Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Motifs et décision

Décision

[1] La demande de permission d’en appeler est rejetée.

Aperçu

[2] La demanderesse, G. S., prétend qu’elle vivait en union de fait avec le cotisant décédé D. W. à partir de juillet 2007 jusqu’au moment de son décès le 3 juin 2014. Elle fit la demande d’une pension de survivant du Régime de pensions du Canada, mais le défendeur, le ministre de l’Emploi et du Développement social, rejeta sa demande. La demanderesse a interjeté appel de la décision du défendeur devant la division générale.

[3] La division générale a, de son côté, conclu que la demanderesse était inadmissible au bénéfice d’une pension de survivant après avoir déterminé que cette dernière n’avait pas été la conjointe de fait du cotisant décédé, comme il est défini au paragraphe 2(1) du Régime de pension du Canada. La demanderesse souhaite obtenir la permission d’en appeler de la décision de la division générale, pour plusieurs motifs. Je dois décider si l’appel a une chance raisonnable de succès sur un de ces moyens.

Question en litige

[4] Est-ce que l’appel a une chance raisonnable de succès pour au moins un des motifs soulevés par la demanderesse?

Moyens d’appel

[5] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS), les seuls moyens d’appel sont les suivants :

  1. (a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  2. (b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
  3. (c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
[6] Avant de pouvoir accorder une permission d’en appeler, il me faut être convaincue que les motifs d’appel se rattachent à l’un des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la LMEDS et que l’appel a une chance raisonnable de succès. La Cour fédérale a confirmé cette approche dans l’affaire Tracey Note de bas de page 1.

Analyse

La division générale a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle?

[7] La justice naturelle vise à assurer qu’une demanderesse bénéficie d’une occasion juste et raisonnable de présenter sa cause et que l’instance est équitable et exempte de toute partialité.

[8] La demanderesse fait valoir que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle, car seulement un membre était présent pour entendre l’appel malgré le fait que la division générale se présente comme étant un « tribunal administratif ». La demanderesse soutient que la racine « tri » dans le mot « tribunal » suggère qu’il y ait trois membres, ce à quoi elle s’attendait. Malgré les attentes de la demanderesse, l’article 61 de la LMEDS prévoit que toute demande présentée au Tribunal est entendue par un seul membre. Il n’existe aucune disposition dans la LMEDS qui permet à une affaire d’être entendue par un tribunal de trois membres. Malgré cela, le fait qu’il n’y avait qu’un seul membre ne constitue pas un manquement à des principes de justice naturelle si la demanderesse a eu la chance de présenter sa cause de façon équitable et pleinement et que celle-ci n’a pas fait l’objet de partialité.

[9] Il n’y a pas d’indice suggérant que la division générale aurait privé la demanderesse d’une occasion de présenter pleinement sa cause. Toutefois la demanderesse prétend que la division générale était partiale à son encontre, car la division a présumé qu’elle ne pouvait pas être en union de fait avec monsieur D. W., parce qu’elle n’avait pas encore fait la demande de divorce de son ex-mari. Elle soutient que, par conséquent, la division générale avait déjà présumé du résultat de l’appel et avait ainsi ignoré son dossier, incluant le contenu d’un CD-ROM.

[10] À l’examen de cette affaire, je constate que le 29 janvier 2016, le Tribunal retourna un CD-ROM à la demanderesse, « car ils [ne faisaient] pas partie du contenu requis pour un appel ». Aucune description du contenu du CD-ROM n’était jointe, mais le Tribunal a écrit que si la demanderesse désirait s’appuyer sur le CD-ROM pour son appel, c’était « [sa] responsabilité de clairement en expliquer la pertinence ».

[11] La demanderesse a répondu à cette lettre en janvier 2017 lorsqu’elle a rempli le formulaire de renseignements au sujet de l’audience et l’avis de procéder (GD4-NOR-HIF). Elle expliqua que le CD-ROM contenait un message que monsieur D. W. avait laissé à la demanderesse dans lequel il exprimait les sentiments profonds qu’il éprouvait pour elle et il indiquait qu’ils pourraient construire « [leur]monde ensemble ». Il avait une bague à lui donner pour « marquer [leur] amitié » et il exprima qu’il cherchait une amie spéciale et souhaitait qu’elle devienne sa partenaire pour la vie.

[12] La demanderesse a présenté plusieurs lettres manuscrites au Tribunal dans lesquelles elle décrivait la nature de sa relation avec monsieur D. W. et quelles étaient leurs intentions pour le futur. Elle expliqua aussi qu’elle n’avait pas inclus monsieur D. W. à son régime d’assurance médicale et de médicaments, car elle n’avait pas l’intention de continuer à travailler pour son employeur beaucoup plus longtemps.

[13] Elle présenta aussi des lettres d’appui de ses amis et de sa famille, des documents relatifs à une entreprise qu’ils géraient ensemble au kiosque de l’aréna de X, de la correspondance d’un avocat qui décrivait que la demanderesse avait été en union de fait avec monsieur D. W. ainsi que des comptes de téléphone qui montraient qu’elle et monsieur D. W. se parlaient tous les jours lorsqu’ils n’étaient pas ensemble.

[14] La demanderesse expliqua dans sa correspondance qu’elle était forcée de demeurer à X, Ontario jusqu’à ce qu’elle puisse vendre sa maison là-bas. Pour des raisons d’assurance et parce qu’il avait encore une hypothèque sur sa maison de X, elle devait continuer de travailler à X X, Ontario qui est situé non loin de là. Elle avait planifié prendre sa retraite en novembre 2014, pour ensuite vendre sa maison, donner suite au divorce de son ex-mari et déménager les restes de ses biens à la maison de X qu’elle partageait avec monsieur D. W.

[15] Selon le résumé de la demanderesse, le CD-ROM ne contenait rien de significativement différent de ce qui avait déjà été présenté à la division générale. Cette dernière avait déjà des éléments de preuve couvrant l’essentiel de ce que contenait le CD-ROM. Elle considéra plusieurs de ces éléments, alors elle en était manifestement au courant.

[16] La demanderesse fait valoir que la division générale avait fait preuve de partialité, car elle fonda sa décision seulement sur le fait que la demanderesse était demeurée mariée à son ex-mari. Ce fait est pertinent. Toutefois, la division générale considéra plusieurs autres facteurs en évaluant si la demanderesse était admissible à une pension de survivant. Ainsi il n’y a pas de fondement à la prétention que la division générale fonda sa décision seulement sur le fait que la demanderesse était restée mariée à son ex-mari, et c’est pourquoi sa prétention, voulant que la division générale fût partiale à son encontre, est minée.

[17] Je ne suis pas convaincue qu’un appel fondé sur ce moyen a une chance raisonnable de succès.

La division générale a-t-elle commis une erreur de droit?

[18] La demanderesse soutient que la division générale erra en droit, bien qu’elle n’ait identifié aucune de ces erreurs. En revanche, elle a fourni des réponses à la décision de la division générale pour expliquer, entre autres, pourquoi elle et monsieur D. W. ne possédaient pas une propriétéNote de bas de page 2 ensemble, pourquoi ils ne s’étaient pas mutuellement nommés comme bénéficiaire dans leur testament, et pourquoi elle était décrite comme une « amie spéciale de longue date » plutôt que comme une conjointe ou une partenaire dans l’article nécrologique et l’avis commémoratif.

[19] La demanderesse a aussi expliqué pourquoi elle avait fourni des dates contradictoires dans des déclarations officielles différentes pour ce qui est du commencement de son union de fait avec monsieur D. W. Elle expliqua que, dans la déclaration officielle initiale, elle avait donné juillet 1993 comme étant le commencement de leur union de fait, parce que c’est lorsque son amitié avec monsieur D. W. débuta.

[20] Dans une autre déclaration officielle, elle donna le 1er juillet 2007, comme étant la date à laquelle elle et monsieur D. W. avaient commencé leur union de fait. Elle avait commencé à déménager certains de ses biens dans la résidence de X, Ontario à cette date. Elle indique qu’elle et monsieur D. W. prévoyaient que cette résidence deviendrait leur future maison et qu’ils garderaient une maison et géreraient une entreprise ensemble. Elle indique qu’au moment où monsieur D. W. décéda en juin 2014, elle avait déménagé approximativement 90 à 95 % de ses biens de X à sa maison de X.

[21] La demanderesse expliqua que des considérations financières l’avaient forcée à travailler et à rester à X X durant la semaine, mais que durant les fins de semaine elle retournait à la maison qu’elle partageait avec monsieur D. W. Elle consacrait son énergie à s’occuper de leur maison et à aider avec le café qu’ils avaient démarré à X. Ils partageaient la charge de travail et prenaient conjointement les décisions d’affaires. Avant que monsieur D. W. décède, elle avait déjà décidé de prendre sa retraite de son emploi à X X en novembre 2014 et de travailler ensemble à leur entreprise. Elle indiqua qu’elle avait été incapable de laisser X X/X avant, car elle devait préparer sa maison pour la mettre en vente et qu’elle devait rester dans la maison pour être admissible à une assurance domiciliaire. Et, entre-temps, elle continuait de travailler à X X pour pouvoir faire les paiements d’hypothèque de la maison de X.

[22] La demanderesse expliqua qu’elle n’avait jamais obtenu de divorce de son ex-mari, car c’était trop dispendieux, mais qu’elle avait coupé tous les liens avec lui depuis leur séparation en 1993. Par ailleurs, elle et monsieur D. W. étaient engagés l’un envers l’autre et dans leur future relation, et leurs familles passaient un temps considérable ensemble et fonctionnaient comme une cellule familiale. Elle avait planifié donner suite à son divorce de son ex-mari après avoir vendu sa maison à X, Ontario, qui était relativement près de son travail à X X.

[23] La demanderesse fait valoir que si elle n’avait pas travaillé à X X ou si monsieur D. W. n’avait pas géré le café à X, ils auraient pu demeurer ensemble. Néanmoins, elle considérait X, Ontario comme étant « leur maison principale et leur résidence ». En effet, elle indique qu’elle avait été en congé d’invalidité de courte durée pour environ trois mois en 2014 et qu’elle avait été capable de passer la plupart de son temps à la maison de X avec monsieur D. W., à l’exception des moments où elle devait s’absenter pour ses rendez-vous médicaux.

[24] La demanderesse a soutenu que la division générale n’a pas tenu adéquatement compte de certains des éléments de preuve portés à sa connaissance. Particulièrement, elle soutient que la division générale ignora la raison pour laquelle elle était forcée de rester à X X et pourquoi elle avait été incapable d’obtenir un divorce de son ex-mari. Elle expliqua qu’elle était forcée de vivre et de travailler à X/X X jusqu’à ce qu’elle soit capable de vendre sa maison.

[25] Tous ces éléments de preuve avaient été portés à la connaissance de la division générale. La division générale mentionna la plupart d’entre eux et accepta le fait que la demanderesse et monsieur D. W. s’aimaient profondément et prenaient soin l’un de l’autre, passaient beaucoup de temps ensemble et avaient l’intention de vivre ensemble après qu’elle prenne sa retraite.

[26] La division générale peut ne pas avoir relaté tous les détails de la relation entre la demanderesse et monsieur D. W., mais comme la Cour d’appel fédéral l’a établi dans l’arrêt Canada c. South Yukon Forest CorporationNote de bas de page 3, il n’est pas nécessaire pour un décideur d’écrire des motifs exhaustifs traitant de tous les éléments de preuve et de tous les faits portés à sa connaissance. Comme le juge Stratas a souligné :

[…] les juges de première instance n’essaient pas de rédiger une encyclopédie où les plus petits détails factuels seraient consignés, et ils ne le peuvent d’ailleurs pas. Ils examinent minutieusement des masses de renseignements et en font la synthèse, en séparant le bon grain de l’ivraie, et en ne formulant finalement que les conclusions de fait les plus importantes et leurs justifications.

[27] Il est clair que la division générale détermina que bien que la relation entre la demanderesse et monsieur D. W. avait évoluée et s’était raffermie avec le temps, cette relation avait toujours à se transformer en une union de fait. Il existe des éléments de preuve pour appuyer les déductions et les conclusions de la division générale.

[28] Essentiellement, la demanderesse n’est pas d’accord avec l’évaluation de la division générale et avec son interprétation de la preuve, et elle m’implore de mener ma propre évaluation de son allégation. Une certaine mesure de déférence s’impose à l’égard de la division générale. En tant que principal juge des faits, la division générale est la mieux placée pour évaluer la preuve et en tirer des conclusions, et pour déterminer si, après avoir tenu aussi compte de cette preuve de façon cumulative, elle pouvait conclure que la demanderesse était en union de fait avec monsieur D. W. De plus, le paragraphe 58(1) de la LMEDS ne prévoit que des moyens d’appel restreints. Il n’autorise pas une nouvelle appréciation ou évaluation de la preuve : Tracey, supra.

La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée?

[29] La demanderesse soutient que la division générale erra lorsqu’elle a écrit dans son aperçu au paragraphe 4 qu’elle était inadmissible à une « pension d’invalidité ». Je suis d’accord que la division générale a commis une erreur en suggérant qu’elle avait déterminé si la demanderesse était admissible à une pension d’invalidité lorsqu’elle n’en avait pas fait la demande. Toutefois, cette référence à une pension d’invalidité représente une erreur typographique et il est clair que la division générale avait en tête de trancher la question de savoir si la demanderesse était admissible à une pension de survivant.

[30] La division générale nota, par exemple, que la demanderesse avait fait la demande d’une pension de survivant. Elle se référa aussi aux dispositions du Régime de pensions du Canada qui traitent de l’admissibilité à une pension de survivant. La division générale a examiné la nature de la relation entre la demanderesse et monsieur D. W., ainsi que les éléments de preuve et les observations de chacune des parties. La division générale a aussi examiné la jurisprudence pertinente à la question de l’union de fait.

[31] Il n’y a pas d’indice que la division générale ait examiné ou considéré si la demanderesse pourrait être déclarée invalide aux fins du Régime de pensions du Canada, ou que la division générale a fondé sa décision sur la question de savoir si elle était invalide. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès sur cette question particulière.

[32] La demanderesse fait valoir que la division générale erra lorsqu’elle écrivit qu’elle s’était mariée en 1970 plutôt qu’en 1971. Comme rien ne découle de ceci pour déterminer l’admissibilité à une pension de survivant, je ne suis pas convaincue que l’appel a une chance raisonnable de succès sur cette question.

Conclusion

[33] Je ne suis pas convaincue que l’appel ait une chance raisonnable de succès. Par conséquent, la demande de permission d’en appeler est rejetée.

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