Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Motifs et décision

Décision

[1] La prorogation de délai et la permission d’en appeler sont accordées.

Aperçu

[2] Le demandeur, G. R., et le mis en cause, J. R., étaient autrefois mariés. À leur séparation en 2004, ils se sont entendus pour que madame J. R. soit la principale responsable de leurs deux filles, bien que monsieur G. R. pourrait continuer à les « voir abondamment ».  Monsieur G. R. a plus tard reçu un diagnostic d’état de stress post-traumatique et, en 2010, il a commencé à toucher une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Peu après,  monsieur G. R. a présenté une demande de prestation d’enfant de cotisant invalide (PECI) du RPC, laquelle a été approuvée.

[3] En 2013,  monsieur G. R. a fait savoir au défendeur, le ministre de l’Emploi et du Développement social, que sa fille aînée, K. R., vivait avec lui depuis deux ans, et que madame J. R. n’en avait plus la garde et la surveillance. Le défendeur a ensuite avisé madame J. R. qu’elle n’était plus admissible à la PECI pour K. R., et a exigé le remboursement de prestations totalisant plus de 5 000 $, qu’elle avait reçues pour la période allant d’août 2011 à juin 2013. Madame J. R. a fait appel de cette décision devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (Tribunal), soutenant que, même si sa fille avait habité avec son père durant la période visée, elle en demeurait néanmoins la principale responsable.

[4] Dans une décision qu’elle a rendue le 7 septembre 2016, la division générale a accueilli l’appel en concluant que, même si K. R. habitait dans la maison de son père, l’entente de séparation était toujours en vigueur et conférait aux parents un pouvoir de décision conjoint en ce qui avait trait aux questions d’éducation, de santé et de religion. La division générale a également accordé du poids à la preuve montrant que madame J. R., qui vivait tout près de son ancien conjoint, avait continué à jouer un rôle important dans la vie de sa fille.

[5] Le 26 juin 2017, après l’échéance du délai de 90 jours fixé par la loi,  monsieur G. R. a présenté à la division d’appel une demande de permission d’en appeler. Il a expliqué que sa demande était en retard puisqu’il avait seulement compris récemment qu’il était une partie à l’instance. Il a reproché à la division générale d’avoir erré dans la façon dont elle a interprété [traduction] « garde et surveillance » et d’avoir tiré des conclusions de fait contraires au dossier. Madame J. R. a ensuite répondu en affirmant que  monsieur G. R. était bien conscient qu’il était une partie et que, comme elle avait abandonné une poursuite contre lui à la Cour des petites créances, ses intérêts subiraient un préjudice important si l’appel était instruit en dépit du retard.

[6] Après avoir considéré les observations et examiné la décision de la division générale en tenant compte du dossier de preuve, j’ai conclu que l’espèce est une cause où il convient d’accorder une prorogation de délai. Comme le demandeur a présenté une cause défendable, j’accorde la permission d’en appeler.

Questions en litige

[7] Les questions sur lesquelles je dois statuer sont les suivantes :

  1. Monsieur G. R. devrait-il bénéficier d’une prorogation du délai pour présenter sa demande de permission d’en appeler?
  2. Monsieur G. R. dispose-t-il d’une cause défendable au motif que la division générale aurait ignoré la preuve montrant :
    • que K. R. avait habité avec lui d’août 2011 à juin 2013?
    • qu’il avait beaucoup contribué à prendre soin d’elle pendant cette période?
    • que madame J. R. avait expressément reconnu son admissibilité à la PECI dans le procès-verbal de l’entente daté du 12 mars 2014?

Analyse

Question 1 : Monsieur G. R. devrait-il bénéficier d’une prorogation du délai pour présenter sa demande de permission d’en appeler?

[8] Conformément à la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS)Note de bas de page 1, la demande de permission d’en appeler doit être présentée à la division d’appel dans les 90 jours suivant la date où le demandeur reçoit communication de la décision. La division d’appel peut proroger d’au plus un an le délai pour présenter la demande de permission d’en appeler.

[9] Le dossier révèle que la division générale a rendu sa décision le 7 septembre 2016 et que le Tribunal a reçu la demande de permission d’en appeler à la division d’appel de  monsieur G. R. 26 juin 2017, soit plus de neuf mois après la mise à la poste de la décision de la division générale, et bien après le délai de dépôt de la demande prévu par la Loi sur le MEDS.

[10] Après avoir examiné les observations, je suis arrivé à la conclusion qu’il est justifié en l’espèce de proroger le délai. Dans Canada c. GattellaroNote de bas de page 2, la Cour d’appel fédérale a établi les quatre facteurs suivants qui doivent être pris en considération pour déterminer s’il faut proroger le délai d’appel :

  1. le retard a été raisonnablement expliqué;
  2. le demandeur démontre l’intention persistante de poursuivre l’appel;
  3. la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie;
  4. la cause est défendable;

[11] Le poids qu’il faut accorder à chacun des facteurs de Gattellaro peut varier selon le cas, et d’autres facteurs peuvent aussi être pertinents. Cependant, la considération primordiale est de servir l’intérêt de la justice.Note de bas de page 3

(i) Explication raisonnable du retard

[12] Monsieur G. R. a expliqué pourquoi il avait présenté sa demande de permission d’en appeler plusieurs mois après le délai à cet effet, et je juge, selon la prépondérance des probabilités, que son explication est plausible. Il affirme qu’il a participé à l’audience devant la division générale l’an dernier en croyant à tort qu’il n’était qu’un simple témoin, et non une partie à l’instance. Il plaide qu’il souffre d’une anxiété débilitante et qu’il ignorait qu’il avait le droit de faire appel de la décision de la division générale avant que son avocat l’en informe en juin 2017.

[13] Madame J. R. exprime un certain scepticisme quant à cette explication, soulignant que  monsieur G. R., en tant qu’ancien policier, connaît bien le système judiciaire. De plus, la division générale a elle-même conclu qu’il était [traduction] « conscient » de son statut de partie dans une lettre d’autorisation datée du 21 janvier 2016.

[14] J’admets que  monsieur G. R. est, à première vue, relativement raffiné, mais je n’irais pas jusqu’à présumer que son application passée du droit pénal dans l’exercice de ses pouvoirs de policer signifie qu’il comprenne les processus parfois obscurs des tribunaux administratifs. Même s’il a pu consulter un avocat de façon informelle, le dossier montre qu’il s’est surtout représenté lui-même dans le cadre de ses interactions avec le défendeur et, plus tard, auprès de la division générale.

[15] Il ne fait aucun doute que  monsieur G. R. a été avisé formellement qu’il avait été mis en cause comme partie à l’instance.Note de bas de page 4 Cependant, cela ne veut pas nécessairement dire qu’il comprenait ce que cela impliquait sur le plan pratique.  Monsieur G. R. a écrit ce qui suit avant l’audience dans une lettre à l’attention de la division générale :

[traduction]

Je comprends que, […] mon ex-femme de 12 ans, madame J. R., a déposé une forme de grief auprès de Pensions Canada du fait que mes enfants touchent un paiement de « survivant » chaque mois. Que cela se passera dans une pièce en privé et j’avais besoin d’être dans cette pièce avec madame J. R. (mon ex-femme de 12 ans). Je comprends qu’on conteste la « validité des paiements reçus par ma fille et que je pourrais avoir d’une quelconque façon trompé le RPC » en touchant les paiements mensuels […]

[16] Ce qui précède a été écrit plusieurs mois avant que la division générale rende une décision défavorable à son endroit et avant qu’il ne se doute même qu’il finirait par former un appel, encore moins un appel tardif. Cela donne, au mieux, une idée vague de ce qui était en jeu durant l’audience et donne de la crédibilité à  monsieur G. R. quand il affirme qu’il ne comprenait pas complètement son rôle en tant que partie. Même si la division générale a noté que  monsieur G. R. était [traduction] « conscient » qu’il avait été mis en cause comme partie à l’instance,Note de bas de page 5 le contexte de sa communication révèle seulement qu’il avait été avisé de son changement de statut. Le fait d’être avisé d’un fait ne signifie pas nécessairement que la personne a conscience de toutes les implications rattachées audit fait.

(ii) Intention persistante de poursuivre l’appel

[17] Bien que  monsieur G. R. n’a pas traité de ce facteur de Gattellaro en particulier, il ressort essentiellement de ses observations qu’il ignorait, pendant plusieurs mois, qu’il avait le droit, comme partie, de contester la conclusion de la division générale. Par conséquent, même si son intention de poursuivre l’appel n’a pas nécessairement été « persistante », elle résultait de son manque de connaissance par rapport à ses droits à titre de partie à l’instance.  

(iii) Préjudice aux autres parties

[18] Madame J. R. soutient que de donner suite à l’appel de  monsieur G. R. constituerait un abus de procédure. En mars 2016, elle avait déposé une petite créance contre  monsieur G. R., parallèlement à son appel à la division générale, réclamant 5 159,90 $, en plus de dommages-intérêts punitifs, comme indemnisation pour des PECI qui, selon elle, auraient dû être les siennes, si  monsieur G. R. n’avait pas informé le défendeur que sa fille avait emménagé chez lui. Lorsque la division générale a tranché en sa faveur, madame J. R. a attendu 90 jours avant de retirer sa petite créance, présumant que  monsieur G. R. n’avait plus de ressort pour faire rouvrir l’affaire. Madame J. R. maintient qu’elle subirait un préjudice si une prorogation de délai était accordée, comme elle ne peut plus en appeler à la Cour des petites créances.

[19] J’admets que madame J. R. a effectivement retiré sa petite créance en pensant que le droit d’appel de  monsieur G. R. auprès de la division générale avait été éteint. Cependant, quel que soit le préjudice qu’elle pourrait subir, il est surpassé par le droit de  monsieur G. R. d’obtenir justice. Je tiens à souligner qu’il est clair dans la Loi sur le MEDS que le délai d’appel de 90 jours n’est pas absolu et que ce délai peut être prorogé d’au plus un an, à la discrétion de la division d'appel; une question de droit que madame J. R., qui a toujours été représentée par un représentant légal, aurait dû connaître. Je précise aussi qu’elle peut encore déposer une autre petite créance contre  monsieur G. R., si elle le souhaite.

[20] Quant au défendeur, il est peu probable que la prorogation du délai dont disposait  monsieur G. R. pour interjeter appel cause préjudice à ses intérêts, étant donné la période relativement courte qui s’est écoulée depuis l’échéance du délai prévu par la loi. Je ne crois pas que la capacité du défendeur à se défendre, vu ses ressources, serait indûment amoindrie si la prorogation du délai était accordée.

(iv) Cause défendable

[21] Un demandeur qui souhaite obtenir la permission d’en appeler doit démontrer qu’il dispose au moins d’une cause défendable en appel du point de vue du droit. Il se trouve que ce critère vaut aussi pour la permission d’en appeler. La Cour d’appel fédérale a établi qu’une cause défendable revient à une cause ayant une chance raisonnable de succès.Note de bas de page 6

Question 2 : Monsieur G. R. dispose-t-il d’une cause défendable au motif que la division générale aurait ignoré des éléments de preuve?

[22] Il existe seulement trois moyens d’appel devant la division d’appel : la division générale i) n’a pas observé un principe de justice naturelle; ii) a commis une erreur de droit; ou iii) a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans la permission de celle-ci.Note de bas de page 7 La division d’appel accorde la permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès.Note de bas de page 8

[23] À ce stade, je traiterai uniquement des arguments qui, à mon avis, confèrent à l’appel du demandeur la plus grande chance de succès.

(i) Garde et surveillance

[24] Un juge des faits est présumé avoir tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve portés à sa connaissance. Par ailleurs, un tribunal administratif est libre d’examiner les éléments de preuve pertinents, d’en évaluer la qualité, d'en déterminer la valeur et de décider ceux qu’il convient d’admettre ou d’écarter.Note de bas de page 9 En tant que juge des faits, la division générale avait compétence pour apprécier la preuve comme elle le jugeait bon, pourvu qu’elle ne commette aucune erreur de fait importante et arrive à une conclusion qui soit défendable.

[25] Cela dit,  monsieur G. R. a avancé une cause défendable au motif que la division générale pourrait avoir commis une erreur de droit en concluant que madame J. R. avait réfuté la présomption de l’article 75 du RPC voulant qu’un cotisant invalide ait la garde et la surveillance de son enfant dès lors que l’enfant vit avec lui.  Monsieur G. R. fait aussi valoir que la division générale aurait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée sans égard au dossier en négligeant sa participation à la vie quotidienne de K. R. et en lui préférant systématiquement la preuve comparable de madame J. R..

(ii) Procès-verbal de l’entente

[26] Monsieur G. R. affirme que la division générale a erré en interprétant le procès-verbal de l’entente, daté du 12 mars 2014, où il est écrit ceci :

[traduction]

[10] Le défendeur [monsieur G. R.] libère la demanderesse [madame J. R.] de toute demande de remboursement du total de 5 156,40 $ pour des sommes que le RPC a versées à la demanderesse, et qui, selon le défendeur, étaient réellement payables au défendeur pendant les 24 mois précédant le 18e anniversaire de K. R.

[27] Monsieur G. R. affirme que madame J. R., en signant cette entente, reconnaissait qu’il était admissible à la PECI durant la période visée. Il laisse entendre qu’il était absurde d’en conclure autrement, mais que la division générale l’a pourtant fait.

[28] J’estime aussi que ce motif soulève une cause défendable. Même si la division générale a fait référence au procès-verbal de l’entente dans son examen de la preuve, elle n’en a pas traité dans son analyse, à part avoir dit qu’elle n’avait pas compétence pour se prononcer sur une affaire au civil. Le libellé du 10e paragraphe du procès-verbal de l’entente n’est pas tout à fait clair, mais il semble y être admis par madame J. R. que les PECI étaient [traduction] « réellement payables » à  monsieur G. R.. Bien que le Tribunal ne soit pas responsable de veiller au respect des modalités d’un contrat privé, le fait que madame J. R. a accepté cette disposition peut être pertinent quant à la nature de sa relation avec sa fille entre août 2011 et juin 2013. En ignorant carrément le paragraphe 10 du procès-verbal, la division générale pourrait avoir refusé d’exercer sa compétence et ainsi avoir rendu une décision sans tenir compte d’un élément de preuve pertinent.

Conclusion

[29] Après avoir soupesé les quatre critères de l’affaire Gattellaro, j’ai conclu que la présente affaire est un cas où il convient d’accorder une prorogation du délai d’appel de 90 jours. Même si  monsieur G. R. n’a pas eu l’intention persistante de poursuivre l’appel, il soutient avoir présenté sa demande de permission d’en appeler en retard du fait qu’il ne comprenait pas bien son rôle dans l’instance; une explication que j’ai jugée raisonnable, selon la prépondérance des probabilités. J’ai également considéré qu’il était peu probable que les intérêts des autres parties subissent un préjudice important advenant la prorogation du délai. Bien qu’il soit dommage que madame J. R. ait mis fin à sa petite créance de façon prématurée, elle aurait dû savoir qu’un appel devant ce tribunal était toujours possible. Enfin, j’ai surtout conclu qu’il existait deux motifs défendables grâce auxquels l’appel de  monsieur G. R. pouvait être poursuivi, et je me vois forcé, dans l’intérêt de la justice, de proroger le délai et, qui plus est, d’accorder la permission d’en appeler.

[30] Si les parties souhaitent présenter des observations supplémentaires, elles sont libres de s’exprimer sur la question de savoir si la tenue d’une autre audience est nécessaire, et si tel est le cas, sur le mode d’audience qui convient.

[31] La présente décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement du résultat de l’appel sur le fond du litige.

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