a fourni, sous la forme d’observations écrites, une réponse au tribunal de révision à l’égard des documents de la personne mise en cause. Le tribunal de révision a pris une mesure décrite comme inhabituelle en acceptant les observations écrites de la demanderesse après l’audience. Le tribunal de révision a offert tant à l’intimé qu’à la personne mise en cause la possibilité de répondre aux observations écrites de la demanderesse. L’avocat de la personne mise en cause a préparé une réponse écrite dans une lettre datée du 12 mars 2013.

[31] À première vue, il semble la demanderesse n’a pas eu la possibilité et le temps nécessaires pour fournir une réponse à l’audience, puisqu’elle a déposé les documents additionnels bien après l’audience du tribunal de révision. En plus des documents qu’elle a envoyés le 15 janvier 2013, la demanderesse en a déposé d’autres avec sa demande de permission, ainsi qu’à quatre occasions subséquentes. Voici une description de ces documents :

  1. (a) télécopie de 60 pages datée du 19 août 2013, reçue par le Tribunal le 28 août 2013. Il s’agissait principalement de documents concernant son action en justice contre la personne mise en cause (qui a commencé après l’audience du tribunal de révision) et d’observations additionnelles, ainsi que de dossiers d’enregistrement foncier qui chevauchent certains documents déposés avec la demande de permission;
  2. (b) télécopie de cinq pages, datée du 27 août 2013 et reçue par le Tribunal le 28 août 2013, avisant qu’un colis de poste prioritaire contenant des « éléments de preuve additionnels » et des transcriptions de débats judiciaires serait bientôt envoyé;
  3. (c) 24 pages reçues par le Tribunal le 2 octobre 2013, consistant en une transcription des procédures de la Cour des petites créances du 26 juillet 2013, ainsi qu’une déclaration de décès, des dossiers bancaires, une ordonnance judiciaire provisoire et un article intitulé « 4 Myths about common-law relationships - Canada CBC News », publié le 20 mars 2013. La transcription et l’article sur les relations de conjoints de fait n’avaient pas été déposés précédemment par la demanderesse;
  4. (d) 18 pages reçues par le Tribunal avec deux observations séparées, toutes deux datées du 10 octobre 2013. Le dossier comprenait la chronologie des événements préparée par le mari de la demanderesse ainsi que l’article de la CBC sur les relations de conjoints de fait. La demanderesse a à nouveau fait valoir que le [traduction] « programme de retraite anticipée que son mari a signé le 17 novembre 2004 démontre que les prestations de survivant du Régime de pensions du Canada doivent lui revenir ». La demanderesse soutient que les transcriptions des débats judiciaires prouvent que la personne mise en cause n’est pas un témoin crédible. La demanderesse fait valoir que les dossiers bancaires indiquent que la personne mise en cause n’a pas pu habiter avec son mari, puisque des opérations bancaires ont été effectuées dans une autre communauté après que la personne mise en cause aurait commencé à vivre avec lui.
  5. (e) 50 pages reçues par le Tribunal le 26 février 2014, comprenant les éléments suivants :
    1. (i) document intitulé 123 questions sur les prestations de survivant du Régime de pensions du Canada (« 123 Questions for Canada Pension Plan Survivors Benefits »), avec 250 points numérotés;
    2. (ii) lettres datées du 10 et du 28 janvier 2014 destinées à Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, et un échange de courriels avec le ministère des Finances;
    3. (iii) autres dossiers divers, dont certains chevauchent des documents qui avaient déjà été déposés auprès du Tribunal.

[32] La demanderesse soutient que ces dossiers additionnels remettent en question la nature de la relation entre son mari et la personne mise en cause, ainsi que la durée de leur cohabitation.

[33] Habituellement, dans une demande de permission, je n’accepterais pas et ne prendrais pas en considération les documents nouveaux qui n’ont pas été portés à la connaissance du tribunal de révision, puisque les moyens d’appel dont je peux tenir compte pour une demande de permission sont limités en vertu du paragraphe 58(1) de la Loi. Aux termes de ce paragraphe, je ne peux pas prendre en considération le contenu de tout nouveau dossier comme moyen d’appel. Toutefois, en l’espèce, j’examinerai les documents dans un but très restreint; je ne les examinerai pas sous l’angle des questions de fond dont le tribunal de révision a été saisi, mais plutôt pour déterminer s’ils peuvent être utilisés dans le cadre d’un appel afin de démontrer que le tribunal de révision pourrait avoir violé un principe de justice naturel. Si les observations ou les documents qui sont déposés ou dont le dépôt est proposé après l’audience du tribunal de révision peuvent être considérés comme étant « nouveaux » - non seulement quant à leur forme, mais aussi quant à leur contenu - alors ils pourraient bien appuyer les observations de la demanderesse selon lesquelles elle n’a pas eu suffisamment de temps pour fournir une réponse à l’égard des documents de la personne mise en cause durant l’audience en question.

[34] Je ne peux pas souscrire aux observations de la demanderesse. Toutefois, puisque ses observations détaillées qui ont été fournies avec la demande de permission et par la suite semblent, de façon générale, refléter celles qu’elle a présentées à l’audience du tribunal de révision et celles du 15 janvier 2013, les nombreux dossiers déposés en août et en octobre 2013 ainsi qu’en février 2014 semblent chevaucher largement ceux qu’elle avait déjà déposés auprès du Bureau du commissaire des tribunaux de révision et qui ont été présentés au tribunal de révision. Je note que de nombreux documents ont été présentés par la demanderesse au tribunal de révision; en effet, on peut donc décrire la preuve de la demanderesse comme étant « très abondante ». D’après ce que je suis en mesure de déterminer, et de manière générale, la demanderesse n’a soulevé ou proposé rien de substantiellement nouveau en guise de réponse aux documents communiqués par la personne mise en cause.

[35] Les transcriptions de la Cour des petites créances et l’article de la CBC sur les relations de conjoints de fait sont des documents « nouveaux », car ils ne faisaient pas partie du dossier du tribunal de révision lors de l’audience. Toutefois, bien que ces éléments soient « nouveaux », ils ne portent pas sur la question centrale dont est saisi le tribunal de révision, c’est-à-dire la question de déterminer si la relation entre la personne mise en cause et le défunt peut être considérée comme une union de fait en vertu du Régime de pensions du Canada. En l’espèce, la prestation demandée par la demanderesse est accordée par le Régime de pensions du Canada et, à ce titre, la demanderesse doit satisfaire aux exigences du Régime de pensions du Canada. Par conséquent, le fait que l’article de la CBC décrive certains mythes courants concernant les relations de conjoints de fait dans les diverses administrations du Canada n’a aucune pertinence et aucune valeur probante.

[36] D’après moi, les transcriptions de la Cour des petites créances, l’article de la CBC et les autres documents volumineux ne sont pas « nouveaux », ou ils ne sont pas pertinents et n’ont aucune valeur probante quant à la question ultime examinée par le tribunal de révision. En conséquence, je ne suis pas convaincue que, à la lumière des documents déposés par la demanderesse dans sa demande de permission, l’appel a une chance raisonnable de succès.

[37] Il est significatif de noter que le tribunal de révision a pris la « mesure inhabituelle » de permettre à la demanderesse de déposer des documents additionnels après l’audience. Par conséquent, on ne peut pas dire que le tribunal de révision ne lui a pas donné la possibilité raisonnable de répondre aux documents de la personne mise en cause, même s’il s’agissait de l’initiative de la demanderesse. Les tribunaux ont établi que lorsqu’un demandeur s’est vu donner la [traduction] « possibilité raisonnable de plaider sa cause », cela suffit : Miller c. Procureur général du Canada, 2007 CAF 237. J’ajouterais que cela signifie aussi qu’une partie doit également se voir offrir la possibilité raisonnable de défendre ses arguments ou de répondre ceux de l’autre partie. Dans un cas comme dans l’autre, une partie n’a pas un droit de réponse indéfini et permanent, même si un argument pourrait ne pas avoir été présenté plus tôt, si elle avait dû être avisée de la question et avait pu y répondre plus tôt. Les positions générales de l’intimé et de la personne mise en cause étaient bien documentées, ou du moins elles étaient certainement bien comprises par la demanderesse.

[38] La personne mise en cause a déposé trois décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. Bien qu’il eut été courtois, sur le plan professionnel, que les avocats s’échangent les documents de référence avant l’audience, le fait qu’ils aient été produits au début de l’audience, plutôt que bien à l’avance, ne constitue pas un motif d’ajournement des procédures. Puisqu’il s’agit de fondements juridiques, on s’attend généralement à ce que les parties en prennent connaissance, au préalable ou non. La demanderesse n’a pas indiqué qu’elle aurait répondu à ces documents de référence si elle en avait reçu des copies avant l’audience.

(ii) erreur de droit

[39] La demanderesse fait valoir que le tribunal de révision a commis une erreur de droit en ne respectant pas une ordonnance judiciaire provisoire prononcée le 21 juin 2007 par la Cour supérieure de justice de l’Ontario. La Cour avait ordonné, entre autres, que le défunt [traduction] « maintenir en vigueur tous les avantages que lui offraient son ancien employeur et/ou son régime de pension, au profit de l’intimée ». La demanderesse indique aussi que le défunt avait envisagé qu’elle reçoive les prestations de survivant du Régime de pensions du Canada prévues dans son programme de retraite.

[40] Il semble que le régime de pension et les prestations de survivant mentionnés dans l’ordonnance judiciaire provisoire ainsi que dans les documents de l’employeur réfèrent aux prestations offertes dans le cadre de l’emploi du défunt, et non aux prestations de survivant du Régime de pensions du Canada. Tout droit à des prestations que la demanderesse pourrait avoir en vertu d’un régime d’assurance privée, par exemple des prestations de retraite d’employé, est séparé et distinct de celui accordé au titre du Régime de pensions du Canada.

[41] Dans un cas comme dans l’autre, je ne connais aucun pouvoir qui permette aux parties de se substituer au Régime de pensions du Canada et d’annuler le droit d’une autre partie de recevoir les prestations de survivant du RPC. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès au titre de ce motif.

[42] Bien que cette observation ne fait pas partie des documents de la demande de permission initiale déposée le 17 juillet 2013, la demanderesse soutient aussi qu’en vertu du droit de la famille en Ontario, un couple ne peut pas être considéré comme une union de fait lorsqu’une des parties demeure légalement mariée à une autre partie, et lorsque le couple n’a pas vécu ensemble pendant au moins trois ans. La demanderesse soutient que le tribunal de révision a commis une erreur en ne respectant pas les lois ontariennes.

[43] Bien que le tribunal de révision ne se soit pas penché sur ces observations, j’estime qu’elles n’ont aucun poids. Peu importe la définition d’une union de fait en Ontario, ou dans tout autre territoire ou province d’ailleurs, les prestations que souhaite recevoir la demanderesse découlent d’une loi, c’est-à-dire que la demanderesse doit satisfaire aux exigences de cette loi pour avoir droit aux prestations qu’elle confère.

[44] L’alinéa 44(1)d) du Régime de pensions du Canada prévoit ceci pour les prestations de survivant :

  • d) sous réserve du paragraphe (1.1), une pension de survivant doit être payée à la personne qui a la qualité de survivant d’un cotisant qui a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité, si le survivant :
  • […]
  • (ii) soit, dans le cas d’un survivant qui n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans :
    • (a) ou bien avait au moment du décès du cotisant atteint l’âge de trente-cinq ans […]

[45] Au paragraphe 42(1) du Régime de pensions du Canada, « survivant » s’entend :

  1. a) à défaut de la personne visée à l’alinéa b), de l’époux du cotisant au décès de celui-ci;
  2. b) du conjoint de fait du cotisant au décès de celui-ci.

[46] Le paragraphe 2(1) du Régime de pensions du Canada définit « conjoint de fait » ainsi : « La personne qui, au moment considéré, vit avec un cotisant dans une relation conjugale depuis au moins un an. Il est entendu que, dans le cas du décès du cotisant, « moment considéré » s’entend du moment du décès. »

[47] Le tribunal de révision a admis en preuve que la personne mise en cause et le défunt ont cohabité en relation conjugale de 2008 jusqu’à la date de décès de ce dernier, en juin 2011. Il a donc établi que la personne mise en cause respectait les exigences du Régime de pensions du Canada.

[48] La demanderesse soutient qu’elle devrait avoir droit aux prestations de survivant, puisqu’elle est demeurée mariée au défunt et qu’elle a cohabité avec lui en relation conjugale pendant une période considérablement plus longue. Le fait que la demanderesse a habité avec le défunt avant leur mariage, qu’elle a été mariée à lui depuis 1975 et qu’elle est demeurée légalement mariée à lui pendant près de 36,5 ans, soit jusqu’à son décès, n’est pas pertinent et n’a aucune préséance sur les droits et l’admissibilité de la personne mise en cause aux prestations de survivant au titre du Régime de pensions du Canada, et ce, même si la personne mise en cause a vécu avec le défunt en relation conjugale pendant une période considérablement moins longue que la demanderesse.

(iii) conclusion de fait erronée

[49] La demanderesse fait valoir que le tribunal de révision a fondé sa décision sur de nombreuses conclusions de fait erronées. Elle soutient qu’une grande partie des éléments de preuve de la personne mise en cause sont faux et trompeurs. Essentiellement, elle demande que j’évalue et soupèse à nouveau la preuve en sa faveur.

[50] Dans la décision Simpson c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 82, l’avocate de la demanderesse a fait état d’un certain nombre de rapports médicaux qui, d’après elle, ont été ignorés, incompris ou mal interprétés par la Commission d’appel des pensions, ou auxquels la Commission a accordé trop de poids. En rejetant la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse, la Cour d’appel a statué ainsi :

« Premièrement, un tribunal n’est pas tenu de mentionner dans ses motifs chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés, mais il est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve. Deuxièmement, le poids accordé à la preuve, qu’elle soit orale ou écrite, relève du juge des faits. Ainsi, une cour qui entend un appel ou une demande de contrôle judiciaire ne peut pas en règle générale substituer son appréciation de la valeur probante de la preuve à celle du tribunal qui a tiré la conclusion de fait contestée… »

[51] Le tribunal de révision a pu passer en revue les éléments de preuve portés à sa connaissance, et il leur a accordé l’importance qu’il jugeait appropriée. Il était aussi loisible au tribunal de révision d’évaluer la qualité des éléments de preuve et de déterminer quels faits, le cas échéant, accepter ou rejeter. Si la demanderesse demande que nous réévaluions l’ensemble des éléments de preuve, sauf ceux qui affaiblissent, selon elle, la position de la personne mise en cause, et que nous tranchions en sa faveur, je suis incapable de le faire, car selon le paragraphe 58(1) de la Loi, je dois déterminer si les motifs qu’elle a cités s’inscrivent dans les moyens d’appel énumérés et si un appel en vertu de l’un ou l’autre de ces motifs a une chance raisonnable de succès.

[52] Compte tenu de ces considérations, je ne peux pas conclure que la demanderesse a soulevé un motif en vertu duquel l’appel pourrait avoir une chance raisonnable de succès.

Conclusion

[53] En résumé, je conclus que la demanderesse ne m’a pas convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès et, par conséquent, je ne suis pas disposée à exercer mon pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai de dépôt, ou pour accorder la permission. La demande de prorogation du délai de dépôt est rejetée, tout comme la demande de permission d’en appeler.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.