Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Motifs et décision

Décision

L’appel est accueilli.

Introduction

[1] Il est ici question d’un appel des décisions rendues le 16 mai 2016 par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal), dans lesquelles il a été déterminé que le Tribunal n’avait pas compétence pour déterminer si l’intimé avait eu raison de mettre fin aux prestations d’enfant de cotisant invalide (PECI) des appelants et d’exiger le remboursement de ce qu’il a jugé constituer des trop-payés. La permission d’en appeler a été accordée le 23 mars 2017 au motif que la division générale pourrait avoir commis une erreur en rendant sa décision.

Aperçu

[2] Les appelants sont frère et sœur. A. B. est né en mars 1991 et M. B. est née en janvier 1993.

[3] La position des appelants est que H. B. est leur père, et que celui-ci est marié à leur mère, J. B.

[4] H. B. a immigré au Canada en juin 1996 et a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC) en mars 2001. L’intimé a accueilli sa demande en octobre 2001.

[5] En avril 2002, J. B. a présenté une demande de PECI au nom des appelants. Elle a soutenu que H. B., le cotisant invalide, était leur père. L’intimé a accueilli cette demande, et des prestations d’enfant étaient payables à J. B. à compter de janvier 2001.

[6] En avril 2008, une enquête a été lancée par l’intimé pour déterminer si H. B. était bien le père des enfants pour qui J. B. touchait des PECI. En octobre 2012, après une série d’entrevues et un examen minutieux des documents dont ils disposaient, les services d’intégrité de l’intimé ont conclu que les certificats de naissance et de mariage fournis par les appelants étaient vraisemblablement frauduleux. Dans des lettres distinctes datées du 7 novembre 2012, l’intimé a informé les appelants qu’ils n’avaient pas prouvé qu’ils étaient bien les enfants de H. B. A. B. et M. B. ont été avisés que des sommes respectives de 5 437 $ et de 3 751 $ leur avaient été versées en trop, pour les périodes où ils avaient été inscrits à l’école après l’âge de 18 ans.

[7] L’intimé a rejeté les demandes de révision des appelants, et ils ont interjeté appel à la division générale le 17 septembre 2013. Après la tenue d’une audience au moyen de questions et de réponses écrites, la division générale a rendu une décision le 16 mai 2016, dans laquelle elle a déterminé qu’elle ne pouvait pas se pencher sur l’admissibilité des appelants à des PECI parce qu’elle n’avait pas compétence pour instruire cet appel. Elle a cité une série de jugements, débutant avec Pincombe c. CanadaNote de bas de page 1, qui donnent à penser que la division générale ne pouvait pas entendre des appels contre une décision discrétionnaire de l’intimé de prendre, ou de ne pas prendre, des mesures correctives conformément au paragraphe 66(4) du RPC.

[8] Le 5 octobre 2016, soit après le délai de 90 jours prévu par la loi, les appelants ont déposé conjointement une demande de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal, soutenant que la division générale avait commis une erreur de droit en refusant d’entendre leur appel sur le fond.

[9] Dans ma décision du 23 mars 2017, j’ai accordé une prorogation du délai pour interjeter appel, et j’ai convenu qu’il existait une cause défendable selon laquelle la division générale a peut-être commis une erreur de droit lorsqu’elle a déterminé qu’elle n’était pas habilitée à instruire leur appel.

[10] Le 20 avril 2017, l’intimé a présenté une lettre dans laquelle il consentait à ce que l’affaire soit renvoyée à la division générale pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un membre différent.

[11] Après avoir reçu les observations des parties, j’ai maintenant décidé qu’une audience de vive voix n’était pas nécessaire et que l’appel pouvait être instruit sur le fondement du dossier documentaire pour les raisons suivantes :

  1. L’intimé a mentionné qu’il ne s’oppose pas à la tenue d’une nouvelle audience devant la division générale.
  2. Le dossier est complet et ne nécessite aucune clarification.
  3. Ce mode d’audience respectait les exigences du Règlement du Tribunal de la sécurité sociale à savoir qu’il doit procéder de façon la plus informelle et expéditive que le permettent les circonstances, l’équité et la justice naturelle.

Droit applicable

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

[12] Conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[13] Selon le paragraphe 59(1) de la LMEDS, la division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

Régime de pensions du Canada et règlements connexes

[14] Le paragraphe 44(1) du RPC prévoit qu’une PECI doit être payée à chaque enfant d’un cotisant invalide à certaines conditions.

[15] Aux termes du paragraphe 42(1) du RPC, l’enfant d’un cotisant s’entend notamment de l’enfant naturel du cotisant, de l’enfant qui a été adopté légalement ou de fait par le cotisant alors que l’enfant était âgé de moins de 21 ans, ou l’enfant dont, légalement ou de fait, le cotisant avait la garde et la surveillance jusqu’à ce que cet enfant atteigne 21 ans.

[16] Le paragraphe 42(1) du RPC définit également l’enfant d’un cotisant comme un enfant qui est âgé de moins de 18 ans, ou qui est âgé de 18 ans ou plus, mais de moins de 25 ans et fréquente à plein temps une école ou une université selon la définition qu’en donnent les règlements.

[17] Aux termes du paragraphe 66(1) du RPC, « [u]ne personne ou un ayant droit qui a reçu ou obtenu, par chèque ou autrement, un paiement de prestation auquel elle n’a pas droit, ou à qui a été payée une prestation dont le montant excédait celui auquel elle avait droit, doit immédiatement retourner le chèque ou le montant, ou l’excédent, selon le cas. »

[18] Le paragraphe 66(2) du RPC prévoit que « [l]a prestation ou la partie de celle-ci que touche une personne et à laquelle elle n’a pas droit constitue une créance de Sa Majesté dont le recouvrement peut être poursuivi en tout temps à ce titre devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent […]. »

[19] Le paragraphe 66(3) du RPC prévoit ce qui suit :

Nonobstant l’alinéa 61(2)b) et les paragraphes (1) et (2) du présent article, lorsqu’une personne a reçu ou obtenu une prestation à laquelle elle n’a pas droit ou une prestation supérieure à celle à laquelle elle a droit et que le ministre [dans le cadre de cet appel, l’intimé] est convaincu que, selon le cas :

  1. a) le montant ou l’excédent de la prestation ne peut être récupéré dans un avenir prévisible;
  2. b) les frais administratifs de récupération du montant ou de l’excédent de la prestation seraient vraisemblablement égaux ou supérieurs au montant à récupérer;
  3. c) le remboursement du montant ou de l’excédent de la prestation causerait un préjudice abusif au débiteur;
  4. d) le montant ou l’excédent de la prestation résulte d’un avis erroné ou d’une erreur administrative attribuable au ministre ou à un fonctionnaire du ministère de l’Emploi et du Développement social agissant dans le cadre de ses fonctions en application de la présente loi,

le ministre peut, sauf dans les cas où cette personne a été condamnée, aux termes d’une disposition de la présente loi ou du Code criminel, pour avoir obtenu la prestation illégalement, faire remise de tout ou partie des montants versés indûment ou en excédent.

[20] Conformément au paragraphe 66(4) du RPC, dans le cas où le ministre [intimé] est convaincu qu’un avis erroné ou une erreur administrative survenus a eu pour résultat que soit refusé à une personne, selon le cas :

  1. a) une prestation à laquelle elle aurait eu droit,
  2. b) le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension,
  3. c) la cession d’une pension de retraite,

le ministre prend les mesures correctives qu’il estime indiquées pour placer la personne en question dans la situation où cette dernière se retrouverait s’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative.

[21] En application de l’article 75 du RPC, lorsqu’une PECI est payable à un enfant d’un cotisant invalide, le paiement doit en être fait à la personne qui a la garde et la surveillance de l’enfant qui n’a pas atteint l’âge de 18 ans.

[22] Le paragraphe 76(1) du RPC prévoit qu’une PECI cesse d’être payable avec le paiement pour le mois au cours duquel :

  1. a) l’enfant cesse d’être un enfant à charge;
  2. b) l’enfant meurt;
  3. c) la prestation d’invalidité du cotisant cesse d’être payable;
  4. d) l’enfant est adopté légalement ou de fait par quelqu’un d’autre que le cotisant invalide ou son époux ou conjoint de fait, à moins que le cotisant invalide n’entretienne l’enfant au sens où l’entendent les règlements;
  5. e) la personne visée par la définition d’« enfant » à l’article 42 du fait qu’elle était sous la garde ou la surveillance du cotisant invalide, n’est plus sous la garde ou la surveillance de celui-ci.

[23] L’article 52 du RPC Règlement sur le Régime de pensions du Canada (Règlement) fait état des renseignements et des preuves que peut demander le ministre dans le but de déterminer l’admissibilité d’un requérant à une prestation, le montant de la prestation auquel a droit le requérant, ou l’admissibilité d’un requérant à continuer de toucher une prestation. Dans le cadre de l’information et de la preuve qui peuvent être demandées, on peut notamment demander si l’enfant à charge du cotisant invalide est véritablement son enfant.

[24] Le paragraphe 59(1) du Règlement est ainsi libellé :

Lorsque la Loi ou le présent règlement exige qu’il y ait des preuves pour déterminer si un bénéficiaire peut recevoir des prestations ou continuer à en recevoir et, qu’à la demande du ministre, le bénéficiaire produit des preuves jugées insatisfaisantes par le ministre, ou omet de produire les preuves demandées, le ministre peut, sur avis écrit de 30 jours, suspendre le paiement des prestations jusqu’à ce que le bénéficiaire ait soumis les preuves requises qui permettent au ministre d’être convaincu quant à son admissibilité à recevoir les prestations.

Questions en litige

[25] Les questions dont je suis saisi sont les suivantes :

  1. Est-ce que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a déterminé qu’elle ne pouvait pas se pencher sur l’admissibilité des appelants à des PECI parce qu’elle n’avait pas compétence pour instruire l’appel?
  2. Si la réponse à la question qui précède est « oui », quelle serait alors la réparation appropriée?

Observations

[26] Dans leurs demandes de permission d’en appeler, les appelants ont soutenu que la division générale a commis une erreur en fondant sa décision sur des chefs de compétence [traduction] « hypo-techniques ». Après que l’intimé eût avisé les appelants de leur inadmissibilité à des PECI et demandé le remboursement de prestations déjà versées, il les a informés de leur droit de porter la décision en appel devant la section de la sécurité du revenu du Tribunal. Les appelants ont dûment fait appel à la division générale et soumis leurs réponses écrites aux questions du membre responsable. On ne leur a jamais dit, au cours du processus, qu’ils interjetaient appel devant la mauvaise instance. La division générale n’a pas évalué les nombreux éléments de preuve documentaire que les appelants avaient produits pour prouver qu’ils étaient les enfants du cotisant invalide; ce n’est qu’à la toute fin de l’instance que la division générale leur a fait savoir que leur cause dépassait sa compétence.

[27] Dans une lettre datée du 20 avril 2017, l’intimé a maintenu sa position selon laquelle les appelants n’étaient pas admissibles au bénéfice de PECI, mais a convenu que le membre de la division générale semblait avoir eu la fausse impression que les appelants avaient accepté la décision de l’intimé concernant leur admissibilité et qu’ils cherchaient tout simplement à éviter de rembourser les sommes déjà reçues, conformément au paragraphe 66(3) du RPC. La mauvaise compréhension de la division générale de la question a mené à sa décision selon laquelle elle n’était pas habilitée à instruire leur appel. L’intimé a ajouté que, bien que la division générale avait raison de conclure qu’elle n’avait pas la compétence pour instruire un appel relatif à une décision rendue conformément au paragraphe 66(3) du RPC, ce n’était pas la question qu’elle devait trancher.

[28] À la lumière de cette erreur, l’intimé a recommandé que la division d’appel renvoie l’affaire à la division générale afin de tenir une nouvelle audience, conformément au paragraphe 59(1) de la LMEDS.

Analyse

[29] Après avoir examiné les observations, je suis d’accord avec les parties pour dire que la division générale a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas la compétence pour instruire l’appel des appelants sur le fond. La division générale a commencé son analyse en notant les dispositions (paragraphes 66(1) et (2) du RPC et paragraphe 51(9) du Règlement) sur lesquelles s’est fondé l’intimé pour mettre fin aux PECI des appelants et pour demander le remboursement des prestations déjà versées. Elle a ensuite déclaré que [traduction] « [l] » arrêt faisant autorité en matière de compétence, pour des causes comme celle-ci, est la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Pincombe […] », laquelle traitait du pouvoir discrétionnaire du ministre, en vertu des paragraphes 66(3) et 66(4) du RPC, pour prendre des mesures correctives dans le cas où une personne s’est vu refuser des prestations ou qu’elle a reçu un trop-payé en raison d’un avis erroné ou d’une erreur administrative. En fin de compte, la division générale a conclu qu’elle ne pouvait pas entendre un appel contre une décision discrétionnaire du ministre, qui ne peut faire l’objet d’un contrôle que si une demande à cet effet est présentée à la Cour fédérale.

[30] Le raisonnement de la division générale soulève deux questions. Premièrement, je ne suis pas certain qu’on puisse dire que la décision du ministre, soit de refuser aux appelants des PECI et d’exiger un remboursement, était discrétionnaire. Même si le paragraphe 59(1) du Règlement permet effectivement au ministre d’user de son pouvoir discrétionnaire pour évaluer la preuve relative à l’admissibilité, l’essence de l’admissibilité est énoncée au paragraphe 44(1) du RPC, qui précise qu’une PECI doit être payée à chaque enfant d’un cotisant invalide. Si tel est le cas, il existerait un droit d’appel au Tribunal en vertu des articles 81 et 82 du RPC, qui donnent un recours aux bénéficiaires qui ne sont « pas satisfait[s] d’un arrêt concernant le montant d’une prestation qui [leur] est payable […] ».

[31] Deuxièmement, même si elle a cité dans sa décision l’arrêt Pincombe, la division générale n’a jamais précisé de quel « avis erroné ou erreur administrative » de l’intimé il était question. Si la division générale faisait référence à la décision d’origine de l’intimé d’approuver les demandes de PECI des appelants, je ne suis pas certain qu’il s’agisse là d’un « conseil » ou d’une « erreur », ou qu’elle soit « administrative ». Il s’agirait plutôt d’une décision de fond – une décision pour laquelle, de prime abord, les réparations prévues aux paragraphes 66(3) et 66(4) étaient inopérantes.

[32] Pour cela, je ne crois pas que l’arrêt Pincombe et ses successeurs s’appliquent en l’espèce. Une première lecture des paragraphes 66(3) et 66(4) donne à penser que ces dispositions visaient à aider les prestataires qui se sont vu refuser des prestations ou qui ont reçu un trop-payé de prestations, et ce, en raison d’un avis erroné ou d’une erreur administrative; elles ne sont pas, à première vue, des mécanismes permettant de rendre ou de corriger des décisions de fond sur l’admissibilité. Il faut noter que les appelants n’ont jamais prétendu qu’on leur avait refusé des prestations en raison d’une erreur administrative ou d’un avis erroné, et que le ministre n’a jamais admis avoir commis une telle erreur; c’est plutôt à la lumière d’une enquête exhaustive que le ministre a délibérément décidé de refuser des prestations aux appelants. L’erreur qui aurait alors pu être commise aurait été d’avoir accordé au départ des prestations aux appelants, mais encore là, le ministre pourrait plaider que cela avait seulement été le cas en raison de déclarations frauduleuses.

Conclusion

[33] Pour les motifs exposés précédemment, l’appel est accueilli.

[34] L’article 59 de la LMEDS énonce les réparations que la division d’appel peut accorder en appel. Pour prévenir toute crainte de partialité, il convient en l’espèce de renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’une nouvelle audience soit tenue devant un membre différent de la division générale.

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