Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Introduction

[1] Le demandeur souhaite obtenir la permission d’interjeter appel de la décision rendue par la division générale le 6 juillet 2015. La division générale a tenu une audience en personne à Hamilton, en Ontario, le 3 juillet 2015 et a déterminé que le demandeur et la partie mise en cause ont été conjoints de fait de 1983 à 2006 et que la période allouée pour le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension serait établie de janvier 1983 à décembre 2005. La représentante du demandeur, une technicienne juridique et agente du tribunal, a déposé une demande de permission d’en appeler le 2 octobre 2015. Elle a invoqué un certain nombre de motifs. Pour que j’accueille la demande, je dois être convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.

Question en litige

[2] L’appel a-t-il une chance raisonnable de succès?

Observations

[3] La représentante soutient que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  1. (a) Elle a mal apprécié la preuve liée à la nature de la relation entre le demandeur et la partie mise en cause pour la période commençant après 1990;
  2. (b) Elle a considéré à tort que [traduction] « toutes les communications et les liens continus avec les enfants biologiques de l’appelant et de la partie mise en cause correspondaient à une "cohabitation" aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu et, ainsi, appliqué le Régime de pensions du Canada en ce qui a trait au partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension (PGNAP) du demandeur »;

[4] La représentante a déposé d’autres documents qui constituent, selon elle, une preuve concluante selon laquelle après 1990, le demandeur vivait en union de fait avec une personne autre que la partie mise en cause.

[5] La représentante a également soulevé des objections se rapportant à la preuve.

[6] Le Tribunal de la sécurité sociale a fourni une copie de la demande de permission d’en appeler devant la division d’appel à la partie mise en cause et à l’intimé, mais ces derniers n’ont pas déposé d’observations écrites.

Analyse

[7] Pour que la permission d’en appeler soit accordée, il faut qu’un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel soit présenté : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] A.C.F. no 1252 (CF). La Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si une cause est défendable en droit revient à se demander si le défendeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63.

[8] Selon le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la Loi), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[9] Pour que la permission soit accordée, le demandeur doit me convaincre que les moyens d’appel correspondent à l’un des moyens précités et que l’appel a une chance raisonnable de succès.

a. Interprétation erronée de la preuve

[10] La représentante fait valoir que la division générale a mal apprécié la preuve. Elle n’a pas précisé exactement quels éléments de preuve la division générale aurait mal appréciés, mais a présenté un certain nombre d’observations quant aux faits et des arguments juridiques concernant la relation entre le demandeur et la partie mise en cause. La représentante a aussi expliqué certaines conclusions de fait tirées par la division générale. Par exemple, la division générale a conclu que le demandeur appuyait financièrement la partie mise en cause en contribuant à ses études et à sa pratique dentaire; la représentante explique que le demandeur aidait la partie mise en cause pour qu’elle puisse devenir autonome si elle souhaitait rester au Canada ou pour qu’elle puisse rester peu importe la durée, puisque cela bénéficierait globalement à leurs enfants.

[11] La représentante suggère que la division générale a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que lorsque le demandeur et la partie mise en cause restaient au domicile de l’autre, c’était seulement pour économiser puisqu’ils se rendaient visite de l’étranger. La représentante fait valoir qu’[traduction] « à aucun moment le fait de rester avec la partie mise en cause n’était un essai pour raviver ou conserver une relation conjugale de quelque nature que ce soit ».

[12] La représentante fait également valoir que la division générale a commis une erreur en n’accordant pas de poids aux documents fiscaux déposés par la partie mise en cause dans un pays étranger, qui indiquent qu’elle est divorcée depuis 1990, et en estimant plutôt que la partie mise en cause et le demandeur ont été en union de fait jusqu’en 2006.

[13] Si une partie allègue que la division générale a mal interprété la preuve, c.-à-d. qu’elle a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, cette partie doit cibler les conclusions de fait précises soi-disant erronées et déterminer quelle était la preuve particulière (et où elle se trouve dans le dossier d’audience). En l’espèce, la division générale a fait allusion au fait qu’il y avait près de 500 pages d’éléments de preuve documentaire supplémentaires, notamment des lettres provenant des parties et de la documentation officielle de diverses sources. Il y avait également des affidavits des deux parties, qui avaient été préparés pour des instances familiales distinctes.

[14] La division générale a précisé qu’elle avait évalué un bon nombre d’éléments de preuve contradictoires et a rendu sa décision finale en fonction des éléments de preuve qu’elle privilégiait. Comme la représentante fait valoir que l’appel est fondé, puis qu’elle dresse la liste des éléments de preuve à l’appui, cela n’équivaut pas à suggérer que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée. Cette preuve a été présentée à la division générale et celle‑ci semble l’avoir prise en compte. Les observations de la représentante reviennent essentiellement à demander que la division d’appel réexamine la preuve et la réévalue afin de tirer une conclusion qui pourrait être différente de celle de la division générale. Cela va au-delà de la portée de la Loi; le paragraphe 58(1) de la Loi établit des moyens d’appel très restreints pouvant être pris en compte et il ne prévoit pas de réévaluation de la preuve.

[15] La représentante fait valoir qu’il y a une explication valide pour laquelle le demandeur a soutenu financièrement la partie mise en cause après 1990 et justifiant pourquoi ils restaient au domicile de l’autre lorsqu’ils visitaient leurs enfants. Le demandeur avait eu la possibilité de donner ces explications lors de l’audience devant la division générale; ainsi, il a expliqué en partie qu’il avait fourni une aide financière à la partie mise en cause puisqu’il voulait qu’elle [traduction] « soit plus solide » (paragraphe 15). Même si ces explications n’avaient pas été données au moment de l’audience devant la division générale, cela aurait été le moment approprié pour le faire, plutôt que dans le cadre d’un appel ou d’une demande de permission. Si je prenais en compte les explications maintenant, cela signifierait que je réévalue la preuve.

[16] La représentante suggère que les documents de l’impôt sur le revenu remplis par la partie mise en cause dans un pays étranger, qui indiquent qu’elle était divorcée du demandeur, peuvent être considérés comme étant une preuve concluante que les parties n’étaient plus en union de fait. La division générale était au courant que la partie mise en cause avait, en fait, reconnu qu’elle et le demandeur avaient divorcé en 1983, mais selon la preuve dont elle était saisie, elle a déterminé que ce fait à lui seul n’était pas une preuve concluante pour établir que le demandeur et la partie mise en cause ont vécu séparément par la suite. En effet, même le demandeur semble tacitement reconnaître que la date du divorce à elle seule n’est pas une preuve concluante que les parties vivaient séparément puisqu’il maintient que la partie mise en cause et lui-même s’étaient finalement séparés en 1990, ce qui est bien des années après leur divorce.

[17] Je ne suis pas convaincue qu’un appel fondé sur ce moyen a une chance raisonnable de succès.

b. « Nouveaux documents »

[18] La représentante fait savoir que le demandeur a maintenant retrouvé tous ses relevés d’impôt et de pension, et d’autres documents dans son dossier de l’université, qui montrent que depuis 1995 au moins, il a nommé une autre femme comme étant sa bénéficiaire et épouse. La représentante a déposé des copies manuscrites des déclarations de revenus et de prestations TI de 1995, de 1999 et de 2000 ainsi qu’une liste des congés de recherche et de maladie pris par le demandeur de 1986 à 2006, au moment où il était professeur à l’université. La représentante fait remarquer que d’autres documents seront déposés à une date ultérieure.

[19] La représentante fait valoir qu’en plus de prendre en compte ces [traduction] « nouveaux documents », la division d’appel devrait aussi réexaminer des documents qui avaient déjà été déposés devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[20] Bien que ces « nouveaux documents » visent clairement à appuyer l’allégation du demandeur selon laquelle il n’était plus en union de fait avec la partie mise en cause après 1990, les documents devraient au moins se rapporter aux moyens d’appel énumérés au paragraphe 58(1) de la Loi aux fins d’une demande de permission d’en appeler et de l’appel. La représentante n’a pas indiqué comment les dossiers et faits supplémentaires proposés pourraient correspondre ou être liés à l’un des moyens d’appel énumérés. Si elle demande que nous examinions ces nouveaux documents, que nous appréciions de nouveau la preuve et que nous réévaluions la demande en faveur du demandeur, je suis dans l’impossibilité de le faire à ce stade, étant donné les moyens d’appel restreints figurant au paragraphe 58(1) de la Loi. Ni la demande de permission d’en appeler, ni l’appel ne fournissent une occasion de réévaluer ou de réentendre la demande pour déterminer à quel moment le demandeur et la partie mise en cause peuvent avoir cessé de vivre en union de fait.

[21] Si la représentante a présenté les dossiers ou faits supplémentaires ou propose de le faire en vue de faire annuler ou modifier la décision de la division générale, le demandeur doit maintenant se conformer aux exigences énoncées aux articles 45 et 46 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale et doit aussi présenter une demande d’annulation ou de modification auprès de la division ayant rendu la décision qui, en l’espèce, est la division générale. L’article 66 de la Loi prévoit des échéances et des exigences strictes en vue de faire annuler ou modifier une décision. Le paragraphe 66(2) de la Loi exige que la demande d’annulation ou de modification soit présentée au plus tard un an après la date où la partie reçoit communication de la décision tandis que l’alinéa 66(1)b) de la Loi exige que le demandeur démontre qu’il s’agit de faits nouveaux et essentiels qui, au moment de l’audience, ne pouvaient être connus malgré l’exercice d’une diligence raisonnable. En application du paragraphe 66(4) de la Loi, la division d’appel n’a pas compétence pour annuler ou modifier une décision en se fondant sur des faits nouveaux, car seule la division qui a rendu la décision est habilitée à le faire, ce qui, dans ce cas, est la division générale.

[22] Les « nouveaux documents » ne soulèvent aucun des moyens d’appel et ne sont liés à aucun d’eux, et je ne peux donc pas les prendre en compte aux fins d’une demande de permission d’en appeler. Je ne suis pas convaincue qu’un appel fondé sur ce moyen d’appel a une chance raisonnable de succès.

c. Admissibilité des documents devant la division générale

[23] Finalement, la représentante fait valoir que la division générale a commis une erreur en admettant les documents de la partie mise en cause et en leur accordant du poids, alors que (1) la partie mise en cause n’était pas présente à l’audience, et n’était pas présente ni disponible autrement pour un contre-interrogatoire relativement à toute déclaration qu’elle avait formulée dans ses documents, et (2) les documents présentés par la partie mise en cause ne représentaient pas la « meilleure preuve » offerte puisque c’était simplement des copies, pas des documents originaux.

[24] Il semble que la représentante n’a soulevé aucune de ces objections avant ou pendant l’audience devant la division générale. Dans la décision R. v. Daigle, 1994 CanLII 214 (B.C.C.A.), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique s’est fondée sur la décision R. v. Kutynec, (1992), 70 C.C.C (3d) 289 (Ont. C.A.) afin de déterminer qu’un appelant ne devrait pas être autorisé à soulever une objection concernant la recevabilité d’une preuve pour la première fois en appel. Dans la décision R. v. Kutynec, le juge Finlayson a affirmé ce qui suit :

[Traduction]
Avant la proclamation de la Charte, personne ne connaissant les règles de contrôle du déroulement des procès criminels n’aurait suggéré qu’une objection à la recevabilité de la preuve présentée par la Couronne puisse être régulièrement soulevée après la clôture de la preuve par la Couronne. Cela va de soi que les objections à la recevabilité de la preuve doivent être soulevées avant ou pendant la présentation de la preuve. (C’est moi qui souligne.)

[25] La division générale n’est pas liée par les règles de preuve strictes ni officielles. L’alinéa 3(1)a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale exige que le Tribunal veille à ce que l’instance se déroule de la manière la plus informelle et la plus expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent. Il est bien établi également que les règles concernant la recevabilité de la preuve dans le cadre des tribunaux administratifs sont nécessairement souples et propres à chaque cas. Par conséquent, il aurait été tout à fait du ressort de la division générale d’admettre en preuve les documents de la partie mise en cause.

[26] Quoiqu’il en soit, je souligne également que la division générale connaissait les difficultés et les lacunes de certains dossiers, y compris ceux produits par le demandeur, et qu’elle cherchait nécessairement à accorder le poids approprié à ces dossiers. Elle a établi qu’[traduction] « en raison des écarts notés dans les observations écrites et les plaidoiries, elle s’en remettrait beaucoup aux documents officiels ».

[27] Je ne suis pas convaincue qu’un appel fondé sur ce moyen a une chance raisonnable de succès.

Appel

[28] La demande de permission d’en appeler est rejetée.

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