Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Décision et motifs

Décision

[1] La permission d’en appeler est accordée.

Aperçu

[2] Il est question de savoir dans cet appel ce qu’il signifie de disposer d’une cause « défendable ». 

[3] La demanderesse, D. T., a présenté une demande de pension de survivant en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC) en juin 2016, peu après le décès L. D., un cotisant au RPC avec qui elle prétend avoir entretenu une union de fait.

[4] Dans sa demande puis dans une déclaration solennelle, la demanderesse a rapporté qu’elle et le cotisant décédé n’étaient pas mariés mais qu’elle avait commencé à vivre avec lui en avril 1990 et qu’ils avaient plus tard eu deux enfants, soit un fils né en 1994 et une fille née en 1999. Elle a affirmé que la consommation d’alcool excessive de L. D. avait fini par déchirer leur famille et qu’ils avaient cessé de vivre sous un même toit en novembre 2015. Il l’avait agressée et menacée de mort alors qu’il était ivre et, au moment de son décès, ils étaient visés par une ordonnance restrictive interdisant tout contact. La demanderesse a prétendu qu’elle et L. D. avaient prévu de se réconcilier une fois que les accusations criminelles portées contre lui auraient été résolues et qu’il aurait été traité pour sa dépendance à l’alcool. Elle a fourni de nombreux éléments de preuve pour appuyer sa prétention voulant qu’elle et L. D. étaient en union de fait au décès de celui-ci.

[5] Le défendeur, le ministre de l’Emploi et du Développement social (ministre), a refusé d’agréer sa demande après avoir conclu que la demanderesse n’était pas un survivant, au sens du RPC. La demanderesse a demandé au ministre de réviser sa décision, mais ce dernier lui a fait savoir, dans une lettre datée du 16 février 2017, qu’il avait décidé de la maintenir.

[6] Le 10 juillet 2017, après le délai de 90 jours fixé par la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), la demanderesse a interjeté appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[7] Le 27 novembre 2017, la division générale a rendu une décision statuant que la demanderesse avait interjeté appel en retard. La division générale a refusé de proroger le délai d’appel après avoir conclu que la demanderesse n’avait pas invoqué une cause défendable.

[8] Au début, la demanderesse n’était pas représentée. Le 23 février 2018, l’avocat qu’elle venait d’engager a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel. Dans cette demande, son avocat a notamment soutenu que la division générale avait appliqué une norme déraisonnablement stricte en refusant d’instruire l’appel de sa cliente, et qu’elle avait évalué le fond de l’affaire plutôt que de déterminer si la demanderesse disposait d’une cause défendable.

[9] Après avoir examiné la décision de la division générale en fonction du dossier concerné, j’ai conclu que l’appel de la demanderesse a une chance raisonnable de succès.

Questions en litige

[10] Conformément à l’article 58 de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel à la division d’appel sont le trois suivants : la division générale i) n’a pas observé un principe de justice naturelle; ii) a commis une erreur de droit; iii) a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission,Footnote 1 et la division doit d’abord être convaincue que l’appel une chance raisonnable de succès.Footnote 2 La Cour d’appel fédérale a établi qu’une chance raisonnable de succès revient à une cause défendable en droit.Footnote 3

[11] Je dois déterminer, d’après les questions en litige suivantes, si la demanderesse dispose d’une cause défendable :

Question 1 : La demanderesse a-t-elle interjeté appel en retard devant la division générale?

Question 2 : La division générale a-t-elle invoqué les bons critères juridiques pour déterminer s’il fallait accorder à la demanderesse un délai supplémentaire?

Question 3 : La division générale a-t-elle appliqué la bonne norme pour décider si la demanderesse disposait d’une cause défendable?

Décision et motifs

Décision

[1] La permission d’en appeler est accordée.

Aperçu

[2] Il est question de savoir dans cet appel ce qu’il signifie de disposer d’une cause « défendable ». 

[3] La demanderesse, D. T., a présenté une demande de pension de survivant en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC) en juin 2016, peu après le décès L. D., un cotisant au RPC avec qui elle prétend avoir entretenu une union de fait.

[4] Dans sa demande puis dans une déclaration solennelle, la demanderesse a rapporté qu’elle et le cotisant décédé n’étaient pas mariés mais qu’elle avait commencé à vivre avec lui en avril 1990 et qu’ils avaient plus tard eu deux enfants, soit un fils né en 1994 et une fille née en 1999. Elle a affirmé que la consommation d’alcool excessive de L. D. avait fini par déchirer leur famille et qu’ils avaient cessé de vivre sous un même toit en novembre 2015. Il l’avait agressée et menacée de mort alors qu’il était ivre et, au moment de son décès, ils étaient visés par une ordonnance restrictive interdisant tout contact. La demanderesse a prétendu qu’elle et L. D. avaient prévu de se réconcilier une fois que les accusations criminelles portées contre lui auraient été résolues et qu’il aurait été traité pour sa dépendance à l’alcool. Elle a fourni de nombreux éléments de preuve pour appuyer sa prétention voulant qu’elle et L. D. étaient en union de fait au décès de celui-ci.

[5] Le défendeur, le ministre de l’Emploi et du Développement social (ministre), a refusé d’agréer sa demande après avoir conclu que la demanderesse n’était pas un survivant, au sens du RPC. La demanderesse a demandé au ministre de réviser sa décision, mais ce dernier lui a fait savoir, dans une lettre datée du 16 février 2017, qu’il avait décidé de la maintenir.

[6] Le 10 juillet 2017, après le délai de 90 jours fixé par la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), la demanderesse a interjeté appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[7] Le 27 novembre 2017, la division générale a rendu une décision statuant que la demanderesse avait interjeté appel en retard. La division générale a refusé de proroger le délai d’appel après avoir conclu que la demanderesse n’avait pas invoqué une cause défendable.

[8] Au début, la demanderesse n’était pas représentée. Le 23 février 2018, l’avocat qu’elle venait d’engager a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel. Dans cette demande, son avocat a notamment soutenu que la division générale avait appliqué une norme déraisonnablement stricte en refusant d’instruire l’appel de sa cliente, et qu’elle avait évalué le fond de l’affaire plutôt que de déterminer si la demanderesse disposait d’une cause défendable.

[9] Après avoir examiné la décision de la division générale en fonction du dossier concerné, j’ai conclu que l’appel de la demanderesse a une chance raisonnable de succès.

Questions en litige

[10] Conformément à l’article 58 de la Loi sur le MEDS, les seuls moyens d’appel à la division d’appel sont le trois suivants : la division générale i) n’a pas observé un principe de justice naturelle; ii) a commis une erreur de droit; iii) a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Il ne peut être interjeté d’appel à la division d’appel sans permission,Footnote 1 et la division doit d’abord être convaincue que l’appel une chance raisonnable de succès.Footnote 2 La Cour d’appel fédérale a établi qu’une chance raisonnable de succès revient à une cause défendable en droit.Footnote 3

[11] Je dois déterminer, d’après les questions en litige suivantes, si la demanderesse dispose d’une cause défendable :

Question 1 : La demanderesse a-t-elle interjeté appel en retard devant la division générale?

Question 2 : La division générale a-t-elle invoqué les bons critères juridiques pour déterminer s’il fallait accorder à la demanderesse un délai supplémentaire?

Question 3 : La division générale a-t-elle appliqué la bonne norme pour décider si la demanderesse disposait d’une cause défendable?

Analyse

Question 1 : La demanderesse a-t-elle interjeté appel en retard devant la division générale?

[12] La division générale a présumé que la demanderesse avait reçu communication de la décision de révision du ministre au plus tard le dixième jour après qu’il l’eût rendue, soit le 27 février 2017. Conséquemment, elle a conclu que la demanderesse avait jusqu’au 29 mai 2017 pour interjeter appel, conformément au délai de 90 jours fixé par l’alinéa 52(1)b) de la Loi sur le MEDS.

[13] Comme le dossier révèle que la demanderesse a seulement déposé un avis d’appel complet le 10 juillet 2017, soit six semaines après l’échéance prescrite, rien ne me permet de croire que la division générale a commis une erreur de fait en jugeant que son appel était tardif.

Question 2 : La division générale a-t-elle invoqué les bons critères juridiques?

[14] Au titre du paragraphe 52(2) de la Loi sur le MEDS, la division générale a le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai pour interjeter appel. Pour déterminer si elle doit proroger le délai dans le cas de la demanderesse, la division générale a soupesé à juste raison les quatre critères énoncés dans le jugement Canada c. GattellaroFootnote 4 :

  1. (a) Est-ce que l’appelant a démontré l’intention persistante de poursuivre l’appel;
  2. (b) Est-ce que le retard a été raisonnablement expliqué;
  3. (c) Est-ce que la prorogation du délai cause préjudice à l’autre partie;
  4. (d) Est-ce que la cause était défendable.

[15] La division générale a aussi cité à juste titre la décision clé en la matière, soit Canada c. LarkmanFootnote 5, qui requiert que les décideurs s’assurent que l’agrément d’une prorogation de délai est dans l’intérêt de la justice, lorsqu’ils doivent statuer à cet égard.

[16] Même si la division générale a jugé que les trois premiers facteurs énoncés dans l’arrêt Gattellaro jouaient en faveur de la demanderesse, elle a ultimement conclu que l’absence d’une cause défendable prévalait contre toute autre considération et militait contre la poursuite de l’appel. Selon moi, ce raisonnement est conforme au droit. Il est bien établi que, malgré la nécessité de considérer l’ensemble des facteurs de Gattellaro, ceux-ci ne méritent pas nécessairement le même poids. En l’espèce, il appartenait à la division générale de juger qu’un seul de ces facteurs prévalait contre les autres.

Question 3 : La division générale a-t-elle appliqué la bonne norme en ce qui concerne une « cause défendable »?

[17] Cela dit, j’estime la demanderesse aurait une chance raisonnable de succès en appel grâce à son observation voulant que la division générale a mal appliqué le quatrième facteur de Gattellaro en concluant qu’elle n’avait pas soulevé une « cause défendable ». Comme je l’ai précisé, cette phrase se retrouve également dans la jurisprudence concernant le droit de la division d’appel de refuser la permission d’en appeler, ainsi que le pouvoir de la division générale de rejeter un appel de façon sommaire. Dans les deux cas, un appel peut être interrompu s’il ne présente aucune chance raisonnable de succès. Ce seuil a toujours été considéré comme étant relativement facile à franchir, ne permettant de rejeter un appel que si l'appel a si peu de fondement qu’il est clair et évident qu’il est voué à l’échec. À cet égard, je m’en remets à ma collègue de la division d’appel, Janet Lew, qui a analyséFootnote 6 la jurisprudence pertinente à ce sujet et conclu ce qui suit :

Il ressort clairement de cette jurisprudence que lorsqu’on définit la pertinence de la procédure de rejet sommaire et que l’on détermine si un appel a une chance raisonnable de succès, le décideur doit déterminer s’il y a une [traduction] « question qui ouvre matière à procès » et si la demande est fondée. Pour ce faire, il faut faire la différence entre une affaire « sans aucun espoir » et une affaire « au fondement faible ». Dans le dernier cas, la preuve à l’appui d’une position peut être fragile, mais il y a au moins un certain soutien factuel ou fondé sur une preuve à l’égard de la position, alors que dans une affaire « sans aucun espoir », le fondement factuel appuyant cette position est absent ou inadéquat et le résultat est « manifestement clair ». L’affaire au fondement faible ne serait pas appropriée dans le cas d’un rejet sommaire puisqu’elle implique nécessairement l’évaluation du bien-fondé de l’affaire et l’examen de la preuve, c’est-à-dire le fait de l’analyser et de lui accorder du poids.

[18] Si la norme pour une cause défendable est une affaire « au fondement faible » plutôt que « sans aucun espoir », il me semble alors que l’appel formé par la demanderesse se classe dans la première catégorie, et non dans la seconde. Le RPC prévoit qu’une pension de survivant doit être payée au survivant d’un cotisant décédé.Footnote 7 Un « survivant » peut inclure une personne qui était le conjoint de fait du cotisant au décès de celui-ci.Footnote 8 Un « conjoint de fait » est défini comme étant la personne qui, au moment considéré, vit avec un cotisant dans une relation conjugale depuis au moins un an au moment du décès dudit cotisant.Footnote 9

[19] Il est vrai que la demanderesse a admis qu’elle et L. D. ne vivaient plus ensemble depuis sept mois quand ce dernier est décédé; par contre, la cohabitation n’est qu’un des nombreux facteurs dont un décideur doit tenir compte pour déterminer s’il existe une union de fait. En effet, il doit considérer les liens conjugaux, familiaux, sociaux et économiques, tels que l’interdépendance financière, la dépendance mutuelle, et les biens et les responsabilités en commun. C’est Hodge c. CanadaFootnote 10 qui est la décision clé en la matière. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a statué que la cohabitation n’est pas synonyme de corésidence. Un élément clé du critère est l’intention des parties, qui peut être déduite de leurs mots et de leurs actions. Depuis que le jugement Hodge a été rendu, une jurisprudence volumineuse a établi qu’il n’existe pas de définition exhaustive de l’union de fait et que chaque cas doit être tranché selon les faits qui lui sont propres.

[20] À ce stade, il n’est pas question de déterminer si la demanderesse était la conjointe de fait du cotisant décédé, mais bien de déterminer si elle a, à tout le moins, soulevé une cause défendable devant la division générale voulant qu’elle l’était. D’après mon examen préliminaire, la cause de la demanderesse pourrait avoir eu un fondement faible, mais elle n’était pas sans aucun espoir. Elle a produit une preuve montrant qu’elle et L. D. avaient vécu sous le même toit pendant plus de 25 ans et qu’ils avaient eu deux enfants. Même s’ils ne vivaient plus ensemble au décès de L. D., elle a déclaré qu’ils partageaient l’intention de se réconcilier une fois qu’il se serait occupé de ses problèmes. Elle a soumis des déclarations donnant à penser qu’ils pourraient avoir continué de partager des comptes après leur séparation « temporaire ».

[21] Les efforts que la division générale a déployés pour réfuter la cause de la demanderesse sont un autre indice révélant que celle-ci avait avancé une cause défendable. Une décision refusant de proroger un délai vu l’absence de cause défendable devrait ressembler à une décision de rejet sommaire. Pourtant, la division générale a consacré trois pages de sa décision à analyser la preuve de la demanderesse dans le contexte du droit applicable, ce qui, en soi, donne à penser que la division générale était saisie d’une affaire qui n’était pas qu’une simple cause prédéterminée méritant d’être classée à la hâte.

[22] S’il ne fait aucun doute que la division générale a examiné les facteurs de Gattellaro, ce simple exercice ne suffit pas à répondre au mandat consacré par Larkman, qui est de servir l’intérêt de la justice. Il serait malheureux que la demanderesse se voie refuser une audience pour sa demande de pension de survivant simplement parce qu’elle a tardé pendant quelques semaines à remplir une exigence qui, en fin de compte, n’est qu’un simple détail technique du processus d’appel.

Conclusion

[23] J’accorde la permission d’en appeler pour tous les motifs invoqués par la demanderesse. Si les parties décident de présenter des observations supplémentaires, elles sont libres de formuler leur opinion sur la question de savoir si une nouvelle audience s’avère nécessaire, et si tel est le cas, sur le mode d’audience approprié.

[24] La présente décision accordant la permission d’en appeler ne présume aucunement le résultat de l’appel sur le fond du litige.

Représentant :

Michael Tochor, pour la demanderesse

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