Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Motifs et décision

Aperçu

[1] Le 5 février 1997, l’intimé a reçu la demande de prestations de survivant du Régime de pensions du Canada (RPC) de l’appelante. L’intimé a accueilli la demande et a commencé les versements en mars 1996. Le 22 septembre 2015, l’appelante a présenté une demande de pension de survivant ainsi qu’une demande de prestations d’enfants. Elle demandait une pension de survivant pour une période rétroactive à compter de la date de décès de son époux, en novembre 1987, jusqu’à ce qu’elle commence à recevoir les versements. Elle demandait également des prestations d’enfants de novembre 1987 à juin 1994. L’intimé a rejeté les deux demandes de prestations initialement et après révision. L’appelante a interjeté appel de la décision découlant de la révision auprès du Tribunal de la sécurité sociale.

[2] La question dont le Tribunal est saisi est celle de savoir si l’appelante était incapable de demander ces prestations avant la présentation de sa demande en février 1997.

Droit applicable

[3] Les dispositions législatives permettent l’examen rétroactif d’une demande de prestations de survivant et d’enfants, mais cette période est limitée aux 11 mois précédant la date de la demande, à moins que la partie demanderesse puisse établir qu’elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter cette demande avant qu’elle l’ait réellement fait.

[4] Les articles 60(8), 60(9), 60(10) et 60(11) du RPC énoncent ainsi les dispositions relatives à l’incapacité :

(8) Dans le cas où il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur ou en son nom, que celui-ci n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande le jour où celle-ci a été faite, le ministre peut réputer cette demande de prestation avoir été faite le mois qui précède celui au cours duquel la prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon le ministre, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé.

(9) Le ministre peut réputer une demande de prestation avoir été faite le mois qui précède le premier mois au cours duquel une prestation aurait pu commencer à être payable ou, s’il est postérieur, le mois au cours duquel, selon lui, la dernière période pertinente d’incapacité du demandeur a commencé, s’il est convaincu, sur preuve présentée par le demandeur :

  1. a) que le demandeur n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle celle-ci a réellement été faite;
  2. b) que la période d’incapacité du demandeur a cessé avant cette date;
  3. c) que la demande a été faite, selon le cas :
    1. (i) au cours de la période – égale au nombre de jours de la période d’incapacité mais ne pouvant dépasser douze mois – débutant à la date où la période d’incapacité du demandeur a cessé,
    2. (ii) si la période décrite au sous-alinéa (i) est inférieure à trente jours, au cours du mois qui suit celui au cours duquel la période d’incapacité du demandeur a cessé.

(10) Pour l’application des paragraphes (8) et (9), une période d’incapacité doit être continue à moins qu’il n’en soit prescrit autrement.

(11) Les paragraphes (8) à (10) ne s’appliquent qu’aux personnes incapables le 1er janvier 1991 dont la période d’incapacité commence à compter de cette date.

[5] Cet appel a été instruit par téléconférence pour les raisons suivantes :

  1. les questions en litige ne sont pas complexes;
  2. il manque des renseignements au dossier ou des précisions sont nécessaires;
  3. cette façon de procéder respecte l’exigence du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale selon laquelle l’instance doit se dérouler de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent.

[6] Les personnes suivantes ont participé à l’audience : l’appelante et sa fille, S. G., qui a comparu comme témoin et représentante.

Preuve

Preuve documentaire

[7] L’appelante et son époux se sont mariés le 6 décembre 1964. Un acte de décès figurant au dossier a confirmé que son époux est décédé le 28 novembre 1987.

[8] Selon une note du Dr Hugh J. M. Spicer de Trinité, datée du 18 août 2015, l’appelante est sa patiente depuis qu’elle est dans la vingtaine. Elle a déjà été atteinte de dépression à quelques reprises; toutefois, les traitements qu’elle a suivis n’ont pas toujours eu l’effet escompté (GD2R‑29).

[9] Dans une déclaration solennelle datée du 29 avril 2016, l’appelante a précisé que son époux et elle étaient demeurés mariés jusqu’à son décès. Elle a également affirmé qu’elle avait alors fait une dépression et qu’elle avait demandé un traitement et l’avis médical du Dr Valance Massiah, jusqu’à son décès en juin 2004. Elle a par la suite été prise en charge par le Dr Spicer, jusqu’à ce qu’il cesse sa pratique en 2014. Elle a affirmé qu’entre 1987 et 2015, elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de prestations et qu’elle avait de l’aide de ses proches. En 2015, on lui a dit qu’elle était de nouveau apte à prendre ses propres décisions. Elle a donc présenté une demande rétroactive.

[10] À la suite de sa demande, Service Canada a demandé une déclaration d’incapacité (rapport du médecin). L’appelante a répondu qu’elle ne pouvait pas fournir un tel document, car le Dr Massiah était décédé et que le Dr Spicer avait pris sa retraite.

[11] Une lettre non signée de la fille de l’appelante, datée du 1er juin 2015, précisait qu’au moment du décès de son père, sa mère avait été en proie à une dépression nerveuse pendant de nombreuses années.

[12] Un courriel daté du 30 janvier 2017 provenant d’un hôpital de Trinité précisait que le personnel de l’hôpital essayait de trouver les dossiers médicaux de l’appelante.

Témoignage de la témoin

Fille de l’appelante

[13] La fille de l’appelante a déclaré au Tribunal qu’elle venait d’avoir 13 ans lorsque son père est décédé. Il était atteint d’un cancer depuis quelques années et avait été transféré à New York pour suivre un traitement lorsqu’il est décédé. Sa mère a fait une grave dépression, et elles ont déménagé à Trinité pour obtenir le soutien de leur famille. Environ un mois et demi plus tard, l’appelante a eu un accident de véhicule et a subi des blessures à la tête et au visage. Elle a été hospitalisée pendant un mois environ et est demeurée à Trinité jusqu’à ce qu’elle et sa fille reviennent s’installer au Canada quelques années plus tard.

[14] La fille de l’appelante a déclaré au Tribunal qu’elle devait beaucoup s’occuper de sa mère et que des membres de la famille les aidaient. Ses grands-parents surveillaient l’état de santé de l’appelante, et sa tante l’aidait à prendre soin d’elle. Elles ont eu recours à des soins à domicile d’un membre du personnel infirmier pendant environ huit mois à un an, ainsi qu’à des services d’entretien ménager pendant plusieurs années. Sa mère a consulté des spécialistes pendant de nombreuses années pour traiter sa dépression. Elle a également suivi une thérapie et subi des chirurgies. La fille de l’appelante se rappelle que sa mère dormait pendant des heures, ne parlait pas et ne prenait pas soin d’elle-même. Elle avait des tremblements incontrôlables et avait peur des voitures. Elle n’a jamais conduit depuis.

[15] La fille de l’appelante a déclaré que celle-ci avait recommencé à parler et à marcher par elle‑même environ quatre ou cinq mois après l’accident et que son état s’était beaucoup amélioré au fil des ans. Toutefois, il existe toujours des séquelles. Au fil des ans, elle a commencé à être capable de s’occuper toute seule de sa mère et, lorsqu’elle a eu 15 ou 16 ans, sa mère a commencé à pouvoir s’occuper d’elle, par exemple en allant à son école pour rencontrer ses professeurs. Aujourd’hui, elle marche et se porte mieux. Toutefois, la situation était très difficile à l’époque.

[16] Elle se rappelle que sa mère prenait des médicaments, mais elle ne savait pas trop lesquels, et que le médecin venait la voir en privé. Son médecin principal était le Dr Messiah, qui est décédé depuis. Sa mère n’avait pas de médecin au Canada et ne suivait aucun traitement, mais elle retournait à Trinité tous les six mois à un an pour voir un médecin. Elle demeurait là-bas pendant environ trois mois.

[17] L’appelante et sa fille sont revenues au Canada vers 1993 lorsque celle-ci a été admise à l’université, bien qu’elle ait ensuite retiré sa candidature et soit seulement entrée à l’université quelques années plus tard. Elle a affirmé qu’en 1993, sa mère allait beaucoup mieux et était plus forte mentalement, et qu’elles vivaient avec son frère. La vie était plutôt normale, et sa mère aimait cuisiner et faire la lessive ainsi que les tâches ménagères habituelles, mais elle n’est jamais retournée travailler.

[18] La fille de l’appelante a affirmé qu’elle avait tenté de communiquer avec le RPC à plusieurs reprises, mais qu’on lui avait dit que sa mère devait présenter une demande. Toutefois, elle n’était pas arrivée à convaincre sa mère de le faire puisque celle-ci n’était pas en mesure de comprendre. En 1997, elle a aidé sa mère à présenter une demande de prestations, mais on leur a répondu que sa mère ne pouvait pas obtenir de prestations rétroactives. Elles ont également présenté une demande de prestations d’enfants qu’elles ont reçues jusqu’à ce que la fille de l’appelante ait 25 ans.

Témoignage de l’appelante

[19] L’appelante a déclaré au Tribunal qu’à la suite du décès de son époux, elle avait eu besoin de beaucoup de soutien. C’est la raison pour laquelle elle s’est rendue à Trinité et qu’elle a continué d’y retourner. En 1997, sa fille a présenté une demande en son nom parce qu’elle était atteinte d’une grave dépression et qu’elle était alitée depuis un bon moment. Elle a eu besoin de beaucoup d’encouragements pour aller de l’avant et elle priait beaucoup. En 2015, elle a reçu un bon bilan de santé et a estimé qu’elle pouvait présenter elle-même une demande de prestations rétroactives. Elle n’avait demandé aucun autre type de prestations au fil des ans.

[20] Lorsqu’elle était à Trinité, elle prenait du Prozac et du Paxil et faisait beaucoup de counselling. Parfois, elle se rendait à la clinique, et parfois, le médecin venait la voir à la maison. Elle a affirmé avoir cessé de prendre ces médicaments en 1992 ou 1993 étant donné qu’elle se sentait mieux. Elle a toutefois continué de faire du counselling. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas de médecin au Canada et qu’elle se sentait à l’aise avec son médecin à Trinité. Elle a dit qu’elle se sentait suffisamment bien au Canada pour ne pas avoir besoin de traitement, et elle ne prenait aucun médicament au Canada. Elle a affirmé qu’elle retournerait à Trinité environ tous les six mois et qu’elle serait accompagnée par quelqu’un.

[21] Elle ne se rappelait pas avoir eu une procuration après l’accident, mais elle se souvenait avoir dépendu de sa famille. Selon elle, elle était suffisamment lucide pour savoir ce qui se passait, mais les membres de sa famille l’aidaient au besoin.

Observations

[22] L’appelante a fait valoir qu’elle est admissible à une pension de survivant et à des prestations d’enfants à compter de novembre 1987 pour les raisons suivantes :

  1. son époux est décédé en novembre 1987;
  2. elle était incapable de présenter une demande à ce moment-là à cause d’un accident de véhicule et d’une dépression;
  3. elle a été capable de le faire en 2015.

[23] L’intimé a fait valoir que l’appelante n’est pas admissible à une pension d’invalidité pour les raisons suivantes :

  1. son époux est décédé en novembre 1987, mais sa demande n’a pas été reçue avant le 5 février 1997;
  2. ses prestations étaient payables à compter de la date la plus antérieure possible permise au titre de la loi, soit 11 mois avant que la demande ne soit reçue;
  3. il n’y a aucune déclaration d’incapacité au dossier confirmant qu’elle était incapable de présenter une demande à une date antérieure.

Analyse

[24] L’appelante soutient qu’elle a été atteinte d’incapacité à la suite du décès de son époux et de son accident de véhicule en 1987. Bien que peu d’éléments de preuve médicale soient disponibles, sans que ce soit de la faute de l’appelante, sa fille et elle ont fourni une preuve de ses blessures, de ses limitations et de son traitement après 1987. Conformément à l’article 60(11) du RPC, les dispositions relatives à l’incapacité ne sont pas entrées en vigueur avant le 1er janvier 1991, et toute période d’incapacité antérieure à cette date ne serait pas utile à l’appelante.

[25] Le témoignage de l’appelante et de sa fille m’a impressionné. Toutes deux ont fait leur possible pour se souvenir de la situation et de l’état de santé de l’appelante il y a de cela de nombreuses années. Toutefois, il y avait une confusion compréhensible concernant certaines dates. Ce qui est clair pour le Tribunal est qu’après son accident de véhicule, l’appelante a vécu une période d’incapacité physique qui, en 1990, s’était quelque peu dissipée. Sa fille a fourni des éléments de preuve démontrant que l’appelante marchait après environ quatre mois, et que lorsqu’elle avait 16 ans, sa mère avait été capable de commencer à prendre soin d’elle et de participer à ses activités scolaires. Toutefois, elle était toujours atteinte de dépression à ce moment-là.

[26] Si le Tribunal considérait l’appelante comme étant atteinte d’incapacité au sens de la loi, il pourrait seulement le faire à partir du 1er janvier 1991, comme le prévoit l’article 60(11). Pour des motifs qui deviendront évidents, il n’est pas nécessaire que le Tribunal détermine cela.

[27] La réelle question est celle de savoir si le Tribunal peut déterminer si l’appelante était capable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande après le 1er janvier 1991.

[28] La preuve appuie le fait que l’appelante était toujours atteinte de dépression; toutefois, à son retour au Canada en 1993, elle a déclaré qu’elle se sentait assez bien et qu’elle n’avait pas besoin de médicaments. De plus, elle n’a pas cherché à obtenir un traitement au Canada pour sa dépression ni pour aucun autre problème de santé survenu à la suite de l’accident de véhicule. Elle habitait avec ses enfants et participait aux tâches ménagères. Le peu d’éléments de preuve médicale fourni par le Dr Spicer démontre uniquement que l’appelante était atteinte de dépression de temps à autre, ce qui donne à penser que cela n’était pas constant. Le Dr Spicer ne se prononce sur aucune invalidité cognitive ou physique. Ces éléments de preuve ne permettent pas d’établir que l’appelante était atteinte d’incapacité au sens de la loi, et le Tribunal estime qu’à son retour au Canada en 1993, elle était capable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande.

[29] Si le Tribunal considérait l’appelante comme étant atteinte d’incapacité à compter du 1er janvier 1991, il estimerait donc que l’incapacité aurait pris fin en 1993, lorsque l’appelante est revenue s’installer au Canada. Même si l’on retient décembre 1993 comme étant le moment le plus récent, l’article 60(9)(c)(i) du RPC l’aurait obligée à présenter sa demande dans les 12 mois suivant cette date ou en décembre 1994. Comme l’appelante n’a pas présenté sa demande initiale avant février 1997, les dispositions du RPC relatives à l’incapacité ne peuvent pas lui être utiles. Le Tribunal constate qu’il n’y a eu aucune preuve médicale démontrant qu’elle était toujours atteinte d’incapacité après son retour au Canada.

[30] Autrement dit, même si l’appelante pouvait prouver qu’elle était atteinte d’incapacité au sens de la loi entre 1987 et 1993, il aurait fallu qu’elle présente sa demande en décembre 1994 afin de tirer parti des dispositions relatives à l’incapacité. Toutefois, elle ne l’a pas fait. Bien que le Tribunal compatisse à la situation de l’appelante, il est créé par une loi, et ses pouvoirs se limitent donc à ceux que lui confère cette loi habilitante. Le Tribunal doit interpréter et appliquer les dispositions telles qu’elles sont énoncées dans le RPC.

[31] Par conséquent, l’appelante n’est pas admissible aux prestations rétroactives de survivant ni aux prestations rétroactives d’enfants.

Conclusion

[32] L’appel est rejeté.

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