Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Motifs et décision

Aperçu

[1] Essentiellement, cette affaire vise à déterminer si l’appelant peut se fonder sur les dispositions relatives à l’incapacité du Régime de pensions du Canada pour l’application d’une période de rétroactivité prolongée du versement d’une pension de survivant aux termes du Régime de pensions du Canada et, le cas échéant, s’il est devenu incapable à la suite du décès de la cotisante.

[2] L’appelant, par l’intermédiaire de sa procuration, interjette appel d’une décision datée du 10 août 2015 rendue par la division générale dans laquelle elle a rejeté l’appel de façon sommaire pour ainsi refuser sa demande de pension de survivant rétroactive depuis mai 2010, mois suivant le décès de la cotisante en avril 2010. La division générale était convaincue que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[3] L’appelant a interjeté appel de la décision de la division générale le 20 octobre 2015 (avis d’appel). Il a également présenté des rapports médicaux à l’appui. Il n’est pas nécessaire de demander la permission d’interjeter appel en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), parce qu’un rejet sommaire de la part de la division générale peut faire l’objet d’un appel de plein droit. Comme il a été établi qu’il n’est pas nécessaire d’entendre davantage les parties, une décision doit être rendue, comme l’exige l’alinéa 37a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Questions en litige

[4] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

  1. L’incapacité d’un appelant peut-elle allouer une date de rétroactivité antérieure pour le versement d’une pension de survivant aux termes du Régime de pensions du Canada.
  2. Le cas échéant, la division générale a-t-elle omis tenir compte de la question de savoir si l’appelant était incapable aux fins du Régime de pensions du Canada?
  3. La division générale a-t-elle commis une erreur en décidant de rejeter l’appel de l’appelante de façon sommaire?

Contexte factuel

[5] Voici les faits pertinents. L’appelant a donné la procuration de ses biens et de ses soins personnels à son épouse le 25 juillet 2003. Son épouse est décédée le 20 avril 2010. L’appelant a ensuite donné la procuration de ses biens à son procureur le 26 mai 2010 (GD6-2 à GD6-10. L’appelant a donné la procuration jointe à ses deux nièces et à son neveu (procureurs conjoints) le 22 septembre 2011 (GD1-2 et GD1-3). Il n’y avait aucune limitation ou condition imposée aux procureurs.

[6] L’appelant a présenté une demande de pension de survivant aux termes du Régime de pensions du Canada le 18 juin 2013 par l’intermédiaire de ses procureurs conjoints. L’intimé a accordé la pension de survivant avec des versements à partir de juillet 2012. Les procureurs conjoints ont demandé que la date de prise d’effet des versements soit rétroactive au 20 avril 2010, date où son épouse est décédée. Les procureurs conjoints ont expliqué qu’ils n’avaient pas présenté une demande de pension de survivant auparavant, car ils assumaient que le procureur précédent, l’avocat, avait fait la demande au nom de l’appelant.

Moyens d’appel

[7] Aux termes du paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[8] L’appelant, par l’intermédiaire de ses procureurs conjoints, soutient que la division générale n’a pas exercé sa compétence lorsqu’elle n’a pas tenu compte de l’incapacité de l’appelant à la suite de la mort de son épouse. Ils soulignent que la division générale avait conclu qu’il n’y avait aucun motif pour justifier les versements d’une pension de survivant à partir d’une date antérieure.

[9] Les procureurs conjoints ont présenté des documents médicaux à l’appui qui, selon eux, prouvent que l’appelant était incapable pendant la période en cause. Ils déclarent avoir fourni un rapport produit par le médecin de l’appelant qui était d’avis que, au moment du décès de la cotisante décédée, l’appelant montrait des signes de démence et de paranoïa. Ils font valoir que l’appelant n’aurait pas été capable de s’occuper de ses [traduction] « affaires économiques de ce niveau » à l’âge de 90 ans et [traduction] « à la suite de la crise de deuil ».

[10] L’intimé prétend que la division générale a énoncé correctement le critère juridique applicable dans le cas d’un rejet sommaire et qu’elle s’est également reportée [traduction] « expressément » au droit applicable à la rétroactivité maximale d’une pension de survivant.

[11] L’intimé fait valoir que la division générale n’a pas omis d’observer un principe de justice naturelle ou autrement refusé d’exercer sa compétence pour examiner la présumée incapacité de l’appelant au moment du décès de la cotisante. L’intimé soutient également que l’appelant n’a présenté aucune preuve appuyant de manière satisfaisante une conclusion d’incapacité au titre des paragraphes 60(8) à 60(11) du Régime de pensions du Canada à la suite du décès de son épouse et pour la période jusqu’à laquelle la demande de pension de survivant a été présentée.

[12] L’intimé soutient que l’appelant est interdit de présenter une preuve supplémentaire à l’appui de l’argument relatif à l’incapacité, car toute nouvelle preuve est inadmissible devant la division d’appel. L’intimé laisse entendre que la division d’appel ne peut donc pas évaluer maintenant la question de savoir si l’appelant aurait pu être incapable à la suite du décès de la cotisante. Le représentant de l’intimé cite l’arrêt Belo‑Alves c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1100 dans lequel la Cour statue ce qui suit au paragraphe 73 : « La production de nouveaux éléments de preuve n’est plus un motif d’appel. »

[13] L’intimé soutient de plus que l’appel devant la division générale a été, à juste titre, rejeté de façon sommaire puisqu’il n’avait aucune chance raisonnable de succès.

Première question : Les dispositions relatives à l’incapacité du régime de pensions du canada sont-elles pertinentes aux demandes de pension de survivant?

‏[14] Les paragraphes 60(8) à 60(11) du Régime de pensions du Canada contiennent les dispositions relatives à l’incapacité. Selon ces dispositions, si un demandeur n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande le jour où celle-ci a été faite, cette demande peut être réputée avoir été faite le mois qui précède celui au cours duquel la prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé.

[15] Il ne fait aucun doute qu’on avait l’intention d’assouplir quelque peu les dispositions sur la rétroactivité maximale de l’article 72 du Régime de pensions du Canada, et ce, pour ceux qui sont invalides. Cependant, la formulation des dispositions est restrictive, et il est évident que l’intention n’est pas de rendre l’assouplissement largement accessible, car un demandeur doit satisfaire à des critères stricts pour jouir de ces dispositions.

Deuxième question : La division générale a-t-elle tenue compte de la question de savoir si l’appelant pouvait être réputé incapable?

[16] La décision de la division générale laisse entendre que la question relative à l’incapacité n’a pas été soulevée, sauf pour souligner les observations de l’appelant selon lesquelles une procuration avait été donnée le 22 septembre 2011 et que l’appelant montrait des signes de démence et de paranoïa et qu’il n’était pas capable de s’occuper de ses affaires économiques à l’âge de 90 ans, plus particulièrement en raison des répercussions et des émotions découlant du deuil. Par conséquent, la division générale n’a pas effectué une analyse sur la question de savoir si l’appelant pouvait être réputé incapable. Les constatations et la conclusion figurent aux paragraphes 17 et 18 :

[traduction]
[17] Le Tribunal estime que l’intimé a appliqué correctement les dispositions pertinentes du Régime de pensions du Canada et juge que la demande a été reçue par l’intimé le 18 juin 2013. Le Tribunal souligne que le paragraphe 72(1) du Régime de pensions du Canada prévoit des limites à la rétroactivité des versements à juillet 21012. Il n’existe aucun motif sur lequel on pourrait s’appuyer pour que des paiements puissent être effectués à compter d’une date antérieure.

[18] L’appelant soulève différents facteurs raisonnables; cependant, le Tribunal est lié par les dispositions du Régime de pensions du Canada. Il ne peut pas exercer toute forme de pouvoir équitable relativement aux appels dont il est saisi. À titre de décideur prévu par la loi, le Tribunal est tenu d’interpréter et d’appliquer les dispositions telles qu’elles sont énoncées dans le Régime de pensions du Canada : Ministre du Développement social c. Kendall (7 juin 2004), CP 21690 (CAP).

(Caractères gras ajoutés)

[17] Un examen du dossier d’audience présenté à la division générale démontre qu’il y avait certains éléments de preuve portés à la connaissance de la division générale qui portaient sur la question de savoir si l’appelant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande en son propre nom. Par exemple, dans une lettre datée du 16 août 2011, le médecin de famille de l’appelant a décrit l’état de santé mentale de l’appelant après le décès de la cotisante. Selon l’évaluation, l’appelant souffrait de démence modérée. On estimait qu’il n’était aucunement lucide relativement à ses limitations et qu’il n’était pas capable d’établir un plan cohérent allant jusqu’à la façon de gérer des tâches, comme la préparation des repas, la lessive, le magasinage et les transactions bancaires. Le médecin de famille a suivi l’appelant sur une base régulière. L’appelant faisait preuve d’une paranoïa croissante. Le médecin de famille n’était pas convaincu que l’appelant était capable de prendre des décisions éclairées relativement à ses propres affaires juridiques et financières.

[18] En revanche, un travailleur social a évalué la capacité testamentaire de l’appelant et son aptitude à donner la procuration de ses biens et de ses soins personnels. Le travailleur social était d’avis que, le 8 septembre 2011, l’appelant a démontré qu’il était capable de produire un nouveau testament et d’y apporter des modifications afin que ses parents agissent à titre d’exécuteurs, et qu’il était également capable de révoquer la procuration et de la donner pour ses biens et ses personnels. L’avis du travailleur social ne semblait pas appuyer les allégations selon lesquelles l’appelant était incapable en septembre 2011.

[19] L’intimé fait valoir que l’appelant n’a pas fourni une preuve [traduction] « appuyant de manière satisfaisante une conclusion d’incapacité ». Cependant, la division générale n’a pas fait mention d’un des éléments de preuve d’ordre médical dont il était saisi ni tiré de conclusions de fait relativement à la question de savoir si l’appelant pouvait être réputé incapable. La question de savoir si la division générale pourrait avoir conclu que la preuve dont il était saisi était insuffisante ou aurait pu appuyer de manière satisfaisant une conclusion d’incapacité n’est pas claire.

[20] En fait, la division générale semblait avoir qualifié la présumée incapacité de l’appelant comme étant un [traduction] « facteur raisonnable », mais elle a ensuite conclu qu’elle était liée par le Régime de pensions du Canada et qu’elle n’avait pas une compétence en équité pour examiner ces facteurs. Cependant, la division générale a le pouvoir et la compétence pour examiner les questions relatives à l’incapacité d’un appelant au titre des paragraphes 60(8) à 60(11) du Régime de pensions du Canada. Elle a commis une erreur en refusant d’examiner les allégations de l’appelant en matière d’incapacité en l’espèce. La division générale aurait dû examiner les observations de l’appelant selon lesquelles il était incapable pendant la période en cause.

[21] Accessoirement, je dois ajouter que je n’ai pas tenu compte des dossiers médicaux qui n’ont pas été versés en preuve devant la division générale. La Cour fédérale a conclu que, aux termes de la LMEDS, la production de nouveaux éléments de preuve n’est plus un motif d’appel : arrêts Belo-Alves, au paragraphe 73 et Tracey c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2015 CF 1300, au paragraphe 29.

Troisième question : Le rejet sommaire était-il approprié?

[22] Un rejet sommaire est approprié lorsqu’il n’y a aucune question donnant matière à procès ou lorsqu’il n’y a aucun fondement à la demande ou encore, comme le prévoit le paragraphe 53(1) de la Loi sur le MEDS, lorsqu’il n’y a « aucune chance raisonnable de succès ». En revanche, si l’appel est fondé sur suffisamment de faits et que l’issue n’est pas manifestement claire, il n’y a pas lieu de prononcer un rejet sommaire. Il ne conviendrait pas non plus de rejeter de façon sommaire un appel dont le fondement est faible, lequel exige d’évaluer le fond de l’affaire, et d’examiner la preuve et lui attribuer une valeur.

[23] L’intimé fait valoir que l’appelant n’a pas fourni à la division générale une preuve appuyant de manière satisfaisante une conclusion d’incapacité. En raison de cela, l’intimé reconnaît implicitement que, dans une certaine mesure, la division générale devait évaluer la preuve dont elle disposait pour déterminer si elle était suffisante pour en tirer des conclusions. Pour cette raison, il n’agissait pas d’un cas où la division générale devait utiliser la procédure de rejet sommaire.

Conclusion

[24] À titre de juge des faits, la division générale est la mieux placée pour tirer des conclusions fondées sur la preuve portée à sa connaissance. Par conséquent, la décision appropriée est de renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’une nouvelle audience ait lieu.

[25] L’appel est accueilli et le dossier est retourné à un différent membre de la division générale pour réexamen.

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