Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Décision

[1] Le Tribunal conclut que l’appelante n’a été, à aucun moment, incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de Supplément de revenu garanti (SRG). Sa demande a été présentée en février 2011 et ne peut pas être réputée avoir été présentée à une date antérieure. Elle reçoit le montant maximal de rétroactivité pour le paiement du SRG autorisé par la loi.

Introduction

[2] L’appelante est née le 28 mai 1919. Elle a eu 65 ans le 28 mai 1984.

[3] L’appelante touchait une pension au titre de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (la Loi). Elle a fait une demande de SRG en février 2011. L’intimé a accueilli la demande, et le versement du SRG a pris effet en mars 2010. L’appelante a demandé un réexamen de la date à laquelle le versement du SRG a pris effet, et la décision initiale a été maintenue. Elle a interjeté appel devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR).

[4] L’article 257 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité économique de 2012 prévoit que tout appel déposé auprès du BCTR avant le 1er avril 2013 qui n’a pas été instruit par ce dernier est réputé avoir été interjeté à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] Le présent appel a été instruit selon le mode d’une audience par comparution en personne pour les raisons énoncées dans l’avis d’audience daté du 23 juillet 2014. L’audience a été ajournée à deux reprises à la demande de l’intimé.

[6] Cet appel a été instruit en même temps qu’un appel déposé par la succession de P. H. concernant sa demande de SRG. L’appelante et P. H. étaient mariés. Elle est l’exécutrice testamentaire de sa succession. Les décisions portées en appel sont identiques. La plupart des éléments de preuve sur lesquels se sont fondées les parties aux deux appels figurent à l’identique dans les deux dossiers d’appel. Le témoignage fourni à l’audience a été accepté en tant qu’élément de preuve pour les deux appels.

[7] B. H. est la fille de l’appelante et de P. H. Elle est la représentante autorisée de l’appelante et de la succession dans leurs appels respectifs. Son mari, C. J., est un représentant autorisé de la succession dans cette instance. Ils ont assisté à l’audience à titre de représentants et de témoins. A. H. a 95 ans et a une santé précaire; elle n’a pas assisté à l’audience.

[8] Afin d’éviter toute confusion, le Tribunal fera référence à C. J. et aux membres de la famille H. en les désignant par leurs prénoms.

Droit applicable

[9] Un SRG est payable à un bénéficiaire de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) qui réside au Canada et qui remplit les conditions requises en raison de son revenu. Selon le paragraphe 11(2) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, le SRG n’est payable que si une demande a été présentée et approuvée.

[10] Le paragraphe 11(7) de la Loi prévoit qu’il n’est versé aucun SRG pour tout mois antérieur de plus de onze mois à celui où la demande a été reçue ou a réputé avoir été présentée.

[11] Les paragraphes 28.1(1) et 28.1(3) de la Loi sont ainsi libellés :

  1. (1) Dans le cas où il est convaincu, sur preuve présentée par une personne ou quiconque de sa part, qu’à la date à laquelle une demande de prestation a été faite, la personne n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestation, le ministre peut réputer la demande faite au cours du mois précédant le premier mois au cours duquel le versement de la prestation en question aurait pu commencer ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité de la personne a commencé.
  2. (3) Pour l’application des paragraphes (1) et (2), une période d’incapacité est continue, sous réserve des règlements.

Question en litige

[12] Pour que le versement du SRG à l’appelante commence avant mars 2010, le Tribunal doit déterminer qu’elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestation avant la date à laquelle celle‑ci a été faite.

Preuve

[13] B. H. a déclaré qu’elle est la fille aînée de P. H. et d’A. H.. Ses parents ont quitté les Pays‑Bas pour immigrer au Canada en 1950 avec leurs trois enfants, qui étaient alors tous âgés de moins de trois ans. Ils avaient peu d’argent et parlaient à peine l’anglais. P. H. souffrait d’une perte auditive graduelle causée par un tissu cicatriciel qui s’était formé à la suite de nombreuses infections d’oreille qu’il avait contractées durant son enfance. La famille a passé son premier hiver à travailler dans une ferme au Nouveau‑Brunswick, puis elle s’est rendue à Vancouver en train.

[14] En 1953, P. H. et A. H. ont acheté des terres à l’extérieur de Vancouver et se sont lancés dans la culture en serre. Ils ont eu trois autres enfants. B. H. a déclaré que ses parents travaillaient dur pendant de longues heures dans un milieu plutôt isolé. Ils avaient peu de temps pour socialiser et aucune famille élargie. Leur capacité de socialiser était également restreinte en raison de la timidité d’A. H. et de la perte auditive continue de P. H., laquelle a progressé jusqu’à ce que celui‑ci devienne complètement sourd, soit durant sa soixantaine. P. H. et A. H. ont finalement acquis une certaine maîtrise de l’anglais et ont notamment appris à lire et à écrire en anglais. Cependant, outre les membres de leur famille, ils ne se sont jamais fait d’amis.

[15] Les déclarations de revenus de P. H. et d’A. H. étaient préparées par un comptable agréé, et ce, même pendant les nombreuses années où leur revenu ne consistait que de leurs pensions de la sécurité de la vieillesse, de la pension du Régime de pensions du Canada (RPC) de P. H. et d’un faible montant de revenu d’intérêt. Même si A. H. travaillait dans l’entreprise de culture en serre aux côtés de P. H., c’est lui qui déclarait tous les revenus; ainsi, elle ne versait pas de cotisations au RPC, ni n’était admissible à une pension de retraite du RPC. Il semble que le comptable n’a pas informé P. H. et A. H. qu’ils pouvaient être admissibles au SRG. Vers 2010, ils ont commencé à faire affaire avec H&R Block pour leurs impôts, mais H&R Block ne les a pas non plus informés de leur admissibilité au SRG.

[16] B. H. a déclaré que ses parents étaient des gens très discrets, et qu’elle et ses frères et sœurs n’avaient pas été tenus au courant des affaires personnelles ou financières leurs parents. Sa mère se chargeait de réunir les renseignements relatifs à sa déclaration de revenus et à celle de P. H., et B. H. la conduisait chez le comptable, mais elle ne pouvait pas la suivre à l’intérieur. C. J. avait proposé à A. H. plusieurs fois de remplir les déclarations de revenus à sa place, mais elle avait refusé.

[17] B. H. a déclaré qu’elle a cessé de travailler en 1998 et qu’elle a pris une retraite anticipée en 2000 pour des raisons médicales. Elle pouvait ainsi passer plus de temps avec ses parents, et elle a commencé à leur rendre visite au moins plusieurs fois par semaine. Elle a remarqué que sa mère avait besoin d’aide et de soutien pour s’occuper de son père qui, à ce moment, avait développé un comportement étrange et des problèmes de mémoire et de cognition.

[18] B. H. a déclaré qu’elle conduisait toujours ses parents chez leur médecin, le Dr Metzak. A. H. accompagnait P. H. à ses rendez‑vous, mais B. H. n’était habituellement pas invitée à entrer dans la pièce. Elle a ajouté qu’à un moment donné, elle s’était rendu compte que sa mère ne retenait pas toute l’information qui lui était donnée. Par la suite, elle a commencé à appeler le Dr Metzak pour s’assurer que sa mère avait tout bien compris. Avec le recul, elle réalise que sa mère avait beaucoup de difficulté à prendre soin de son père et qu’elle tentait de cacher ses problèmes et ceux de son père.

[19] Le 10 juin 2006, P. H. a signé une procuration générale autorisant A. H., B. H. et son fils W. H. [traduction] « à faire en mon nom toute ce que je peux faire légalement par l’entremise d’un mandataire » et mentionnant que ce pouvoir [traduction] « peut être exercé en mon nom durant toute période de déficience mentale ».

[20] B. H. a déclaré qu’en juin 2006, son père se trouvait à l’hôpital où il se remettait d’une opération qu’il avait subie à la suite d’un hématome sous‑dural. Il était alors âgé de 92 ans. Un travailleur social de l’hôpital craignait qu’aucune instruction n’ait été donnée pour régler les questions entourant l’enterrement et d’autres points. Il a insisté pour qu’A. H. soit désignée mandataire de P. H. Mme A. H. y était réticente, mais le travailleur social a continué de soulever la question et l’a finalement convaincue. B. H. a appelé une amie de la famille qui était notaire publique pour lui demander de venir à l’hôpital avec le document exigé. La notaire a déclaré que toutes les personnes concernées savaient que P. H. n’avait pas la capacité mentale nécessaire pour signer une procuration valide, mais qu’elle estimait que c’était raisonnable qu’il la signe, puisqu’on savait que personne ne s’en servirait pour profiter de lui. On a conseillé à B. H. de présenter la situation à son père de la façon suivante : [traduction] « Cette dame veut que tu signes ce document afin que maman et moi puissions nous occuper de tes affaires. » Elle le lui a dit en hollandais. P. H. a répondu [traduction] « d’accord » et a signé le document.

[21] B. H. a déclaré qu’elle croyait que les soins requis par P. H. étaient devenus trop exigeants pour A. H. et qu’elle a [traduction] « commencé à lâcher prise ». Durant l’été de 2009, A. H. a inscrit P. H. sur la liste d’attente d’un foyer de soins. Le jour de son anniversaire, en mai 2010, P. H. a été conduit à l’hôpital parce qu’il réagissait mal à son médicament. De là, il a été admis, en juillet 2010, dans un foyer de soins où il est resté jusqu’à son décès, en mars 2014.

[22] B. H. a déclaré que, vers 2007, sa mère a commencé à cacher ou à perdre des factures et des relevés, et que les comptes n’étaient plus payés à temps. Elle ne sait pas si A. H. lui cachait la vérité ou si elle oubliait simplement à quel endroit elle rangeait les documents. B. H. a pris des arrangements pour que les factures de services publics soient payées automatiquement. A. H. possède une carte de crédit, mais B. H. et ses frères et sœurs se chargent de faire les achats pour elle. Les chèques de pension de ses parents étaient déposés directement dans leur compte de banque.

[23] B. H. a indiqué qu’elle estimait que son père aurait dû être admis dans un foyer de soins bien avant qu’il ne le soit, mais qu’elle avait pris des arrangements pour sa mère puisse s’acquitter de toutes ses tâches à la maison grâce à l’aide fréquente de ses enfants et des services de soins à domicile. Elle pense également que sa mère devrait être dans un établissement de soins, mais celle‑ci continue de vivre dans sa propre maison.

[24] B. H. a déclaré que ses parents ne s’impliquaient pas dans la collectivité en raison de leur isolement, des problèmes linguistiques qu’ils éprouvaient et de la perte de l’audition et de la vision de P. H., et qu’ils n’auraient pas pu apprendre par l’intermédiaire d’amis, de groupes communautaires, d’avis publics ou de brochures qu’ils avaient droit au SRG.

[25] B. H. a déclaré que ses parents avaient présenté une demande de SRG en février 2011 après qu’elle eut trouvé une lettre de l’Agence du revenu du Canada contenant de l’information à ce sujet. Sa mère avait ouvert la lettre, mais B. H. pense qu’elle n’en a pas saisi la teneur. B. H. a rempli les formulaires de demande au nom de ses parents.

Observations

[26] L’appelante a fait valoir que sa demande de SRG a été retardée en raison de son incapacité. Elle a indiqué que son isolement social et son manque d’exposition aux médias, ainsi que son incapacité de comprendre l’information contenue dans des brochures pouvant lui avoir été envoyées par la poste, signifiaient qu’elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de SRG jusqu’en février 2011, où une demande a réellement été présentée. Elle a par la suite affirmé qu’elle faisait affaire avec un comptable pour ses impôts et qu’elle n’avait jamais été informée du fait qu’elle pouvait être admissible au SRG.

[27] L’intimé soutient que la Loi prévoit que le versement est rétroactif jusqu’à un maximum de onze mois précédant le mois au cours duquel la demande d’un pensionné a été reçue, qu’il incombe à l’appelant de présenter la demande de SRG et qu’une allocation peut être versée pour tout mois précédant cette période seulement s’il y a incapacité.

[28] L’intimé n’a présenté aucune observation sur la question de l’incapacité.

Analyse

[29] Le SRG de l’appelante a pris effet en mars 2010, soit la rétroactivité maximale prévue par la loi. Le versement du SRG avant mars 2010 n’est possible que si l’appelante est réputée avoir présenté une demande à une date antérieure. Pour que cela soit possible, le Tribunal doit conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle celle‑ci a été faite et que sa période d’incapacité était continue.

[30] Le critère à appliquer pour déterminer si une personne peut invoquer l’incapacité, en vertu de l’article 28.1 de la Loi, est le même que celui appliqué selon une disposition identique du Régime de pensions du Canada (Procureur général du Canada c. Poon,2009 CF 654).

[31] La capacité de former l’intention de faire une demande de prestations n’est pas de nature différente de la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent au demandeur de prestations. Le fait que celui‑ci n’ait pas l’idée d’exercer une faculté donnée en raison de sa vision du monde ne dénote pas chez lui une absence de capacité (Sedrak c. Ministre du Développement social,2008 CAF 86).

[32] Les activités menées par l’appelante durant la période d’incapacité alléguée permettent de déterminer si elle avait la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations. L’examen exige uniquement de prendre en compte la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande, et non la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations d’invalidité : (Canada (Procureur général) c. Kirkland,2008 CAF 144; Canada (Procureur général) c. Danielson,2008 CAF 144).

[33] Rien n’indique que l’appelante souffrait de démence ou de toute autre infirmité mentale autre que des oublis possibles, ce qui en soi n’est pas suffisant pour appuyer une conclusion selon laquelle elle avait une capacité insuffisante telle qu’elle est définie dans la Loi. Ce n’est pas non plus le cas pour le fait qu’elle était socialement isolée, qu’elle ne connaissait peut-être pas les questions financières et que l’anglais n’était pas sa langue maternelle. Elle avait clairement la capacité de gérer les affaires familiales pour elle et son mari, même après la détérioration de la santé mentale de ce dernier. Elle a été nommée à titre de l’une de ses mandataires en 2006. Indépendamment de la légalité douteuse de ce document, il s’agit d’une preuve démontrant que les signataires du document ne s’inquiétaient pas de ses capacités mentales à l’époque. À 95 ans, elle continue de vivre seule chez elle, comme elle le fait depuis que son mari est entré dans un foyer de soins, en 2010.

[34] Le fait de ne pas savoir qu’elle était admissible à des prestations ne signifie pas la même chose que la capacité insuffisante de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. Sans doute, les comptables professionnels sur lesquels comptait l’appelante se devaient de l’informer au sujet du SRG, mais cette obligation ne s’étend pas à l’intimé. Le défendeur n’a aucune obligation légale d’informer les prestataires potentiels au sujet du SRG (Le Corre c. Canada (Procureur général), 2004 CF 155).

[35] Malgré la sympathie que le Tribunal éprouve à l’endroit de l’appelante, la loi est claire : le SRG n’est pas payable tant qu’une demande n’a pas été présentée par une personne ou au nom de celle-ci. La Loi établit une limite claire concernant le montant de la rétroactivité pouvant être versé une fois qu’une demande est présentée.

Conclusion

[36] Puisqu’aucune preuve d’incapacité n’appuie une date de demande réputée antérieure, l’appel est rejeté.

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