Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Motifs et décision

Comparutions

Les personnes suivantes ont participé à l’audience :

S. S. : appelante

Michael Stevenson : avocat de l’intimé

Andrew Williamson: témoin expert appelé par l’intimé

Aperçu et historique de l’instance

[1] Le 15 août 2012, l’appelante a présenté une demande de pension de survivant au titre du Régime de pensions du Canada (RPC), relativement au cotisant défunt J. S. (J.), décédé le 15 mai 2012 à l’âge de 39 ans. L’appelante et J. S. se sont mariés le 15 août 2008; elle était âgée de 34 ans au moment du décès (demande : GT1-5 à 11).

[2] Le 20 août 2012, l’intimé a rejeté la demande de l’appelante au motif qu’elle n’était pas encore âgée de 35 ans au moment du décès du cotisant, qu’elle n’était pas invalide et qu’elle n’avait pas d’enfant à charge (GT1-15).

[3] Le 10 octobre 2012, l’appelante a demandé une révision de la décision de l’intimé relativement à la question de l’invalidité, l’appelante a écrit ce qui suit :

[traduction] « Le 15 mai 2012, mon époux s’est enlevé la vie et a changé la mienne pour toujours... Pour tout dire, je suis dévastée. J’ai beaucoup de difficulté à faire mon deuil; on m’a prescrit une faible dose d’antidépresseurs, et je consulte régulièrement mon médecin et un thérapeute. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une “invalidité” officielle, mon besoin perpétuel d’accompagnement psychologique et les difficultés quotidiennes que je dois surmonter constituent une sorte d’invalidité de laquelle je serai aux prises toute ma vie. » (GT1-17)

[4] Le 14 décembre 2012, l’intimé a maintenu sa décision selon laquelle l’appelante n’est pas admissible à la pension de survivant (GT1-19).

Questions constitutionnelles soulevées par l’appelante

[5] Le 7 janvier 2013, l’appelant a interjeté appel de la décision devant le Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. Dans sa lettre d’appel, l’appelante faisait valoir qu’elle était seulement âgée de 34 ans au moment du décès de son époux, mais qu’il était âgé de 39 ans et qu’il a cotisé au RPC pendant plusieurs années. L’appelante a affirmé ce qui suit :

[traduction] « S’il faut appliquer un seuil arbitraire, je pense qu’il serait davantage raisonnable de se fier à l’âge du défunt pour déterminer la durée de sa cotisation au RPC. J’espère que vous examinerez ma cause et que vous m’accorderez la pension de survivant aux motifs d’invalidité ou de raison humanitaire […]. » (GT1-23)

[6] Le 1er avril 2013, l’appel a été renvoyé devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale en vertu de Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34, qui est entrée en vigueur cette même journée.

[7] Le 24 avril 2015, le Tribunal a envoyé un avis d’audience au moyen de questions et réponse demandant à l’appelante si elle affirme être invalide conformément aux critères du RPC, et le cas échéant, si elle a présenté une demande de prestations d’invalidité du RPC. On lui a aussi demandé si elle avait l’intention d’invoquer l’argument constitutionnel et on l’a informé que, le cas échéant, elle devrait présenter un avis conformément à l’alinéa 20(1)a) du Règlement sur le Tribunal (GTO).

[8] Dans une lettre datée du 19 mai 2015, l’appelante a mentionné qu’elle ne présenterait pas de demande de prestations d’invalidité et étayé sa contestation constitutionnelle comme suit :

[traduction] « J’ai décidé de présenter une contestation constitutionnelle devant le Tribunal de la sécurité sociale. Ma contestation est fondée sur le Code des droits de la personne de l’Ontario, L.R.O. chapitre H 19, qui se lit comme suit : “Toute personne a droit à un traitement égal en matière de services, de biens ou d’installations, sans discrimination fondée sur la race, l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique, la citoyenneté, la croyance, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, l’état matrimonial, l’état familial ou un handicap.”

Ainsi que sur le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés qui se lit comme suit : “La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.”

Veuillez justifier en quoi mon âge ou le fait que J. S. et moi n’avons pas eu d’enfant constitue une raison valable de refus de prestations qui sont accordées aux autres survivants ». (GT5-2) [mis en évidence en gras par l’appelante]

[9] Le 10 septembre 2015, le Tribunal a énoncé les directives sur le déroulement de l’appel fondé sur la Charte qui a eu lieu lors de la conférence préparatoire du 9 septembre 2015 (GT6).

[10] L’appelante a déposé son dossier le 30 novembre 2015 et le 15 décembre 2015 (GT12 et GT14).

[11] Le 2 mai 2016, l’intimé a déposé son dossier et le rapport d’expert (GT18 à GT22).

[12] Le 26 septembre 2016, le Tribunal a envoyé aux parties un avis d’audience pour les informer que la cause serait entendue par téléconférence le 24 janvier 2017 (GTOC).

[13] Le 23 janvier 2017, l’audience a été ajournée puisque l’avis de question constitutionnel signifié par l’appelante n’a pas donné suffisamment de renseignements sur les questions en litige soulevées. L’audience a été reportée au 25 mai 2017 afin de permettre à l’appelante de signifier un avis de conformité (GTOD).

[14] Le 9 avril 2017, l’appelante a signifié et présenté un deuxième avis de question constitutionnel (GT-40).

[15] Le 15 mai 2017, l’intimé a déposé le curriculum vitae d’Andrew Williamson (GT41).

[16] Le 19 mai 2017, l’intimé a présenté deux autres affaires instruites par la Cour suprême (GT42).

Dispositions législatives pertinentes

[17] Les dispositions législatives et réglementaires suivantes sont pertinentes à cet appel :

Régime de pensions du Canada

[18] Au terme de l’alinéa 44(1)d) du RPC, une pension de survivant doit être payée à la personne qui a la qualité de survivant d’un cotisant qui a versé des cotisations de base pendant au moins la période minimale d’admissibilité, si le survivant  a atteint l’âge de soixante-cinq ans, ou, dans le cas d’un survivant qui n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans  :

(A) ou bien avait au moment du décès du cotisant atteint l’âge de trente-cinq ans;

(B) ou bien était au moment du décès du cotisant un survivant avec enfant à charge;

(C) ou bien est invalide.

[19] Le paragraphe 58(1) du RPC prévoit que, sauf si le survivant était, au décès du cotisant, un survivant avec enfant à charge ou s’il est invalide, le montant de la pension de survivant doit être réduit de 1/120 par mois pour le nombre de mois restant à courir, au décès du cotisant, avant que le survivant atteigne l’âge de quarante-cinq ans.

[20] Le paragraphe 113.1(1) du RPC prévoit que tous les trois ans, après 1997, le ministre des Finances et des ministres des provinces incluses procèdent à l’examen de la situation financière du Régime de pensions du Canada et peuvent faire des recommandations afin de déterminer s’il faut modifier les prestations ou les taux de cotisation.

Charte canadienne des droits et libertés

[21] L’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[22] Le paragraphe 15(1) de la Charte prévoit que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[23] Le paragraphe 15(2) de la Charte prévoit que le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

La Loi constitutionnelle

[24] L’article 52 de la Loi constitutionnelle prévoit que la Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Contestation concernant sur le Code des droits de la personne de l’Ontario

[25] Dans la lettre au Tribunal datée du 19 mai 2015 (GT-5), l’appelante mentionne que sa contestation est aussi fondée sur le Code des droits de la personne de l’Ontario, L.R.O. 1990, qui prévoit que ce qui suit : « Toute personne a droit à un traitement égal en matière de services, de biens ou d’installations, sans discrimination fondée sur la race, l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique, la citoyenneté, la croyance, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, l’état matrimonial, l’état familial ou un handicap. » Elle prétend qu’elle est victime de discrimination basée sur son âge et son état familial.

[26] Bien que l’appelante n’ait pas traité ces allégations dans ses observations écrites, elle soutient dans son témoignage oral lors de l’audience que la question en litige concernant le Code des droits de la personne de l’Ontario qui ne s’applique pas au RPC doit être examinée de nouveau. Cependant, elle n’a pas fourni de fondement juridique pour appuyer sa position.

[27] Le Tribunal souscrit à l’argument de l’intimé selon lequel le Code des droits de la personne de l’Ontario ne s’applique pas au RPC. Il s’agit d’une loi provinciale qui s’applique uniquement sur des questions qui relèvent de la compétence du gouvernement de l’Ontario. Le gouvernement de l’Ontario n’a pas de compétence relativement au RPC puisqu’il s’agit d’une loi fédérale qui relève de la compétence du gouvernement fédéral (Szatmari v. Tribunal de l’aide sociale, 2015 TDPO 549; Glover v. Régime de pensions du Canada, 2010 TDPO 1364).

Questions en litige

[28] L’alinéa 44(l)d) a-t-il un effet discriminatoire basé sur l’âge à l’égard de l’appelante, ce qui va à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte?

[29] Pour se prononcer sur cette question, il faut évaluer les éléments suivants :

  1. La décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 RCS 497 (décision Law), lie-t-elle le Tribunal?
  2. Si la décision Law n’est pas contraignante, le Tribunal peut donc instruire la question de savoir si l’alinéa 44(1)b) du RPC a un effet discriminatoire basé sur l’âge à l’égard de l’appelante, ce qui va à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte.
  3. Si le Tribunal détermine que la disposition contestée porte atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte, le Tribunal doit aussi déterminer si cette atteinte peut être réputée comme étant raisonnable dans une société libre et démocratique au terme de l’article 1 de la Charte.

[30] Le Tribunal a déterminé que la décision Law lie le Tribunal et que l’appel doit être rejeté. Les motifs de cette décision sont énoncés ci-dessous :

Contexte factuel

[31] Il n’y a pas de contestation concernant les faits sous-jacents. L’appelante, épouse du cotisant défunt, était âgée de 34 ans au moment du décès. Elle n’est pas invalide et n’a pas d’enfant à charge. À la simple lecture de l’alinéa 44(1)d) du RPC, elle n’est pas admissible à une pension de survivant du RPC. Pour accueillir sa demande, cette disposition devra être jugée comme portant atteinte aux droits garantis par la Charte.

Preuve de l’appelant

[32] Madame S. S. soutient que les personnes âgées de moins de 35 ans obtiennent moins de soutien et sont confrontées à plus de dettes que lors de la dernière révision de ces questions en litige dans le cadre de la décision Law. Les personnes âgées de 45 à 55 ans admissibles à une pension de survivant sont plus susceptibles de posséder une maison et d’avoir de plus petites hypothèques, et ont davantage de chances de se remarier. Bien que la décision Law ait pu s’avérer pertinente de nos jours, l’alinéa 44(1)b) du RPC ignore cette réalité selon laquelle les jeunes sont plus vulnérables. Bien que l’appelante n’a pas contracté de dettes, elle a dû se démener et il est injuste de souscrire au stéréotype sur les jeunes sur le motif qu’ils seraient plus susceptibles de trouver un nouvel époux. Elle a posé la question suivante : « À des fins d’équité, comment peut-on refuser des prestations à certains et les accorder à d’autres? »

[33] Lorsque monsieur Stevenson a renvoyé l’appelante à son registre des gains (GT20-885), elle a fait valoir que ses revenus annuels s’élevaient de 45 000 $ à 50 000 $ en 2005, elle était alors âgée de 27 ans. Au décès de son époux, elle avait obtenu un emploi à temps plein, mais elle ne pouvait plus occuper cet emploi en raison du stress lié au décès. Depuis, elle est uniquement en mesure de dénicher des emplois contractuels à court terme. Elle reconnaît que cette situation est en partie attribuable au contexte économique, elle prétend aussi que cela résulte du décès de son époux (il s’est suicidé) dans des circonstances traumatisantes et il est de plus en plus difficile pour elle de conserver un emploi très stressant. Elle est souvent devancée par des candidats plus âgés et chevronnés; sa jeunesse représente un défi grandissant dans son retour sur le marché du travail.

Preuve d’experts

[34] Le Tribunal a examiné le curriculum vitae de monsieur Williamson (GT41) et déterminé qu’il se qualifiait à titre de témoin expert en raison de son historique avec le RPC.

[35] Le Tribunal a aussi examiné son rapport d’expert (GT21 et GT 22).

[36] Monsieur Williamson atteste que le RPC est obligatoire pour la plupart des Canadiens. Il ne s’agit pas d’un régime d’aide sociale et il est financé grâce aux cotisations et aux revenus de placement, et non pas à partir des revenus généraux. Le but du RPC est d’assurer une protection financière minimale contre la perte de gains généralement liée à la retraite, à l’invalidité ou au décès d’un salarié.

[37] Chaque prestation du RPC fait partie d’un vaste réseau ramifié de prestations et chacune d’elles a été mise en place en relation et en interaction avec le portrait global du RPC, et en répondant au besoin du Régime d’être économiquement durable et rentable pour tous les Canadiens. La pension de survivant reflète le volet assurance du RPC et ses critères d’admissibilité confirment les intentions du législateur que la meilleure prestation possible soit versée au survivant, qui est plus à risque de perdre son autonomie financière à la suite du décès du cotisant.

[38] Les impondérables sont différents en ce qui concerne les pensions de retraite et de survivant. La pension de retraite est davantage prévisible et reflète le volet épargne, qui est généré par les cotisations au régime sur plusieurs années. La pension de survivant est moins prévisible et offre un taux uniforme afin de refléter le volet assurance. Le taux uniforme est offert puisque les jeunes cotisants défunts n’auront pas contribué assez longtemps au volet épargne.

[39] L’admissibilité à la pension de survivant met en lumière trois suppositions importantes concernant la capacité relative des conjoints survivants de participer au marché du travail afin de pallier les revenus futurs perdus en raison du décès d’un époux ou d’un conjoint de fait. La première supposition sous-entend que plus un veuf est âgé lors du décès du défunt, plus il sera difficile d’obtenir et de conserver un emploi stable. La deuxième supposition fait valoir que si un veuf a un enfant à charge, il sera plus difficile d’obtenir ou de conserver un emploi stable. La troisième supposition mentionne que si le veuf est invalide, plus il sera difficile d’obtenir ou de conserver un emploi stable.

[40] En 1966, ces suppositions étaient considérées comme une représentation juste de la réalité des bénéficiaires survivants. Aucune preuve statistique n’a été présentée pour appuyer ces suppositions et celles-ci n’ont jamais été remises en question. Avec le temps, ces suppositions ont été examinées minutieusement à plusieurs reprises et sont encore considérées comme étant des lignes directrices raisonnables lorsque vient le temps d’évaluer les besoins des survivants tout en assurant la viabilité financière à long terme du RPC.

[41] Monsieur Williamson a renvoyé à des statistiques qui soutiennent que : 1) les Canadiens plus âgés ont plus de difficulté à obtenir ou à conserver un emploi stable que les jeunes; 2) les parents, surtout ceux qui sont monoparentaux, ont plus de difficulté à obtenir ou à conserver un emploi stable que les personnes sans enfant; 3) que les personnes atteintes d’une invalidité ont plus de difficulté à obtenir ou à conserver un emploi stable que celles qui ne le sont pas.

[42] La pension de survivant avait pour but d’offrir un soutien à long terme et son admissibilité a été conçue afin de dépendre des circonstances selon lesquelles un veuf ne peut pas raisonnablement atteindre l’autonomie financière. À la page 20 de son rapport d’expert (GT21-22), monsieur Williamson a renvoyé à la déclaration suivante prononcée par l’honorable Judy Marsh devant la Chambre des communes lors de l’inauguration du RPC :

[traduction] « La philosophie selon laquelle les pensions sont versées aux veufs âgés de moins de 65 ans sous-entend qu’une pension complète doit être mise à la disposition de ceux ne peuvent pas obtenir d’emploi facilement. Les jeunes veufs dans la vingtaine et la trentaine ont habituellement très peu de difficulté à trouver un emploi, et bien sûr, plusieurs d’entre eux se remarient.

Je suis certaine que mon honorable ami est conscient que la plupart des femmes âgées de 35 ans sont capables d’obtenir un emploi. Les prestations les plus onéreuses de l’ensemble du régime sont les prestations de survivant. Cette proposition a été rédigée sur la prémisse que les femmes âgées de 35 ans au décès de leur époux et sans enfant à charge seraient en mesure de trouver un emploi et de cotiser à leur pension subséquente. Il s’agit d’un changement dans notre approche sociale selon laquelle on s’attend à ce que les femmes soient autonomes financièrement et capable de prendre des dispositions pour le futur de la même façon qu’un homme le ferait. »

[43] Monsieur Williamson a renvoyé à des données de Statistique Canada qui démontrent que bien que le taux de chômage des jeunes a toujours été plus élevé que celui des adultes plus âgés, les jeunes représentent une plus petite proportion des personnes sans emploi qu’il trois décennies; le taux de chômage des jeunes Canadiens est le plus bas de tous les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

[44] Il a aussi renvoyé à des données de 2016 de Statistique Canada qui démontrent que le taux d’emploi des Canadiens âgés de 25 à 34 ans se chiffre à 80 %; à 83 % pour ceux âgés de 35 à 44 ans; à 81 % pour ceux âgés de 45 à 54 ans; et à 35,5 % pour ceux âgés de 55 ans et plus. Lorsqu’il a été interrogé par madame S. S. à propos du traitement réservé aux groupes des moins de 35 ans comparativement aux personnes âgées de 35 à 55 ans alors que la variation du taux d’emploi des groupes respectifs est minime, il a déclaré ce qui suit : « Le RPC se base sur le long terme. Les jeunes pourront participer à la population active plus longtemps et ils leur restent plusieurs années avant que l’heure de la retraite ait sonné. Il faut jeter un regard à long terme et se fonder sur la capacité à long terme de devenir autonome. »

Position de l’appelante

[45] Les observations écrites de l’appelante et les documents à l’appui sont énoncés dans GT12 et GT14. Elle prétend que l’alinéa 44(1)d) du RPC crée une discrimination basée sur l’âge et transgresse le droit d’égalité prévu au paragraphe 15(1) de la Charte.

[46] Elle reconnaît que la décision Law a examiné une contestation constitutionnelle similaire et n’a relevé aucune transgression au paragraphe 15(1), mais elle soutient qu’il faut examiner de nouveau la deuxième étape du critère d’admissibilité à deux volets énoncé dans la jurisprudence.

[47] Elle fait valoir que [traduction] « bien des choses ont changé dans les 16 années depuis la décision Law » et qu’il est plus difficile pour les jeunes de retrouver un équilibre financier à la suite du décès d’un époux, en raison du contexte économique, qu’il ne le serait pour des personnes plus âgées et mieux nanties. Selon elle, la loi, bien que justifiable au moment de son adoption, ne répond plus au contexte actuel, et omet les vulnérabilités et les désavantages auxquels sont confrontés les jeunes adultes qui entament leur vie professionnelle et personnelle; seule la précarité économique des conjoints survivants âgés de moins de 35 ans devrait être reconnue.

[48] L’appelante soutient que l’alinéa 44(1)d) du RPC créé une distinction fondée sur l’âge, ce qui représente l’un des moyens d’appel énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte. Elle a ajouté que l’article contesté stéréotype les jeunes âgés de moins de 35 ans d’une façon qui n’est pas représentative du contexte actuel. Elle fait valoir que le seuil de 35 ans est fondé sur les stéréotypes inexacts suivants : ceux qui sont plus jeunes lors du décès de leur époux ont plus de facilité à remplacer les revenus perdus en raison du décès; ils sont plus susceptibles de trouver un nouvel époux; ils sont mieux outillés pour obtenir ou conserver un emploi; et ils disposent d’une plus longue période d’adaptation pour redresser leur situation financière avant leur retraite.

[49] Elle a cité un rapport du centre de recherche Pew (Pew Research Center) datant de 2004 qui détermine que les adultes plus âgés sont plus susceptibles de se remarier que les jeunes. Elle s’est aussi fondée sur un article de CBC daté du 11 mars 2014, sur un rapport de 2013 du Centre canadien de politiques alternatives et sur ses expériences personnelles puisqu’elle a été sans emploi six fois dans ses 17 années sur le marché du travail. Elle fait valoir que ces arguments démontrent que les taux de chômage sont élevés chez les jeunes, que les jeunes adultes ont de la difficulté à rembourser leurs dettes étudiantes, et, que bien que les jeunes adultes disposent d’une plus longue période d’adaptation, cela ne simplifie pas pour autant leur situation financière s’ils sont incapables de trouver un emploi ou d’en conserver un à temps plein.

[50] Lors de l’audience, elle a soutenu que depuis la dernière révision de la disposition contestée dans le cadre de la décision Law, les adultes plus âgés sont moins vulnérables économiquement que les jeunes adultes; ils sont maintenant mieux outillés pour pallier le décès de leur époux; et bien que les jeunes passeront davantage d’années sur le marché du travail, ils entament leur vie professionnelle et personnelle avec moins de soutien et sont plus endettés. Bien que l’appelante n’ait pas contracté de dette, elle a dû se démener financièrement et il est injuste que les jeunes adultes veufs soient traités différemment des adultes plus âgés.

[51] Elle demande à ce que le Tribunal lui accorde la pension de survivant au terme du l’alinéa 44(1)d) du RPC et que les prestations soient rétroactives au décès de son époux.

Position de l’intimée

[52] Les observations écrites et les documents à l’appui de l’intimée sont énoncés dans GT19, GT20, GT21, GT22, GT41 et GT42.

[53] Monsieur Stevenson soutient que la contestation de la Charte de l’appelante contient deux [traduction] « lacunes critiques » : premièrement, le Tribunal est lié par la décision Law; deuxièmement, même si l’on menait une analyse de la charte, la disposition contestée n’est pas anticonstitutionnelle.

[54] Monsieur Stevenson a cité la décision de la Cour suprême du Canada dans les affaires Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5 (décision Carter), et Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72 (décision Bedford), qui énoncent le critère [traduction] « très limité » selon lequel le Tribunal peut revenir sur des décisions constitutionnelles exécutoires de la Cour suprême. Il fait valoir que cette contestation de la Charte ne répond pas au critère puisqu’aucune nouvelle question juridique de droit n’a été soulevée par suite d’une évolution importante du droit et qu’aucune modification de la situation ou de la preuve n’a changé radicalement la donne.

[55] Il soutient que cette affaire est un [traduction] « copier-coller » de la décision Law puisqu’elles sont structurellement identiques; la même disposition est contestée sur le même motif de discrimination fondée sur l’âge; et la question des stéréotypes présumés inappropriés a été expressément analysée aux paragraphes 96 à 102 de la décision Law dans laquelle la Cour a conclu ceci : « Du fait de sa jeunesse, l’appelante jouit, à plus forte raison, de meilleures chances de remplacer à long terme le revenu perdu. »

[56] Monsieur Stevenson soutient que la pension de survivante a pour but de pallier la précarité à long terme, et que la preuve statistique démontrant une baisse significative du taux d’emploi pour les personnes âgées de 65 ans et plus et le fait que les jeunes adultes disposent d’une plus longue période pour atteindre l’autonomie financière correspond aux suppositions énoncées dans la décision Law.

[57] Il soutient également que même en ne tenant pas compte de la décision Law, la contestation de la Charte ne satisfait pas à l’analyse à deux volets énoncée dans les décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans les affaires Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, et Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, [2015] 2 RCS 548. Il reconnaît que la contestation de la Charte répond au premier volet de l’analyse, car il y a une distinction nominale fondée sur l’âge, mais il a soutenu qu’elle ne répond pas au second volet discriminatoire.

[58] Il fait valoir que le RPC n’est pas un régime d’aide sociale, et que la pension du survivant s’inscrit dans le volet assurance du régime et qu’elle vise à fournir des prestations aux veufs qui sont devenus dépendants de leur époux en raison leur âge, qui ont des enfants à charge ou qui sont invalides; que le RPC vise le rendement; et que les jeunes adultes sans enfant à charge ou qui ne sont pas invalides sont avantagés et sont mieux outillés pour trouver ou conserver un emploi. Il soutient que les critères d’admissibilité ne sont pas fondés sur des stéréotypes puisque les jeunes adultes ont de meilleures perspectives à long terme. Il a aussi cité la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Granovsky c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203, [paragraphes 68 à 70], et fait valoir que la privation d’avantages pécuniaires ne suffit pas à établir un motif de discrimination.

[59] Monsieur Stevenson fait aussi valoir que bien qu’il ne soit pas nécessaire d’analyser l’article 1 de la Charte, la disposition contestée est justifiée à l’article 1 de la Charte puisque le RPC a, dans son mandat global, un objectif réel et urgent de fournir un soutien à long terme aux conjoints survivants; la distinction est rationnellement liée à l’objectif en fonction des besoins; et il y a un empêchement minimal fondé en tant que norme de la décision raisonnable, et non de perfection, puisque l’appelante sera tout de même admissible aux prestations lorsqu’elle sera âgée de 65 ans ou si elle devient invalide. Il soutient que la distinction a un objectif égalitaire puisqu’elle assiste les personnes les plus vulnérables qui sont moins susceptibles d’atteindre l’autonomie.

[60] Pour ce qui est de la réparation, monsieur Stevenson soutient que le Tribunal ne peut pas prononcer de déclarations générales et qu’il a uniquement la compétence de décider si la disposition contestée est invalide en l’espèce.

Analyse

[61] La question relative au seuil dans cet appel est de déterminer si la décision Law lie le Tribunal. Les décisions Bedford et Carter offrent une direction sur les circonstances selon lesquelles le Tribunal peut revenir sur les conclusions tirées par la Cour suprême du Canada dans des affaires semblables.

[62] Dans la décision Bedford, la juge en chef McLachlin a fourni la direction suivante aux juges de première instance, qui s’applique également aux membres du Tribunal :

[38] La notion de certitude du droit exige que les tribunaux suivent et appliquent les précédents qui font autorité. C’est d’ailleurs l’assise fondamentale de la common law.

[42] À mon avis, le juge du procès peut se pencher puis se prononcer sur une prétention d’ordre constitutionnel qui n’a pas été invoquée dans l’affaire antérieure; il s’agit alors d’une nouvelle question de droit. De même, le sujet peut être réexaminé lorsque de nouvelles questions de droit sont soulevées par suite d’une évolution importante du droit ou qu’une modification de la situation ou de la preuve change radicalement la donne.

[63] Dans la décision Carter, la Cour suprême a fourni la direction supplémentaire suivante :

[43] Le Canada et l’Ontario soutiennent que la juge de première instance était liée par l’arrêt Rodriguez et n’était pas autorisée à réexaminer la constitutionnalité des dispositions législatives qui interdisent l’aide au suicide. L’Ontario va même jusqu’à prétendre que le [traduction] « stare decisis vertical » est un principe constitutionnel qui oblige toutes les juridictions inférieures à suivre rigoureusement les précédents de la Cour relatifs à la Charte, et ce, tant et aussi longtemps que la Cour ne les a pas écartés.

[44] La doctrine selon laquelle les tribunaux d’instance inférieure doivent suivre les décisions des juridictions supérieures est un principe fondamental de notre système juridique. Elle confère une certitude tout en permettant l’évolution ordonnée et progressive du droit. Cependant, le principe du stare decisis ne constitue pas un carcan qui condamne le droit à l’inertie. Les juridictions inférieures peuvent réexaminer les précédents de tribunaux supérieurs dans deux situations : (1) lorsqu’une nouvelle question juridique se pose; et (2) lorsqu’une modification de la situation ou de la preuve « change radicalement la donne ».

[64] Dans la décision Law, une femme âgée de 30 ans, sans enfant ni invalidité, s’est vue refuser les prestations de survivant du RPC. Elle a fait valoir que les distinctions d’âge au titre de l’alinéa 44(1)d) et de l’article 58 du RPC ont un effet discriminatoire basé sur l’âge à son égard, ce qui va l’encontre au paragraphe 15(1) de la Charte. La Cour suprême a rejeté l’appel fondé sur la Charte.

[65] Les extraits les plus importants de la décision Law sont énoncés et discutés ci-dessous :

Les observations des parties dans l’affaire Law sont similaires aux observations en l’espèce.

Extraits de la décision Law

[96] L’appelante prétend que tant l’objet que l’effet des dispositions du RPC violent le paragraphe 15(1) de la Charte. Elle soutient que les distinctions créées par l’alinéa 44(1)d) et l’article 58 avaient à l’origine pour but de fournir des prestations aux conjoints survivants les plus nécessiteux, en tenant pour acquis qu’il existe un lien, notamment, entre l’âge avancé d’une personne et sa capacité d’accéder au marché du travail ou de le réintégrer après le décès de son conjoint. L’appelante affirme que la supposition qu’un tel lien existe est erronée parce que les jeunes en général, et elle‑même en particulier, ont en fait de la difficulté à trouver un emploi et que les suppositions contraires qui sous‑tendent la loi reposent sur des stéréotypes faux concernant les avantages dont bénéficient les jeunes. À son avis, aucun élément de preuve n’établit un lien direct entre l’âge du survivant au moment du décès de son conjoint et le besoin de prestations. Elle avance que les dispositions contestées ont pour effet de saper la dignité des adultes âgés de moins de 45 ans et de les traiter comme ayant moins de valeur que les adultes plus âgés par l’application du stéréotype qu’ils sont moins dans le besoin.

[98] En réponse, l’intimé maintient que même si, à l’origine, les distinctions en matière d’âge établies par les dispositions du RPC relatives à la pension de survivant peuvent avoir été fondées sur des suppositions, l’exactitude de ces dernières se reflète aujourd’hui dans des données statistiques, d’autres mesures législatives et plusieurs décisions de notre Cour. L’intimé souligne également que les suppositions qui sous‑tendent les dispositions contestées du RPC concernent non pas les besoins financiers relativement immédiats des conjoints survivants, mais leurs besoins à long terme.

Conclusion

[66] Les observations juridiques des parties dans l’affaire Law sont similaires à celles en l’espèce et le Tribunal estime qu’aucun nouveau principe ou nouvelle question juridique soulevée n’a été examiné dans la décision Law.

Les paramètres de preuve dans l’affaire Law sont similaires à ceux en l’espèce.

Extraits de la décision Law

[99] Pour reprendre les préoccupations relatives à la dignité qui ont déjà été abordées, on peut résumer les questions de la façon suivante. Les dispositions contestées du RPC ont‑elles pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l’imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux? L’objet et l’effet de la loi sont-ils compatibles avec une société dans laquelle tous sont également reconnus en tant qu’êtres humains ou que membres de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect et la même considération? L’objet et l’effet de la loi perpétuent‑ils l’opinion que les gens âgés de moins de 45 ans sont moins capables, ou moins dignes d’être reconnus ou valorisés en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne?

[100] Avant de répondre à ces questions, il est utile de signaler que, bien que l’appelante ait attiré l’attention de notre Cour sur des rapports gouvernementaux et d’autres sources favorables à l’élargissement de l’admissibilité aux prestations aux conjoints survivants plus jeunes, en raison de leurs besoins financiers immédiats, elle n’a pas démontré que l’objet ou l’effet des dispositions législatives contestées violent la dignité et la liberté de sa personne, dans le sens susmentionné, au point de constituer de la discrimination. Je conviens avec l’appelante que les conjoints survivants de tous âges sont vulnérables, économiquement et autrement, dans la période qui suit immédiatement le décès de leur conjoint. Toutefois, ainsi que l’appelante et l’intimé l’ont reconnu dans leurs observations à la Cour, l’objet et la fonction des dispositions contestées du RPC ne sont pas de pourvoir aux besoins financiers immédiats des veuves et des veufs, mais plutôt de permettre aux veuves et aux veufs plus âgés de subvenir à leurs besoins essentiels à long terme.

[101] Selon l’appelante, l’idée qui se dégage des distinctions fondées sur l’âge établies par les dispositions du RPC relatives à la pension de survivant semble être que les jeunes personnes éprouvent moins de difficulté à participer au marché du travail à long terme et sont généralement plus en mesure que leurs aînés de remplacer, au fil du temps, par leurs propres moyens et en tant que membres actifs de la société canadienne, le revenu de leur conjoint décédé. Il me semble qu’un tribunal peut à bon droit prendre connaissance d’office du fait que plus l’on vieillit, plus il est difficile de trouver et de conserver un emploi. En fait, notre Cour a souvent reconnu que l’âge était un facteur à considérer dans le contexte de la participation au marché du travail et du retrait de ce dernier.

[102] Les réponses aux questions que j’ai énoncées précédemment relativement à la dignité humaine se trouvent donc, en partie, dans l’objet et les effets des dispositions législatives, pour ce qui est de fournir une sécurité financière à long terme aux Canadiens qui perdent leur conjoint, ainsi que dans la souplesse et les possibilités plus grandes qu’ont les personnes plus jeunes sans enfants à charge et sans invalidités lorsqu’il s’agit de se bâtir une sécurité à long terme en l’absence de leur conjoint. Il est vrai que la loi défavorise les conjoints plus jeunes qui se trouvent dans cette catégorie. Mais, il ne s’agit vraisemblablement pas d’un désavantage réel, si on le regarde à long terme. À sa face même, la loi traite différemment ces personnes plus jeunes, mais, si elle est analysée du double point de vue de la sécurité à long terme et des possibilités plus grandes offertes par la jeunesse, la différence de traitement ne traduit ni n’encourage l’idée que ces personnes sont moins capables, ou moins dignes d’intérêt, de respect et de considération. De même, la différence de traitement ne perpétue pas l’opinion que les gens de cette catégorie sont moins capables, ou moins dignes d’être reconnus ou valorisés en tant qu’êtres humains ou que membres de la société canadienne. Compte tenu du contexte contemporain et historique qui entoure la différence de traitement et les personnes qu’elle touche, les dispositions législatives en cause n’appliquent pas de stéréotypes aux adultes âgés de moins de 45 ans, ne les excluent pas et ne les dévalorisent pas. La loi ne fonctionne pas au moyen de stéréotypes mais au moyen de distinctions qui correspondent à la situation véritable des personnes qu’elle vise. Du fait de sa jeunesse, l’appelante jouit, à plus forte raison, de meilleures chances de remplacer à long terme le revenu perdu.

[104] Les dispositions législatives contestées traduisent simplement le fait que les personnes se trouvant dans la situation de l’appelante sont plus en mesure de subvenir à leurs besoins à long terme compte tenu de la nature du cycle de la vie humaine. Les personnes qui sont plus jeunes lorsqu’elles perdent un conjoint sont davantage capables de remplacer le revenu perdu par suite du décès du conjoint. Une personne raisonnable de moins de 45 ans qui tient compte des facteurs contextuels entourant l’allégation interpréterait à bon droit la distinction créée par le RPC comme signifiant que les personnes plus jeunes sont plus susceptibles de trouver un nouveau conjoint, sont davantage capables de se doter d’une nouvelle formation ou de trouver un nouvel emploi et disposent de plus de temps pour s’adapter à leur nouvelle situation financière avant de prendre leur retraite. Les jeunes personnes sont par nature plus aptes à intégrer le marché du travail et à y demeurer à long terme, de sorte qu’il est impossible de dire que les dispositions contestées du RPC leur imposent un fardeau discriminatoire. Dans des circonstances aussi particulières, où l’objet et les effets des dispositions législatives ne sapent pas la dignité des personnes qu’elles excluent, il est loisible au législateur de se servir de l’âge comme d’un indicateur des besoins à long terme.

[105] En évoquant l’existence d’une correspondance entre une distinction de traitement établie par la loi et la situation véritable de personnes ou de groupes différents, je ne veux pas laisser entendre qu’une loi doit toujours correspondre parfaitement à la réalité sociale pour être conforme au paragraphe 15(1) de la Charte. La question de savoir si une disposition législative porte atteinte à la dignité du demandeur doit dans chaque cas être examinée en tenant compte de l’ensemble du contexte de la demande. En l’espèce, l’appelante est favorisée en raison de son jeune âge. Elle conteste la validité d’un texte de loi ayant un objet et des fonctions égalitaires et dont les dispositions correspondent dans une très large mesure aux besoins et à la situation des personnes ciblées. Aucun autre facteur ne donne à penser que ces dispositions portent atteinte à sa dignité de jeune adulte, tant dans leur objet que dans leurs effets.

[106] Dans les circonstances, le fait que les dispositions de la loi s’appuient sur des généralisations statistiques documentées qui peuvent ne pas correspondre parfaitement aux besoins financiers à long terme de tous les conjoints survivants ne compromet pas la conclusion ultime, soit qu’elles sont compatibles avec la dignité et la liberté de l’appelante. [mis en évidence par le Tribunal]

Conclusion

[67] L’appelante a présenté de façon éloquente les éléments de précarité émotionnelle et économique auxquels sont confrontés les jeunes adultes. La Cour suprême le reconnaît dans la décision Law et cela n’est pas contesté en l’espèce. Cependant, l’objectif et le rôle de la disposition contestée visent à pallier les besoins à long terme des conjoints survivants plus âgés au même titre que ceux des jeunes conjoints survivants qui ont un enfant à charge ou qui sont invalides. Il ne fait aucun doute que l’appelante fait valoir que [traduction] « bien des choses ont changé dans les 16 années depuis la décision Law »; cependant, aucun élément de preuve ne suggère que la réalité sous-entendue des jeunes selon laquelle ils sont plus susceptibles de répondre à leurs besoins à long terme et de pallier la perte d’un revenu à long terme a changé.

[68] Les dettes étudiantes potentiellement plus élevées des jeunes adultes et les incertitudes dans le contexte économique actuel ne changent pas la réalité fondamentale sous-jacente selon laquelle les jeunes disposent de plus de temps pour s’ajuster et qu’ils ont passeront davantage de temps sur le marché du travail. Comme il est instruit par la Cour suprême dans la décision Law : « [ils sont plus en mesure de subvenir à leurs besoins à long terme] compte tenu de la nature du cycle de la vie humaine. »

[69] Le Tribunal estime qu’il n’y a eu pas de modification de la situation ou de la preuve qui change radicalement la donne.

Conclusion

[70] Le Tribunal conclut qu’il est lié par la décision Law puisqu’aucune nouvelle question juridique de droit n’a été soulevée et qu’aucune modification de la situation ou de la preuve ne change radicalement la donne.

[71] En concluant qu’il est lié par la décision Law, le Tribunal estime qu’il n’est pas nécessaire de mener une analyse du paragraphe 15(1) de la Charte. Tout comme il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si l’atteinte présumée peut être réputée comme étant raisonnable dans une société libre et démocratique au terme de l’article 1 de la Charte.

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