Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Motifs et décision

Comparutions

S. B. : Appelant

Bavand Zanjani : Représentant de l’appelant

K. A. : Personne mise en cause

Farzan Sojoodi : Interprète (persan)

Introduction

[1] L’appelant a demandé et reçu un Supplément de revenu garanti (SRG) en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV)à compter de septembre 2001. Le montant du SRG a été établi en fonction de son statut de pensionné marié.

[2] En novembre 2011, l’appelant a présenté une demande pour être considéré comme une personne célibataire aux fins du SRG. L’intimé a rejeté cette demande initialement et après révision. L’appelant a porté la décision découlant de la révision en appel devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (BCTR), et cet appel a été transféré au Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal) en avril 2013.

[3] L’appel a été instruit en personne pour les motifs suivants :

  1. ce mode d’audience permet d’accommoder les parties ou participants;
  2. ce mode d’audience est le plus approprié pour traiter les incohérences que renferme la preuve;
  3. ce mode d’audience respecte les exigences du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, à savoir qu’il doit procéder de façon la plus informelle et expéditive que le permettent les circonstances, l’équité et la justice naturelle.

Droit applicable

[4] Conformément à l’article 257 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable de 2012, les appels déposés devant le BCTR avant le 1er avril 2013 et qui n’ont pas été instruits par le BCTR sont considérés comme ayant été déposés auprès de la division générale du Tribunal.

[5] Le SRG est payable aux bénéficiaires d’une pension de la Sécurité de la vieillesse qui résident au Canada selon leur revenu et leur état civil. Le revenu de l’époux est pris en considération pour déterminer le seuil financier aux fins d’admissibilité, et une personne célibataire reçoit généralement un SRG légèrement supérieur à celui d’une personne mariée. Par conséquent, il est souvent avantageux pour une personne d’être considérée comme étant célibataire aux fins du SRG.

[6] Le paragraphe 15(4.1) de la Loi sur la SV prévoit ce qui suit :

Lorsqu’une demande de supplément est faite pour une période de paiement qui commence après juin 1999, le ministre, s’il est convaincu que le demandeur est séparé de son époux depuis au moins trois mois — exclusion faite de celui où s’est produite la séparation — , doit ordonner que la demande soit étudiée comme si le demandeur avait cessé d’avoir un époux à la fin de cette période de trois mois.

[7] Le paragraphe 15(9) de la Loi sur la SV prévoit que les demandeurs de SRG sont tenus d’informer le ministre sans délai s’ils se séparent d’un époux ou d’un conjoint de fait.

Question en litige

[8] Le Tribunal doit déterminer si l’appelant est séparé de la personne mise en cause depuis une période continue d’au moins trois mois conformément à la législation.

Preuve

[9] L’appelant est né en Iran en 1933; la personne mise en cause est également née dans ce pays en 1945. Ils se sont mariés en Iran le 9 juillet 1980. L’appelant a déclaré avoir immigré au Canada depuis l’Allemagne en 1991, et il a parrainé la personne mise en cause en 1993 afin que celle-ci émigre au pays à titre d’épouse. Les enfants du premier mariage de l’appelant habitent en Ontario, tout comme l’enfant adopté par l’appelant et la personne mise en cause.

[10] L’appelant a déclaré que, après le déménagement au Canada, la personne mise en cause et lui ont habité ensemble sur la rue X, à Vancouver. Vers l’année 2000, ils ont déménagé à X Vancouver où ils ont continué de vivre ensemble dans un certain nombre d’appartements différents de manière successive.

[11] L’appelant a déclaré que la personne mise en cause et lui ont cessé d’avoir des relations sexuelles vers 2002. La personne mise en cause a commencé à dormir dans le salon, et l’appelant dormait dans la chambre à coucher. Leur mariage s’est détérioré au fil des années, à un point tel que, en janvier 2010, il était dans un état où ils auraient obtenu le divorce. L’appelant a déclaré que la personne mise en cause et lui ont discuté de leurs différences et qu’ils ont décidé de continuer d’habiter ensemble à titre de colocataires pour des raisons financières et culturelles.

[12] L’appelant a déclaré que la personne mise en cause et lui ont toujours eu des comptes bancaires distincts, même lorsqu’ils vivaient en Iran. Ils ont un compte conjoint, mais ils ne l’utilisent pas. Dans le cadre de leur nouvelle entente en 2010, ils ont commencé à diviser de manière égale le coût de l’épicerie, du loyer, des services et des autres coûts relatifs au ménage. À la fin de chaque mois, ils font concorder les comptes. Ils ne conservent pas les reçus étant donné qu’ils se font confiance. L’appelant a déclaré que la personne mise en cause achète habituellement l’épicerie, mais qu’ils cuisinent leurs propres repas et qu’ils ne s’assoient pas ensemble pour manger. Il a déclaré qu’ils ne se sentent pas suffisamment proches pour partager les repas, car ils sont seulement des colocataires.

[13] L’appelant a présenté une demande de SRG le 8 juillet 2010 pour la période de versement de juillet 2010 à juin 2011. Le formulaire de demande comprenait plusieurs cases servant à inscrire l’état civil, y compris [traduction] « Marié » et [traduction] « Séparé ». L’appelant a coché la case [traduction] « Marié » et il a nommé la personne mise en cause à titre d’épouse. La demande a été approuvée, et l’appelant en a été informé le 18 août 2010. On pouvait lire ce qui suit dans la lettre de décision : [traduction] « Vous devez nous informer immédiatement si vous déménagez, si vous changez d’état civil ou si vous quittez le Canada. »

[14] Les 15 novembre 2011 et 20 janvier 2012, l’appelant a présenté des déclarations solennelles dans lesquelles il a déclaré s’être séparé de son épouse, la personne mise en cause, le 1er janvier 2010. L’appelant a déclaré qu’il n’a pas informé l’intimé du changement de son état civil avant novembre 2011 en raison d’un oubli de sa part.

[15] L’appelant a rempli un questionnaire en mai 2012 dans lequel il a fourni des renseignements concernant les conditions de logement qui étaient essentiellement les mêmes que ceux fournis dans le cadre de son témoignage à l’audience. Il a également déclaré que la personne mise en cause et lui s’aidaient sur le plan financier au besoin, qu’ils ont tous deux eu des chirurgies et qu’ils dépendent de leur soutien mutuel à titre d’amis dans ces situations. Il a déclaré qu’ils ont continué de vivre ensemble parce que, dans leur culture iranienne, les personnes n’obtiennent pas le divorce et parce qu’ils veulent garder leur honneur devant leurs enfants, leurs amis et leurs parents. Il a déclaré ce qui suit : [traduction] « Nous assurons une présence en tant que couple, mais, en réalité, nous vivons séparément. Nous n’avons pas la moindre relation matrimoniale. » À l’audience, l’appelant a déclaré que par [traduction] « relation matrimoniale », il voulait dire [traduction] « relation sexuelle ».

[16] L’appelant a déclaré que la personne mise en cause et lui n’ont pas fait part de leur situation à leurs enfants, à d’autres parents, à leurs voisins ou à la plupart de leurs amis. À l’exception d’un ou deux amis de l’appelant, la communauté et le monde en général ne savent pas que la personne mise en cause et l’appelant se sont séparés.

[17] L’appelant a déclaré que la personne mise en cause a subi une chirurgie au cerveau il y a plusieurs années et que la récupération a été longue. Elle avait besoin de soins constants à l’hôpital, elle continue d’être physiquement lente et elle demandera à l’appelant de l’aider à faire des tâches à l’occasion. L’appelant a subi une chirurgie la même année, et la personne mise en cause lui a également offert du soutien. Ils continuent de se soutenir en s’accompagnant l’un et l’autre aux rendez-vous médicaux. La personne mise en cause ne conduit pas, alors l’appelant la conduira à des endroits à l’occasion s’il a le temps. Elle prend généralement l’autobus. Ils ne partent pas en vacances seuls ou ensemble, sauf l’été dernier lorsque leur fils les a emmenés tous les deux à Niagara Falls pour un séjour d’une journée. S’il s’en souvient, l’appelant achètera des fleurs ou un cadeau d’anniversaire à la personne mise en cause. Cette année, il a suggéré d’aller souper pour célébrer l’anniversaire de la personne mise en cause, mais celle-ci a refusé.

[18] L’appelant a déclaré que sa sœur est nommée comme personne à contacter en cas d’urgence sur les formulaires médicaux qu’il a remplis, car elle était infirmière auparavant. Cela a toujours été le cas, sauf lorsqu’il a nommé ses enfants alors qu’il était en Ontario. Il n’a jamais nommé la personne mise en cause comme personne à contacter en cas d’urgence, et ce même avant 2010. Il ne possède ni testament ni police d’assurance-vie, et il n’a fait aucun préarrangement funéraire. Il ne participe à aucun office religieux.

[19] L’appelant a déclaré que leur entente relativement au fait de faire chambre à part et de diviser de manière égale les coûts liés au ménage persiste depuis janvier 2010, y compris après le déménagement de l’appelant et de la personne mise en cause à X, en Ontario, en février 2015 dans l’espoir de se rapprocher de leurs enfants. L’appelant a signé le bail d’un appartement d’une chambre à coucher où ils ont vécu tous les deux; la personne mise en cause dormait sur le divan, et l’appelant dormait dans la chambre à coucher.

[20] L’appelant a déclaré qu’il a trouvé que ses enfants avaient leur propre vie et qu’ils n’accordaient pas beaucoup d’attention à la personne mise en cause et à lui. Il a également trouvé que la température était trop froide et il a décidé de retourner en Colombie-Britannique après deux mois. Il a dit à la personne mise en cause qu’elle pouvait rester en Ontario si elle le souhaitait. Il s’est avéré que l’appelant a dû rester en Ontario parce que son état de santé s’est détérioré et qu’il devait recevoir des traitements de dialyse. La personne mise en cause est demeurée avec lui. Elle lui tenait compagnie et elle lui apportait des couvertures et de l’eau lorsqu’il était à ses rendez-vous. La personne mise en cause et l’appelant sont retournés à Vancouver à bord du même vol en septembre 2015 et ils ont déménagé dans un autre appartement dans leur ancien immeuble qu’ils continuent d’habiter.

[21] La personne mise en cause a également témoigné à l’audience. Elle a déclaré qu’elle a toujours utilisé son propre nom de famille et qu’elle considéré l’appelant comme son époux [traduction] « d’un point de vue public ». Elle ne se considère pas comme son épouse, mais elle ne veut pas être divorcée parce qu’elle ne veut pas vivre seule. La personne mise en cause a déclaré que l’appelant est une personnalité dans la communauté iranienne et que la nouvelle de leur séparation serait inacceptable dans cette communauté. Elle a déclaré qu’ils seraient méprisés et que leurs enfants ne seraient pas acceptés si leurs parents étaient divorcés. Elle a déclaré qu’elle a des amis proches qui ne sont pas au courant de leur entente.

[22] Le témoignage de la personne mise en cause relativement à sa relation avec l’appelant et leurs conditions de logement au fils des années a généralement confirmé le témoignage de l’appelant, sauf qu’elle a déclaré qu’elle fait la grande majorité des tâches ménagères et des repas et que l’appelant et elle s’assoient parfois ensemble pour manger.

Observations

[23] L’appelant a soutenu que, même si la personne mise en cause et lui vivent dans le même appartement, ils mènent des vies séparées et indépendantes et ils devraient être considérés comme des personnes s’étant séparées en janvier 2010. Il a soutenu que la personne mise en cause et lui vivent seulement ensemble en raison de fortes pressions culturelles et de facteurs financiers.

[24] L’intimé a soutenu que l’appelant n’est pas admissible à la pension d’invalidité parce que les faits n’établissent pas que la personne mise en cause et lui vivent séparément.

Analyse

[25] L’appelant a témoigné par l’intermédiaire d’un interprète persan. Il était inquiet que le fait d’avoir désigné la personne mise en cause comme étant son épouse dans son témoignage pourrait être utilisé à titre de preuve selon laquelle il ne considérait pas la personne mise en cause et lui comme étant séparés. L’interprète a expliqué qu’il était difficile d’utiliser un autre terme pour décrire la personne mise en cause. Le Tribunal a informé les parties que, dans ces circonstances, l’utilisation du mot [traduction] « épouse » par l’appelant ne serait pas considérée comme un aveu de sa part.

[26] Même si l’appelant n’a pas contesté ce point, le Tribunal a examiné si, dans les circonstances que l’appelant a décrites dans le cadre de son témoignage, la personne mise en cause continuait d’être considérée comme étant l’ [traduction] « épouse » de l’appelant. Ce mot n’est pas défini dans la législation, mais le sens commun est celui d’un partenaire avec qui une personne est légalement mariée. Cela est particulièrement dans la Loi sur la SV dans laquelle l’expression « conjoint de fait » est utilisée pour décrire d’autres relations. Dans l’arrêt Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Leavitt, 2005 CF 664, la Cour a déclaré que l’absence de la définition du mot « époux » dans la Loi sur la SV ne signifie pas que la signification courante du mot est élargie de manière à y inclure des liens émotifs ou d’autres mesures de la solidité de la relation.

[27] Le Tribunal estime que, étant donné que l’appelant et la personne mise en cause ont continué d’être légalement mariés, ceux-ci étaient des époux aux fins de la Loi sur la SV. Par conséquent, afin d’être considéré comme étant célibataire aux fins de la demande de SRG, l’appelant doit prouver selon la prépondérance des probabilités qu’il est séparé de la personne mise en cause pendant une période continue depuis au moins trois mois.

[28] L’alinéa 34(l) de la Loi sur la SV prévoit que le gouverneur en conseil peut adopter des règlements prévoyant des circonstances dans lesquelles un pensionné peut être réputé être séparé de son époux aux fins du paragraphe 15(4.1). Ce règlement a été abrogé en 2000 et il n’a été remplacé par aucune disposition.

[29] Dans l’arrêt Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Néron, 2004 CF 101, la cour a déclaré que, étant donné que le mot « séparé » n’est pas défini dans la Loi sur la SV, celui-ci doit prendre son sens ordinaire, c’est-à-dire « le fait de ne plus vivre ensemble ». Dans l’arrêt Kombargi c. Canada (Ministre du Développement social), 2006 CF 1511, la Cour a déclaré ce qui suit : « Il y a certainement des exemples d’époux séparés qui vivent sous le même toit, mais ces arrangements ne sont vraisemblablement pas la norme et quand ces cas se présentent, le fardeau d’établir la séparation en est rendu d’autant plus difficile. »

[30] L’appelant et la personne mise en cause continuent de vivre sous le même toit et de s’afficher publiquement comme un couple marié. Ils n’ont pas dit aux enfants de l’appelant ou à leurs voisins qu’ils ne se considèrent plus comme étant des époux, et ils n’ont pas l’intention de le faire. Ils ont des comptes bancaires séparés pour leur propre usage, mais ils ont toujours ainsi, comme bon nombre de couples mariés. La personne mise en cause utilise son propre nom de famille, mais elle l’a toujours fait. L’appelant n’a pas nommé la personne mise en cause comme personne à contacter en cas d’urgence, mais il ne l’a pas fait avant janvier 2010 non plus. Ils n’ont plus de relations sexuelles, mais ils n’en ont pas eu depuis un grand nombre d’années. Bien qu’ils paient leurs articles de façon séparée, puis divisent les dépenses, ils partagent également des repas à l’occasion, ils s’accompagnent et ils se soutiennent l’un et l’autre. Ils se font confiance lorsqu’ils font concorder les comptes.

[31] La preuve est simplement insuffisante pour convaincre le Tribunal que l’appelant et la personne mise en cause vivent réellement de manière séparée. La preuve selon laquelle ils ne partagent plus une chambre à coucher, qu’ils n’ont aucune relation sexuelle, qu’ils se considèrent comme des amis ou des colocataires et qu’ils ont une approche quelque peu similaire à une entreprise pour les dépenses liées au ménage ne peut pas surmonter le fait qu’ils ont choisi de demeurer mariés légalement, de s’afficher ainsi à presque toutes les personnes qu’ils connaissent, d’occuper la même résidence et de s’offrir un soutien et une amitié mutuels.

[32] Le Tribunal estime que l’appelant n’est pas séparé de son épouse et qu’il ne l’a pas été comme il est envisagé par la Loi sur la SV.

Conclusion

[33] L’appel est rejeté.

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