Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Comparutions

  • Avocat de l’appelant : Michael Stevenson
  • Avocats de l’intimée : Vincent Calderhead et Charlene Moore
  • Témoin expert de l’intimée : Dr Richard Shillington
  • Témoin expert de l’appelant : Marianna Giordano
  • Intimée : B. T.
  • Partie mise en cause : J. S. par téléphone

Décision

[1] L’appel est accueilli et la contestation de l’intimée concernant le paragraphe 55(1) du Régime de pensions du Canada fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), est rejetée.

Introduction et historique des procédures

[2] L’intimée, B. T., a divorcé de J. S., la partie mise en cause, en février 1985. Plus de 18 ans plus tard, soit le 8 septembre 2003, elle a présenté une demande de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension du Régime de pensions du Canada (le RPC) entre elle et son ancien conjoint, J. S. La demande a été refusée, puisqu’elle n’a pas été présentée dans les 36 mois suivant la date de dissolution légale de son mariage conformément au paragraphe 55(1) du Régime de pensions du Canada.

[3] Par conséquent, l’intimée a présenté une demande contestant le délai de prescription de trois ans et les exigences liées à la demande prévus dans cette disposition et a allégué qu’elle contrevenait à l’article 15 de la Charte, en ce sens qu’elle constitue une discrimination à son égard au motif de son sexe en tant que femme et au motif analogue de son état matrimonial en tant que femme divorcée.

[4] La demande de l’intimée présentée au Bureau du commissaire des tribunaux de révision a été accueillie en janvier 2010. Le ministre a fait appel auprès de la Commission d’appel des pensions (la CAP) qui a indiqué, en mars 2012, que la demande de l’intimée correspondait une application rétroactive de la Charte.

[5] L’intimée a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la CAP à la Cour d’appel fédérale. Le 19 novembre 2012, la Cour a statué qu’il n’y avait pas d’application rétroactive de la Charte, a annulé la décision de la CAP et a renvoyé l’affaire à une formation de la CAP différemment constituée.

[6] Le 1er avril 2013, en vertu de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durableNote de bas de page 1, la compétence de la CAP a été transférée au nouveau Tribunal de la sécurité sociale (le Tribunal).

[7] Après des délais attribuables aux efforts déployés pour s’adapter aux horaires des avocats et de leurs témoins, et pour tenir compte de la disponibilité du Tribunal, j’ai instruit cette affaire à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, les 10, 11 et 12 septembre 2014.

Questions en litige

[8] Il s’agit de déterminer si les exigences liées à la demande et le délai de prescription de trois ans pour un partage des crédits en vertu du paragraphe 55(1) du Régime de pensions du Canada enfreignent le paragraphe 15(1) de la Charte.

[9] Dans l’affirmative, peut-on justifier la violation comme étant raisonnable dans une société libre et démocratique en vertu de l’article 1 de la Charte?

[10] Les avocats de l’intimée et de l’appelant reconnaissent que la présente demande au titre de l’article 15 porte sur les effets préjudiciables ou la discrimination indirecte, puisque le paragraphe 55(1) du Régime de pensions du Canada est apparemment neutre. Il reste alors à déterminer si la preuve dans cette affaire démontre que la disposition a une incidence négative disproportionnée sur l’intimée, identifiable par des facteurs liés à son sexe et à son état matrimonial en tant que femme divorcée.

Dispositions législatives

[11]  Les dispositions législatives et réglementaires pertinentes dans le cadre du présent appel sont les suivantes :

A. Régime de pensions du Canada L.R.C. 1985, ch. C-8, articles 55,55.1, 55.2, 60

Article 55

Partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension dans les cas de divorces et d’annulations de mariage ayant lieu avant l’entrée en vigueur de l’article 55.1

Demande de partage

55. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, des paragraphes 55.2(2), (3) et (4) et de l’article 55.3, une demande écrite de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension d’ex-époux peut, dans les trente-six mois suivant la date d’un jugement accordant un divorce ou d’un jugement accordant la nullité d’un mariage, s’il est rendu avant le 1er janvier 1987 sans l’avoir été avant le 1er janvier 1978, être présentée au ministre par l’un ou l’autre des ex-époux ou pour son compte, ou par sa succession ou encore par toute personne prescrite. Les ex-époux peuvent convenir par écrit de présenter la demande après l’expiration du délai de trente-six mois.

Demande de partage

(2) Pour l’application du présent article :

a) par dérogation aux alinéas b) et c), les ex-époux doivent avoir cohabité durant le mariage pendant au moins trente-six mois consécutifs avant qu’une demande visée au paragraphe (1) puisse être approuvée par le ministre;

b) le mariage est réputé avoir été célébré ou annulé et le divorce réputé irrévocable le dernier jour de l’année précédant la date enregistrée du mariage ou du jugement prononçant la nullité du mariage ou la prise d’effet du jugement accordant le divorce;

c) les ex-époux sont réputés avoir cohabité pendant toute l’année où a eu lieu la célébration du mariage et ne pas avoir cohabité pendant l’année du divorce ou de l’annulation du mariage.

Détermination de la période de cohabitation

(3) Seuls les mois où les ex-époux ont cohabité durant le mariage sont pris en ligne de compte pour déterminer la période à laquelle s’applique le partage des gains non ajustés des ex-époux ouvrant droit à pension. Pour l’application du présent article, les mois où les ex-époux ont cohabité sont déterminés de la manière prescrite par règlement.

Partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension

(4) Sur approbation par le ministre d’une demande visée au paragraphe (1), a lieu, d’une part, l’addition des gains non ajustés ouvrant droit à pension afférents à des cotisations versées selon la présente loi et déterminés, de la même manière qu’est déterminé le total des gains visés à l’article 78, pour chaque ex-époux durant la période de cohabitation et, d’autre part, la division et l’attribution en parts égales à chaque ex-époux de ces gains non ajustés ouvrant droit à pension.

Partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension en vertu de la présente loi

(5) Aux fins du calcul et du paiement des prestations en vertu de la présente loi, au cas où un partage en vertu du paragraphe (4) et d’un régime provincial de pensions est effectué, le total des gains non ajustés d’un cotisant ouvrant droit à pension, pour toute année de partage, correspond à l’ensemble des gains non ajustés ouvrant droit à pension qui lui sont attribués tant en vertu de la présente loi que d’un régime provincial de pensions.

Absence de partage

(6) Aucun partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension pour une période de cohabitation n’est effectué :

a) lorsque, pour une année, le total des gains de cette nature des ex-époux ne dépasse pas le double de l’exemption de base de l’année;

b) pour la période avant laquelle l’un des ex-époux avait atteint l’âge de dix-huit ans ou après laquelle l’un des ex-époux avait atteint l’âge de soixante-dix ans;

c) pour la période au cours de laquelle l’un des ex-époux était bénéficiaire d’une pension de retraite en vertu de la présente loi ou d’un régime provincial de pensions;

d) pour tout mois qui, en raison d’une invalidité, est exclu de la période cotisable de l’un ou l’autre des ex-époux en conformité avec la présente loi ou avec un régime provincial de pensions.

Paiement des prestations

(7) Le montant de base de toute prestation payable, en vertu de la présente loi, à l’un des ex-époux ou à son égard, pour tout mois à compter du jour ou avant le jour de réception de la demande visée au paragraphe (1), est, dès l’approbation de celle-ci, calculé et ajusté conformément à l’article 45, compte tenu cependant du partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension effectué en vertu du présent article, et la prestation ajustée est payable à compter du mois qui suit celui de la réception de la demande visée au paragraphe (1).

Avis du partage

(8) Tout requérant ainsi que l’ex-époux ou son ayant droit doivent être avisés de la manière prescrite par règlement, dès l’approbation par le ministre de toute demande de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension et peuvent en appeler du partage ou de son résultat, conformément à la présente partie.

Règlements

(9) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, fixer les délais et les modalités de présentation ou de retrait des demandes de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension, indiquer la procédure à suivre pour examiner ces demandes et les approuver, ainsi que préciser les renseignements et la preuve à fournir à ce sujet.

Article 55.1

Partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension

Circonstances donnant lieu au partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension

55.1 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article et des articles 55.2 et 55.3, il doit y avoir partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension dans les circonstances suivantes :

a) dans le cas d’époux, lorsqu’est rendu un jugement accordant un divorce ou un jugement en nullité de mariage, dès que le ministre est informé du jugement et qu’il reçoit les renseignements prescrits;

b) dans le cas d’époux, à la suite de l’approbation par le ministre d’une demande faite par l’un ou l’autre de ceux-ci ou pour son compte, ou par sa succession ou encore par une personne visée par règlement, si les conditions suivantes sont réunies :

  1. (i) les époux ont vécu séparément durant une période d’au moins un an,
  2. (ii) dans les cas où l’un des époux meurt après que ceux-ci ont vécu séparément durant une période d’au moins un an, la demande est faite dans les trois ans suivant le décès;

c) dans le cas de conjoints de fait, à la suite de l’approbation par le ministre d’une demande faite par l’un ou l’autre des anciens conjoints de fait ou pour son compte, ou par sa succession ou encore par une personne visée par règlement, si les conditions suivantes sont réunies :

  1. (i) soit les anciens conjoints de fait ont vécu séparément pendant une période d’au moins un an, soit l’un d’eux est décédé pendant cette période,
  2. (ii) la demande est faite soit dans les quatre ans suivant le jour où les anciens conjoints de fait ont commencé à vivre séparément, soit après l’expiration de ce délai avec leur accord écrit.

Calcul de la période de séparation

(2) Pour l’application du présent article :

a) les personnes visées par le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension sont réputées avoir vécu séparément pendant toute période de vie séparée au cours de laquelle l’une d’elles avait effectivement l’intention de vivre ainsi;

b) il n’y a pas interruption ni cessation d’une période de vie séparée du seul fait :

  1. (i) soit que l’une des personnes visées par le partage est devenue incapable soit d’avoir ou de concevoir l’intention de prolonger la séparation, soit de la prolonger de son plein gré, si le ministre estime qu’il y aurait eu probablement prolongation sans cette incapacité,
  2. (ii) soit qu’il y a eu reprise de la cohabitation par les personnes visées par le partage principalement dans un but de réconciliation pendant une ou plusieurs périodes totalisant au plus quatre-vingt-dix jours.

Période de cohabitation

(3) Pour l’application du présent article, il faut, pour qu’ait lieu un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension, que les personnes visées par le partage aient cohabité pendant une période continue d’au moins un an, une telle période s’entendant, pour l’application du présent paragraphe, au sens que lui donnent les règlements.

Période : partage des gains non ajustés

(4) Seuls les mois où les personnes visées par le partage ont cohabité sont pris en considération pour déterminer la période à laquelle s’applique le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension de ces personnes; pour l’application du présent paragraphe, les mois où ces personnes ont cohabité sont déterminés de la manière prescrite.

Pouvoir discrétionnaire du ministre

(5) Avant qu’ait lieu, en application du présent article, un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension, ou encore au cours de la période prescrite après qu’a eu lieu un tel partage, le ministre peut refuser d’effectuer ce partage, comme il peut l’annuler, selon le cas, s’il est convaincu que :

a) des prestations sont payables aux deux personnes visées par le partage ou à leur égard;

b) le montant des deux prestations a diminué lors du partage ou diminuerait au moment où il a été proposé que le partage ait lieu.

Article 55.2

55.2 (1) [Abrogé, 2000, ch. 12, art. 48]

Contrats ou ordonnances judiciaires sans effet à l’égard du ministre

(2) Sauf selon ce qui est prévu au paragraphe (3), sont sans effet quant au ministre en ce qui concerne le partage, en application de l’article 55 ou 55.1, des gains non ajustés ouvrant droit à pension, les dispositions d’un contrat écrit entre des personnes visées par le partage ou d’une ordonnance d’un tribunal respectivement conclu ou rendue le 4 juin 1986 ou après cette date.

Contrats ayant leurs effets à l’égard du ministre

(3) Dans les cas où les conditions ci-après sont réunies, le ministre est lié par la disposition visée à l’alinéa a) et n’effectue pas le partage en application de l’article 55 ou 55.1 :

a) un contrat écrit est conclu entre les personnes visées par le partage, le 4 juin 1986 ou après cette date, et contient une disposition qui fait expressément mention de la présente loi et qui exprime l’intention de ces personnes de ne pas faire le partage, en application de l’article 55 ou 55.1, des gains non ajustés ouvrant droit à pension;

b) la disposition en question du contrat est expressément autorisée selon le droit provincial applicable à de tels contrats;

c) le contrat a été conclu :

  1. (i) dans le cas d’un partage visé par l’article 55 ou les alinéas 55.1(1)b) ou c), avant le jour de la demande,
  2. (ii) dans le cas d’un partage visé par l’alinéa 55.1(1)a), avant que ne soit rendu un jugement accordant un divorce ou un jugement en nullité de mariage, selon le cas;

d) la disposition en question du contrat n’a pas été annulée aux termes d’une ordonnance d’un tribunal.

Avis du ministre aux parties

(4) Sans délai après avoir été informé d’un jugement accordant un divorce ou d’un jugement en nullité de mariage, ou après avoir reçu une demande en conformité avec l’article 55 ou les alinéas 55.1(1)b) ou c), le ministre donne à chacune des personnes visées par le partage, en la manière prescrite, un avis de la période pour laquelle il y aura partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension, de même que de tout autre renseignement jugé nécessaire par le ministre.

Partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension

(5) Dans les cas où il y a partage en application de l’article 55.1, il y a addition des gains non ajustés ouvrant droit à pension de chacune des personnes visées par le partage pour la période de cohabitation se rapportant à des cotisations versées selon la présente loi, déterminés de la même manière que le total des gains ouvrant droit à pension afférents à des cotisations versées selon la présente loi est déterminé conformément à l’article 78, et ensuite, tant partage en parts égales des gains ouvrant droit à pension ainsi additionnés qu’attribution de ces parts à chacune de ces personnes.

Effet du partage

(6) Dans les cas où il y a partage en application de l’article 55.1 et conformément à un régime provincial de pensions, aux fins du calcul et du paiement des prestations aux termes de la présente loi, le total des gains non ajustés ouvrant droit à pension d’un cotisant pour une année de partage est l’ensemble de ses gains non ajustés ouvrant droit à pension attribués en application du paragraphe (5) et de ses gains non ajustés ouvrant droit à pension attribués conformément à un régime provincial de pensions.

Régime provincial de pensions

(7) Il n’y a pas lieu à partage en application de l’article 55.1 pour un mois au cours duquel les personnes visées par le partage ont cohabité selon ce qui est prescrit à cet égard par règlement pour l’application du présent paragraphe dans les cas où l’une ou l’autre de ces personnes, ou encore l’une et l’autre de celles-ci, ont versé des cotisations à un régime provincial de pensions pour ce mois, à moins que les gains non ajustés ouvrant droit à pension de ces personnes attribués en vertu d’un régime provincial de pensions ne soient partagés conformément à ce régime pour ce mois, selon un mode en substance similaire à celui qui est décrit au présent article et à l’article 55.1.

Absence de partage

(8) Il n’est effectué, en ce qui concerne une période de cohabitation de personnes visées par le partage, aucun partage en application de l’article 55.1 :

a) pour une année au cours de laquelle le total des gains non ajustés ouvrant droit à pension de ces personnes ne dépasse pas le double de l’exemption de base de l’année;

b) pour la période avant laquelle l’une de ces personnes a atteint l’âge de dix-huit ans ou après laquelle l’une de ces personnes a atteint l’âge de soixante-dix ans;

c) pour la période au cours de laquelle l’une de ces personnes était bénéficiaire d’une pension de retraite en vertu de la présente loi ou d’un régime provincial de pensions;

d) pour un mois qui, en raison d’une invalidité, est exclu de la période cotisable de l’une ou l’autre de ces personnes en conformité avec la présente loi ou avec un régime provincial de pensions.

Paiement des prestations

(9) Dans les cas où il y a partage en application de l’article 55.1 et qu’une prestation est ou devient payable, conformément à la présente loi, à ou à l’égard de l’une ou l’autre des personnes visées par le partage au plus tard le mois qui suit le mois du partage, le montant de base de la prestation est calculé et ajusté conformément à l’article 46, de même qu’ajusté conformément au paragraphe 45(2), mais compte tenu de ce partage, et la prestation ajustée est payée avec effet lors du mois suivant le mois au cours duquel il y a partage; toutefois, il ne peut être payé une prestation qui n’aurait pas été payable, n’eût été le partage, pour le mois au cours duquel il y a partage ou tout mois antérieur à celui-ci.

Avis du partage

(10) Dès qu’il y a partage en application de l’article 55.1, les personnes visées par le partage, ou leurs ayants droit, en sont avisées de la manière prescrite.

Règlements

(11) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

a) fixer les délais et les modalités de présentation ou de retrait des demandes de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension;

b) prévoir la procédure à suivre pour examiner ces demandes et les approuver, de même que les renseignements et la preuve à fournir à ce sujet;

c) fixer la date à laquelle prend effet le partage ou son approbation et celle à laquelle prend effet l’attribution de gains ouvrant droit à pension à la suite d’un partage.

Article 60

Section C

Paiement des prestations : dispositions générales Demande de prestation
60. (1) Aucune prestation n’est payable à une personne sous le régime de la présente loi, sauf si demande en a été faite par elle ou en son nom et que le paiement en ait été approuvé selon la présente loi.

Cas où une demande de prestation après-retraite est réputée avoir été faite

(1.1) Pour l’application du paragraphe (1), une demande visant l’obtention d’une prestation après-retraite est réputée avoir été faite le 1er janvier de l’année suivant celle, visée à l’article 76.1, au cours de laquelle des cotisations sont versées relativement à des gains non ajustés ouvrant droit à pension par le bénéficiaire d’une pension de retraite à cette date si le ministre détient à son égard les renseignements nécessaires pour déterminer si une telle prestation lui est payable.

Demande de prestations par les ayants droit

(2) Indépendamment des autres dispositions de la présente loi, et sous réserve des paragraphes (2.1) et (2.2), une demande de prestation, autre qu’une prestation de décès, qui aurait été payable pour un mois à une personne décédée et qui, avant son décès, aurait, après approbation d’une demande à cet effet, eu droit au paiement de cette prestation conformément à la présente loi, ne peut être approuvée que lorsqu’elle est présentée, dans les douze mois suivant le décès de cette personne, par l’ayant droit, le représentant ou l’héritier de cette personne, ou encore par toute personne visée par règlement.

Exception

(2.1) La demande de prestation d’invalidité reçue après le 31 décembre 1997 ne peut être approuvée au titre du paragraphe (2).

Pension de retraite

(2.2) Dans le cas d’une pension de retraite, la demande ne peut être approuvée que pour un mois après que le cotisant décédé a atteint l’âge de soixante-dix ans.

Exception

(3) La personne ou l’organisme qui, au moment du décès d’un enfant d’un cotisant invalide ou d’un orphelin d’un cotisant, en a la garde et la surveillance ou, si à cette époque, aucune personne ou aucun organisme n’en a la garde et la surveillance, la personne ou l’organisme que peut désigner le ministre peuvent, dans l’année qui suit ce décès, présenter une demande dans le cas où une prestation d’enfant de cotisant invalide ou d’orphelin de cotisant aurait été payable, si la demande avait été approuvée, à un enfant d’un cotisant invalide ou à un orphelin d’un cotisant respectivement, sur demande présentée avant son décès, si celui-ci survient après le 31 décembre 1977 et avant que cet enfant ou orphelin n’ait atteint l’âge de dix-huit ans et avant qu’une demande n’ait été présentée.

Prestations payables aux ayants droit ou autres personnes

(4) Lorsqu’une demande est présentée conformément au paragraphe (2) ou (3), est versée aux ayants droit ou aux personnes autorisées par règlement toute prestation qui aurait été payable à une personne décédée visée au paragraphe (2) ou à un enfant ou orphelin décédé visé au paragraphe (3).

Demande réputée avoir été reçue au moment du décès

(5) Une demande présentée conformément au paragraphe (2) ou (3) est réputée avoir été reçue :

a) soit le jour du décès d’une personne qui, avant son décès, aurait eu droit, sur approbation de la demande, au versement d’une prestation en vertu de la présente loi;

b) soit le jour du décès de l’enfant ou de l’orphelin visé au paragraphe (3) si la personne ou l’organisme qui en a la garde et la surveillance n’a pas présenté de demande avant le décès de l’enfant ou de l’orphelin.

Présentation de la demande

(6) Une demande de prestation doit être présentée au ministre en la manière et à l’endroit prescrits.

Examen de la demande et approbation du ministre

(7) Le ministre examine, dès qu’il la reçoit, toute demande de prestation; il peut en approuver le paiement et en déterminer le montant payable aux termes de la présente loi, ou il peut arrêter qu’aucune prestation n’est payable et avise dès lors par écrit le requérant de sa décision.

Incapacité

(8) Dans le cas où il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur ou en son nom, que celui-ci n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande le jour où celle-ci a été faite, le ministre peut réputer cette demande de prestation avoir été faite le mois qui précède celui au cours duquel la prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé.

Idem

(9) Le ministre peut réputer une demande de prestation avoir été faite le mois qui précède le premier mois au cours duquel une prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon lui, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé, s’il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur :

a) que le demandeur n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle celle-ci a réellement été faite;

b) que la période d’incapacité du demandeur a cessé avant cette date;

c) que la demande a été faite, selon le cas :

  1. (i) au cours de la période — égale au nombre de jours de la période d’incapacité mais ne pouvant dépasser douze mois — débutant à la date où la période d’incapacité du demandeur a cessé,
  2. (ii) si la période décrite au sous-alinéa (i) est inférieure à trente jours, au cours du mois qui suit celui au cours duquel la période d’incapacité du demandeur a cessé.

Période d’incapacité

(10) Pour l’application des paragraphes (8) et (9), une période d’incapacité doit être continue à moins qu’il n’en soit prescrit autrement.

Application

(11) Les paragraphes (8) à (10) ne s’appliquent qu’aux personnes incapables le 1er janvier 1991 dont la période d’incapacité commence à compter de cette date.

Présence

(12) Le ministre peut demander à tout requérant ou autre personne ou à tout groupe ou catégorie de personnes de se rendre à une heure raisonnable à un endroit convenable pour présenter en personne une demande de prestations ou fournir des renseignements supplémentaires concernant la demande.

B) Règlement sur le Régime de pensions du Canada, C.R.C., ch. 385, articles 43, 52, 53, 54

Article 43

Demande de prestations, demande de cession de la pension de retraite ou demande de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension

43. (1) La demande de prestations, la demande de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension en application des articles 55 ou 55.1 de la Loi ou la demande de cession d’une partie de la pension de retraite visée à l’article 65.1 de la Loi doit être présentée par écrit à tout bureau du ministère du Développement des ressources humaines ou du ministère de l’Emploi et du Développement social.

(1.1) Si le requérant se voit refuser une demande de pension d’invalidité et qu’il atteint l’âge de 60 ans entre la date de la demande et celle du refus, ou aurait eu droit à une pension de retraite s’il en avait fait la demande à la date de la demande de pension d’invalidité, cette dernière est, sur présentation d’une requête par le requérant ou en son nom, réputée être une demande de pension de retraite si elle est faite :

a) par écrit à tout bureau du ministère du Développement des ressources humaines;

b) dans les 90 jours suivant la fin du mois où le requérant est avisé du refus ou, si celui-ci est porté en appel et confirmé, dans les 90 jours suivant le jour où le requérant est avisé de la confirmation définitive du refus.

(2) Lorsque, en raison de l’article 80 de la Loi et d’un accord intervenu en vertu de cet article avec une province disposant d’un régime général de pensions, le montant global d’une prestation payable à un requérant est réputé payable selon ce régime ou lorsque le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension peut être déterminé selon ce régime conformément à l’accord, le ministre doit, aussitôt que possible après avoir reçu la demande, la transmettre, ainsi qu’une attestation de la date de sa réception, à l’autorité chargée, en vertu de ce régime, de recevoir les demandes, de calculer le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension et de verser les prestations.

Article 52

Renseignements et preuves devant être fournis par le requérant ou le bénéficiaire

52. Afin de déterminer l’admissibilité du requérant à une prestation, le montant de la prestation que le requérant ou le bénéficiaire est en droit de recevoir, ou l’admissibilité d’un bénéficiaire à continuer de recevoir une prestation, le requérant ou la personne faisant la demande en son nom ou le bénéficiaire, selon le cas, doit, lors de sa demande, ou par la suite, lorsque le ministre le lui demande, donner par écrit les renseignements ou produire les preuves qui suivent :

a) le nom, à la naissance, et le nom actuel, le sexe, l’adresse et le numéro d’assurance-sociale

  1. (i) du requérant ou bénéficiaire,
  2. (ii) du cotisant invalide ou décédé,
  3. (iii) de l’époux ou du conjoint de fait du cotisant invalide ou du survivant du cotisant décédé,
  4. (iv) de chaque enfant à la charge du cotisant invalide ou décédé,
  5. (v) de tout ex-époux ou ancien conjoint de fait, si le requérant connaît ces renseignements;

b) la date et le lieu de naissance

  1. (i) du requérant ou bénéficiaire,
  2. (ii) du cotisant invalide ou décédé,
  3. (iii) du survivant du cotisant décédé, et
  4. (iv) de chaque enfant à la charge du cotisant invalide ou décédé;

c) la date et le lieu de décès du cotisant;

d) si un enfant à la charge du cotisant est décédé depuis

  1. (i) la date à laquelle le cotisant soutient qu’il est devenu invalide, ou
  2. (ii) le décès du cotisant;

e) [Abrogé, DORS/86-1133, art. 10]

f) si le cotisant décédé était marié au moment de son décès et, dans l’affirmative, le nom de son conjoint ainsi que la date et le lieu du mariage;

g) si le cotisant décédé était séparé ou divorcé au moment de son décès;

h) s’il y a un représentant personnel de la succession du cotisant décédé et, dans l’affirmative, le nom et l’adresse de ce représentant;

i) si un enfant à la charge du cotisant invalide ou décédé

  1. (i) est son enfant,
  2. (ii) est son enfant adopté légalement ou était de fait, adopté par lui, ou encore est l’enfant adopté légalement par une autre personne,
  3. (iii) était légalement ou de fait sous sa garde et sa surveillance,
  4. (iv) est sous la garde et la surveillance du cotisant invalide, du survivant du cotisant ou d’une autre personne ou organisme,
  5. (v) vit ailleurs que chez le cotisant invalide ou le survivant, ou
  6. (vi) est ou était entretenu par le cotisant invalide;

j) dans les cas où un enfant à la charge du cotisant invalide ou décédé est âgé de 18 ans ou plus, si cet enfant fréquente ou a fréquenté à plein temps une école ou une université;

k) si le requérant ou le bénéficiaire qui est le survivant d’un cotisant entretient entièrement ou dans une large mesure un ou plusieurs enfants à la charge du cotisant décédé;

k.1) [Abrogé, DORS/2013-83, art. 2]

l) une déclaration attestant le montant du traitement et du salaire cotisables et le montant des gains cotisables d’un cotisant travaillant à son propre compte, que le cotisant invalide, ou décédé a gagné au cours de l’année où il est devenu invalide ou est décédé et de toute année précédant celle de son invalidité ou de son décès;

m) si le requérant, le bénéficiaire ou le cotisant décédé reçoit, ou recevait, ou a présenté une demande soit de prestations aux termes de la Loi ou d’un régime provincial de pension, soit de pension, aux termes de la Loi sur la sécurité de la vieillesse; et

n) tout document, déclaration ou pièce supplémentaire que possède ou pourrait obtenir le requérant ou le bénéficiaire pour aider le ministre à vérifier l’exactitude des renseignements et des preuves mentionnés aux alinéas a) à m).

Article 53

53. Pour déterminer si les mois pour lesquels un cotisant a bénéficié des prestations d’allocations familiales devraient être exclus de sa période de cotisation, le requérant doit, dans la demande ou par la suite et par écrit à la demande du ministre, fournir à celui-ci les renseignements ou preuves additionnels qui suivent :

a) le nom et la date de naissance de tous les enfants pour lesquels le cotisant a reçu des prestations d’allocations familiales ou des prestations fiscales pour enfants;

b) le numéro d’assurance sociale de chacun de ces enfants, le cas échéant;

c) les périodes au cours desquelles le cotisant a reçu, pour ces enfants, des prestations d’allocations familiales ou des prestations fiscales pour enfants;

d) la province où résidait le cotisant lorsqu’il recevait, pour ces enfants, des prestations d’allocations familiales ou des prestations fiscales pour enfants;

e) le numéro d’assurance sociale du cotisant à qui étaient versées, pour ces enfants, des prestations d’allocations familiales ou des prestations fiscales pour enfants;

f) s’ils sont connus, le nom et le numéro d’assurance sociale de toute autre personne qui a reçu, pour ces enfants, des prestations d’allocations familiales ou des prestations fiscales pour enfants;

g) les documents, déclarations ou dossiers additionnels en possession du requérant ou qu’il peut obtenir et qui pourraient aider le ministre à constater l’exactitude des renseignements et des preuves visés aux alinéas a) à f).

Article 54

54. (1) Afin qu’il soit déterminé si la demande de partage, en application de l’article 55 ou des alinéas 55.1(1)b) ou c) de la Loi, des gains non ajustés ouvrant droit à pension peut être approuvée, le requérant doit inclure dans sa demande ou fournir par écrit au ministre, lorsqu’il le lui demande, les renseignements exigés à l’article 52 pour les demandes de prestation, compte tenu des adaptations de circonstance, ainsi que les renseignements ou preuves applicables qui suivent :

a) le nom à la naissance et le nom actuel, le sexe, l’adresse et le numéro d’assurance sociale de chaque époux ou ex-époux ou ancien conjoint de fait;

b) la date et le lieu de naissance de chaque époux ou ex-époux ou ancien conjoint de fait;

c) l’indication si l’époux ou l’ex-époux ou l’ancien conjoint de fait reçoit ou a reçu des prestations en vertu de la Loi ou d’un régime provincial de pensions, ou s’il en a fait la demande;

d) la date et le lieu du mariage des époux ou ex-époux et leur certificat de mariage;

e) la date et le lieu de la dissolution du mariage des ex-époux;

f) la preuve documentaire de la dissolution du mariage, y compris le jugement irrévocable de divorce, le jugement accordant le divorce conformément à la Loi sur le divorce ou le jugement en nullité de mariage;

g) toutes les adresses où les époux ou ex-époux ou anciens conjoints de fait ont cohabité;

h) les dates des périodes durant lesquelles les époux ou ex-époux ou anciens conjoints de fait n’ont pas cohabité, et l’indication si la raison de la séparation est celle visée à l’alinéa 78(2)a) ou au paragraphe 78.1(3);

i) la date à laquelle les époux ou ex-époux ou anciens conjoints de fait ont commencé à vivre séparément;

j) les dates des périodes durant lesquelles les époux ou ex-époux ou anciens conjoints de fait vivaient ensemble dans une relation conjugale;

k) une copie de tout contrat écrit conclu avant le 4 juin 1986 entre les personnes visées par le partage ou de tout contrat écrit conclu entre celles-ci le 4 juin 1986 ou après cette date s’il contient une disposition qui lie le ministre aux termes du paragraphe 55.2(3) de la Loi;

l) les documents, déclarations ou dossiers additionnels que possède le requérant ou qu’il peut obtenir et qui pourraient aider le ministre à vérifier l’exactitude des renseignements et preuves visés aux alinéas a) à k).

(2) Pour l’application de l’alinéa 55.1(1)a) de la Loi, les renseignements concernant le mariage sont les renseignements applicables qui suivent :

a) le nom à la naissance et le nom actuel, le sexe, l’adresse et le numéro d’assurance sociale de chacun des ex-époux;

b) la date et le lieu du mariage des ex-époux et leur certificat de mariage;

c) la date et le lieu de la dissolution du mariage des ex-époux;

d) un exemplaire du jugement mentionné audit alinéa de la Loi;

e) toutes les adresses où les ex-époux ont cohabité;

f) les dates des périodes durant lesquelles les ex-époux n’ont pas cohabité, et l’indication si la raison de la séparation est celle visée à l’alinéa 78(2)a) ou au paragraphe 78.1(3);

g) la date à laquelle les ex-époux ont commencé à vivre séparément;

h) les dates des périodes durant lesquelles les ex-époux vivaient ensemble dans une relation conjugale;

i) une copie de tout contrat écrit conclu avant le 4 juin 1986 entre les personnes visées par le partage ou de tout contrat écrit conclu entre celles-ci le 4 juin 1986 ou après cette date s’il contient une disposition qui lie le ministre aux termes du paragraphe 55.2(3) de la Loi.

C) Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), articles 1, 15, 52

Article 1

Droits et libertés au Canada

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Article 15

Droits à l’égalité

Égalité devant la loi, égalité de bénéfice et protection égale de la loi

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Programmes de promotion sociale

(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

Article 52

Primauté de la Constitution du Canada

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Constitution du Canada

(2) La Constitution du Canada comprend :

a) la Loi de 1982 sur le Canada, y compris la présente loi;

b) les textes législatifs et les décrets figurant à l’annexe;

c) les modifications des textes législatifs et des décrets mentionnés aux alinéas a) ou b).

Modification

(3) La Constitution du Canada ne peut être modifiée que conformément aux pouvoirs conférés par elle.

Contexte factuel

[12] L’avocat convient que pour la plupart, les faits sous-jacents ne sont pas contestés. Les parties sont toujours en désaccord au sujet des raisons de leur séparation et de leur divorce. Toutefois, ces questions ne sont pas pertinentes aux fins du présent appel.

[13] L’intimée, B. T., a témoigné en personne. Elle est née à Halifax en février 1954. Elle a rencontré J. S. et a commencé à cohabiter avec lui le 15 janvier 1975. Elle avait un enfant d’une relation antérieure, né en 1971, que M. J. S. a adopté après leur mariage en septembre 1976.

[14] Du mariage des parties est né un autre enfant, en février 1977.

[15] Au cours du mariage, l’intimée a principalement travaillé à la maison, et, à l’occasion, comme cuisinière en restauration rapide. Son mari a occupé un emploi tout au long du mariage.

[16] Les parties se sont séparées en décembre 1984 et leur divorce a été prononcé peu de temps après, le 11 février 1985. Les deux parties étaient représentées par un conseiller juridique pour l’action en divorce, qui contenait la mention suivante dans le jugement conditionnel, rendu irrévocable à l’audience :

[Traduction]
IL EST DE PLUS ORDONNÉ, JUGÉ ET STATUÉ qu’une clause soit incluse dans le présent jugement, en ce qui concerne la pension de 10 000 $ du requérant, selon laquelle l’intimée, B. T., est autorisée à formuler à une date ultérieure une demande de répartition des crédits de ladite pension, aux termes des dispositions du Régime de pensions du Canada, et de répartition des crédits correspondant au montant accumulé pendant le mariage.

[17] Après le divorce, l’intimée a travaillé de façon sporadique, mais a dû dépendre de l’aide sociale pendant un certain temps au cours des 20 années suivantes. Elle a également été hospitalisée en raison de troubles nerveux non définis.

[18] Elle a eu un enfant d’une autre relation en 1990, qui vit avec elle encore aujourd’hui, car il est atteint d’autisme.

[19] En 2003, au cours d’une période de maladie, elle a décidé de présenter une demande de prestations d’invalidité du RPC, et elle a alors appris qu’elle ne pouvait soumettre de demande de partage de crédits du RPC de son ex-mari, car elle n’avait pas fait sa demande dans le délai imparti. Elle a affirmé dans son témoignage que si elle avait su à quel moment elle devait présenter sa demande, elle l’aurait fait. Elle a soutenu que personne ne lui avait jamais parlé de la période de restriction au moment des procédures de divorce.

[20] Elle n’a pas présenté de demande de prestations d’invalidité du RPC, mais a plutôt travaillé à temps plein à partir de 2004 à une résidence pour personnes âgées comme aide ménagère pendant trois ans et demi. Elle a dû quitter son emploi en raison de troubles cardiaques en 2007, mais est retournée travailler à la même résidence pour personnes âgées en 2009, où elle occupe actuellement la fonction de valet de chambre ou aide ménagère occasionnelle. Elle travaille de 25 à 30 heures par semaine au taux horaire de 11,02 $.

[21] À la question de savoir si elle pourrait travailler plus d’heures, elle a répondu que cela lui était impossible en raison de l’autisme de son fils, qui exige qu’elle ne soit pas séparée de lui pendant de longues périodes.

[22] Depuis février 2014, date à laquelle elle a eu 60 ans, elle reçoit une pension de retraite du RPC, au montant de 89 $ par mois, qui s’ajoute à ses revenus d’emploi. Son fils reçoit également des prestations d’invalidité. Ils habitent dans un logement subventionné à loyer modéré, au coût de 426 $ par mois.

[23] J. S. a témoigné par téléconférence depuis sa résidence à Port Hawkesbury. Un an après le divorce, il a été mis à pied par son employeur, en raison d’une apparente réduction générale ou partielle des effectifs à l’établissement où il a travaillé de 1976 à 1986.

[24] Il n’a pas réussi à trouver un autre emploi, n’étant pas un travailleur qualifié. Il a souffert d’anxiété et de crises de panique et a dû dépendre de l’aide sociale jusqu’en 1989, date à laquelle il est parvenu à obtenir des prestations d’invalidité du RPC, calculées rétroactivement depuis 1987. Il a dû remettre son paiement rétroactif à l’aide sociale, qui l’a soutenu pendant la période où sa demande de prestations d’invalidité du RPC était en suspens.

[25] Au moment de l’audience, M. J. S. était âgé de 69 ans. En janvier 2010, lorsqu’il a eu 65 ans, sa pension d’invalidité du RPC a été convertie en une pension de retraite mensuelle de 618,25 $. Cette pension et ses prestations de Sécurité de la vieillesse de 558 $ par mois constituent ses seuls revenus.

[26] À la question de savoir s’il serait en mesure de rembourser tout trop-payé occasionné par un partage rétroactif de ses crédits de pension, advenant le cas où la demande de son ex-épouse serait acceptée, il a répondu qu’il serait contraint de faire à nouveau appel à l’aide sociale.

[27] M. J. S. a reconnu avoir reçu peu après 2003 une demande de son ex-épouse visant à annuler le délai de prescription et à permettre le partage des crédits. Il a effectué des vérifications auprès de représentants du RPC et a refusé la demande après avoir obtenu la confirmation qu’il n’avait aucune obligation légale de se plier à sa demande.

Preuves d'expert

[28] Avec l’accord des parties, l’intimée a présenté ses éléments de preuve en premier; toutefois, aux fins de cohérence des présents motifs de jugement, j’ai d’abord exposé la preuve d’expert de l’appelant, puisque le rapport d’expert de l’intimée a été effectué en réponse au rapport présenté par l’expert de l’appelant.

[29] L’appelant et l’intimée ont tous deux eu recours à un expert. L’appelant a fait appel à Marianna Giordano, reconnue comme experte du Régime de pensions du Canada et de l’historique entourant l’adoption de cette loi. Marianna Giordano est directrice, Politique et législation du RPC, à Emploi et Développement social Canada.

[30] Mme Giordano a présenté un rapport détaillé comprenant deux addendas auxquels elle a fait référence dans la présentation de sa preuve. Elle a d’abord corrigé la période de cohabitation aux fins du RPC dans la présente affaire, énoncée aux pages 19 et 20 de son rapport, comme étant de janvier 1976 à décembre 1983 et non de janvier 1975 à décembre 1983.

[31] Mme Giordano a souligné les caractéristiques du Régime de pensions du Canada. Il ne s’agit pas d’un régime d’aide sociale, mais plutôt d’un régime d’assurance sociale à participation obligatoire destiné aux Canadiens privés de revenus en raison de la retraite, d’une déficience ou du décès d’un conjoint ou d’un parent salarié. Le Régime est financé par les cotisations des employés, des employeurs et des travailleurs indépendants, et par les intérêts qui découlent des placements du RPC.

[32] Le Régime est administré par le gouvernement fédéral, mais pour y apporter des modifications il faut l’autorisation du Parlement et d’au moins les deux tiers des provinces représentant au minimum les deux tiers de la population canadienne.

[33] Bien que la prestation principale accordée en vertu du RPC soit une pension de retraite, le régime prévoit également d’autres prestations, y compris des prestations d’invalidité, des prestations de décès, une pension de conjoint survivant, des prestations d’orphelins et des prestations d’enfant de cotisant invalide.

[34] Pour qu’une personne reçoive des prestations, celle-ci doit présenter une demande, sauf si le ministre dispose déjà de toute l’information nécessaire au dossier pour approuver et verser des prestations.

[35] Mme Giordano a ensuite présenté dans son témoignage un historique du partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension (PGNAP) ou du partage de crédits, qui est au cœur du présent appel.

[36] En raison d’un certain nombre d’études réalisées et de rapports produits dans les années 1970, le Parlement a établi que la contribution des personnes au foyer, qui, à cette époque étaient essentiellement des femmes, devait être reconnue aux fins du RPC, en ce qui concerne l’accumulation d’actifs au cours d’un mariage. À cette époque, comme le ministre Lalonde l’a affirmé dans les Débats de la Chambre des communes (9 mai 1977), p. 5411, cités dans le rapport de Mme Giordano, l’objectif était de maintenir « le caractère obligatoire du les caractéristiques du Régime fondé sur les gains cotisables. Bien entendu, la réalisation de ces deux objectifs présentait une difficulté fondamentale. Cette difficulté résulte du fait que les travaux domestiques effectués par un conjoint ne sont pas rémunérés et qu’il n’existe ainsi aucun gain pouvant servir de barème pour les cotisations et les prestations en vertu du Régime de pensions. »

[37] L’idée de tenter d’attribuer une valeur nominale au travail effectué au foyer a donc été écartée, au profit d’un régime permettant le partage de crédits accumulés dans le cadre du RPC par les conjoints au cours de leur mariage. Le ministre a proclamé que cette façon de procéder « assurerait à chaque conjoint une part équitable d’un capital auquel ils ont tous deux effectivement cotisé. »

[38] En 1977, le Parlement a adopté des modifications au Régime de pensions du Canada de sorte qu’elles sont entrées en vigueur dès le 1er janvier 1978. En vertu de ces modifications, les conjoints divorcés étaient admissibles à compter de cette date et par la suite, après avoir présenté une demande dans un délai de 36 mois suivant le jugement irrévocable de divorce, à un partage des crédits de pension du RPC. En vertu des modifications, le partage des crédits s’appliquait uniquement aux mariages ayant duré trois ans ou plus, avec une cohabitation d’au moins trois années consécutives. En outre, le partage des crédits ne peut s’appliquer aux périodes où le total des gains non ajustés ouvrant droit à pension des ex-époux au cours d’une année ne dépasse pas le double de l’exemption de base annuelle.

[39] Mme Giordano a fait valoir dans son rapport (page 11) que la justification à l’origine de l’amélioration de ces conditions a été expliquée au moment de la présentation du projet de loi à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes. M. Paul McRae (secrétaire parlementaire du ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) a fait valoir ce qui suit :

Pour que les conjoints soient admissibles, il faudra que le mariage ait duré au moins trois ans et que les époux aient cohabité pendant au moins trois années consécutives. Cette exigence vise à assurer que, du point de vue financier, le partage des crédits revête réellement une certaine importance. Par ailleurs, la demande de partage devra être déposée dans les trois ans qui suivent la date officielle du divorce ou de l’annulation, autrement l’application de cette disposition serait pratiquement impossible.

[40] De plus, Mme Giordano a mentionné que certains des problèmes administratifs anticipés ont été mis en évidence dans un document présenté par Marc Lalonde, ministre de la Santé nationale et du Bien-être social au Comité permanent de la Chambre des communes sur la Santé, le Bien-être et les Affaires sociales, joint à son rapport, onglet 8, Discussion Paper on Housewives and the Canada Pension Plan (4 avril 1974).

[41] La liste de problèmes administratifs anticipés liés au régime de partage des crédits – qui ne se voulait pas exhaustive, figurant dans le document, se trouve ci-dessous :

[Traduction]
Advenant la conclusion selon laquelle cette option devrait être privilégiée, un certain nombre de questions techniques difficiles devront être résolues avant de procéder à la mise en œuvre. La liste suivante de questions et problèmes liés à cette démarche servira à illustrer ce point :

  1. À quel moment doit-on estimer que la rupture d’un mariage a eu lieu?
    • - Faut-il prendre en compte la date de séparation officielle ou du divorce légal?
    • - Dans quelle mesure doit-on reconnaître les divorces prononcés à l’étranger?
    • - Comment doit-on traiter les cas d’abandon?
    • - Doit-on reconnaître l’union libre, et comment déterminer le début ou la fin de telles situations?
  2. Comment le Ministère peut-il déterminer qu’une rupture de mariage a eu lieu afin de modifier le registre des gains d’un cotisant? Ce problème serait particulièrement difficile dans le cas de Canadiens qui émigrent.
  3. Quelles dispositions, le cas échéant, seraient prises lorsqu’un divorce survient après le début du versement de prestations?
    • - L’administration responsable du RPC partagerait-elle les prestations?
    • - Soumettrait-elle la question aux tribunaux, qui se chargent normalement de répartir les revenus entre les partenaires concernés par un divorce?

    Il convient de noter que si les crédits de pension étaient partagés, dans un cas où des prestations d’invalidité ont été versées, le montant de base utilisé pour calculer les prestations serait, par conséquent, modifié rétroactivement, auquel cas le bénéficiaire aurait reçu un trop-payé, et, en vertu de la législation actuelle, serait tenu de rembourser le montant reçu en trop.

  4. Une complication supplémentaire survient lorsqu’un divorce a lieu après la retraite d’un conjoint alors que l’autre travaille et cotise toujours au Régime.
  5. Le partage des crédits de pension pour les salariés à faible revenu peut avoir l’effet de réduire les crédits de pension de chaque partie, à un niveau inférieur à l’exemption de base du Régime. Cette répartition pourrait priver les deux parties de l’admissibilité au RPC.
  6. Quel serait l’effet du partage des crédits de pension en cas de rupture d’un mariage sur les formules adoptées par les régimes de pensions privés en vue de leur intégration au RPC?

    Ces problèmes peuvent sans aucun doute être réglés, et si cette option devait obtenir un appui général, des solutions appropriées seraient recherchées. Toutefois, la liste devrait servir à démontrer que l’adoption d’un tel concept n’est pas nécessairement une question simple; des études approfondies seraient requises et des modifications très complexes à la législation devraient être mises au point, avant l’adoption de cette solution.

[42] Mme Giordano a ensuite fait remarquer dans son rapport que les dispositions relatives à la répartition de crédits prévoient également qu’aucun partage de gains ouvrant droit à pension n’est permis pour les périodes suivantes :

  1. a) lorsque, pour une année, le total des gains ouvrant droit à pension des ex-époux ne dépasse pas le double de l’exemption de base de l’année;
  2. b) pour la période avant que l’un de ces époux ait atteint l’âge de 18 ans ou après que l’un de ces époux ait atteint l’âge de 70 ans;
  3. c) pour la période au cours de laquelle un des époux a reçu des prestations de retraite;
  4. d) pour tout mois qui, en raison d’une invalidité, est exclu de la période cotisable de l’un ou l’autre des ex-époux.

Elle a expliqué que la raison à l’origine de cette disposition était de s’assurer que seuls les mois au cours desquels les deux époux étaient admissibles à cotiser au RPC pourraient faire l’objet d’un partage.

[43] Forte de son expérience de l’élaboration de programmes pendant 10 ans, Mme Giordano a expliqué que l’établissement d’un nouveau programme doit reposer sur les meilleures hypothèses, formulées à partir des données et des ressources accessibles au moment de sa conception. Elle a fait remarquer qu’en 1977, le niveau d’automatisation disponible pour administrer un régime de partage de crédits aurait été limité. En outre, le concept de partage des crédits était relativement nouveau. Elle a estimé qu’en 1977, seule l’Allemagne de l’Ouest l’avait déjà expérimenté, de sorte qu’il était compréhensible que le gouvernement impose des limites dans le cadre d’un tel programme.

[44] Mme Giordano a également fait le point sur d’autres dispositions du RPC, y compris la clause d’exclusion pour élever des enfants (CEEE), que le Parlement a approuvée en 1977, entrée en vigueur en 1983, avec effet rétroactif au 1er janvier 1978. Cette disposition permettait aux personnes qui avaient quitté le marché du travail, complètement ou en partie, afin d’élever des enfants de moins de sept ans, de supprimer ces années de rémunération nulle ou faible du calcul du montant de leurs prestations de retraite. Mme Giordano a expliqué que l’intimée aurait été en mesure de supprimer du calcul les années de son mariage avec M. J. S., en vertu de cette disposition, puisqu’elle a élevé des enfants âgés de moins de sept ans pendant presque toute la période au cours de laquelle elle cohabitait avec son conjoint au cours du mariage. Toutefois, dans le cas de l’intimée, puisque sa rémunération et ses cotisations étaient relativement faibles pendant le reste de sa période de gains ouvrant droit à pension, le partage de crédits serait plus avantageux pour elle que le recours à la CEEE. Dans d’autres situations, l’époux qui élève un enfant pourrait bénéficier davantage de la CEEE, car elle pourrait effectivement diminuer les crédits acquis à la suite d’un partage.

[45] Mme Giordano a ensuite souligné les modifications apportées au RPC, adoptées par le Parlement en 1986 et entrées en vigueur le 1er janvier 1987, qui accordent aux époux séparés et aux anciens conjoints de fait leur part des crédits accumulés au cours de leur période de cohabitation; cependant, les anciens conjoints de fait doivent en présenter la demande dans les quatre ans suivant la fin de leur cohabitation. En ce qui concerne les époux séparés, la demande doit être présentée dans les trois ans suivant le décès de l’un des époux.

[46] En ce qui concerne les époux divorcés, le partage des crédits est devenu obligatoire dès que le ministre est informé de la dissolution du mariage et reçoit les renseignements prescrits concernant le mariage en question, à moins que les parties n’aient précédemment renoncé à leurs droits de pension mutuels, et seulement si la loi provinciale permet une telle entente. À la suite des modifications de 1986, les provinces de la Colombie-Britannique, du Québec, de l’Alberta et de la Saskatchewan ont adopté des lois qui permettent de telles ententes.

[47] Le fait de rendre le partage des crédits obligatoire en cas de divorce a eu pour effet de supprimer la prescription de trois ans qui fait l’objet du présent litige, mais seulement pour les parties qui ont divorcé le ou après le 1er janvier 1987.

[48] Mme Giordano a fait remarquer que la recommandation concernant les modifications de 1986 émanait du Comité parlementaire sur les droits à l’égalité, qui avait pour mandat de s’assurer que le RPC était conforme à la Charte des droits et libertés. Plus particulièrement, le comité a jugé que la modification qui supprimait la nécessité de présenter une demande, et par conséquent, la prescription de trois ans, remédiait à un important problème d’accès découlant des dispositions de 1978. Pour citer la recommandation du comité figurant dans le rapport de Mme Giordano :

[Traduction]
[...] l’accès offert par ces dispositions, introduites en vue d’assurer un certain degré d’égalité entre les époux, serait considérablement amélioré si le partage se produisait automatiquement à la fin de la relation. [traduction]

[49] En dernier recours, la loi n’a pas prévu le partage automatique des crédits, puisque, comme l’explique Mme Giordano, le registre national des divorces n’a jamais contenu des renseignements suffisants pour permettre le partage automatique des crédits, de sorte que la loi rend le partage des crédits en cas de divorce obligatoire, mais pas automatique.

[50] Mme Giordano a fourni des calculs au cas où l’intimée aurait gain de cause. Le revenu mensuel de M. J. S. serait réduit et le revenu de Mme B. T. augmenterait, mais pas à raison d’un dollar pour un dollar. Plus précisément, les prestations de retraite mensuelles de M. J. S. diminueraient de 134,36 $, passant de 668,14 $ à 533,78 $. Les prestations de retraite mensuelles de Mme B. T. augmenteraient de 87 $, passant de 86,67 $ à environ 174 $.

[51] Même si Mme Giordano n’a pas fourni de calcul précis, elle a confirmé que, si l’intimée avait gain de cause, il faudrait recalculer les prestations d’invalidité de M. J. S. en remontant jusqu’à 1987, année à partir de laquelle il a commencé à les recevoir, jusqu’à ce qu’elles soient remplacées par ses prestations de retraite en 2010. De même, il faudrait recalculer les prestations de retraite à partir de la date à laquelle il a commencé à les recevoir. Les trop-payés pour les prestations d’invalidité et les prestations de retraite seraient encourus à compter de l’attribution des crédits. Mme Giordano a fait ressortir le fait que le ministre a l’obligation, aux termes de la Loi sur la gestion des finances publiques, de recouvrer toute dette envers l’État. Mme Giordano a expliqué que, lorsqu’un débiteur reçoit déjà ses prestations de retraite, le recouvrement est simple et ne nécessite que deux clics. La politique du Ministère sur les trop-payés permet une remise de dette en cas de difficultés, mais rarement lorsque le débiteur reçoit déjà ses prestations de retraite. Il est possible de négocier un recouvrement mensuel avec le débiteur.

[52] Mme Giordano a ensuite examiné ce que l’on a appelé au cours de cette procédure le taux de participation, c’est-à-dire le nombre de couples divorcés qui partagent leurs crédits au cours d’une année donnée sous forme de pourcentage par rapport au nombre de divorces pendant l’année en question. Elle a fait référence au graphique inclus à l’onglet 18 de son rapport, qui montre que le taux de participation semblait être faible en 1978; il correspondait à 3 % au moment de l’introduction du partage des crédits et est resté jusqu’à nos jours inférieur à 10 %. La dernière année indiquée sur le graphique, soit 2005, affichait un taux de 7 %. Mme Giordano indique que le taux a chuté à 6 % en 2008, la dernière année pour laquelle ces statistiques existent.

[53] À son avis, les statistiques montrent qu’après la suppression de la prescription en 1987, le taux de participation n’a pas beaucoup augmenté. Il a atteint son apogée au milieu des années 1990, à 14 %, avant de retomber à son niveau actuel.

[54] Mme Giordano a mentionné l’étude ministérielle de 1998 préparée par J. Berger, qui a relevé les facteurs qui pourraient contribuer au taux de participation. Le rapport Berger est joint à l’onglet 1 de l’addenda 2 du rapport de Mme Giordano.

[55] Dans son rapport, Mme Giordano a résumé les facteurs relevés par l’étude Berger. Dans son témoignage, elle a ajouté qu’elle n’avait aucune raison de remettre en question ces données :

[Traduction]
1. Taux de participation au partage des crédits : autres explications causales possibles

Une étude ministérielle menée en 1998 a relevé de nombreux facteurs de causalité qui pourraient contribuer au taux de participation observé pour le partage des crédits du Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 2.

  • Lorsque les cotisations des époux sont similaires, en particulier pendant la période au cours de laquelle ils ont vécu ensemble dans une relation conjugale, les crédits à partager sont limités. Par conséquent, l’importance du partage des crédits dépend du niveau de revenu, de la participation au marché du travail et des antécédents de travail respectifs des époux.
  • Les données indiquent que la proportion des femmes qui font partie de la main-d’œuvre rémunérée a augmenté.
  • Les femmes ne forment pas un groupe homogène. Les différences entre les femmes concernant la participation au marché du travail et au revenu gagné font que le partage des crédits peut prendre une valeur différente selon le groupe de femmes. Chez les femmes d’âge avancé, qui étaient moins nombreuses à participer au marché du travail et plus nombreuses à partir en congé pour élever leurs enfants, le partage des crédits peut prendre davantage d’importance.
  • Certaines femmes se sont retirées du marché du travail pour prendre soin de leurs enfants et, ce faisant, pourraient profiter de la clause d’exclusion pour élever des enfants du RPC. Il serait opportun de tenir compte du fait que le partage des crédits entraîne l’acquisition, puis la suppression de crédits de pension, qui seraient effectivement perdus pour les deux anciens époux.
  • Les tendances en matière de divorce et les caractéristiques des couples divorcés indiquent que le partage des crédits en cas de rupture du mariage pourrait ne pas être un avantage considérable pour de nombreux époux qui divorcent. De nombreuses relations sont de courte durée, et ce type de relations a tendance à se développer parmi les couples jeunes dont les antécédents professionnels sont souvent moins longs que ceux des personnes d’âge plus avancé. Ces facteurs ont tendance à limiter le montant potentiel des crédits à partager.
  • Les provinces peuvent adopter des lois qui permettent aux couples en instance de divorce de choisir de renoncer au partage des crédits au moment du divorce. Dans le contexte d’une rupture de mariage, certains aspects du partage des biens familiaux peuvent faire l’objet d’une entente. L’un des époux peut renoncer à certains droits ou céder les droits sur un bien en échange des droits exclusifs à l’égard d’un autre bien. On peut supposer que l’époux ne renoncera pas à ses crédits de pension, sauf en contrepartie d’une rémunération adéquate.
  • Même dans les provinces où il n’existe aucune loi permettant de renoncer au partage des crédits au moment du divorce, les crédits de pension du RPC peuvent être indirectement échangés contre d’autres biens au moment du partage des biens matrimoniaux. La prise en compte des crédits de pension du RPC dans le partage des biens familiaux se traduit par le fait que les conventions entre conjoints comprennent encore des ententes explicites entre conjoints selon lesquelles ces derniers renoncent à demander un partage des crédits au moment du divorce, même si la province n’a pas encore passé de loi qui autorise cette renonciation.

[56] Mme Giordano a mentionné les préoccupations soulevées dans les années suivant immédiatement l’instauration du partage des crédits, notamment celles de la ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, Monique Bégin, au sujet d’un taux de participation que l’on considère comme faible. Elle a décrit les mesures prises par la ministre et le Ministère pour sensibiliser le public aux dispositions, notamment des lettres envoyées à l’Association du Barreau canadien et aux services d’aide juridique, et des avis dans les médias régionaux.

[57] En contre-interrogatoire, Mme Giordano a été priée de commenter la référence législative concernant la raison justifiant la mise ne place d’un délai de prescription de trois ans avancée par Paul McRae, secrétaire parlementaire du ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, selon qui « autrement l’application de cette disposition serait pratiquement impossible ». Mme Giordano a déclaré qu’elle ne pouvait pas évaluer de façon critique l’exactitude de cette déclaration, car il lui était difficile de se reporter plus de trente ans en arrière à une époque où le niveau d’automatisation n’était pas ce qu’il est aujourd’hui.

[58] Interrogée pour savoir comment elle est arrivée à la conclusion que le caractère définitif constituait un facteur important de cette législation alors qu’il n’est pas explicitement mentionné dans le dossier législatif, Mme Giordano a répondu que la situation était identique à celle des conjoints de fait en vertu de la loi en vigueur, et que cette conclusion était la seule qu’elle avait pu tirer en l’absence de référence dans le dossier législatif. En outre, elle a trait aux préoccupations liées à la rétroactivité exprimées dans le rapport de 1974 du Comité consultatif du RPC.

[59] Même si le caractère définitif n’a pas été explicitement mentionné au cours des débats, la rétroactivité l’a été, même si Mme Giordano a reconnu que cette mention n’a pas été faite par un membre du gouvernement, mais plutôt par un membre de l’opposition, Lincoln Alexander.

[60] Mme Giordano a reconnu que ce sont surtout des femmes, dans une grande proportion, qui ont dépassé le délai de prescription; cependant, elle a indiqué qu’elle ne savait pas combien de requérants ont vu leur demande refusée pour cette raison ni combien de personnes au total auraient été visées par la prescription de trois ans.

[61] Mme Giordano n’a pu commenter un document ministériel préparé par Peter Wray, qui a conclu qu’une somme de 3,7 milliards de dollars n’a pas fait l’objet d’un partage des crédits en raison du faible taux de participation, puisqu’elle ne savait pas quels scénarios ou quelle méthodologie avaient été utilisés pour arriver aux chiffres indiqués dans le document.

[62] Le Dr Richard Shillington a été appelé à témoigner à titre d’expert de l’intimée. Les parties ont accepté. J’ai constaté que M. Shillington était un expert en analyse statistique et en politique sociale, surtout dans le domaine de la pauvreté.

[63] Le Dr Shillington a produit un rapport en réponse au rapport d’expert de Mme Giordano, déposé par l’appelant. Il a mis principalement l’accent sur une « période de référence » qui s’échelonne du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1986.

[64] Dans son rapport et au cours de son témoignage, M. Shillington a abordé chacun des facteurs mentionnés dans le rapport Berger. Il a fait remarquer que le rapport Berger couvre une période qui se termine en 1998, soit plus de douze ans après la fin de la « période de référence » en 1986.

[65] M. Shillington a admis qu’il y a du vrai dans la plupart des facteurs, mais dans l’ensemble, il a estimé qu’ils pourraient représenter un taux de participation de 90 % plutôt que des taux inférieurs à 10 %.

[66] En ce qui concerne le premier point soulevé dans le rapport Berger, selon lequel les anciens époux dont les cotisations au RPC sont similaires sont moins avantagés par une demande de partage des crédits, le Dr Shillington a fait remarquer que dans la vaste majorité des cas, les hommes recevraient encore le revenu le plus élevé. Lorsqu’on lui a demandé, au cours de l’interrogatoire principal, d’avancer un chiffre, il a indiqué que 90 % seraient des hommes.

[67] En examinant la figure 1 de son rapport, qui présente le suivi des femmes sous forme de pourcentage des cotisants et des cotisations au RPC, il a corrigé la période mentionnée dans sa conclusion, laquelle devrait s’échelonner de 1966 à 1989. La part des cotisations versées par les femmes est passée de 20 % à 37 % au cours de cette période, mais il a fait remarquer qu’elle reflète toujours la situation économique inégale entre les hommes et les femmes.

[68] Même si le Dr Shillington a accepté le premier point du rapport Berger et a convenu que les cotisations au RPC de certains anciens époux sont similaires, et il a conclu, selon les données sur les cotisations au RPC, qu’il s’agit d’une minorité.

[69] À ce stade, je marque une pause dans l’étude de la preuve pour faire remarquer qu’aucun des experts n’a envisagé un scénario dans lequel les revenus des anciens époux sont différents, mais dépassent tous deux le maximum des gains ouvrant droit à pension tout au long de la cohabitation, de sorte que le conjoint qui gagne le revenu le moins élevé ne tirerait aucun avantage d’un partage des crédits. Il n’existe bien évidemment aucun élément de preuve qui indique combien d’anciens époux auraient correspondu à ce scénario.

[70] Le rapport M. Shillington a traité de la suggestion du rapport Berger selon laquelle la possibilité d’une renonciation au partage des crédits aurait contribué à diminuer le taux de participation. Il a émis l’hypothèse que puisque la décision Preece, qui a reconnu le droit des parties de renoncer au partage des crédits ne date que de 1983, et que la législation provinciale de quatre provinces à cet égard a été adoptée après cette date, il serait donc impossible que la législation ait été un facteur des faibles taux de participation observés dans les premières années. Je reviendrai à cette conclusion au cours de l’analyse de ces motifs.

[71] M. Shillington s’est opposé à la déclaration du rapport de Mme Giordano qui prétend que [traduction] « les statistiques indiquent qu’après la suppression de la prescription en 1987, le taux de participation n’a pas beaucoup augmenté ». Il maintient dans son rapport et au cours de l’interrogatoire principal que, sur la base des données concernant les taux de participation indiqués à la pièce 18 susmentionnée, le taux de participation a doublé, passant de 4 % en 1986 à 8 % l’année suivante, et a ensuite triplé pour s’établir à 12 % en 1990, ce qu’il considère comme une augmentation importante.

[72] Au cours du contre-interrogatoire, M. Stevenson, avocat de l’appelant, a suggéré que, même si la prescription de trois ans a été supprimée en 1987 pour les couples qui ont divorcé le ou après le 1er janvier 1987, elle continue de s’appliquer aux couples qui ont divorcé avant 1987. Par conséquent, il a laissé entendre que la suppression de la prescription de trois ans n’a eu aucun effet avant 1989, de sorte que ses répercussions n’ont pu être constatées qu’à partir de 1990. Selon les données du graphique, le taux de participation en 1989 était de 11 %, et s’élevait à 12 % en 1990, ce qui représente une augmentation de 1 % seulement. M. Shillington, en toute objectivité, a concédé que l’argument de M. Stevenson avait un certain poids.

[73] Le Dr Shillington a attribué en grande partie le faible taux de participation pendant la période de référence au faible niveau de sensibilisation au programme de partage des crédits. Il a critiqué le manque d’action du gouvernement, qui n’a pas fait mieux connaître le programme de partage des crédits au public, et a souligné les préoccupations de la ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, Monique Bégin, au sujet de la mauvaise sensibilisation et du besoin d’en faire davantage. Il a déclaré qu’au Québec cela ne se produit pas car les gens sont joints par téléphone. Il a exprimé ainsi sa propre opinion concernant l’obligation du gouvernement :

[Traduction]
Si les législateurs se sont donné la peine d’adopter des lois sociales, ils devraient prendre l’initiative [de sensibiliser les gens à leur égard].

[74] Même si M. Shillington a attribué l’augmentation du taux de participation au cours des années 1990 à une meilleure diffusion systémique d’information, comme l’a fait Berger, il a été incapable de proposer une théorie qui explique la raison pour laquelle le taux de participation a chuté à des niveaux approximativement égaux à ceux qui ont été observés pendant la période de référence, soit tout récemment à 6 %.

[75] Au cours du contre-interrogatoire, M. Shillington a reconnu qu’il ne savait pas combien de personnes ont présenté une demande qui a été refusée parce que le délai de prescription était dépassé ou parce que la demande ne satisfaisait pas à l’une des autres exigences prévues par la loi, par exemple, un mariage qui a duré moins de trois ans, une cohabitation de moins de trois années consécutives ou un total des gains non ajustés ouvrant droit à pension des anciens époux au cours des années de cohabitation qui ne dépasse pas le double de l’exemption de base annuelle.

Observations des parties

A. Observations de l’avocat de l’intimée

[76] Les avocats des deux parties ont déposé des mémoires détaillés portant sur la Charte. Au cours de l’audience relative à la présente affaire, les parties ont convenu de présenter leurs observations orales en commençant par l’avocat de l’intimée, M. Calderhead, qui a répondu par la suite aux observations de M. Stevenson. La partie mise en cause, M. J. S., a eu l’occasion de présenter ses observations, mais ces dernières étaient limitées et se sont résumées à répéter son témoignage. Ses observations ne sont pas examinées ici.

[77] L’intimée et l’appelant ont convenu que la présente demande au titre de l’article 15 relève de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, puisque les dispositions contestées sont apparemment neutres.

[78] M. Calderhead a commodément dressé un résumé des points et des principes invoqués dans la demande au titre de l’article 15 de la Charte dans le paragraphe 73 de ses observations écrites, qui est reproduit ci-dessous :

[Traduction]
73. La demande fondée sur les droits à l’égalité repose sur les points et les principes suivants :

  • Par conséquent, en cas de divorce, les femmes au foyer se retrouvaient avec une part très limitée ou nulle des crédits de pension du RPC accumulés au cours de leur mariage, et les hommes se retrouvaient avec la majeure partie ou la totalité des crédits de pension du RPC.
  • Pour répondre à cette situation, le paragraphe 55(1) du RPC a été adopté à titre de mécanisme permettant d’obtenir l’accès (invariablement par les femmes) aux crédits de pension combinés du RPC accumulés au cours du mariage, afin de « s’assurer » que les femmes reçoivent un partage égal des crédits de pension du RPC accumulés au cours du mariage.
  • En raison de lacunes dans la conception et la mise en œuvre du régime de partage des crédits, le mécanisme n’a essentiellement pas atteint son objectif. En fait, dans 97 % des cas, il a servi à perpétuer le statu quo, les hommes étant généralement les bénéficiaires de la législation.
  • La présente contestation fondée sur l’article 15 met l’accent sur l’effet de ce mécanisme défectueux de partage des crédits de pension du RPC.
  • Les lacunes du mécanisme consistaient en i) un processus de demande qui ii) arrivait à échéance trois ans après le divorce, ainsi qu’en une mauvaise promotion du programme.
  • L’effet de l’application de la loi a eu pour résultats réels que, au cours de la période visée (1978 à 1986), entre 97 et 98 % des femmes divorcées n’ont pas obtenu le partage des crédits de pension accumulés du RPC. À l’inverse, seuls 2 à 3 % des hommes divorcés ont été tenus de partager leurs crédits de pension du RPC.
  • En tenant compte des réalités de la propriété des crédits de pension du RPC au moment d’un divorce, de l’objet de la loi sur le partage des crédits et des besoins des femmes divorcées, non seulement la loi défaillante n’a pas pris en compte la situation des femmes divorcées, mais elle a en fait perpétué le statu quo, ne parvenant pas à promouvoir l’égalité réelle des femmes.
  • En bref, les caractéristiques du programme de partage des crédits ont laissé tomber les femmes divorcées et ont servi à établir leur inégalité au titre du RPC.
  • Ces obstacles au partage des crédits, et donc l’échec de ce régime, ont été reconnus dans les modifications de 1986, mais la réparation n’était que partielle, ne s’appliquant qu’aux divorces prononcés en 1987 et par la suite.

[79] Lorsqu’on a demandé à M. Calderhead comment concilier l’affirmation figurant dans le résumé ci-dessus, ainsi que dans les paragraphes 17 et 58 de son mémoire, selon laquelle la promotion médiocre des dispositions de partage des crédits par le gouvernement était l’une des causes du faible taux de participation, et l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Le Corre c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 3, au paragraphe 26, qui maintient que le gouvernement n’a aucune obligation légale d’informer les bénéficiaires potentiels des prestations auxquelles ils pourraient avoir droit, il a répondu qu’il ne s’agissait pas là d’une composante essentielle de l’affaire.

[80] M. Calderhead a qualifié le programme de partage des crédits de 1978 d’échec, ce qui a été reconnu dans les modifications de 1986, mais seulement pour les divorces prononcés à partir de 1987. Il a trouvé très significatif le fait que les modifications puissent être attribuées à la formation d’un Comité parlementaire sur les droits à l’égalité, qui a passé en revue les lois, y compris le RPC, afin de s’assurer de leur conformité à l’article 15 de la Charte des droits et des libertés, entrée en vigueur le 17 avril 1985. Le rapport du comité, Égalité pour tous (octobre 1985), a fait remarquer que peu d’anciens époux avaient profité du programme de partage des crédits. Il a recommandé le partage égal des crédits automatique entre les époux en cas de rupture du mariage. M. Calderhead a souligné que la propre experte du ministre a indiqué dans son rapport que cette recommandation avait été avancée [traduction] « pour s’assurer que le RPC est conforme à la Charte des droits et des libertés ».

[81] M. Calderhead a suggéré que le problème des modifications de 1987 est qu’elles ne s’appliquaient que pour l’avenir et non pas aux femmes qui ont divorcé au cours de la période du 17 avril 1982 au 31 décembre 1986. Il a avancé qu’il s’agissait en soi d’une violation de la Charte et que l’article 55 du Régime de pensions du Canada aurait dû être modifié afin d’être conforme à l’article 15.

[82] M. Calderhead a critiqué les gouvernements et les tribunaux qui concluent parfois à tort qu’il n’y a pas violation de l’article 15 en raison de ce que l’on avance comme étant la justification, la nature raisonnable, l’objet ou le contexte de la loi contestée. Toutes ces considérations ont été examinées en bonne et due forme en vertu de l’article 1 et ne doivent pas intervenir dans l’analyse au titre de l’article 15, qui n’impose aucune responsabilité au gouvernementNote de bas de page 4.

[83] Il a été allégué que, puisque plus de 97 % des femmes divorcées n’ont pas bénéficié du partage des crédits, elles ont de toute évidence subi un traitement inégal en raison des dispositions contestées, et ce, de façon disproportionnée par rapport aux hommes divorcés. Par conséquent, on a fait valoir que le premier volet du critère dans l’affaire Law Society of British Columbia c. AndrewsNote de bas de page 5était respecté.

[84] En ce qui concerne le deuxième volet du critère dans l’arrêt Andrews, la perpétuation du désavantage, M. Calderhead a répété son argument, selon lequel la modification de 1986 a confirmé le désavantage produit par le paragraphe 55(1) en éliminant la nécessité d’une demande et la prescription de trois ans. Il a établi un parallèle entre cette affaire et l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Canada (procureur général) c. HislopNote de bas de page 6, qui a examiné les modifications au RPC accordant des prestations de survivant aux couples homosexuels comme mesure de redressement à la suite de l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire M c. HNote de bas de page 7, dans laquelle la définition du couple hétérosexuel dans la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario a été abolie comme étant discriminatoire. Dans l’arrêt Hislop, la Cour a conclu qu’une limite temporelle qui exclut les partenaires de même sexe qui décèdent avant une certaine date maintient la discrimination antérieure que la législation réparatrice visait à rectifier et constitue donc une violation de l’article 15.

[85] Dans ses observations écrites, M. Calderhead a reconnu que la jurisprudence a énoncé certains facteurs contextuels dont on peut tenir compte pour déterminer si une distinction, une fois qu’il est établi qu’elle est fondée sur un motif énuméré ou analogue, est discriminatoire. Les observations concernant ces facteurs sont résumées ci-après :

(i) Désavantage préexistant

[86] M. Calderhead a décrit assez longuement le désavantage historique subi collectivement par les femmes divorcées; toutefois, ce facteur n’est pas vraiment contesté. Il reste à savoir si les dispositions contestées perpétuent ce désavantage au point de répondre au critère en matière de discrimination. M. Calderhead a prétendu que c’était le cas, en raison de ce qu’il qualifie comme [traducion] « l’échec lamentable du programme de partage des crédits du gouvernement ».

(ii) Liens entre les motifs et les caractéristiques ou circonstances du demandeur

[87] M. Calderhead a fait valoir que la prescription de trois ans a entraîné un taux de participation extrêmement faible chez les femmes dans la même situation que l’intimée, et que l’effet des dispositions a donné comme résultat disproportionné le problème exact que le partage des crédits visait à éliminer, à savoir un accès inégal entre les hommes et les femmes après un divorce.

(iii) Objectif d’amélioration et effet

[88] M. Calderhead a soutenu qu’en l’espèce, ce facteur est neutre ou inapplicable, puisque le système de partage des crédits du RPC n’était pas conçu pour améliorer la condition d’un autre groupe désavantagé.

(iv) Nature du droit touché

[89] M. Calderhead a affirmé que la présente affaire est identique à l’affaire M. c. H. dans la mesure où un groupe était privé de l’obtention d’un avantage. Il a fait valoir que la prescription a eu pour effet d’empêcher presque complètement les femmes divorcées d’accéder aux crédits de pension du RPC accumulés par leur mari au cours du mariage. L’effet sociétal de cette exclusion, selon lui, encourage le point de vue selon lequel les femmes divorcées sont moins dignes d’être reconnues et protégées au sein de la société. Le droit lui-même, comme dans l’affaire M. c. H., est fondamental : la capacité des femmes divorcées à répondre à leurs besoins financiers de base à la suite de la rupture de leur mariage.

[90] Sur la base de ces arguments, M. Calderhead a soutenu que le paragraphe 55(1) du Régime de pensions du Canada viole le paragraphe 15(1) de la Charte. Les observations concernant l’article 1 de la Charte sont reportées jusqu’à la réponse et seront abordées plus loin dans les présents motifs.

B. Observations de l’avocat de l’appelant

[91] L’avocat de l’appelant, M. Stevenson, a fait valoir que les observations de l’intimée ne tiennent pas compte du principe fondamental selon lequel le paragraphe 15(1) de la Charte n’impose pas au gouvernement une obligation positive de fournir des services visant à améliorer les effets d’une inégalité systémique ou générale.

[92] Comme il n’existe aucune obligation constitutionnelle d’introduire le partage des crédits dans le RPC, la contestation de l’intimée se distingue de l’arrêt Hislop invoqué par l’intimée.

[93] De même, l’argument de l’intimée, selon lequel le fait que les dispositions en matière de partage des crédits postérieures à 1986 ne s’appliquent pas rétrospectivement violent le paragraphe 15(1) de la Charte, repose sur l’hypothèse erronée de l’existence d’un droit constitutionnel à un partage des crédits obligatoire.

[94] M. Stevenson a souligné que, dans les affaires de discrimination par suite d’un effet préjudiciable, c’est au demandeur qu’incombe le fardeau de démontrer que les dispositions contestées ont des répercussions négatives disproportionnées, en fonction de facteurs liés à des motifs énumérés ou analogues. Il a soutenu qu’en l’espèce, l’intimée n’a pas montré dans les éléments de preuve un lien de causalité entre les dispositions contestées, à savoir la nécessité de présenter une demande et la prescription de trois ans, et l’incapacité présumée des femmes divorcées d’accéder au partage des crédits. Au mieux, les données sur le taux de participation sont peu concluantes et ne parviennent pas à établir le lien de causalité requis. Selon lui, les preuves laissent plutôt entendre que le taux de participation découle de nombreuses réalités sociales indépendantes préexistantes, ainsi que des diverses exigences du RPC autres que la non-présentation d’une demande dans les trois ans suivant le divorce, comme le fait que le mariage doit avoir duré au moins trois ans et qu’il y a eu cohabitation pendant au moins trois années consécutives.

[95] M. Stevenson a repris le point qu’il a soulevé au cours du contre-interrogatoire de M. Shillington selon lequel, après les modifications de 1987 qui ont éliminé la prescription de trois ans, les répercussions constatées sur le groupe des personnes admissibles à un partage des crédits auraient été observées à partir de 1990 seulement, et qu’on n’a constaté aucune augmentation importante du taux de participation, selon les données invoquées par M. Shillington, entre 1989 et 1990. Dans l’ensemble, le taux de participation, après avoir connu son apogée à 16,3 % au milieu des années 1990, est rapidement revenu au niveau inférieur à 10 % des années les plus récentes, ce qui laisse fortement supposer que la nécessité de présenter une demande et la prescription de trois ans n’étaient pas la cause première du faible taux de participation apparent. Par conséquent, il est allégué que, puisque l’intimée n’a pas montré que les dispositions contestées créent une distinction sur un motif énuméré ou analogue, le premier volet du critère en deux parties permettant d’établir une violation de l’article 15 de la Charte n’est pas respecté, et que la demande devrait être rejetée.

[96] Si l’argument concernant ce premier volet n’était pas retenu et si une distinction était établie sur un motif énuméré ou analogue, M. Stevenson a soutenu que l’examen du deuxième volet, soit la question de savoir si la distinction crée un désavantage en perpétuant un préjugé ou en appliquant un faux stéréotype, est toujours orienté par l’analyse du contexte décrite dans l’affaire Withler c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 8. Même s’il a admis que, dans l’arrêt plus récent rendu par la Cour suprême dans l’affaire Québec (Procureur général) c. A.Note de bas de page 9, la majorité a indiqué qu’un demandeur ne doit pas prouver la perpétuation du préjugé ou l’application du stéréotype pour établir une discrimination concrète, la Cour suprême a conclu néanmoins que cette preuve peut s’avérer utile pour déterminer si une disposition équivaut à une discrimination.

[97] M. Stevenson a maintenu que l’examen de l’objet de la disposition contestée dans le cadre de son contexte législatif étendu continue de faire partie de l’analyse en vertu du paragraphe 15(1) décrite dans l’arrêt Withler, et que l’affaire Québec c. A. n’indique pas que cet examen ne doit être effectué qu’au titre de l’article 1. Étant donné que M. Calderhead a laissé entendre l’inverse, il est en désaccord avec cet argument.

[98] Pour appliquer une analyse du contexte dans le cadre du deuxième volet, M. Stevenson a proposé ce qui suit :

i) Le contexte particulier de la législation en matière de prestations sociales

[99] Le RPC n’est pas un régime d’assistance sociale. Pour pouvoir offrir de manière durable les diverses prestations attendues en fonction des cotisations, seules les personnes qui répondent aux critères d’admissibilité reçoivent des prestations.

[100]  Les exigences liées à la présentation d’une demande sont une caractéristique standard du RPC. Même si l’exigence liée à la présentation d’une demande de partage des crédits a été supprimée pour les divorces prononcés après le 1er janvier 1987, il faut encore fournir des renseignements au ministre pour déterminer l’admissibilité, par exemple, la durée de la cohabitation.

[101]  La prescription de trois ans concernant le partage des crédits après le divorce faisait partie de la disposition originale et visait à éviter des difficultés administratives. D’autres prescriptions concernant le partage des crédits continuent d’exister, par exemple, une période de trois ans après le décès d’un conjoint séparé, et une période de quatre ans après la fin de la cohabitation entre deux anciens conjoints de fait, s’ils vivent séparément depuis au moins une année.

ii) Le désavantage préexistant n’est pas perpétué par les dispositions de partage des crédits

[102]  Même si M. Stevenson ne conteste pas le fait que les femmes ont collectivement subi un désavantage historique, il avance que l’intimée n’a pas établi, dans le contexte particulier du RPC, que la prescription de trois ans et la nécessité de présenter une demande lui ont imposé, à elle ou aux femmes qui se trouvent dans une situation similaire, un désavantage ou une vulnérabilité supplémentaire. Cette observation ressemble à celle qui concerne le premier volet, dans la mesure où la nature peu concluante des motifs du faible taux de participation apparent ne parvient pas à établir que les dispositions contestées ont perpétué le désavantage préexistant subi par les femmes.

iii) Correspondance entre les motifs et les besoins, les capacités ou la situation propres au demandeur

[103]  Il est allégué que l’arrêt Withler, précité, au paragraphe 71, étaye la proposition selon laquelle, dans les régimes de prestations sociales complexes, la question centrale consiste à déterminer si les limites sont généralement appropriées eu égard aux circonstances des groupes concernés et des objets des régimes. Le représentant a avancé qu’aucune période limite raisonnable ne pourrait parfaitement répondre aux besoins de l’intimée, étant donné qu’il lui a fallu 18 ans à partir de la date de son divorce pour présenter sa demande. Le RPC aurait dû prévoir un système de partage des crédits entièrement automatique dès ses débuts. Il a soutenu que, dans le contexte d’un régime légal complexe, il faut accorder au Parlement une certaine latitude pour établir des limites.

iv) Circonstances réelles de l’intimée

[104] M. Stevenson a fait remarquer que l’intimée était représentée par un avocat au moment de son divorce et que le jugement conditionnel fait référence à son droit de demander le partage des crédits de pension du RPC, même si la prescription de trois ans n’est pas mentionnée. La nécessité de présenter une demande n’a posé aucune difficulté pour l’intimée, puisqu’elle a en fait présenté une demande et déclaré dans son témoignage qu’elle l’aurait présentée plus tôt si elle avait su qu’elle devait le faire.

v) Objet d’amélioration

[105] Il est admis qu’en adoptant la disposition sur le partage des crédits, le Parlement avait de toute évidence l’intention de conférer aux dispositions un effet d’amélioration pour les femmes, reconnu par la Cour d’appel fédérale dans les affaires D.R. c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 10 et Murray c. Canada (Ministère de la Santé et du Bien-être social)Note de bas de page 11.

[106] L’affaire R. c. KappNote de bas de page 12est invoquée pour faire valoir que le gouvernement devrait avoir la souplesse nécessaire pour apporter certains changements lorsqu’il met en œuvre des programmes ou des lois qui visent une amélioration, puisque, comme il est indiqué dans l’arrêt Kapp, « les effets d’un programme qui est encore balbutiant ne sont pas toujours faciles à déterminer ».

[107] M. Stevenson, citant l’affaire Ferrel et al. c. Ontario (Procureur général)Note de bas de page 13, a soutenu que, si le gouvernement était tenu d’atteindre la perfection en ce qui concerne l’efficacité des programmes d’amélioration dès le départ, le pouvoir législatif ne serait pas aussi libre de mettre en œuvre des lois dans le domaine des prestations sociales complexes.

vi) La nature du droit touché est financière

[108] Le représentant a fait valoir que le droit touché en l’espèce est de nature purement raison de son incapacité à accéder à un partage des crédits ne correspond pas à un refus d’accès à une « institution fondamentale sociale », et le dépassement du délai de prescription ne peut pas être considéré comme touchant un « aspect fondamental de la pleine appartenance à la société canadienne » ou une « non-reconnaissance complète d’un groupe particulier », tels qu’exprimés dans l’affaire Law c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration)Note de bas de page 14.

[109] Par conséquent, il a allégué que l’intimée n’a pas montré, par ces facteurs contextuels, que les dispositions contestées représentent une inégalité réelle au titre du paragraphe 15(1) de la Charte.

C. Observations de l’intimée (en réponse)

[110] M. Calderhead a qualifié les observations de M. Stevenson concernant l’arrêt Kapp comme faisant partie de ce qu’il appelle une stratégie de « complexification » conçue pour encourager une certaine retenue à l’égard du régime de partage des crédits du gouvernement dans l’analyse effectuée au titre de l’article 15, alors qu’il devrait être examiné en vertu de l’article 1, qui impose certaines responsabilités au gouvernement.

[111] En ce qui concerne l’argument de M. Stevenson ayant trait à l’absence de preuves et la nature peu concluante des taux de participation pour l’établissement d’un lien de causalité entre les dispositions contestées et la capacité présumée des femmes divorcées à accéder à un partage des crédits, M. Calderhead semble revenir sur la position qu’il a adopté dans ses observations écrites. Dans ces observations, il a avancé que les dispositions contestées ont eu un effet préjudiciable sur les femmes, qui peut être déduit de ce qu’il prétend être un faible taux de participation.

[112] M. Calderhead fait à présent valoir que le faible taux de participation n’est qu’un facteur à prendre en compte, et que la « dépossession d’un droit légal » est l’effet préjudiciable sur lequel il faudrait mettre l’accent. Il allègue qu’il ne fait aucun doute que la prescription de trois ans a retiré un droit, de sorte qu’aucune donnée statistique ou aucune preuve ne sont nécessaires.

Analyse

i) Commentaires concernant les observations des parties

[113] Avant de me lancer dans l’examen du critère en deux parties permettant d’établir une violation de l’article 15 de la Charte, tel qu’il est exposé dans l’arrêt Withler, je désire passer en revue plusieurs points litigieux dans les observations de l’avocat.

a) Quelle est l’incidence de l’affaire Québec c. A sur le critère en deux parties exposé dans l’arrêt Withler?

[114] La source du désaccord entre les avocats sur cette question semble être l’énoncé de M. Calderhead au paragraphe 89 de ses observations écrites :

[Traduction]
89.  Tout comme les groupes de comparaison ont parfois vu leurs demandes relatives au droit à l’égalité sommairement rejetées, les gouvernements ont fait valoir et, parfois, les tribunaux ont incorrectement conclu à tort à l’absence de toute violation de l’article 15 en raison de ce qu’ils ont qualifié de justification, de nature raisonnable, d’objet ou de contexte de la loi contestée. Toutes ces considérations sont examinées en bonne et due forme en vertu de l’article 1 et ne doivent pas intervenir dans l’analyse au titre de l’article 15, qui n’impose aucune responsabilité au gouvernement.

[115] M. Stevenson a reconnu que dans l’affaire Québec c. A., le tribunal, à la majorité, a indiqué que, selon le deuxième volet du critère, le demandeur n’est pas tenu de prouver la perpétuation du préjugé ou l’application d’un stéréotype pour établir une discrimination concrète, même si leur existence peut s’avérer utile pour déterminer si une disposition équivaut à une discrimination.

[116] M. Stevenson a qualifié l’énoncé de M. Calderhead de suggestion selon laquelle l’affaire Québec c. A [traduction]« signale qu’il faudrait désormais éviter d’examiner l’objet législatif d’une disposition contestée dans le cadre de l’analyse du contexte au titre de l’article 15 et ne l’étudier qu’en vertu de l’article 1 de la CharteNote de bas de page 15 ».

[117] Même si M. Calderhead a fait valoir dans ses observations en réponse que M. Stevenson tentait de faire intervenir un argument de « justification » pour encourager une certaine retenue dans l’analyse au titre de l’article 15 au lieu de le faire dans l’analyse en vertu de l’article 1, je n’estime pas que son argument vise à mettre complètement de côté les facteurs contextuels dans l’analyse au titre de l’article 15. En fait, plus loin dans ses observations écrites, au paragraphe 128, il cite l’arrêt Withler, précité, au paragraphe 54 :

128. En somme, les décisions de notre Cour concernant l’art. 15 sont pratiquement toutes fondées sur une prémisse commune : à la dernière étape de l’analyse, le tribunal doit déterminer si, en tenant compte de tous les facteurs contextuels pertinents, y compris la nature et l’objet de la mesure législative contestée au regard de la situation du demandeur, la distinction invoquée a un effet discriminatoire en ce sens qu’elle perpétue un désavantage ou applique un stéréotype à l’égard du groupe.

[118] M. Calderhead a passé également en revue les quatre facteurs contextuels dans ses observations, même s’il n’a pas mentionné les principes, réitérés dans les arrêts Kapp et Withler, concernant le critère original établi dans l’arrêt Andrews précité, et a préféré mentionner les facteurs contextuels tels qu’ils sont exposés dans l’arrêt Law.

[119] En résumé, j’estime que, même si l’affaire Québec c. A. a souligné la nécessité de faire une distinction analytique entre l’article 15 et l’article 1, la politique générale sur laquelle repose la législation, exposée par la juge en chef McLachlin, a encore une pertinence limitée pour l’analyse au titre de l’article 15. En fait, la juge en chef McLachlin a appliqué les quatre facteurs contextuels dans son analyse au titre du paragraphe 15(1), dans l’affaire Québec c. A.

b) Le gouvernement a-t-il une obligation positive de remédier à un désavantage sociétal isolé?

[120] Je suis d’accord avec M. Stevenson qui dit, dans ses observations, que le paragraphe 15(1) de la Charte n’oblige pas l’État à prendre des mesures positives, comme fournir des services afin d’améliorer les symptômes d’une inégalité systémique ou générale.

[121] La nature de la garantie du paragraphe 15(1) est décrite ainsi par le juge McIntyre, s’exprimant au nom de la majorité, dans l’arrêt Andrews précité, à la page 163 :

Le paragraphe 15(1) de la Charte prévoit que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination. Il ne s’agit pas d’une garantie générale d’égalité; la disposition ne prescrit pas l’égalité entre les individus ou les groupes d’une société dans un sens général ou abstrait, pas plus qu’elle n’impose à ceux-ci l’obligation de traiter les autres également. Elle porte sur l’application de la loi.

[122] Selon les observations de M. Calderhead, qui laissent entendre l’existence d’un droit constitutionnel à un partage obligatoire des crédits, cette position serait incorrecte. Néanmoins, il est évident, selon l’affaire Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie-Britannique (Procureur général)Note de bas de page 16, qu’une fois que le gouvernement a adopté des lois visant à remédier à une inégalité systémique ou générale, il doit le faire en toute équité et sans discrimination. Les efforts qu’il fournit à ce sujet sont alors assujettis aux considérations de l’article 15.

[123] Comme il n’existe aucune obligation constitutionnelle d’introduire le régime de partage des crédits dans le RPC, la présente affaire se distingue de l’arrêt Hislop invoquée par l’intimée. Dans l’arrêt Hislop, la Cour suprême a statué qu’une discrimination constatée antérieurement (dans l’affaire M. c. H) a entraîné une législation réparatrice, qui a été elle-même déclarée insuffisamment inclusive et discriminatoire. En l’espèce, aucune discrimination contre les femmes n’a été antérieurement constatée pour laquelle le gouvernement aurait été dans l’obligation d’introduire un régime de partage des crédits.

c) Recommandations du Comité parlementaire sur les droits à l’égalité

[124] M. Calderhead est d’avis que les modifications de 1986 reconnaissent la discrimination antérieure du programme de partage des crédits. En fait, il s’appuie sur certains éléments du rapport de l’experte de l’appelant, dans lequel elle déclarait :

[Traduction]
Pour s’assurer de la conformité du RPC avec la Charte des droits et des libertés, le Comité parlementaire sur les droits à l’égalité a recommandé que les crédits de pension du RPC accumulés au cours du mariage soient automatiquement répartis en parts égales entre les époux en cas de rupture du mariage Le comité a souligné que les dispositions existantes sur le partage des crédits soulèvent la question importante de l’accès et a conclu que

(...) l’accès à ces dispositions, qui ont été introduites en vue d’assurer un certain degré d’égalité entre les époux, serait considérablement amélioré si le partage se produisait automatiquement à la fin de la relation.

[125] Une lecture attentive du rapport du comité, Égalité pour tous (octobre 1985), révèle que le comité n’a pas laissé entendre que le régime existant de partage des crédits n’était pas conforme à la Charte. En fait, le comité a déclaré au contraire :

[Traduction]
[...] les dispositions relatives au partage des crédits de pension soulèvent la question importante de l’accès. Le partage des crédits peut désormais être obtenu à la demande d’un ancien époux. Le partage n’est pas automatique. Nous ne voulons pas suggérer que l’article 15 exige un partage automatique. Cependant, à notre avis, ces dispositions, qui ont été introduites en vue d’assurer un certain degré d’égalité entre les époux, seraient considérablement améliorées si le partage se produisait automatiquement à la fin de la relation. [C’est nous qui soulignons.]

[126] Par conséquent, il convient de ne pas considérer la recommandation du comité comme le prélude à une réparation constitutionnelle, mais plutôt comme une suggestion d’amélioration du programme existant de partage des crédits. La recommandation découle de l’observation selon laquelle un très petit nombre d’anciens époux ont profité de ce programme, mais ne laisse pas entendre que le programme tel qu’il existait alors n’était pas conforme à la Charte.

d) Conclusion quant à la crédibilité

[127] Les parties conviennent que le contexte factuel pertinent n’est pas contesté, sauf peut-être en ce qui concerne la déclaration de Mme B. T., selon laquelle elle ne connaissait pas l’existence de la prescription de trois ans. M. J. S. a indiqué dans son témoignage que le juge y avait fait référence au cours de l’audience de divorce, mais que la prescription n’était pas mentionnée dans le jugement conditionnel; M. J. S. ne l’a pas mentionnée au cours de son témoignage antérieur devant le tribunal de révision. Il ne se rappelle pas exactement ce qui a été dit au cours de l’audience de divorce. Mme B. T. a maintenu que son avocat ne lui a jamais dit qu’elle devait présenter une demande dans les trois ans suivant le divorce. En l’absence d’éléments de preuve au contraire de la part de son avocat, je n’ai aucune raison de ne pas la croire sur ce point, et j’estime qu’il est plus probable que cela soit le cas.

ii) Contestation fondée sur le paragraphe 15(1)

a) Fardeau de la preuve

[128] Comme c’est le cas de toutes les autres demandes fondées sur des allégations de violation de la Charte, la personne qui allègue une discrimination au titre du paragraphe 15(1) a la charge d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que ses droits ont été violés par une disposition contestée. Cela établi, il incombe ensuite au gouvernement de montrer, selon la prépondérance des probabilités, que les limites imposées par la disposition en question sont justifiées en vertu de l’article 1 de la Charte.

b) Le critère en deux parties

[129] Récemment, dans l’arrêt Withler, précité, aux paragraphes 30 à 40, la Cour suprême a réaffirmé le critère en deux parties servant à établir une violation au titre de l’article 15. Le premier volet consiste à déterminer si la loi crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, comme le sexe ou l’état matrimonial, en l’espèce. Le deuxième volet consiste à déterminer si la distinction crée un désavantage en perpétuant un préjugé ou en appliquant un stéréotype.

[130] Comme la disposition du RPC en question établissant un système de partage des crédits est selon toute apparence neutre, les parties conviennent que l’affaire porte sur les effets préjudiciables ou la discrimination indirecte. Cette forme de discrimination est expliquée dans l’arrêt Withler, précité, au paragraphe 64, comme suit :

Dans certains cas, il sera relativement simple d’établir l’existence d’une distinction, par exemple lorsque la loi, à sa face même, crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue (discrimination directe). Il en est souvent ainsi lorsqu’il est question de prestations gouvernementales, comme c’était le cas dans les affaires Law, Lovelace et Hodge. Dans d’autres cas, ce sera plus difficile, parce que les allégations portent sur une discrimination indirecte : bien qu’elle prévoie un traitement égal pour tous, la loi a un effet négatif disproportionné sur un groupe ou une personne identifiable par des facteurs liés à des motifs énumérés ou analogues. Ainsi, dans l’arrêt Granovsky, la Cour a fait remarquer que « [l]es exigences en matière de cotisation du RPC, qui, à première vue, appliquaient les mêmes règles à tous les cotisants, avaient un effet différent sur les personnes qui veulent travailler, mais qui ne peuvent pas le faire en raison d’une déficience » (par. 43). Dans ce cas, le demandeur aura une tâche plus lourde à la première étape. L’existence d’un désavantage historique ou sociologique pourrait aider à démontrer que la loi impose au demandeur un fardeau qu’elle n’impose pas à d’autres ou lui refuse un avantage qu’elle accorde à d’autres. Le débat sera centré sur l’effet de la loi et sur la situation du groupe de demandeurs.

Partie 1 : Le paragraphe 55(1) du Régime de pensions du Canada crée-t-il une distinction fondée sur le sexe ou l’état matrimonial?

[131] M. Calderhead a fait valoir que le programme de partage des crédits a été principalement conçu dans l’intérêt des femmes divorcées, qu’un très petit nombre d’époux ont demandé le partage des crédits et que cela découle de la prescription de trois ans et de la nécessité de présenter une demande.

[132] L’argument a gagné l’approbation du tribunal de révision qui a conclu au paragraphe 90 :

[Traduction]
À la suite de la modification de 1978, les statistiques affichent un taux de participation de 2 % ou 3 % des époux qui ont profité des gains non ajustés ouvrant droit à pension au cours de la prescription. La nécessité de présenter une demande ainsi que le délai de prescription ont entraîné l’exclusion des gains non ajustés ouvrant droit à pension pour 97 % des conjoints divorcés; parmi ces derniers, ce sont les femmes qui devaient principalement présenter une demande, car les crédits n’étaient pas inscrits à leur nom.

[133] Cet argument pose un problème, car il est présenté comme une tautologie et n’est pas fondé sur des éléments de preuve, mais plutôt sur l’hypothèse selon laquelle les dispositions contestées sont la cause du faible taux de participation apparent.

[134] Dans les affaires de discrimination par suite d’un effet préjudiciable, les éléments de preuve sont particulièrement importants. Dans l’affaire Symes c. Canada, la Cour suprême a déclaré :

Pour que l’analyse des effets préjudiciables soit cohérente, il ne faut pas présumer qu’une disposition législative possède un effet qui n’est pas prouvé. Nous devons prendre soin d’établir une distinction entre les effets qui sont causés en totalité ou en partie par une disposition contestée et les circonstances sociales qui existent indépendamment de la disposition en questionNote de bas de page 17.

[135] De même, dans l’affaire S. M.-R .c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 18, la Cour d’appel fédérale a rejeté une demande pour cause d’effets préjudiciables alléguant que la clause d’exclusion pour élever des enfants (CEEE) avait un effet préjudiciable disproportionné sur les femmes, en l’absence de preuves indiquant que l’effet de la législation est lié à un motif énuméré ou analogue. La Cour a déclaré, au paragraphe 76 : « Nous ne pouvons pas simplement présumer que la disposition en cause est responsable des effets reprochés. »

[136] Les données sur le taux de participation constituent la seule preuve invoquée par l’intimée, mais j’estime que ces données sont peu concluantes et même contraires à la position de l’intimée.

[137] Je souscris à l’observation de M. Stevenson selon laquelle l’intimée n’a fourni aucune preuve de lien de causalité entre le taux de participation et les dispositions contestées. Les données sur le taux de participation ne présentent pas le nombre de demandes de partage des crédits qui ont été reçues au cours d’une année, mais seulement le nombre de demandes acceptées. Rien n’indique combien de demandes ont été effectivement présentées, combien de demandes ont été refusées, et pour quelles raisons.

[138] Le témoignage de Mme Giordano a souligné plusieurs exigences prévues par la loi, comme la durée minimale du mariage de trois ans et les trois années consécutives de cohabitation. Les données n’indiquent pas le nombre de demandes refusées en raison du non-respect de l’une de ces exigences; il n’existe bien sûr pas non plus de données sur le nombre de personnes qui ont décidé de ne pas présenter de demande, car elles savaient que ces exigences n’étaient pas satisfaites.

[139] Les éléments de preuve laissent entendre que plusieurs autres facteurs indépendants des dispositions contestées auraient pu contribuer à ce que l’on estimait être un faible taux de participation. M. Shillington a reconnu que chacun de ces facteurs peut avoir réduit le taux de participation, même s’il serait plutôt porté à considérer que l’effet collectif de tous les facteurs décrits dans le rapport Berger représente une réduction du taux de participation d’environ 10 %, et non pas la réduction de plus de 90 % qui s’est réellement produite. À cet égard, je conclus que ces chiffres, qui reposent davantage sur des conjectures plutôt que sur des éléments probants, ne sont pas convaincants.

[140] M. Shillington a fait peu de cas des facteurs exposés dans le rapport Berger et les a qualifiés de mélange de facteurs spéculatifs, théoriques et non quantifiés qui, à l’examen, ne parvient pas à expliquer de manière convaincante le faible taux de participation au cours de la période de référence. Cependant, c’est précisément ce qui pose problème lorsque l’on invoque les données sur le taux de participation pour prouver le fait en cause. L’explication du taux n’est étayée par aucun élément de preuve objective ou scientifique, de sorte qu’il est très difficile de conclure, comme l’intimée le prétend, que les dispositions contestées sont à l’origine du faible taux observé.

[141] M. Shillington a clairement indiqué qu’à son avis, le principal obstacle à ce qu’il considérerait comme un taux de participation approprié est la méconnaissance du programme de partage des crédits. Il a laissé entendre que le gouvernement n’a pas pris l’initiative comme il l’aurait dû en matière de communication de l’existence du programme au public. L’appelant a présenté un grand nombre d’éléments de preuve concernant les efforts consacrés par le gouvernement pour rendre le programme connu du public. Cependant, à la lumière de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire LeCorre c. Canada précitée, suivi par la Cour fédérale dans l’affaire Lee c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 19, le gouvernement n’a pas l’obligation d’informer les bénéficiaires potentiels des prestations auxquelles ils pourraient avoir droit, et de l’aveu même de M. Calderhead, la promotion défaillante du programme n’est pas une composante essentielle en l’espèce, il n’est donc pas nécessaire de déterminer si le gouvernement a fait la promotion du programme de partage des crédits de façon appropriée.

[142] Il reste cependant à établir si la méconnaissance est un facteur du faible taux de participation apparent. Selon Mme B. T., c’est probablement le cas. Aucune donnée n’indique la portée de ce facteur. Au cours de la première phase du programme, soit de 1978 à 1986, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de l’époque a jugé que le faible taux de participation apparent indiquait qu’il fallait consacrer davantage d’efforts pour faire connaître le programme au public. Le rapport du Comité parlementaire, Égalité pour tous, a certainement porté attention au taux, ce qui a orienté sa recommandation d’améliorer l’accès au programme en le rendant automatique.

[143] L’impression que la méconnaissance est un facteur du taux de participation aurait pu être raisonnable au cours des premières années, avant la modification de 1986, mais, immédiatement après le lancement du programme, et plus de trois décennies plus tard, l’expérience a tendance à indiquer que la méconnaissance n’est pas un facteur important du tout.

[144] Premièrement, comme l’a démontré M. Stevenson dans son contre-interrogatoire de M. Shillington, l’année 1990 est la première année suivant les modifications qui ont éliminé la nécessité de présenter une demande ainsi que la prescription de trois ans au cours de laquelle on aurait pu s’attendre à un changement significatif du taux de participation. Toutefois, la différence entre 1989 et 1990 affichée par les données de M. Shillington correspond à une augmentation de 1 % seulement; selon les données fournies dans le rapport de Mme Giordano, le taux a en fait chuté.

[145] Deuxièmement, nous avons à présent plus de trois décennies d’expérience dans le programme de partage des crédits, et le taux le plus récent est encore à 6 %, comparable au taux des premiers jours du programme. Au cours des trois décennies d’existence du programme, le taux de participation s’établit en moyenne à moins de 10 % par décennie. Il serait difficile d’accepter l’argument selon lequel le public connaît moins bien le programme de partage des crédits de nos jours qu’il y a trente ans; toutefois, les taux de participation sont comparables. Cela laisse croire que la méconnaissance n’a jamais été un facteur significatif du taux de participation.

[146] M. Shillington a été incapable de présenter une théorie qui explique pourquoi le taux de participation reste à son niveau actuel, qu’il considère comme faible. Je dirais qu’il est possible qu’il ait attribué un poids insuffisant aux facteurs exposés dans le rapport Berger. Plus particulièrement, j’éprouve certaines difficultés à accepter son analyse concernant la renonciation au partage des crédits en général et l’importance de l’arrêt Preece en particulier. À la page 13 de son rapport, sous ce qu’il appelle l’allégation F, il déclare ce qui suit :

[Traduction]
Même si la renonciation est citée, dans l’addenda 2, comme la raison pour laquelle la participation au partage des crédits pourrait être plus faible que prévu, la décision Preece ne date que de 1983, et les lois provinciales adoptées en conséquence (en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan et au Québec) sont arrivées encore plus tard. En d’autres termes, il est impossible que ce facteur ait contribué au faible taux de participation constaté dans les premières années de la période de référence, et son importance est au plus limitée jusqu’à la fin de la période.

[147] La décision Preece mentionnée par M. Shillington est une décision rendue par la Commission d’appel des pensions dans quatre appels : Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social c. Laurence Preece et al.Note de bas de page 20. Cette décision a établi le principe que, en cas de renonciation complète accordée dans une entente de séparation, un règlement à l’amiable ou un jugement sur consentement, les époux ne peuvent demander par la suite le partage des crédits de pension du RPC ni en recevoir une partie.

[148] Les lois provinciales auxquelles M. Shillington a fait référence dans les quatre provinces mentionnées ont été adoptées à la suite des modifications de 1986 du RPC (maintenant l’article 55.2), qui ont en fait annulé la décision Preece concernant les ententes écrites conclues après le 4 juin 1986, à moins que la loi provinciale régissant l’entente ne l’autorise explicitement. Même si chacune des provinces en question a adopté ses lois respectives entre 1987 (Saskatchewan) et 2005 (Alberta), toutes ces lois prévoient qu’une entente écrite conclue le 4 juin 1986 ou par la suite peut prévoir une renonciation au partage des crédits de pension du RPC.

[149] Le fait que la décision Preece n’a été rendue qu’en 1983 ne signifie pas que les couples en instance de divorce entre 1978 et 1983 ne négociaient pas le droit à un partage des crédits au cours de cette période, comme l’a suggéré M. Shillington. La décision Preece a simplement confirmé que les ententes négociées entre les parties engagées dans une telle pratique avant la décision sont valables et exécutoires.

[150] En outre, le fait que les lois provinciales ont été introduites après la décision Preece n’a aucune importance. L’option de renonciation était valable jusqu’au 4 juin 1986, juste avant la suppression de la nécessité de présenter une demande et de la prescription de trois ans, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1987. Les lois de chacune des quatre provinces prévoient que les ententes écrites conclues le 4 juin 1986 ou par la suite peuvent prévoir une renonciation au partage des crédits de pension du RPC. Dans ces quatre provinces au moins, les ententes sur le partage des crédits étaient toujours valables et exécutoires, soit en vertu de la décision Preece pour les ententes conclues avant le 4 juin 1986, soit en vertu des lois provinciales pour les ententes conclues après cette date.

[151] Le fait que quatre provinces aient jugé bon d’adopter des lois qui autorisent les parties à négocier une entente sur leurs crédits de pension du RPC semble indiquer non seulement un intérêt pour la pratique, mais également une manifestation de cette pratique dans ces provinces avant la modification de 1986 qui a supprimé le droit à la pratique en l’absence de dispositions législatives provinciales.

[152] Même si je ne peux pas accepter l’analyse de M. Shillington concernant les répercussions de la décision Preece ou des lois des provinces qui ont continué d’appliquer cette décision, j’accepte la conclusion qu’il énonce à la page 13 de son rapport, selon laquelle [traduction] « bien qu’il ne s’agisse pas d’un point statistique, il est évident que, pendant la période de référence, le partage des crédits offrait une certaine valeur aux femmes (si elles en connaissaient l’existence) et, par conséquent, un certain pouvoir de négociation auprès de leur ex-époux »

[153] Cela a toutefois pu avoir une plus grande incidence sur le taux de participation que M. Shillington est prêt à l’admettre.

[154] Aucune des suggestions tirées du rapport Berger ou des témoignages, par exemple, des conjoints dont les revenus sont différents, mais dépassent tous deux le montant maximal assujetti à la cotisation, n’est avancée par l’appelant comme une explication définitive, soit individuellement, soit collectivement, du niveau des taux. Toutefois, il semble que plusieurs facteurs aient contribué au niveau des taux, de sorte qu’on ne peut pas supposer qu’il existe un lien de causalité entre les taux de participation, d’une part, et la nécessité de présenter une demande et la prescription de trois ans, d’autre part.

[155] Le fait que le taux soit resté relativement stable à un niveau inférieur à 10 % avant et après l’abrogation des dispositions contestées (à l’exception du niveau record de 15 % atteint au milieu des années 1990, avant de rapidement retomber à un niveau inférieur à 10 %) semble indiquer qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les dispositions contestées et le taux de participation. À tout le moins, je ne suis pas convaincu que la preuve a démontré l’existence d’un tel lien, qui forme la base de l’argument initial de l’intimée, selon lequel les dispositions contestées ont eu pour effet de créer une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue à l’égard des femmes.

[156] Cette conclusion suffirait à statuer sur le présent appel, de sorte qu’il ne serait pas nécessaire de passer au deuxième volet de l’analyse; toutefois, dans ses observations présentées en réponse présentées au cours de l’audience, l’avocat de l’intimée, M. Calderhead, a fait valoir qu’il faudrait mettre l’accent sur la « dépossession d’un droit légal » créée par les dispositions contestées, qui constitue l’effet préjudiciable. Comme les dispositions contestées parlent d’elles-mêmes et retiraient un droit légal, aucune donnée statistique ni aucune preuve n’étaient nécessaires, selon lui.

[157] En supposant pour le moment que l’on convient que la prescription dépossédait les femmes d’un droit légal aux avantages découlant du partage des crédits et que, comme la vaste majorité des personnes qui auraient profité d’un partage des crédits sont des femmes, une distinction est établie en fonction d’un motif énuméré, il reste encore à prouver que le délai de prescription a eu un effet préjudiciable sur les femmes.

[158] Je ne suis pas convaincu, sur la foi de la preuve, que la loi crée en l’espèce une distinction fondée sur le sexe ou l’état matrimonial entre une femme divorcée et un homme divorcé. Cependant, comme la question a fait l’objet d’une contestation complète, au cas où il se révélerait que ma conclusion concernant le premier volet est erronée, je suis prêt à passer au deuxième volet et à examiner si une telle distinction découlant des dispositions législatives contestées crée un désavantage en perpétuant un préjugé ou en appliquant un stéréotype.

Partie 2 : La distinction perpétue-t-elle un désavantage ou un préjugé ou applique-t-elle un stéréotype au groupe des demandeurs?

A. Présentation de l’analyse contextuelle

[159] Dans l’arrêt Withler, la Cour suprême du Canada a rejeté l’ancienne pratique qui consistait à évoquer un groupe de comparaison aux caractéristiques identiques à celles des demandeurs dans l’analyse contextuelle effectuée au titre du paragraphe 15(1), tout en reconnaissant que la comparaison a pour rôle de déterminer si le demandeur s’est vu refuser un avantage accordé à d’autres personnes.

[160] Dans l’affaire Québec c. A. précitée, au paragraphe 327, la Cour a indiqué qu’il faut se garder de considérer que les arrêts Kapp et Withler « ont pour effet d’imposer aux demandeurs invoquant l’art. 15 l’obligation additionnelle de prouver qu’une distinction perpétue une attitude imbue de préjugés ou de stéréotypes à leur endroit. »

[161] Comme je l’ai déjà mentionné dans les présents motifs, je ne vois rien dans l’affaire Québec c. A., la décision la plus récente de la Cour suprême du Canada au sujet de l’article 15, qui modifie l’approche contextuelle décrite dans l’arrêt Withler. Les quatre facteurs contextuels établis dans les arrêts Law et Kapp sont les suivants :

  1. (1) la préexistence d’un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou de vulnérabilité subis par la personne ou le groupe en cause;
  2. (2) le rapport ou la correspondance entre le ou les motifs sur lesquels l’allégation est fondée et les besoins, les capacités ou la situation propres au demandeur ou à d’autres personnes;
  3. (3) l’effet d’amélioration de la loi contestée eu égard à une personne ou un groupe défavorisés dans la société;
  4. (4) la nature et l’étendue du droit touché par la loi contestée.

[162] Selon le paragraphe 66 de l’arrêt Withler, il est évident que les facteurs contextuels ne doivent pas servir de modèle rigide dans chaque cas. En outre, au paragraphe 418 de l’affaire Québec c. A., la juge en chef McLachlin souligne que pour déterminer ce qui constitue une discrimination, il faut procéder à une analyse contextuelle qui tienne compte des facteurs décrits dans les arrêts Kapp et Withler, y compris l’effet ou l’objectif d’amélioration de la loi.

B. Analyse du contexte au titre de la partie 2

i) Législation sur les prestations sociales

[163] Dans l’affaire S.M.-R. c. Canada (procureur général) précitée, le juge Stratas, aux paragraphes 56 à 66, a examiné la jurisprudence concernant la législation sur les prestations sociales et le paragraphe 15(1) de la Charte.Après avoir cité la mise en garde de l’arrêt Law, selon laquelle les tribunaux ne devraient pas exiger « qu’une loi doit[ve] toujours correspondre parfaitement à la réalité sociale pour être conforme au par. 15(1) de la Charte », il a conclu, au paragraphe 57 :

Dans ce contexte, il s’ensuit que les distinctions découlant de la législation en matière de prestations sociales ne seront pas considérées à la légère comme discriminatoires. La Cour suprême a confirmé ce constat à maintes reprises.

[164] Un autre exemple se trouve dans l’arrêt Gosselin c. Québec (Procureur général)Note de bas de page 21, dans lequel il est déclaré que « le fait qu’un programme social donné ne réponde pas aux besoins de tous, sans exception, ne nous permet pas de conclure que ce programme ne correspond pas aux besoins et à la situation véritables du groupe concerné ».

[165] Dans l’arrêt Withler, la Cour suprême a souligné que l’analyse contextuelle dans la législation sur les prestations sociales portant sur les prestations de retraite, comme dans le cas qui nous occupe, met l’accent sur la disposition contestée du point de vue du contexte élargi du système dans son ensemble [c’est nous qui soulignons]. Au paragraphe 67, la Cour a statué :

Lorsqu’il est question d’un régime de prestations de retraite, comme dans le cas qui nous occupe, l’examen des facteurs contextuels à la deuxième étape de l’analyse requise par le par. 15(1) porte en général sur l’objet de la disposition présentée comme discriminatoire, et se fait à la lumière du régime législatif complet. À qui le législateur voulait-il accorder un avantage et pourquoi? Pour trancher la question de savoir si la distinction perpétue un préjugé ou applique un stéréotype à un certain groupe, le tribunal tient compte du fait que de tels programmes sont conçus dans l’intérêt de divers groupes et doivent forcément établir des limites en fonction de certains facteurs comme l’âge. Le tribunal s’interrogera sur l’opportunité générale de telles limites, compte tenu de la situation des personnes touchées et des objets du régime. Point n’est besoin que le programme de prestations corresponde parfaitement à la situation et aux besoins véritables du groupe de demandeurs. Le tribunal pourra également prendre en considération l’affectation des ressources et les objectifs particuliers d’intérêt public visés par le législateur.

[166] Dans l’arrêt S.M.-R., les exigences en matière de cotisation au RPC sont contestées en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte.La Cour d’appel fédérale a conclu que le non-respect des exigences en matière de cotisation par la demanderesse découle de ses circonstances personnelles, et non pas d’une distinction entre elle et d’autres membres du régime. La nature du régime est prise en considération, et la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)Note de bas de page 22, selon laquelle il ne s’agit pas d’un régime d’aide sociale, est citée. Le juge Stratas a formulé les énoncés généraux suivants au sujet du régime, qui sont utiles pour l’enquête en l’espèce :

[70] En fait, on ne peut même pas dire du Régime qu’il vise à accorder des prestations à tels ou tels groupes démographiques. Il convient plutôt de le considérer comme une assurance obligatoire basée sur des cotisations et un régime de pensions conçu pour fournir une certaine aide – loin d’être complète – aux personnes qui répondent à des critères de qualification techniques.

[71] Tout comme dans un régime d’assurance, les prestations sont payables en fonction de critères d’admissibilité hautement techniques. Selon la situation des personnes, certaines d’entre elles peuvent verser des cotisations, d’autres non.

ii) Désavantage préexistant éventuel du groupe de demandeurs

[167] Il ne fait pas de doute que les femmes ont collectivement connu un désavantage historique. Le point en litige est le suivant : l’intimée a-t-elle établi que la nécessité de présenter une demande et la prescription de trois ans ont perpétué un désavantage préexistant subi par les femmes, étant donné la nature peu concluante des raisons du faible taux de participation apparent indiquées ci-dessus?

[168] Je ne suis pas convaincu, sur la foi de la preuve, que l’intimée a établi le fait que les dispositions contestées ont perpétué un désavantage préexistant pour les femmes. De même, je ne suis pas persuadé par les observations en réponse formulées par M. Calderhead, que les dispositions contestées ont donné lieu à la « dépossession d’un droit légal » à un partage des crédits qui semble évident à la lecture de la loi et qu’il n’est pas nécessaire de prouver à l’aide de données statistiques ou d’éléments de preuve autres que le fait que la vaste majorité des personnes qui peuvent tirer profit du partage des crédits sont des femmes. Comme je l’ai indiqué précédemment, même si l’on suppose cela, il faut toujours prouver que les femmes ont subi un effet préjudiciable en raison de la prescription et de la nécessité de présenter une demande.

[169] À part le fondement probatoire, il existe une autre raison pour laquelle je ne peux pas accepter l’argument. Si l’argument était étendu, il signifierait que bon nombre des règles d’admissibilité et des conditions d’un régime d’assurance sociale complexe feraient l’objet de la même contestation, ce que je trouve indéfendable. Par exemple, l’alinéa 44(2)b) du Régime de pensions du Canada prévoit que la personne dont la demande liée aux prestations d’invalidité est accueillie est censée ne pas avoir été invalide plus de quinze mois avant la date de la demande (sous réserve de certaines exceptions), nonobstant le fait que le demandeur a pu être déclaré invalide pendant une période beaucoup plus longue.

[170] En l’espèce, je suis d’avis que si l’intimée n’a pas pu obtenir un partage des crédits ce n’est pas parce qu’elle est une femme, mais parce qu’elle n’a pas rempli l’une des conditions d’admissibilité du régime, peut-être parce que l’avocat qui a négocié sa convention de divorce ne l’a pas informée de cette condition. L’énoncé suivant de l’arrêt S.M.-R., précité, est pertinent en l’espèce :

Nous n’allons pas conclure qu’une personne n’est pas un membre à part entière de la société canadienne, qu’elle a une valeur moindre ou qu’elle n’appartient pas à notre collectivité parce qu’on lui a refusé des prestations en vertu d’un régime de prestations sociales complexe et plein de subtilités comme celui en cause en l’espèce. Cependant, il est permis de conclure que, comme pour beaucoup d’autres, elle n’a pas obtenu de prestations parce qu’elle ne répondait pas aux conditions d’admissibilité techniques d’un régime non universelNote de bas de page 23.

[171] L’intimée n’a pas reçu un traitement différent. La preuve révèle également que de nombreuses autres femmes divorcées n’ont pas obtenu de prestations découlant d’un partage des crédits de pension du RPC. L’onglet 18 du rapport de l’expert de l’appelant indique qu’un partage des crédits a été accordé à plus de 10 000 femmes dans les trois ans suivant le divorce de l’intimée, période pendant laquelle elle remplissait les conditions requises pour présenter une demande.

[172] Pour ces motifs, je conclus que ce facteur ne permet pas de conclure à une forme de discrimination.

iii) Degré de correspondance entre les motifs et les besoins, les capacités ou la situation du demandeur

[173] Sous cette rubrique, il faut examiner l’application des dispositions contestées dans le contexte du système législatif du partage des crédits dans son ensemble. Comme il est mentionné dans l’arrêt Withler, au paragraphe 71 :

[…] Comme nous l’avons expliqué, l’objet de la disposition contestée, dans le contexte de l’ensemble du régime de retraite, est une considération principale. Un régime de retraite est, par définition, conçu en faveur de plusieurs groupes dont les intérêts et la situation divergent. Il s’agit d’évaluer l’opportunité générale des limites établies, compte tenu de la situation des groupes touchés et des objets du régime. La correspondance parfaite n’est pas nécessaire. L’affectation des ressources et les objectifs d’intérêt public visés par le législateur peuvent être des facteurs à considérer. Le tribunal doit se demander si, compte tenu de ce facteur et de tout autre facteur pertinent, la distinction établie par la mesure législative entre le groupe de demandeurs et d’autres personnes crée une discrimination en perpétuant un désavantage ou un préjugé à l’égard du groupe ou en lui appliquant un stéréotype.

[174] Je suis conscient des limites de cette partie de l’analyse au titre du paragraphe 15(1), récemment exposées dans l’affaire Québec c. A. par la juge en chef McLachlin, au paragraphe 421, selon lesquelles il importe de garder distinctes les analyses que commandent respectivement le paragraphe 15(1) et l’article 1. Néanmoins, tel qu’indiqué dans l’arrêt Withler précité, le tribunal s’interrogera sur l’opportunité générale des limites établies par la législation dans l’analyse au titre de l’article 15.

[175] En l’espèce, une prescription de trois ans a été introduite dans le régime de pensions afin d’éviter ce que le gouvernement percevait à l’époque comme des difficultés administratives, comme l’a indiqué Paul McRae, secrétaire parlementaire du ministre de la Santé nationale et du Bien-être social au cours de la deuxième lecture du projet de loi sur le système de partage des crédits. Un membre de l’opposition, Lincoln Alexander, a mentionné au cours des débats sur ce projet de loi le problème qui se produirait s’il fallait faire des calculs sur de longues périodes rétroactives. Il faut se rappeler, comme en témoigne Mme Giordano, que ces considérations ont eu lieu au milieu des années 1970, une époque où l’automatisation n’était pas ce qu’elle est rapidement devenue par la suite. Nous nous trouvions encore à l’ère du papier carbone, de sorte que toute analyse du fondement des limites établies pour le système de partage des crédits initialement déposé au Parlement doit tenir compte de ce contexte.

[176] Tel qu’indiqué dans l’arrêt Nishri c. Canada (procureur général)Note de bas de page 24, il convient d’accorder au Parlement un certain degré de latitude pour établir les limites d’un régime législatif complexe.

[177] Le fait de devoir présenter une demande pour obtenir des prestations n’est pas rare. De nombreuses autres dispositions du Régime de pensions du Canada présentent la même exigence.

[178] Mme Giordano a déclaré dans son témoignage que le délai de prescription était un obstacle imposé au nouveau régime législatif pour assurer le caractère définitif du règlement des demandes entre époux. M. Calderhead a critiqué la position de Mme Giordano en déclarant que le facteur du caractère définitif ne figure pas dans son rapport et que rien ne montre, dans le dossier législatif, que l’on ait envisagé de l’introduire dans le projet de loi. Toutefois, il se peut que l’absence d’une référence à ce caractère définitif s’explique par le fait que l’objet de la prescription était bien connu et qu’il n’était pas nécessaire de le mentionner au cours des débats.

[179] Nous connaissons les lois sur la prescription depuis que les tribunaux de common law du XVIIIe et du XIXe siècles les ont décrites comme des lois qui assurent la « tranquillité d’esprit » (statutes of repose ou statutes of peace)Note de bas de page 25.

[180] Dans l’affaire M.(K.) c. M.(H.), la Cour suprême du Canada a exposé les justifications des lois sur la prescription comme suit :

Il y en a trois et elles peuvent être décrites comme la certitude, la preuve et la diligence [...].

On affirme depuis longtemps que les lois sur la prescription des actions sont des lois destinées à assurer la tranquillité d’esprit [...]. Le raisonnement est assez simple. Il arrive un moment, dit-on, où un éventuel défendeur devrait être raisonnablement certain qu’il ne sera plus redevable de ses anciennes obligations. [...]

La deuxième justification se rattache à la preuve et concerne la volonté d’empêcher les réclamations fondées sur des éléments de preuve périmés. Une fois écoulé le délai de prescription, le défendeur éventuel ne devrait plus avoir à conserver des éléments de preuve se rapportant à la réclamation [...].

Enfin, on s’attend à ce que les demandeurs agissent avec diligence et ne « tardent pas à faire valoir leurs droits »; la prescription incite les demandeurs à intenter leurs poursuites en temps opportunNote de bas de page 26.

[181] Dans l’affaire Murphy c. Welsh, le juge Major déclare qu’un « régime de prescription doit tenter d’établir un équilibre entre les intérêts des deux partiesNote de bas de page 27. »

[182] En ce qui concerne les dispositions liées au PGNAP, la première et la troisième justifications énoncées dans l’affaire M.(K.) c. M.(H.) s’appliquent à l’intimée B. T. et à la partie mise en cause J. S. En outre, la prescription répond aux préoccupations en matière d’efficacité administrative du régime de partage des crédits lui-même. Cette affaire montre la difficulté administrative qui découlerait de l’absence d’un délai de prescription. Une demande de partage des crédits présentée plus de dix-huit ans après le divorce des parties, lorsque l’un des anciens époux a reçu des prestations d’invalidité du RPC pendant bon nombre d’années avant leur conversion en prestations de retraite lorsqu’il a atteint l’âge de 65 ans, nécessiterait que les administrateurs du régime non seulement calculent le montant des paiements rétroactifs au demandeur, mais également le montant du trop-payé au bénéficiaire des prestations d’invalidité et de retraite.

[183] Même s’il a été allégué que le partage des crédits est effectué sans entraîner de coûts pour le régime, cela n’est certainement pas toujours le cas. La preuve révèle qu’avant même d’avoir calculé le trop-payé, le montant des prestations de retraite de M. J. S. serait réduit d’une somme plus élevée, en termes de dollars, que celle que recevrait Mme B. T. Le régime y gagnerait. Cependant, le recouvrement du trop-payé des prestations d’invalidité versées à M. J. S. depuis 1987 serait problématique. Sur le plan technique, il serait relativement facile, puisque M. J. S. reçoit déjà des prestations et que le trop-payé pourrait être déduit de ses prestations de retraite. En réalité, cela signifie que les administrateurs du régime devraient négocier un calendrier de remboursement qui ferait intervenir des considérations liées aux difficultés financières découlant du nouveau calcul de ses prestations. Il se pourrait que le régime ne recouvre jamais la totalité du trop-payé.

[184] La deuxième justification d’un délai de prescription, qui vise à éviter l’utilisation d’éléments probants périmés, pourrait ne pas s’appliquer aux parties en l’espèce, puisque la période de leur cohabitation n’est pas contestée; cependant, lorsque ce point est en litige, soit pour établir la période d’admissibilité de trois ans, soit pour déterminer le nombre d’années assujetti au partage des crédits, Mme Giordano a expliqué qu’une audience devrait être tenue et que des éléments de preuve devraient être présentés pour établir la période de cohabitation des parties. Il est bien évident que plus la durée écoulée entre la période de cohabitation et l’audience est importante, plus le risque que les éléments probants invoqués par les parties soient périmés ou non existants est élevé, ce qui rend la tâche du juge des faits plus difficile.

[185] M. Calderhead a fait valoir que les préoccupations liées au caractère définitif avaient disparu en 1986, au moment où les modifications ont été apportées, déduisant ainsi qu’elles n’avaient jamais vraiment été des préoccupations. Il faut se rappeler que le Comité parlementaire sur l’égalité des droits recommandait toujours le partage automatique des crédits, ce qui aurait éliminé la nécessité d’établir un délai de prescription tel qu’énoncé précédemment, de sorte qu’il n’a jamais fait l’objet d’un débat. Le partage automatique des crédits n’était cependant pas possible, puisque le ministre avait tout de même besoin de renseignements avant d’effectuer le partage, comme la période de cohabitation et le numéro d’assurance sociale des parties. Le registre des divorces n’a jamais été relié à un système qui aurait permis de fournir ces renseignements, dont certains auraient pu ne même pas figurer dans les renseignements sur le divorce. C’est pour cette raison que la formulation définitive des modifications prévoit un partage des crédits obligatoire, mais pas automatique. Les renseignements nécessaires pour effectuer le partage des crédits doivent encore provenir de l’une ou de l’autre partie, voire des deux, ou d’une autre source. Cela a pour résultat que les risques et les difficultés qui étaient censés être gérés par l’introduction d’un délai de prescription sont toujours présents aujourd’hui, même si le calcul administratif de la rétroactivité a été facilité par l’apparition de l’automatisation; cependant, les préoccupations liées au caractère définitif demeurent.

[186] Je me rends compte que cette explication concernant l’objet de la prescription prévue par les dispositions de 1978 sur le partage des crédits peut être amplifiée dans l’analyse au titre de l’article 1. J’ai tenté de limiter la discussion de l’analyse au titre de l’article 15 décrite dans l’arrêt Withler à la question de savoir si la prescription de trois ans dans un régime de prestations sociales complexe est une limite établie par le Parlement à qui il faut accorder un certain degré de latitude, comme le laisse entendre l’arrêt Nishri.

[187] Je suis disposé, pour les motifs évoqués ci-dessus, à conclure que les limites établies sont fondées en l’espèce, et que les dispositions contestées n’ont pas eu d’incidence sur les femmes divorcées, pour reprendre les termes de l’arrêt Auton, précité, « d’une manière qui compromet [l’]objectif global [du régime] »Note de bas de page 28.

[188] En ce qui concerne les circonstances réelles de l’intimée, du point de vue d’une personne raisonnable se trouvant dans sa situation, il se trouve que les dispositions sur le partage des crédits lui donnaient la possibilité d’accéder au partage des crédits pendant les trois ans suivant son divorce. Tel qu’il est indiqué précédemment, des milliers de femmes divorcées l’ont fait au cours de cette période de trois ans.

[189] À la lumière des éléments de preuve présentés, il est pratiquement impossible de savoir combien de femmes divorcées ou d’hommes divorcés ont été touchés, s’il en est, par les dispositions contestées.

[190] Pour ces motifs, je suis disposé à conclure que ce facteur ne permet pas de conclure à une forme de discrimination.

iv) La loi ou le programme ont-ils un objet ou un effet d’amélioration pour des groupes désavantagés?

[191] L’avocat de l’appelant, M. Stevenson, a avancé que les dispositions contestées et le RPC comportent un objet d’amélioration intrinsèque. M. Calderhead a soutenu que ce facteur contextuel est neutre ou inapplicable en l’espèce, puisque le système n’était pas conçu pour améliorer la condition de tout autre groupe désavantagé.

[192] Il ne fait aucun doute que les dispositions sur le PGNAP ont eu un effet d’amélioration pour les femmes : D.R. c. Canada (procureur général), précité, en leur permettant de participer en parts égales à l’accumulation des crédits de pension du RPC au cours du mariage.

[193] M. Stevenson a soutenu que les dispositions contestées ne sont qu’un élément parmi tant d’autres dans la « forêt » des dispositions et des objectifs du RPC qui se chevauchent, qui sont tous régis par des critères et des règles d’admissibilité complexes : voir l’arrêt D.R., précité, au paragraphe 174.

[194] Je partage l’opinion de M. Calderhead, présentée dans ses observations orales, selon laquelle il faut, pour déterminer si la loi a une fonction d’amélioration, mettre l’accent sur les dispositions contestées elles-mêmes, bien qu’il faille le faire dans le contexte du régime de partage des crédits de pension dans son ensemble.

[195] J’éprouve quelques difficultés à accepter le fait que le délai de prescription à lui seul ait un effet d’amélioration sur les femmes divorcées sauf, peut-être, celui d’avoir rendu l’initiative de partage des crédits plus viable pour le gouvernement qui l’a introduite et qui avait exprimé des préoccupations concernant les difficultés administratives qui pourraient survenir en l’absence d’un délai de prescription.

[196] J’accepte l’observation de M. Stevenson selon laquelle le fait que des modifications aient été apportées en 1986 au régime de partage des crédits ne signifie pas que le régime initial était un échec. En fait, le régime initial de partage des crédits visait à améliorer l’inégalité subie par les femmes divorcées qui avaient travaillé à la maison pendant une partie ou la totalité de leur mariage. Il faut considérer les modifications de 1986 comme une tentative de rendre le régime plus efficace dans son ensemble. Ce point de vue correspond aux principes énoncés dans l’arrêt Kapp, précité, et dans l’arrêt Ferrel et al., précité, qui soutiennent qu’il faut accorder une certaine latitude aux gouvernements pour créer de nouveaux programmes et les réviser pour les rendre plus efficaces, sans que la révision ne soit nécessairement considérée comme une admission que le programme initial était un échec ou violait l’article 15 de la Charte.

[197] Je suis d’avis que ce facteur ne revêt pas la même importance que dans l’arrêt Kapp, par exemple. Dans l’ensemble, je suis disposé à considérer ce facteur comme étant relativement neutre, mais il ne permet certainement pas de conclure à une forme de discrimination.

v) Nature du droit touché

[198] Récemment, la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Runchey c. Canada (Procureur général)Note de bas de page 29, a eu à se pencher sur une allégation selon laquelle l’interaction de la clause d’exclusion pour élever des enfants et les dispositions sur le PGNAP du RPC traitait les hommes différemment des femmes et créait à l’égard des hommes une discrimination contraire à l’article 15 de la Charte.L’une des considérations contextuelles avancées par la Cour concernait la nature et la portée du droit touché par la loi contestée. Aux paragraphes 145 et 146, la Cour déclare ce qui suit :

[145]  En l’espèce, l’intérêt des hommes touchés est purement économique, c’est-à-dire l’importance de la prestation qu’ils reçoivent après le partage des crédits.

[146]  Cela met en évidence la nature de la distinction en l’espèce, qui est une conséquence naturelle d’un régime visant l’instauration d’un remplacement partiel du revenu, soit un supplément économique, assorti de règles très compliquées quant à l’admissibilité et aux conditions, et non un jugement sur la valeur des hommes et leur appartenance à la société canadienne.

[199] Il existe une distinction entre ce type de droit économique et celui qui est décrit dans l’arrêt M. c. H., invoqué par M. Calderhead. Cet arrêt conclut que la capacité de satisfaire à des besoins financiers après la rupture d’une relation caractérisée par l’intimité et la dépendance financière est un droit fondamental. Il porte sur le fait que la législation n’accorde pas aux couples homosexuels le droit de demander du soutien, à l’instar des couples hétérosexuels non mariés. La loi passait complètement sous silence les couples de même sexe, et la Cour a statué que cette situation laissait entendre que les personnes formant des unions avec une personne du même sexe sont moins dignes de reconnaissance et de protection. J’estime que le type de droit financier en l’espèce ressemble bien davantage à celui de l’arrêt Runchey qu’à celui de l’affaire M. c. H. Par conséquent, je conclus que ce facteur, comme dans l’arrêt Runchey, ne permet pas de conclure à une forme de discrimination.

Conclusion

[200] Compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, pour les motifs indiqués à la première étape de l’analyse, j’estime que je ne suis pas convaincu que les dispositions contestées créent une distinction fondée sur le sexe ou l’état matrimonial.

[201] J’estime également, pour les motifs indiqués à la deuxième étape, dont certains se chevauchent et recoupent les motifs de la première étape, qu’après examen des facteurs contextuels, toute distinction éventuelle créée par les dispositions contestées ne serait pas discriminatoire.

[202] À la lumière de ces constatations, je conclus que le paragraphe 55(1) du Régime de pensions du Canada ne viole pas l’article 15 de la Charte et que, par conséquent, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse au titre de l’article 1 de la Charte.

Jugement

[203] Tel qu’il est indiqué au paragraphe 1 ci-dessus, l’appel est accueilli, et la contestation du paragraphe 55(1) du Régime de pensions du Canada au titre du paragraphe 15(1) de la Charte par l’intimée est rejetée.

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