Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Motifs et décision

Introduction

[1] La demanderesse souhaite obtenir la permission d’en appeler de la décision rendue par la division générale (DG) du Tribunal de la sécurité sociale (Tribunal) le 22 décembre 2015. La division générale avait auparavant tenu une audience en personne et avait conclu que la demanderesse n'était pas admissible au partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension (PGNAP ou partage de crédits) aux termes du Régime de pensions du Canada (RPC) parce que (i) les crédits ont déjà été partagés et que (2) la demande a été présentée plus de quatre ans après que la demanderesse se soit séparée de son ancien mari.

[2] Le 24 mars 2016, la demanderesse a déposé, devant la division d’appel (DA) du Tribunal de la sécurité sociale, une demande de permission d’en appeler incomplète. À la suite d'une demande de renseignements formulée par la division d'appel, la demanderesse a complété sa demande de permission d'en appeler le 16 juin 2016, soit au-delà du délai prévu à l'alinéa 57(1)b) de la Loi sur ministère de l'Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS).

Question en litige

[3] Je dois déterminer s’il convient d’accorder une prorogation du délai pour la présentation d’une demande de permission d’en appeler.

Droit applicable

Loi sur le MEDS

[4] Aux termes de l’alinéa 57(1)b) de la Loi sur le MEDS, une demande de permission d’en appeler doit être présentée à la division d'appel dans les 90 jours suivant la date à laquelle le demandeur reçoit communication de la décision.

[5] La division d'appel doit examiner et soupeser les critères énoncés dans la jurisprudence. Dans l’affaire Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. GattellaroNote de bas de page 1, la Cour fédérale a établi les critères suivants :

  1. (a) Le demandeur fait preuve d’une intention constante de poursuivre l’appel;
  2. (b) La cause est défendable;
  3. (c) Le retard a été raisonnablement expliqué;
  4. (d) La prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie.

[6] Le poids à accorder à chacun des critères énumérés dans la décision Gattellaro peut varier et, dans certains cas, différents critères peuvent s’avérer pertinents. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l’intérêt de la justice - Canada (Procureur général) c. LarkmanNote de bas de page 2.

[7] Conformément aux paragraphes 56(1) et 58(3) de la Loi sur le MEDS, on ne peut interjeter appel devant la division d'appel sans permission, et la division d'appel accorde ou refuse cette permission. Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le MEDS prévoit que la division d'appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[8] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. (a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. (b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. (c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[9] La demande de permission d’en appeler est une étape préliminaire à une audience sur le fond de l'affaire. C'est un premier obstacle que la demanderesse doit franchir, mais il est inférieur à celui auquel elle devra faire face à l'audience de l'appel sur le fond. À l’étape de la demande de permission d’en appeler, la demanderesse n’a pas à prouver sa thèse.

[10] Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si une partie a une cause défendable en droit revient à se demander si elle a une chance raisonnable de succès sur le plan juridiqueNote de bas de page 3.

RPC

[11] L’alinéa 55.1(1)c) du RPC prévoit qu’il doit y avoir partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension dans le cas de conjoints de fait, à la suite de l’approbation par le ministre d’une demande faite par l’un ou l’autre des anciens conjoints de fait ou pour son compte, si :

  1. (i) soit les anciens conjoints de fait ont vécu séparément pendant une période d’au moins un an, soit l’un d’eux est décédé pendant cette période,
  2. (ii) la demande est faite soit dans les quatre ans suivant le jour où les anciens conjoints de fait ont commencé à vivre séparément, soit après l’expiration de ce délai avec leur accord écrit.

[12] Le paragraphe 55.1(2) du RPC considère l’intention des parties et se lit comme suit :

  1. (2) Pour l’application du présent article :
  2. (a) les personnes visées par le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension sont réputées avoir vécu séparément pendant toute période de vie séparée au cours de laquelle l’une d’elles avait effectivement l’intention de vivre ainsi;

[13] Le paragraphe 2(1) du RPC définit l’expression « conjoint de fait » comme étant la personne qui, au moment considéré, vit avec un cotisant dans une relation conjugale depuis au moins un an.

Observations de la demanderesse

[14] Le 24 mars 2016, la demanderesse a présenté à la division d'appel un formulaire intitulé « Avis d'appel au Tribunal de la sécurité sociale (TSS) - division générale » - 85 jours après qu'elle eut affirmé avoir reçu la décision de la décision générale à son adresse résidentielle apparaissant au dossier. On l'a avisée qu'elle avait utilisé le mauvais formulaire et on lui a demandé de dire pourquoi elle estimait que son appel avait une chance raisonnable de succès en s'appuyant sur les trois moyens d'appel énumérés au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS. À la suite d'au moins deux conversations téléphoniques avec le personnel de la division d'appel, la demanderesse a fourni des renseignements supplémentaires au moyen d'une lettre, et sa demande s'est avérée complète.

[15] Cette lettre du 16 juin 2016 expliquait en détail les raisons sur lesquelles reposait l'appel, qui se résument comme suit :

  1. Plusieurs documents présentés à la division générale traitaient d'une fraude commise par son ancien mari, mais la division générale n'en a pas tenu compte. Par exemple, selon la demanderesse, un des documents, le profil du client DRHC (GD1-15), contenait plusieurs erreurs :
    • L'identifiant du client était erroné. Il comportait deux numéros d'identification, ce qui donnait à penser que quelqu'un avait récolté de l'argent des contribuables en son nom, de façon frauduleuse.
    • Deux dates de naissance apparaissaient, le 15 juillet 1945 et le 29 juillet 1945 (la dernière étant la bonne);
    • Le pays d'origine qui apparaissait était l'Allemagne, alors que la demanderesse est née en Slovénie;
    • Le genre de la demanderesse était « inconnu ».
  2. D'autres documents démontraient que l'Agence du revenu du Canada (ARC) faisait des paiements, en son nom, à un imposteur depuis au moins 1992. Les données d'acheminement ont révélé que les montants étaient tout le temps versés à son époux. Ces documents n'ont pas été pris en considération dans la conclusion initiale. Le nom de son garçon était mentionné à deux reprises sur la pièce GD1-41-42, comme s'il était deux personnes différentes, chacune ayant un âge différent de l'autre. Il appert de la pièce GD1-45 que la fraude a débuté dès 1996, une année avant que la demanderesse arrive au Canada, lorsque les demandes ont commencé à être présentées en son nom. C'est seulement en mai 2010, lorsqu'elle a reçu une lettre de l'ARC qui contenait des renseignements inexacts au sujet de sa famille, qu'elle a découvert la fraude a été mise au jour à la suite d'une enquête comprenant un long processus judiciaire pour la communication des documents.
  3. La demanderesse croit également que des questions de justice naturelle sont en jeu. Des dossiers de Santé et bien-être Canada (GD2-196 à GD2-202) décrivent comment elle est devenue invalide. Selon la loi, la demanderesse était atteinte d'une invalidité mentale grave et n'était pas en mesure d'exercer ses droits juridiques. Elle considère injuste le fait que le gouvernement du Canada ne l'ait pas protégée et ne lui ait pas donné l'occasion de se rétablir en lui accordant une prorogation de délai jusqu'à ce son état de santé mentale fasse l'objet d'un suivi complet.

[16] La demanderesse a présenté plusieurs autres documents avec sa demande de permission. La majorité de ces documents sont des copies de dossiers et de lettres qui ont déjà été présentés à l'audience devant la division générale.

Analyse

[17] Je considère que la demande de permission d’en appeler a été présentée après le délai prescrit de 90 jours. Je comprends de l'examen du dossier que la demanderesse accuse un retard dans la présentation de sa demande. De plus, elle n'a pas fourni à la division d'appel tous les renseignements nécessaires avant le 16 juin 2016, près de trois mois après la date d'échéance.

[18] Pour déterminer s’il convenait d’accorder un délai supplémentaire pour interjeter appel, j’ai examiné et soupesé les quatre facteurs énoncés dans l'affaire Gattellaro.

Intention constante de poursuivre l’appel

[19] Selon le dossier, la demanderesse a répondu à la décision de la division générale dans le délai prévu de 90 jours et elle a par la suite communiqué régulièrement avec le TSS jusqu'au dépôt de son appel. Comme ce processus prend peu de temps, je suis prêt à donner le bénéfice du doute à la demanderesse à ce sujet. J'estime qu'elle a démontré une intention continue de poursuivre l'appel.

Explication raisonnable du retard

[20] Bien qu'elle ait mentionné, dans une récente communication avec la division d'appel, qu'elle tentait d'obtenir de l'aide juridique pour la soutenir dans le contexte de son appel, la demanderesse n'a fourni aucune explication pour son retard dans la présentation de sa demande de prorogation de délai.

[21] En tout et pour tout, j'estime qu'elle a fourni une explication raisonnable de son retard.

Cause défendable

[22] La demanderesse soutient que la division générale n'a pas tenu compte de la preuve selon laquelle son ancien mari s'est approprié frauduleusement ses informations personnelles dans le but de se créer une deuxième identité et de percevoir des prestations auxquelles il n'avait pas droit. Après avoir réexaminé la décision de la division générale en fonction des éléments portés à sa connaissance à l'audience, je ne constate aucune cause défendable fondée sur ce moyen.

[23] À mon avis, c'est avec raison que la division générale a restreint les questions en litige aux questions soulevées par le rejet de la deuxième demande de PGNAP de l'intimé, en date du 22 avril 2013, et qu'elle a conclu qu'aucune preuve ne démontrait que les droits à pension de l'ancien mari de la demanderesse pour les années 1985 et 1987 étaient imprécis. Le paragraphe 97(1) du RPC ne considère pas les vieux registres des gains comme infaillibles, mais il impose une forte présomption selon laquelle ils sont toujours exacts après quatre ans. La division générale semble avoir interprété la loi telle qu'elle est écrite. La décision de la division générale donne à penser que la division générale n'a pas simplement rejeté les allégations de fraude de la demanderesse, mais qu'elle les a dûment prises en considération en abordant les prétendues divergences avant de conclure que rien ne pouvait renverser la présomption d'exactitude.

[24] La décision de la division générale indique qu’elle a évalué un grand nombre d’éléments de preuve contradictoires avant de rendre une décision définitive. Comme je l'ai mentionné, presque tous les documents présentés avec la demande de permission d’en appeler avaient déjà été présentés à la division générale et avaient probablement déjà été évalués. À mon avis, l’idée des observations de la demanderesse équivaut pour la division d'appel à lui demander de réexaminer et de réévaluer la preuve dans le but d'en arriver à une conclusion différente de celle rendue par la division générale. Cette demande dépasse les paramètres de la LMEDS, dont le paragraphe 58(1) impose les moyens d’appel très limités. Il n’y est pas permis de tenir une audience de novo.

[25] En fin de compte, je dois conclure que la demanderesse n’a présenté aucun moyen donnant à l'appel une chance raisonnable de succès.

Préjudice à l’autre partie

[26] Il est peu probable que la prorogation du délai pour interjeter appel cause préjudice aux intérêts de l’intimé étant donné la période de temps relativement court qui s’est écoulée depuis l’expiration du délai prévu par la loi. Je ne crois pas que la capacité de l’intimé à se défendre, vu ses ressources, serait amoindrie indûment si la prorogation de délai était accordée.

Conclusion

[27] Après avoir soupesé les facteurs susmentionnés, j’ai déterminé que la présente affaire n’est pas un cas où il convient d’accorder une prorogation du délai de 90 jours pour faire appel. La demanderesse semble avoir eu une explication plausible à son retard de près de trois mois pour la présentation de sa demande complète de permission d’en appeler, et on pourrait raisonnablement présumer qu’elle avait l’intention persistante de poursuivre l’appel en dépit de son retard. Aussi, les intérêts de l’intimé ne subiraient pas de préjudice si un délai supplémentaire était accordé. Bien que trois des quatre facteurs énoncés dans l’affaire Gattellaro soient favorables à la demanderesse, je suis d’avis qu’ils ne suffisent point étant donné l’absence d’une cause défendable : je n’ai trouvé aucun motif, découlant soit d’une erreur de droit ou d’une erreur de fait, soit d'un manquement à la justice naturelle, et qui confère à l’appel de la demanderesse une chance raisonnable de succès. Bien que la division d'appel ait compétence pour proroger le délai dans certaines circonstances, je conclus, après un examen approfondi des critères juridiques, qu'il ne s'agit pas d'une occasion d'exercer son pouvoir discrétionnaire.

[28] D’après les facteurs énoncés dans l’affaire Gattellaro et dans l’intérêt de la justice, je refuserais d’accorder une prorogation du délai pour interjeter appel aux termes du paragraphe 57(1) de la Loi sur le MEDS.

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