Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Motifs et décision

Introduction

[1]  La demande de pension de survivant présentée par l’appelante au titre du Régime de pensions du Canada (RPC) a été estampillée par l'intimé le 1er octobre 2012. L’intimé a rejeté la demande lors de sa présentation initiale puis après révision. L’appelante a interjeté appel, auprès du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal), de la décision découlant de la révision.

[2] L'appelante est décédée le 3 janvier 2014, après que l'appel eut été introduit. Les dossiers du Tribunal indiquent que le personnel du Tribunal aurait tenté, sans succès, d'obtenir des renseignements au sujet de la succession de l'appelante, et de communiquer avec un proche parent qui aurait pu vouloir poursuivre l'appel au nom de la succession.

[3] La décision concernant l'appel est fondée sur les observations et documents déposés puisque le Tribunal a décidé qu'aucune autre audience n'était requise, et que ce mode d'audience est conforme à l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Droit applicable

[4] La partie II du Régime de pensions du Canada régit les pensions et les prestations supplémentaires, et les appels à l'encontre de décisions rendues à leur sujet. Les programmes sont administrés par un ministère du gouvernement fédéral qui a été nommé de plusieurs façons au cours des années. Récemment, il s'agissait du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences. En 2013, ce ministère a changé de nom pour Emploi et Développement social. Le paragraphe 42(1) du RPC prévoit désormais que toute référence au « ministre » dans la partie II renvoie au ministre de l'Emploi et du Développement social.

[5] L'alinéa 44(1)d) du RPC prévoit qu'une pension de survivant doit être payée à la personne qui a la qualité de survivant d’un cotisant qui a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité, si le survivant satisfait à certaines exigences.

[6] Le terme « survivant » défini au paragraphe 42(1) du RPC inclut le conjoint de fait. Si le défunt n'a pas de conjoint de fait, le survivant est l’époux du cotisant au décès de celui-ci.

[7]  Le terme « conjoint de fait » est ainsi défini au paragraphe 2(1) du Régime de pensions du Canada comme étant la personne qui, au moment considéré, vit avec le cotisant décédé dans une relation conjugale depuis au moins un an au moment du décès du cotisant. »

[8]  Le paragraphe 60(1) du RPC prévoit qu’aucune prestation n’est payable sauf si demande en a été faite et que le paiement en ait été approuvé. Conformément au paragraphe 60(7), le ministre examine, dès qu'il la reçoit, toute demande de prestation. Il peut en approuver le paiement et en déterminer le montant payable, ou il peut arrêter qu’aucune prestation n’est payable. Le ministre avise par écrit le requérant de sa décision.

[9] Le paragraphe 81(1) prévoit qu'un requérant qui n'est pas satisfait d'une décision, y compris une décision rendue en application de l'article 60, peut demander au ministre de réviser la décision. Le paragraphe 81(2) prévoit que le ministre doit aviser par écrit de sa décision motivée la personne qui a fait la demande. L'article 82 du RPC prévoit qu'une personne qui se croit lésée par une décision, découlant de la révision, rendue en application de l'article 81, peut interjeter appel de la décision devant le Tribunal.

[10] Avant avril 2013, un appel interjeté conformément à l'article 82 était jugé par un tribunal de révision en vertu du paragraphe 82(2) du RPC. Aux termes de l'article 83, un requérant pouvait interjeter appel, devant la Commission d'appel des pensions, à l'encontre d'une décision du tribunal de révision. Aux termes de l'article 84(1) du RPC, la décision du tribunal de révision, sauf dans les cas prévus dans la présente loi, ou la décision de la Commission d'appel des pensions, sous réserve d'un contrôle judiciaire dont elle pouvait faire l'objet conformément à la Loi sur les Cours fédérales, était finale et exécutoire pour l'application du Régime de pensions du Canada.

[11] le 1er avril 2013, la division générale et la division d'appel du tribunal de la sécurité sociale constitué en vertu de la loi sur le ministère de l'Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) ont remplacé respectivement les tribunaux de révision et la Commission d'appel des pensions. Les appels à l'encontre de décisions découlant d'une révision sont maintenant interjetés devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Une personne qui se croit lésée par une décision de la division générale peut demander une permission d'en appeler à la division d'appel. L’article 68 de la Loi sur le MEDS prévoit qu'une décision du Tribunal est définitive et, sous réserve d’un contrôle judiciaire dont elle peut faire l'objet en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, ne peut être sujette à un appel ou à un contrôle devant quelque tribunal que ce soit.

[12] Le paragraphe 84(2) du RPC prévoyait, en plus du processus d'appel, une procédure que devait suivre la personne qui souhaitait faire annuler une décision d'un tribunal de révision ou de la Commission d'appel des pensions, en s'appuyant sur des « faits nouveaux ». Il s'agissait d'une mesure de redressement offerte aux demandeurs qui avaient en main une preuve qui n'aurait pas pu être connue à l'époque de l'audience initiale en dépit de l'exercice d'une diligence raisonnable.

[13] Une telle procédure est toujours offerte dans le contexte du Tribunal de la sécurité sociale. Dorénavant, une personne peut demander, aux termes de l'alinéa 66(1)b) de la Loi sur le MEDS, l'annulation d'une décision ou un amendement à celle-ci, dans le cas où des faits nouveaux et essentiels sont présentés. La demande doit être présentée devant la division qui a rendu la décision initiale. Le critère des « faits nouveaux » ou des « faits nouveaux et essentiels » est très restreint. Il est maintenant soumis à une période maximale d'une année suivant la date à laquelle le demandeur a reçu communication de la décision.

Question en litige

[14] En l'espèce, le Tribunal doit décider si oui ou non l'appel de l'appelante se heurte à l'autorité de la chose jugée. Sinon, il doit décider si l'appelante, en tant que conjoint de fait de W. K., est admissible à la pension de survivant du RPC.

Preuve

[15] Le cotisant décédé est W. K. Il est mort le 6 juin 2007. En juillet 2007, l'appelante a présenté une demande de pension du survivant au titre du RPC. Dans sa demande, elle déclarait qu'elle s'était mariée à monsieur W. K. le 14 décembre 1985, et qu'ils étaient toujours mariés au moment du décès de monsieur, mais qu'ils vivaient séparément. Ils avaient un fils, né en 1986. En fait, on a appris plus tard que l'appelante et monsieur W. K. avaient divorcé le 15 décembre 2006. La demande de l'appelante a été refusée. Elle a porté la décision en appel, mais en vain.

[16] L'appelante a alors interjeté appel auprès de la Commission d'appel des pensions. L'appel a été instruit en mars 2010. Dans sa décision du 19 avril 2010, la Commission a souligné que le ministre et le tribunal de révision avaient refusé la demande de l'appelante parce que cette dernière « ne se retrouvait dans aucune disposition habilitante du Régime de pensions du Canada. » La Commission a déclaré que l'appelante devait démontrer, « selon la prépondérance des probabilités...qu'elle vivait maritalement avec Monsieur W. K. au moment du décès de ce dernier, et qu'elle avait vécu de cette façon avec lui de façon continue depuis au moins un an. »

[17] Après avoir examiné la preuve portée à sa connaissance, la Commission a tiré les conclusions suivantes :

[33] À notre avis, compte tenu de la définition de « survivant » prévue au paragraphe 42(1), il est manifeste que Mme S. K. n'a pas réussi à démontrer l’une ou l’autre des possibilités figurant dans la définition.

[34] L'appelante ne s'est pas acquittée du fardeau de démontrer qu'elle avait vécu maritalement avec Monsieur W. K., de façon continue, pendant au moins un an avant le décès de ce dernier le 6 juin 2007.

[18] En octobre 2012, l'appelante a soumis la présente demande de pension de survivant dans laquelle elle a nommé W. K. comme cotisant décédé. Elle a déclaré dans la demande qu'ils s’étaient mariés le 14 décembre 1985, alors qu’ils n'étaient pas mariés au décès de monsieur. Elle déclarait également qu'elle avait vécu avec Monsieur W. K. de mai 2006 jusqu'à la mort de ce dernier, le 6 juin 2007, et qu'ils prévoyaient se marier de nouveau. Elle a mentionné que Monsieur W. K. avait reçu un diagnostic de cancer en mai 2006 et qu'elle était alors la principale responsable de ses soins, et ce, jusqu'à ce qu'il soit hospitalisé avant de mourir. Elle a aussi mentionné qu'il vivait « dans son sous-sol, mais qu'il habitait parfois chez moi, en raison de la température. » Elle a ajouté qu'elle et son fils rendaient visite à Monsieur W. K. tous les jours lorsqu'il était hospitalisé.

[19] Comme l'appelante et Monsieur W. K. étaient divorcés au décès de ce dernier, la demande a été refusée le 14 novembre 2012. Dans sa décision du 25 avril 2013 découlant de la révision, l'intimé a modifié la décision initiale et a déclaré qu'il refusait la demande puisqu'elle mettait en cause le même cotisant et les mêmes circonstances que dans la première demande de l'appelante. L'intimé a déclaré qu'il était lié par la décision du 19 avril 2010 de la Commission d'appel des pensions relative à cette demande.

[20] L'intimé a souligné, dans sa décision découlant de la révision, que l'appelante avait produit certains éléments de preuve qu'elle n'avait pas présentés lors de sa première demande. L'intimé a laissé entendre que le l'appelante avait communiqué avec le Tribunal pour connaître les recours, prévus à l'alinéa 66(1)b) de la Loi sur le MEDS, permettant de faire modifier une décision de la Commission d'appel des pensions en s'appuyant sur des faits nouveaux importants.

[21] L'appelante n'a présenté aucune demande au titre de l'alinéa 66(1)b).Le 29 mai 2013, elle a déposé, auprès de la division générale, un avis d'appel relatif à un appel interjeté à l'encontre de la décision du 25 avril 2013 découlant de la révision.

Observations

[22] L'appelante a fait valoir qu'elle avait droit à une pension de survivant puisqu'au moment opportun, elle vivait en union de fait avec Monsieur W. K.

[23] L’intimé n’a pas présenté d’observations au Tribunal.

Analyse

[24] Cet appel doit être rejeté en raison du principe de la chose jugée. La Cour fédérale du Canada a récemment appliqué cette doctrine au processus d'appel du RPC dans l'affaire Belo-Alves c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1100. La Cour a souligné que le principe de la chose jugée se présentait sous deux formes : la préclusion fondée sur la cause d’action et la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Selon la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, une fois qu’une question de fait ou de droit a été plaidée et tranchée par un décideur compétent, la décision rendue est définitive et ne peut pas être réexaminée dans le cadre d’une instance ultérieure. La Cour a cité les éléments relatifs à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée qui ont été énoncés dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460:

  1. La même question a été décidée dans une procédure antérieure;
  2. La décision judiciaire antérieure était finale ;
  3. Les parties à la décision antérieure sont les mêmes que celles dans l’instance dans laquelle la préclusion découlant d’une question déjà tranchée a été soulevée.

[25] En appliquant ces éléments en l'espèce :

  1. Il s’agit de déterminer si l'appelante était la conjointe de fait de W. K., le cotisant décédé. Plus précisément, au décès de ce dernier, vivait-elle maritalement avec lui de façon continue depuis au moins un an ? La Commission d'appel des pensions a tranché cette même question dans sa décision du 19 avril 2010.
  2. La décision de la Commission d'appel des pensions était finale, selon le paragraphe 84(1) du RPC en vigueur au moment où la décision a été rendue. Si la décision avait été rendue par une division du Tribunal, l'article 68 de la Loi sur le MEDS se serait appliqué.
  3. L'appelante et le ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences étaient parties à la décision antérieure. Le ministre de l’Emploi et du Développement social, l'intimé dans le cas qui nous occupe, a succédé au ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences. Les parties sont les mêmes dans les deux instances.

[26] Dans l'arrêt Danyluk, la Cour suprême du Canada a déclaré que les règles régissant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne doivent pas être appliquées machinalement. Si les trois éléments relatifs à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont présents, « la cour doit ensuite se demander, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si cette forme de préclusion devrait être appliquée. Cette approche en deux étapes n'a pas été retenue dans Belo-Alves, mais l'a été dans Kaminsky c. Canada (Procureur général) 2014 CF 238, une autre décision de la Cour fédérale relative à une décision de la Commission d'appel des pensions.

[27] Dans l'arrêt Danyluk, la Cour a déclaré qu'elle devait tenir compte d'une vaste liste d'éléments discrétionnaires au moment de déterminer si oui ou non elle devait exercer sa discrétion. Parmi eux :

  1. Le libellé du texte de loi accordant le pouvoir de rendre l’ordonnance administrative;
  2. L’objet du texte de loi;
  3. L’existence d’un droit d’appel;
  4. Les garanties offertes aux parties dans le cadre de l’instance administrative;
  5. L’expertise du décideur initial;
  6. Les circonstances ayant donné naissance à l’instance initiale;
  7. Toute injustice potentielle.

[28] La Cour a déclaré que l'objectif de l'exercice du pouvoir discrétionnaire « est de faire en sorte que l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée favorise l’administration ordonnée de la justice, mais pas au prix d’une injustice concrète dans une affaire donnée. »

[29] Le RPC n’est pas un régime d’aide sociale, mais plutôt un programme destiné à fournir une assurance sociale aux Canadiens admissibles qui sont privés de gains en raison de plusieurs éléments (Belo-Alves, plus haut, qui cite Granovsky c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2000] 1 RCS 703). La pension du survivant vise à dédommager un individu pour la perte de revenus d'un conjoint décédé. Une personne est admissible à une telle pension si elle correspond à la définition de survivant prévue aux paragraphes 42(1) et 2(1) du RPC.

[30] Le RPC prévoit une procédure claire grâce à laquelle l'appelante pourrait obtenir une révision de la décision rendue au sujet de sa demande présentée en 2007. Elle a profité de trois paliers d'appel et à chaque palier elle était en mesure de produire des éléments de preuve pour appuyer sa thèse. Elle a témoigné oralement devant le tribunal de révision et la Commission d'appel des pensions. Pour trancher l'appel de l'appelante, la Commission d'appel des pensions a dû interpréter sa loi habilitante dont elle avait une connaissance approfondie. Au titre du paragraphe 84(1), la décision était finale.

[31] La demande de l'appelante présentée en 2012 visait les mêmes prestations, versées au même cotisant. Rien dans la demande ou dans les autres documents déposés ultérieurement par l'appelante ne laissait croire à une injustice potentielle en empêchant l'appelante de reproduire le processus décisionnel et la procédure d'appel dont elle s'était prévalue entre 2007 et 2010.

[32] En tenant compte de ce qui précède, le Tribunal a conclu que le principe de la chose jugée et le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s'appliquent au cas en l'espèce. La question de l'admissibilité de l'appelante à une pension de survivant en tant que conjoint de fait a été tranchée par la Commission d'appel des pensions en 2010 et ne peut être débattue de nouveau.

Conclusion

[33] L’appel est rejeté.

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