Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Contenu de la décision



Motifs et décision

Comparutions

Représentants de l’appelant   Sandra Doucette
    Nancy Wong (observatrice)
    Celine Robichaud (observatrice)

Ni l’intimée ni un représentant du mis en cause n’était présent.

Décision

L’appel est accueilli.

Introduction

[1] Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal), rendue le 2 juin 2016. La division générale a instruit l’affaire sur la foi du dossier documentaire et a conclu que l’appelant avait erré en accordant au mis en cause la prestation de décès au titre du Régime de pensions du Canada (RPC), plutôt qu’à l’intimée.

[2] La permission d’en appeler a été accordée le 10 février 2017, au motif que la division générale pourrait avoir commis une erreur en rendant sa décision.

Aperçu

[3] Le 13 septembre 2013, J. W. S. (le cotisant décédé) est décédé. Le 29 octobre 2013, l’intimée a présenté une demande de prestation de décès du RPC pour la succession du cotisant décédé. Elle a dit qu’elle était l’épouse et la conjointe de fait du cotisant décédé, de même que l’exécutrice testamentaire, mais elle a aussi rempli une partie de la demande où il était indiqué qu’il n’y avait pas de testament et qu’elle présentait la demande en tant que conjointe de fait de la succession. La demande de l’intimée était accompagnée des documents suivants :

  • une copie du certificat de la preuve de décès;
  • une copie du contrat de services funéraires;
  • une facture qui indiquait que l’intimée avait déboursé 240,88 $ en services funéraires;
  • un testament écrit à la main, signé devant témoin le 8 juillet 2013 par le cotisant décédé.

[4] Le 14 novembre 2013, le mis en cause a présenté une demande de prestation de décès du RPC pour la succession du cotisant décédé. Il faisait valoir qu’il avait payé les frais de services funéraires du cotisant décédé et a présenté une copie du certificat de preuve de décès, ainsi qu’une déclaration indiquant que les Services communautaires de la région de X avaient déboursé un montant de 4 022,56 $ en frais de services funéraires.

[5] L’appelant a approuvé la demande du mis en cause et lui a versé le produit découlant de la prestation de décès.

[6] Dans une lettre datée du 18 novembre 2013, l’intimée a été avisée que sa demande de prestation de décès avait été refusée, étant donné son inadmissibilité conformément au RPC. Le 11 décembre 2013, l’intimée a demandé une révision de la décision qui rejetait sa demande de prestation de décès, mais l’appelant a réaffirmé sa décision dans une lettre du 28 janvier 2014.

[7] Le 2 février 2014, l’intimée a déposé un avis d’appel à la division générale. Le 28 avril 2016, le membre de la division générale responsable de la question a demandé des observations à l’appelant quant à l’étendue des efforts qui avaient été déployés afin de déterminer si le cotisant décédé avait un testament. L’appelant a présenté des observations le 27 mai 2016, et la division générale a rendu sa décision avant la fin de cette même semaine. La division générale a jugé les observations de l’appelant comme contradictoires et a conclu que [traduction] : « [L]e ministre a commis une erreur en appliquant l’article 64 du Règlement sur le RPC, alors qu’il aurait dû appliquer le paragraphe 71(1) du RèglementNote de bas de page 1, lequel prévoit que la prestation de décès devrait être payée aux ayants droit. »

[8] Le 31 août 2016, l’appelant a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel et il y détaillait les moyens d’appel allégués. Dans une décision datée du 10 février 2017, j’ai accordé la permission d’en appeler parce que j’ai cru qu’une cause défendable existait relativement à une erreur commise par la division générale, qui n’a pas tenu compte du paragraphe 71(2) du RPC, lequel accorde à l’appelant le pouvoir discrétionnaire de remettre la prestation de décès à quelqu’un d’autre qu’aux ayants droit, sous certaines conditions. J’ai également invité les parties à présenter des observations sur la nécessité d’une autre audience et, le cas échéant, sur le mode d’audience approprié. Le 20 mars 2017, l’appelant a présenté une lettre. L’intimée et le mis en cause n’ont pas présenté d’observations.

[9] Dans un avis daté du 30 mars 2017, la division d’appel prévoyait tenir une audience par téléconférence pour les raisons suivantes :

  • L’information au dossier, y compris la nécessité d’obtenir des renseignements supplémentaires.
  • L’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

Droit applicable

Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social

[10] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS) prévoit que la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[11] Conformément au paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[12] Le paragraphe 59(1) de la LMEDS prévoit que la division d’appel peut rejeter l’appel, rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément aux directives qu’elle juge indiquées, ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision de la division générale.

RPC et Règlement associé

[13] Conformément au paragraphe 57(1) du RPC, sous réserve du paragraphe (1.1), une prestation de décès payable aux ayants droit d’un cotisant représente un montant global égal : a) soit à six fois le montant de la pension de retraite du cotisant, calculé comme le prévoit le paragraphe (2); b) soit à dix pour cent du maximum des gains annuels ouvrant droit à pension, pour l’année au cours de laquelle le cotisant est décédé, en choisissant le moindre de ces deux montants.

[14] Conformément au paragraphe 57(1.1), si le cotisant est décédé après le 31 décembre 1997, le montant global visé au paragraphe (1) ne peut dépasser 2 500 $.

[15] L’article 71 du RPC indique que :

  1. 71 (1) Lorsque le paiement d’une prestation de décès est approuvé, le ministre doit, sauf selon ce qui est prévu aux paragraphes (2) et (3), payer la prestation de décès aux ayants droit du cotisant.
  2. (2) Le ministre peut, par directive, prévoir le paiement, en tout ou en partie, d’une prestation de décès à la personne ou à l’organisme prescrit dans l’un ou l’autre des cas suivants :
    1. a) il est convaincu, après enquête raisonnable, qu’il n’y a pas d’ayants droit;
    2. b) les ayants droit n’ont pas demandé la prestation de décès dans le délai prescrit suivant le décès du cotisant;
    3. c) le montant de la prestation de décès est inférieur au montant prescrit.

[16] L’article 64 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada (Règlement sur le RPC) indique que :

  1. 64 (1) Dans le cas visé à l’alinéa 71(2)a) de la Loi ou lorsque les ayants droit d’un cotisant n’ont pas demandé la prestation de décès dans les 60 jours suivant le décès du cotisant ou que le montant de la prestation de décès est inférieur aux deux tiers de 10 % du maximum des gains annuels ouvrant droit à pension pour l’année de son décès, s’il est décédé avant le 1er janvier 1998, ou est inférieur à 2 387 $, s’il est décédé après le 31 décembre 1997, la directive émise en application du paragraphe 71(2) de la Loi peut, sous réserve des paragraphes (2) et (3), prévoir le paiement de la prestation de décès :
    1. a) à la personne ou à l’établissement qui a payé les frais funéraires du cotisant décédé ou en est responsable;
    2. b) à défaut de la personne ou de l’établissement visés à l’alinéa a), au survivant du cotisant décédé;
    3. c) à défaut de personne ou d’établissement visé à l’alinéa a) ou de survivant visé à l’alinéa b), au plus proche parent du cotisant décédé.
  2. (2) Le paiement effectué en application de l’alinéa (1)a) ne peut dépasser le montant des frais funéraires réels.
  3. (3) Si le paiement effectué en application de l’alinéa (1)a) est inférieur au montant de la prestation de décès, une directive peut être émise pour prévoir le paiement du reliquat de la prestation à la personne visée à l’alinéa (1)b) ou c), selon le cas.

Questions en litige

[17] Les questions dont je suis saisi sont les suivantes :

  1. Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard des décisions de la division générale?
  2. La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ayant négligé d’appliquer l’alinéa 71(2)c) du RPC et le paragraphe 64(1) du Règlement sur le RPC?
  3. Advenant une réponse affirmative à la question qui précède, quelle réparation faut-il accorder?

Observations

[18] Dans ses observations datées du 30 mai 2016, l’appelant allègue que la division générale a commis une erreur en jugeant que le paragraphe 71(1) du RPC – plutôt que l’alinéa 71(2)c) du RPC et l’article 64 du Règlement sur le RPC – est applicable aux applications concurrentes de la prestation de décès. Au paragraphe 3 de sa décision, la division générale a indiqué que le droit à la prestation de décès dépend uniquement du statut d’exécuteur testamentaire de la succession du cotisant décédé du demandeur. Cependant, l’appelant soutient que la question est bien plus complexe.

[19] Le paragraphe 71(1) du RPC présente la règle d’application générale voulant que la prestation de décès soit payée aux ayants droit d’un cotisant décédé, mais il existe des exceptions à cette règle qui sont établies au paragraphe 71(2) et qui n’ont pas été reconnues par la division générale. Plus particulièrement, l’alinéa 71(2)c) permet à l’appelant, par directive, de prévoir le paiement en tout ou en partie d’une prestation de décès à la personne ou à l’organisme prescrit dans le Règlement sur le RPC lorsque le montant de la prestation de décès est inférieur au montant prescrit. Dans le cas présent, bien que l’intimée ait été l’exécutrice testamentaire de la succession du cotisant décédé, le montant de la prestation de décès était inférieur au montant indiqué au paragraphe 64(1) du Règlement sur le RPC, qui est de 2 387 $. Par conséquent, l’appelant avait le droit, conformément au même paragraphe, d’accorder la prestation de décès à la personne ou à l’organisme qui avait payé les frais funéraires du cotisant décédé, et il s’agit dans le cas présent du mis en cause.

[20] Dans sa lettre du 20 mars 2017, l’appelant a confirmé que le montant de la prestation de décès, qui a été versé au mis en cause, représentait six fois le montant de la pension de retraite de l’époux décédé de l’intimée, donc un montant en deçà de 2 387 $.

Analyse

Preuve de déférence à l’endroit de la division générale

[21] Jusqu’à tout récemment, il était convenu que les appels devant la division d’appel étaient régis par les normes de contrôle énoncées par la Cour suprême du Canada dans la décision Dunsmuir c. Nouveau-BrunswickNote de bas de page 2. Dans les affaires traitant d’allégations d’erreurs de droit ou de manquements à un principe de justice naturelle, la norme applicable était celle de la décision correcte, signifiant qu’un faible degré de déférence devait être accordé au premier palier de décision d’un tribunal administratif. Dans les affaires comportant des allégations de conclusions de fait erronées, la norme applicable serait celle de la décision raisonnable, signifiant une réticence de la Cour à intervenir dans les conclusions de l’entité dont le rôle consiste à évaluer la preuve des faits.

[22] Dans l’affaire Canada (MCI) c. HuruglicaNote de bas de page 3, la Cour d’appel fédérale a rejeté cette approche en concluant que les tribunaux administratifs ne devraient pas avoir recours à des normes de contrôle ayant été conçues aux fins d’application dans les cours d’appel. Les tribunaux administratifs devraient plutôt se rapporter en premier lieu à leur loi constitutive pour déterminer leur rôle.

[23] Bien que l’arrêt Huruglica concerne une décision qui émanait de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, elle a des répercussions sur d’autres tribunaux administratifs. En l’espèce, la Cour d’appel fédérale a statué qu’il n’était pas approprié d’importer les principes de contrôle judiciaire établis dans l’arrêt Dunsmuir aux instances administratives, puisque ces dernières peuvent avoir des priorités autres que l’impératif constitutionnel de préserver la prépondérance de l’État de droit : « [...] on ne doit pas simplement présumer que ce qui était réputé être la politique la plus appropriée pour les juridictions d’appel vaut également pour certains organismes administratifs d’appel ».Note de bas de page 4

[24] Cette prémisse sert à la Cour dans sa détermination du critère approprié qui découle entièrement de la loi constitutive d’un tribunal administratif :

[...] la détermination du rôle d’un organisme administratif d’appel spécialisé est purement et essentiellement une question d’interprétation des lois, parce que le législateur peut concevoir tout type de structure administrative à plusieurs niveaux pour répondre à n’importe quel contexte. L’interprétation de la loi appelle l’analyse des mots de la LIPR [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés] qui doivent être lus au regard de leur contexte global […] L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur en ce qui a trait aux dispositions pertinentes de la LIPR et au rôle de la SAR [Section d’appel des réfugiés].

[25] En conséquence, la norme de la décision raisonnable ou de la décision correcte sera inapplicable en l’espèce, à moins que ces mots, ou leurs variantes, soient énoncés de façon précise dans la loi constitutive. À l’application de cette approche à la LMEDS, on peut voir que les alinéas 58(1)a) et b) ne qualifient pas les erreurs de droit ou les manquements à un principe de justice naturelle, ce qui signifie que la division d’appel ne devrait faire preuve d’aucune déférence à l’égard des interprétations de la division générale.

[26] Le mot « déraisonnable » n’apparaît pas à l’alinéa 58(1)c), lequel traite des conclusions de fait erronées. En revanche, le critère contient les qualificatifs « abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme on le suggère dans l’arrêt Huruglica, on doit donner à ces mots leur propre interprétation, mais le libellé suggère que la division d’appel devrait intervenir lorsque la division générale fonde sa décision sur une erreur flagrante ou en contradiction avec le contenu du dossier.

Application de l’alinéa 71(2)c) du RPC

[27] Comme je l’ai mentionné dans ma décision relative à la demande de permission d’en appeler, on ne peut blâmer l’intimée d’avoir cru qu’elle était la bénéficiaire légitime de la prestation de décès du RPC payée au nom du cotisant décédé. Elle était sa conjointe de fait et avait été nommée exécutrice dans son testament. Plus important encore, les deux lettres identiques de l’appelant qui rejetaient la demande de l’intimée (la réponse initiale datée du 18 novembre 2013 et la réponse de révision datée du 28 janvier 2014) n’offraient qu’une explication vague et incomplète de la décision; une explication qui aurait amené toute personne raisonnable à se questionner sur les raisons de son inadmissibilité à la prestation de décès. Aucune des lettres ne faisait mention de l’alinéa 71(2)c) du RPC ou du paragraphe 64(1) du Règlement sur le RPC, les dispositions sur lesquelles était fondée la décision de l’appelant pour accorder la prestation de décès au mis en cause.

[28] Cela dit, je suis convaincu que la division générale a erré en droit quand elle a infirmé la décision de l’appelant en faveur du mis en cause et prescrit que le paiement de la prestation de décès soit fait aux ayants droit du cotisant décédé. Il est clair d’après sa décision que la division générale croyait que la question essentielle relative à cet appel visait à déterminer si l’intimée représentait l’ayant droit légitime du cotisant décédé. Comme il a été jugé qu’elle l’était, la division générale a appliqué le paragraphe 71(1) du RPC, sans plus. Ce faisant, elle a ignoré le paragraphe 71(2) du RPC, lequel accorde à l’appelant le pouvoir discrétionnaire de verser la prestation de décès à une autre personne qu’aux ayants droit, sous certaines conditions. Une de ces conditions est présentée à l’alinéa 71(2)c), qui prévoit une exception pour les cas où le montant de la prestation de décès est inférieur au montant prescrit. Le paragraphe 64(1) du Règlement sur le RPC prescrit un montant de 2 387 $, si le cotisant est décédé après le 31 décembre 1997.

[29] L’appelant a confirmé dans ses observations écrites et orales que le montant payable de la prestation de décès était moindre que le montant prescrit. J’en conviens. Alors, le paragraphe 64(1) permet à l’appelant de verser ce montant à la personne ou à l’organisme qui, selon lui, a réellement payé les frais funéraires du cotisant décédé. L’appelant a bien déterminé que le mis en cause, et non l’intimée, correspondait à ce critère, ce qui lui donnait droit à la prestation de décès.

[30] Bien que l’intimée puisse trouver cette issue injuste, la division d’appel n’a d’autre choix que de suivre la loi à la lettre et d’exercer sa compétence comme sa loi habilitante le lui accorde. Cette position est appuyée par la décision Canada (MDRH) c. TuckerNote de bas de page 5, et par d’autres décisions dans lesquelles il a été établi qu’un tribunal administratif n’est pas une cour, mais plutôt un décideur prévu par la loi et qu’il n’a pas la compétence d’accorder une quelconque forme de réparation équitable.

Conclusion

[31] Pour les motifs susmentionnés, l’appel est accueilli sur la base que la division générale a erré en droit.

[32] L’article 59 de la LMEDS énonce les réparations que la division d’appel peut accorder en appel. À la révision du dossier, je constate que la division générale n’aurait pas pu juger autrement qu’en faveur de l’appelant si le droit applicable avait été appliqué. Par conséquent, je crois qu’il est approprié de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre et d’accepter la décision de l’appelant concernant l’admissibilité du mis en cause à la prestation de décès. J’en décide ainsi dans l’intérêt de la justice et dans le but de conclure cette instance de la manière la plus expéditive possible.

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