Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Motifs et décision

Introduction

[1] La division générale a rejeté l’appel du demandeur dans le cadre duquel il a demandé que sa période de cohabitation soit prolongée, et ce, afin de remonter possiblement jusqu’à l’année 1982. Le demandeur souhaite obtenir la permission d’en appeler de la décision rendue le 21 novembre 2015 par la division générale, dans laquelle le membre a déterminé que, en ce qui concerne le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension, le demandeur et la mise en cause ont cohabité du 3 octobre 1987 à mars 1993, et que la période de partage du crédit au titre de la pension est de janvier 1987 (janvier de l’année où les parties ont commencé à habiter ensemble) à décembre 1992 (décembre de l’année avant que les parties ne se séparent). La division générale a exclu la période de mars 1984 à août 1984 du partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension, car cette période couvrait moins de 12 mois consécutifs. Le demandeur a présenté une demande de permission d’en appeler le 12 janvier 2016 dans laquelle il a invoqué plusieurs moyens d’appel.

Question en litige

[2] Est-ce que l’appel a une chance raisonnable de succès?

Analyse

[3] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS) prévoit que les seuls moyens d’appel se limitent aux suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[4] Avant de pouvoir accorder une permission d’en appeler, il me faut être convaincue que les motifs pour en appeler se rattachent à au moins un des moyens d’appel énumérés au paragraphe 58(1) de la LMEDS et que l’appel a une chance raisonnable de succès. La Cour fédérale a confirmé cette approche dans la décision Tracey c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1300. Le demandeur soutient que la division générale a commis une erreur en vertu de chacun de ces moyens d’appel.

Questions constitutionnelles

[5] Le demandeur soutient que la division générale a enfreint ses droits constitutionnels en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés [traduction] «  en l’assujettissant à un processus d’appel ordinaire après la décision de révision de Service Canada, mais pas [la mise en cause] après la décision d’origine de Service Canada ».

[6] Le paragraphe 20(1) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (Règlement) prévoit que lorsque la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une disposition du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, de la Loi sur l’assurance-emploi, de la partie 5 de la LMEDS ou de leurs règlements est mis en cause devant le Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal), la partie qui soulève la question dépose auprès du Tribunal un avis qui contient la disposition visée et toutes observations à l’appui de la question soulevée, et au moins dix jours avant la date fixée pour l’audition de l’appel ou de la demande, signifie aux personnes mentionnées au paragraphe 57(1) de Loi sur les Cours fédérales un avis énonçant la question et dépose auprès du Tribunal une copie de l’avis et la preuve de sa signification.

[7] Le Tribunal a avisé le demandeur des exigences concernant l’avis prévues au paragraphe 20(1) du Règlement. Il a répondu au moyen d’une lettre datée du 3 mars 2016, mentionnant qu’il ne soulèvera pas les questions de son propre chef, et ce, par manque [traduction] « d’énergie ou de ressources ». Il s’attendait à ce que la division d’appel détermine toutefois si des infractions constitutionnelles s’étaient produites.

[8] Ce n’est pas le rôle de la division d’appel de répondre aux exigences de base concernant l’avis, et ce, au nom du demandeur qui prétend que ses droits garantis par la Charte ont été violés. Puisque le demandeur ne s’est pas conformé aux exigences concernant l’avis prévues au paragraphe 20(1) du Règlement et qu’il a mentionné qu’il ne soulèvera pas de questions constitutionnelles, l’appel ne sera pas fondé sur ce moyen.

Justice naturelle

[9] Le demandeur soutient que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle et l’a privé de son droit à une audience impartiale :

  • en accordant un traitement préférentiel à la mise en cause, en lui permettant d’entrer dans la salle d’audience et d’organiser ses documents avant l’heure de début prévue, et en même temps, en refusant lorsque le demandeur a demandé de faire de même;
  • en exerçant des pressions sur le demandeur afin de commencer avant l’heure prévue de début de l’audience;
  • en n’accordant pas au demandeur suffisamment de temps pour présenter sa cause de façon intégrale, y compris en l’empêchant de faire des déclarations préliminaires ou d’expliquer ses éléments de preuve, ce qui a fait en sorte qu’il a oublié de présenter certains éléments de preuve;
  • en menaçant de prononcer inadmissible la preuve du demandeur s’il [traduction] « ne répondait pas...aux questions » ou [traduction] « essayait de fournir des renseignements contextuels pertinents »;
  • en interdisant au demandeur d’expliquer son manque d’éléments de preuve, même si, au bout du compte, la division générale a fondé sa décision en grande partie sur cette question;
  • en permettant au défendeur de délimiter les questions en litige faisant l’objet de l’appel;
  • [traduction] « en plantant des idées et en alimentant ses réponses » et en posant des questions suggestives à la mise en cause au sujet des principales questions litigieuses;
  • en empêchant le demandeur d’effectuer un contre-interrogatoire de la mise en cause au sujet de questions concernant la crédibilité et des incohérences;
  • en interrompant son contre-interrogatoire du demandeur;
  • en ordonnant à la mise en cause de ne pas répondre aux questions du demandeur au cours du contre-interrogatoire;
  • en préjugeant l’issue de l’instance.

[10] Bien que les membres du Tribunal aient le droit de mener une audience de la manière qu’ils jugent appropriée aux circonstances, il n’en demeure pas moins que les principes de justice naturelle doivent être respectés. La justice naturelle vise à assurer qu’un demandeur bénéficie d’une occasion juste et raisonnable d’établir le bien-fondé de sa cause, d’une audience équitable, et que la décision rendue soit impartiale ou exempte de l’apparence ou de la crainte raisonnable de partialité.

[11] Je ne suis pas convaincue que toutes ces allégations, même si, ultimement, elles s’avéraient exactes, entrainent nécessairement une violation des principes de justice naturelle. Par exemple, il se peut qu’interrompre le demandeur au cours de son interrogatoire de la mise en cause ou qu’ordonner la mise en cause de ne pas répondre aux questions du demandeur, ne constitue pas un manquement. Après tout, le membre de la division générale a peut-être déterminé que les questions que le demandeur a posées à la mise en cause étaient inappropriées ou totalement hors propos.

[12] Outre le fait qu’il ait formulé ces allégations, il aurait été quelque peu utile si le demandeur avait démontré comment il a été privé de son droit à une audience équitable ou comment il a fait l’objet de partialité. Par exemple, il soutient que le membre l’a interrompu et ne lui a pas permis de présenter l’intégralité de ses observations orales. Dans ces circonstances, il pourrait s’avérer utilise s’il démontrait qu’il avait l’intention de présenter des arguments qu’il n’a pas déjà soulevés, ni dans ses observations orales ni dans ses observations écrites, et s’il démontrait à quel point ils étaient pertinents ainsi que les répercussions qu’ils auraient eues sur l’issue de l’affaire.

[13] Si certaines de ces allégations sont corroborées par l’enregistrement audio de l’audience, il pourrait y avoir eu un manquement aux principes de justice naturelle. Pour cette raison, je suis prête à accorder la permission d’en appeler sur ce moyen. J’ai invité le demandeur à me fournir l’estampille temporelle de l’enregistrement audio de l’audience afin d’étayer ses allégations, mais il a refusé de le faire. Le demandeur souhaite peut-être reconsidérer sa position contre le fait de présenter des éléments de preuve afin de corroborer ces allégations. Après tout, le demandeur est tenu de prouver sa cause selon la prépondérance des probabilités s’il souhaite avoir gain de cause en l’espèce, et autrement, je risque de tirer la conclusion selon laquelle il n’y a pas d’élément de preuve à l’appui de ses affirmations. Il devrait également garder à l’esprit que les autres parties, y compris la mise en cause, me renverront peut-être à une estampille temporelle de l’enregistrement audio de l’audience afin de réfuter ses allégations.

Délai

[14] Le demandeur soutient qu’il a été grossièrement lésé par l’inaction du défendeur et par le délai considérable entre le moment où la mise en cause a demandé la révision de sa décision initiale en juillet 1997 (pour laquelle il a accepté une période plus longue de cohabitation en union de fait aux fins d’un partage des crédits) et le moment où le défendeur a finalement répondu à sa demande, en septembre 2012 (une période de plus de 15 ans). Il soutient que puisqu’il n’était pas au courant de la demande de révision de la mise en cause, et en raison du délai considérable que cela a engendré, il n’aurait pas pu savoir qu’il aurait dû avoir pris les mesures nécessaires afin de préserver les éléments de preuve qui auraient pu être favorables à sa demande de prolongation de sa période de cohabitation en union de fait. Il fait valoir que, en raison de la période écoulée, tous les éléments de preuve ont été perdus. Il a également noté que l’un des témoins est décédé entre-temps. Il s’agit là de la question centrale qu’il avait soulevée dans son avis d’appel présenté au Commissaire des tribunaux de révision en décembre 2012. Il soutient que, malgré le fait qu’il a soulevé cette question, le membre de la division générale ne l’a pas examiné, ce qui constitue une erreur de droit.

[15] Bien que le membre n’ait peut-être pas examiné la question dans le cadre d’une analyse, le membre a certainement pris soin de tenir compte du délai, puisqu’il a fourni la chronologie de l’historique de l’instance en l’espèce. Il y a eu un délai considérable, et cela demeure sans équivoque. Le demandeur laisse entendre que la division générale aurait dû tenter de déterminer si un délai de prescription devait être appliqué en l’espèce, de telle sorte que sa décision d’origine devrait être rétablie.

[16] À ce stade, je n’ai pas tenté de déterminer si la division générale avait la compétence pour accorder réparation afin de remédier au délai considérable — mis à part le poids qu’elle accorde à la preuve —ni si un délai de prescription existe réellement, mais je suis prête à accorder la permission d’en appeler selon ce moyen également, c’est-à-dire que la division générale n’a peut-être pas examiné la question principale sur laquelle le demandeur avait fondé son appel, et que par conséquent, elle n’aurait pas déterminé si elle avait la compétence pour accorder réparation.

Questions relatives à la preuve

[17] Le demandeur soutient que la division générale aurait dû avoir diminué le fardeau de la preuve et exigé [traduction] « une preuve absolue et une preuve (concrète) englobante de l’union de fait préexistante ». Il soutient également que le membre aurait dû avoir apprécié tous les éléments de preuve. En fait, il est clair que le membre a bel et bien accordé un poids à tous les éléments de preuve lorsqu’il mentionne qu’il préfère la preuve de la mise en cause à celle du demandeur. Le fardeau de la preuve, lors d’instances civiles, est pratiquement toujours selon la prépondérance des probabilités (à moins qu’il y ait certains éléments de fraude, de duperie ou de partialité, auquel cas le fardeau est plus élevé) et puisque le demandeur ne m’a pas fournir de fondement juridique, je ne suis pas convaincue que cet appel ait une chance raisonnable de succès selon ce moyen.

[18] Le demandeur soutient également que la division générale a commis une erreur en acceptant les déclarations du témoin au nom de la mise en cause. Le demandeur soutient que, puisqu’il s’agissait tout simplement de déclarations écrites à la main et signées, et non pas de déclarations sous serment, la division générale n’aurait pas dû juger qu’elles [traduction] « étaient assermentées et avaient un pouvoir juridique suffisant pour être considérées fiables ». Ces déclarations se trouvent aux pages GT1-84 à 86. Tous les témoins ont conclu leurs déclarations ou leur lettre en écrivant [traduction] : « Je jure que les renseignements ci-dessus sont exacts. » Lorsque le membre a noté, dans la section « Preuve », que les témoins ont conclu leur lettre avec cette déclaration, il ne suggérait pas du tout qu’ils avaient fait une déclaration solennelle devant un commissaire aux serments ou un notaire public.

[19] Les instances devant la division générale sont moins formelles que, disons, les instances judiciaires, et généralement, les règles juridiques strictes ne s’appliquent pas aux tribunaux administratifs, à moins que cela ne soit expressément prescrit. Même si la division générale n’est pas liée par les règles de preuve formelles, comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Conway, [2010] 1 RCS 765, les membres des tribunaux administratifs devraient néanmoins exclure les renseignements qui ne sont pas pertinents, fiables ou exacts. Comme la Cour fédérale l’a déterminé dans l’affaire Gil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8407, « [e]n reconnaissance de leur expertise quant aux questions de fait, on leur accorde également une grande latitude en matière d’appréciation de la pertinence et de la force probante des pièces qui leur sont présentées à titre de preuve lors de l’instruction. »

[20] Peu importe si les déclarations sont assermentées, les membres ont le droit de déterminer leur admissibilité et le poids à accorder à ces déclarations. En l’espèce, le membre était conscient que tous les témoins avaient eu une relation avec la mise en cause, soit en tant qu’ami ou en tant que membre de la famille. Le membre a testé la fiabilité des déclarations faites en déterminant si, dans l’ensemble, elles étaient conformes à la prépondérance de la preuve qui lui avait été présentée. Je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès au motif que le membre de la division générale aurait nécessairement dû exclure les déclarations des témoins parce qu’il ne s’agissait pas de déclaration sous serment.

Conclusions de fait

[21] Le demandeur affirme que la division générale a fondé sa décision sur plusieurs conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance, à l’égard de ce qui suit :

  • les adresses qui apparaissent sur ses dossiers universitaires, sa demande de passeport et les déclarations de revenus de la mise en cause;
  • sa lettre datant d’octobre 1984 (GT1-96);
  • les actifs et les dépenses du demandeur et de la mise en cause.

[22] D’une façon générale, le demandeur soutient que la division générale a ignoré des éléments de preuve pertinents qui réfutaient les éléments de preuve de la mise en cause, et qu’elle a [traduction] « sélectionné » les éléments de preuve qui étaient favorables à la mise en cause. Comme je l’ai mentionné précédemment, il ressort de l’analyse du membre qu’il a pris soin d’évaluer la preuve du demandeur, notamment la correspondance adressée au demandeur à sa résidence sur l’avenue Pacific, mais qu’il a simplement préféré la preuve de la mise en cause à la preuve du demandeur, concluant que dans l’ensemble, elle était plus fiable. La division générale s’attendait également à ce qu’il y ait plus de documents à l’appui et, comme elle l’a mentionné au paragraphe 33, elle a finalement conclu que le demandeur n’avait pas fourni de documents incontestables pour justifier la période continue de cohabitation en union de fait qu’il revendiquait.

[23] Essentiellement, le demandeur demande que la division d’appel apprécie et évalue à nouveau la preuve afin de rendre une conclusion différente relativement à sa période de cohabitation avec la mise en cause. Cependant, comme l’a confirmé la Cour fédérale dans la décision Tracey, le rôle de la division d’appel ne consiste pas à mener une réévaluation lorsqu’elle se prononce sur la question de savoir si la permission d’en appeler devrait être accordée ou refusée, puisqu’une réévaluation ne se rattache à aucun des moyens d’appel prescrits au paragraphe 58(1) de la LMEDS.

[24] De plus, je tiens compte des mots utilisés par la Cour fédérale dans l’affaire Hussein c. Canada (Attorney General), 2016 CF 1417, précisant que [traduction] « l’examen et l’évaluation de la preuve sont au cœur du mandat et de la compétence de la [division générale]. L’on doit faire preuve d’une importante déférence envers ses décisions. »

Conclusion

[25] La permission d’en appeler est accordée uniquement en ce qui a trait aux questions suivantes : (1) est-ce que la division générale a enfreint l’un des principes de justice naturelle et (2) est-ce qu’elle a omis de tenir compte de « la question du délai »? Cette décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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