Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelante, J. G., est la veuve d’un cotisant au Régime de pensions du Canada (RPC) qui est décédé en novembre 1987. En février 1997, l’appelante a présenté une demande de pension de survivant du RPC. L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a agréé sa demande de pension et le versement de celle-ci à compter de mars 1996, lui accordant ainsi la rétroactivité maximale permise par la loi.

[3] En septembre 2015, l’appelante a présenté une demande de pension de survivant ainsi qu’une prestation d’enfant survivant du RPC. Elle a réclamé une pension rétroactive de novembre 1987 à mars 1996, soit du mois du décès de son époux au mois où le versement de sa pension avait effectivement débuté. Elle a aussi demandé la prestation d’enfant au nom de sa fille pour la période allant de novembre 1987 à juin 1994.

[4] Le ministre a rejeté ces demandes au stade initial et après révision, au motif que rien ne démontrait que l’appelante aurait été incapable de présenter les demandes de prestations avant la présentation de sa demande en février 1997. L’appelante a interjeté appel de ces décisions devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] En octobre 2017, la division générale a tenu une audience par téléconférence dans cette affaire, mais a rejeté l’appel de l’appelante après avoir conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’elle aurait été incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant février 1997.

[6] Le 12 janvier 2018, la fille de l’appelante, qui est également sa représentante autorisée, a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal, soutenant que la division générale avait commis de nombreuses erreurs dans le processus menant à sa décision.

[7] Dans ma décision datée du 16 mars 2018, j’ai accordé la permission d’en appeler parce que j’avais jugé que les observations de l’appelante conféraient une chance raisonnable de succès à son appel.

[8] Après avoir examiné les observations orales et écrites des parties, j’ai conclu qu’aucun des motifs d’appel de l’appelante n’est suffisamment fondé pour justifier d’infirmer la décision rendue par la division générale.

Question préliminaire

[9] À différents moments de l’instance, tant avant qu’après ma décision relative à sa demande de permission d’en appeler, l’appelante a déposé des documents médicaux, dont certains n’avaient jamais été portés à la connaissance de la division générale. Le jour précédant l’audience, l’appelante a transmis par télécopieur des dossiers provenant d’un hôpital de Trinité-et-Tobago à l’attention de la division d’appel.

[10] Pour des raisons que j’ai expliquées dès le début de l’audience, j’ai refusé d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans cet appel; j’ai cependant considéré les arguments écrits que l’appelante y avait joints et qui étaient pertinents aux questions en litige. Conformément à la décision rendue par la Cour fédérale dans Belo-Alves c Canada Note de bas de page 1, la division d’appel n’est pas une tribune permettant normalement la présentation de nouveaux éléments de preuve, compte tenu des contraintes exprimées par la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, qui ne confère pas à la division d’appel le pouvoir d’examiner la preuve sur le fond.

Question en litige

[11] Aux termes de l’article 58 de la Loi, les seuls moyens d’appel à la division d’appel sont les trois suivants : i) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle; ii) elle a commis une erreur de droit; iii) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[12] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

Question en litige no 1 : Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard de la division générale?

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions erronées voulant que l’appelante :

  • avait commencé à s’occuper de sa fille lorsque celle-ci avait 15 ou 16 ans;
  • se rendait régulièrement à l’école de sa fille et rencontrait ses professeurs;
  • était revenue au Canada en 1993, lorsque sa fille avait été admise à l’université;
  • avait constaté une amélioration suffisante de sa santé mentale de façon à ce que la [traduction] « vie était plutôt normale » en 1993;
  • aimait [traduction] « cuisiner et faire la lessive ainsi que les tâches ménagères habituelles »;
  • se sentait assez bien au Canada pour ne plus avoir besoin de traitement ni de médicaments?

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle manqué à un prince de justice naturelle en posant à l’appelante des questions suggestives à maintes reprises et en refusant de lui permettre de clarifier son témoignage?

Analyse

Question en litige no 1 : Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard de la division générale?

[13] Dans Canada c HuruglicaNote de bas de page 2, la Cour d’appel fédérale a établi que les tribunaux administratifs doivent d’abord se reporter à leur loi constitutive pour déterminer leur rôle : « L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur […] ».

[14] En appliquant cette approche à la Loi, on remarque que les articles 58(1)(a) et (b) ne définissent pas les erreurs de droit et les manquements à la justice naturelle, donnant ainsi à penser que la division d’appel doit soumettre la division générale à une norme rigoureuse pour toute question d’interprétation juridique. En revanche, le libellé de l’article 58(1)(c) laisse penser qu’il faut faire preuve d’une certaine déférence à l’égard de conclusions de fait tirées par la division générale. La décision doit être fondée sur la conclusion prétendument erronée, et il faut que la division générale ait aussi tiré cette conclusion de façon « abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme l’a laissé entendre l’affaire Huruglica, il faut donner à ces mots leur propre interprétation, mais le libellé porte à croire que la division d’appel doit intervenir si la division générale commet une grave erreur de fait qui n’est pas simplement déraisonnable, mais clairement flagrante ou contraire ou dossier.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées?

[15] L’appelante et sa fille ont expliqué en détail plusieurs occasions où la division générale aurait ignoré, déformé ou mal interprété leurs témoignages. Elles soutiennent que, contrairement à ce qui est écrit dans la décision de la division générale, elles n’avaient ni l’une ni l’autre fait les déclarations qui suivent. Par contre, j’ai maintenant écouté l’enregistrement audio de l’audience qui a eu lieu le 23 octobre 2017, et je n’ai entendu rien qui permette d’étayer leurs prétentions selon lesquelles la division générale aurait déformé leurs propos.

Capacité de l’appelante à s’occuper de sa fille

[16] Au paragraphe 15 de sa décision, la division générale a écrit ce qui suit :

[traduction]

Graduellement au fil des ans, elle avait été capable de s’occuper toute seule de sa mère et, lorsqu’elle avait eu 15 ou 16 ans, sa mère avait commencé à pouvoir s’occuper d’elle, par exemple en allant à son école pour rencontrer ses professeurs.

[17] À 25 minutes 10 secondes de l’enregistrement, on peut entendre cet échange :

[traduction]

Membre : Vous avez dit à un certain moment, plus tôt je crois, qu’elle [l’appelante] avait commencé à aller mieux. Est-ce qu’il y avait eu un moment où elle avait été capable de faire des choses comme certaines tâches ménagères ou s’occuper de vous?

Fille : Ouais, graduellement au fil des ans elle avait été capable de s’occuper elle-même de moi. Elle pouvait me parler et prendre soin de moi. Ça allait, elle était capable de… mais elle avait encore différents symptômes, mais ouais, elle pouvait me parler et être avec moi. Elle souffrait encore de dépression et de problèmes d’anxiété et de panique mais à part ça, ça ne nous empêchait pas d’avoir une relation ou rien comme ça.

Membre : Je sais que vous m’avez dit, je pense, que vous n’aviez environ que 13 ans au moment de son accident. Vous souvenez-vous de l’âge que vous aviez quand votre mère a pu commencer à s’occuper de vous?

Fille : Selon moi, je pense qu’elle avait vraiment commencé à être capable de s’occuper de moi quand j’avais environ 15 ou 16 ans, et c’est là que j’ai vraiment senti qu’elle pouvait s’occuper de moi et m’aider avec des trucs comme l’école. Elle avait commencé à pouvoir venir à l’école et rencontrer mes professeurs pour la première fois et des choses du genre.

[18] Cette transcription montre que la fille de l’appelante avait bel et bien affirmé que sa mère avait fini par se rétablir suffisamment de manière à pouvoir [traduction] « s’occuper » d’elle, son enfant. À mon avis, la division générale a résumé le témoignage à ce sujet avec exactitude et, par conséquent, elle avait le droit de se fonder sur celui-ci pour rendre sa décision.

Retour de l’appelante au Canada et à une [traduction] « vie normale »

[19] Au paragraphe 17 de sa décision, la division générale a écrit ce qui suit :

[traduction]

Elles sont revenues au Canada vers 1993 lorsque [la fille de l’appelante] a été admise à l’université, bien qu’elle ait ensuite retiré sa candidature et soit seulement entrée à l’université quelques années plus tard. Elle a affirmé qu’en 1993, sa mère allait beaucoup mieux et était plus forte mentalement, et ils vivaient avec son frère. La vie était plutôt normale, et sa mère aimait cuisiner et faire la lessive ainsi que les tâches ménagères habituelles […]

[20] L’extrait qui précède est un résumé de l’échange suivant, qui peut être entendu à 31 minutes 25 secondes de l’enregistrement :

[traduction]

Membre : Donc vous m’avez dit qu’elle [l’appelante] était venue au Canada un certain nombre d’années plus tard. Vous souvenez-vous de l’année?

Fille : Elle est revenue au Canada, entre… je pense que c’était en 1993, je ne suis pas sûre, dans ces environs. Nous l’avons ramenée quand je suis retournée à l’université. Je suis allée à l’Université de X. Donc elle est revenue vers ce moment-là.

Membre : En 1993 alors, qu’avez-vous pu observer relativement à son état de santé quand elle est revenue?

Fille : Elle allait beaucoup mieux. Elle était forte mentalement, elle parlait, elle avait l’air [inaudible] d’être heureuse de nouveau, elle riait. Je me souviens qu’à notre retour nous lui avons montré notre ancienne maison et des choses du genre, et des endroits où elle allait avant, et ça lui a rappelé des souvenirs, et elle était donc vraiment contente quand elle, quand nous sommes revenus au Canada. Mon père et moi l’avons amenée à l’église où ils allaient avant et à son ancien travail et des trucs comme ça et elle était vraiment contente.

[…]

Membre : Dites-moi ce que vous vous rappelez de la vie quotidienne de votre mère lorsqu’elle est revenue au Canada à ce moment-là.

Fille : C’était plutôt normal quand on est revenus. Elle faisait la cuisine et le ménage. Mon frère l’amenait faire les courses, l’épicerie, et la laissait choisir ses produits et tout. Elle aimait beaucoup faire la cuisine et des desserts, et elle faisait donc surtout ça, en étant supervisée. Elle faisait la lessive, prenait soin des chats, et des trucs du genre.

[21] Encore une fois, je ne vois pas de quelle façon la division générale aurait déformé le témoignage de la fille de l’appelante. En effet, il me semble que la décision de la division générale décrit avec exactitude l’essence de ce qu’a raconté la témoin durant l’audience au sujet des activités de sa mère en 1993.

Besoin de l’appelante en matière de traitement et de médicaments

[22] Au paragraphe 20 de sa décision, la division générale a écrit ce qui suit :

[traduction]

Elle a dit qu’elle se sentait suffisamment bien au Canada pour ne pas avoir besoin de traitement, et elle ne prenait aucun médicament au Canada.

[23] À 51 minutes de l’enregistrement, la discussion porte sur le traitement de l’appelante après son retour au Canada :

[traduction]

Membre : D’après ce que j’ai compris, vous n’aviez pas de médecin ici au Canada lorsque vous êtes revenue en 1993.

Appelante : Non. Je dirais que c’est comme, je ne sais pas comment l’expliquer, si je ne pouvais pas me redresser [inaudible] à Trinité, c’était comme, vous savez quand [inaudible] de trop parler, mais ici, je me sentais bien.

 Membre : OK. Donc vous vous sentiez assez bien au Canada pour ne pas avoir besoin de traitement pendant que vous étiez ici?

Appelante : Oui, absolument.

Membre : Pendant que vous étiez au Canada par contre, preniez-vous encore du Prozac et vos autres médicaments?

Appelante : Non, rien du tout.

Membre : OK. Mais quand vous êtes retournée à Trinité, est-ce que vous en preniez quand vous étiez là ou après ou vous ne prenez pas de médicaments?

Appelante : Je prenais juste d’autres trucs en vente libre, en quelque sorte, mais pas vraiment, parce que je me sentais vraiment forte et vraiment bien.

Membre : OK, c’est bien. Vous souvenez-vous du moment où vous auriez arrêté de prendre du Prozac et d’autres médicaments?

Appelante : Vers 1992 ou 1993 vraiment.

[24] L’enregistrement révèle que le membre de la division générale s’est efforcé de bonne foi de comprendre l’ampleur du traitement en santé mentale de l’appelante après 1993 et qu’il a ensuite résumé de façon juste son témoignage dans sa décision.

[25] En conclusion, il se peut que l’appelante et sa fille aient mal compris la signification des déclarations qu’elles faisaient quand elles les ont faites, et il se peut qu’elles ne soient pas d’accord avec le poids que la division générale a accordé à ces déclarations. Cependant, il ne fait aucun doute que ces déclarations ont effectivement été faites par l’appelante et sa fille, quand bien même elles souhaiteraient maintenant les formuler autrement ou les mettre en contexte. L’appelante a reproché à la division générale d’avoir [traduction] « extrait et choisi » des [traduction] « poignées de mots » dans son témoignage, mais rien ne me permet de croire que la division générale aurait déformé le propos essentiel de ce que sa fille et elle avaient dit. En gros, je ne peux convenir que la division générale aurait fondé sa décision sur une interprétation fautive des témoignages.

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle manqué à un prince de justice naturelle en posant à l’appelante des questions suggestives à maintes reprises et en refusant de lui permettre de clarifier son témoignage?

[26] L’appelante prétend que le membre de la division générale ayant présidé l’audience a adopté une conduite qui a entravé son témoignage ou l’a empêchée de témoigner. Elle l’accuse plus précisément de lui avoir posé des questions suggestives et de lui avoir coupé la parole avant qu’elle puisse clarifier son témoignage.

[27] Après avoir écouté la totalité de l’enregistrement audio, j’estime que cette observation est sans fondement. D’abord, il n’existe aucune règle d’équité procédurale qui empêche un arbitre de poser des questions suggestives, dans la mesure où elles visent à faire ressortir des renseignements pertinents. Il est vrai que, parfois, des questions suggestives posées de façon acharnée peuvent témoigner de la partialité ou de la mauvaise foi d’un arbitre, mais je n’ai rien entendu de la sorte en l’espèce. En effet, il m’apparaît que le membre a tenu l’audience avec un véritable esprit d’enquête. Jamais l’appelante ni sa fille n’ont soulevé d’objection ou exprimé un malaise relativement à la conduite du membre. Son ton était doux durant l’instance et je n’ai rien entendu qui pourrait être décrit comme une pression indue ou un contre-interrogatoire. Les extraits transcrits plus haut représentent de façon juste le style du membre en posant ses questions, et il a toujours offert à l’appelante et à sa fille l’occasion d’ajouter des précisions, de clarifier leurs témoignages ou de revenir sur ce qu’elles avaient dit.

Conclusion

[28] Pour les motifs qui précèdent, l’appelante ne m’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la division générale avait commis une erreur qui corresponde à l’un des moyens d’appel prévus à l’article 58(1) de la Loi.

[29] L’appel est donc rejeté.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] L’appelante, J. G., est la veuve d’un cotisant au Régime de pensions du Canada (RPC) qui est décédé en novembre 1987. En février 1997, l’appelante a présenté une demande de pension de survivant du RPC. L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a agréé sa demande de pension et le versement de celle-ci à compter de mars 1996, lui accordant ainsi la rétroactivité maximale permise par la loi.

[3] En septembre 2015, l’appelante a présenté une demande de pension de survivant ainsi qu’une prestation d’enfant survivant du RPC. Elle a réclamé une pension rétroactive de novembre 1987 à mars 1996, soit du mois du décès de son époux au mois où le versement de sa pension avait effectivement débuté. Elle a aussi demandé la prestation d’enfant au nom de sa fille pour la période allant de novembre 1987 à juin 1994.

[4] Le ministre a rejeté ces demandes au stade initial et après révision, au motif que rien ne démontrait que l’appelante aurait été incapable de présenter les demandes de prestations avant la présentation de sa demande en février 1997. L’appelante a interjeté appel de ces décisions devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] En octobre 2017, la division générale a tenu une audience par téléconférence dans cette affaire, mais a rejeté l’appel de l’appelante après avoir conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’elle aurait été incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant février 1997.

[6] Le 12 janvier 2018, la fille de l’appelante, qui est également sa représentante autorisée, a présenté une demande de permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal, soutenant que la division générale avait commis de nombreuses erreurs dans le processus menant à sa décision.

[7] Dans ma décision datée du 16 mars 2018, j’ai accordé la permission d’en appeler parce que j’avais jugé que les observations de l’appelante conféraient une chance raisonnable de succès à son appel.

[8] Après avoir examiné les observations orales et écrites des parties, j’ai conclu qu’aucun des motifs d’appel de l’appelante n’est suffisamment fondé pour justifier d’infirmer la décision rendue par la division générale.

Question préliminaire

[9] À différents moments de l’instance, tant avant qu’après ma décision relative à sa demande de permission d’en appeler, l’appelante a déposé des documents médicaux, dont certains n’avaient jamais été portés à la connaissance de la division générale. Le jour précédant l’audience, l’appelante a transmis par télécopieur des dossiers provenant d’un hôpital de Trinité-et-Tobago à l’attention de la division d’appel.

[10] Pour des raisons que j’ai expliquées dès le début de l’audience, j’ai refusé d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans cet appel; j’ai cependant considéré les arguments écrits que l’appelante y avait joints et qui étaient pertinents aux questions en litige. Conformément à la décision rendue par la Cour fédérale dans Belo-Alves c Canada Note de bas de page 1, la division d’appel n’est pas une tribune permettant normalement la présentation de nouveaux éléments de preuve, compte tenu des contraintes exprimées par la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, qui ne confère pas à la division d’appel le pouvoir d’examiner la preuve sur le fond.

Question en litige

[11] Aux termes de l’article 58 de la Loi, les seuls moyens d’appel à la division d’appel sont les trois suivants : i) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle; ii) elle a commis une erreur de droit; iii) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[12] Les questions que je dois trancher sont les suivantes :

Question en litige no 1 : Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard de la division générale?

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions erronées voulant que l’appelante :

  • avait commencé à s’occuper de sa fille lorsque celle-ci avait 15 ou 16 ans;
  • se rendait régulièrement à l’école de sa fille et rencontrait ses professeurs;
  • était revenue au Canada en 1993, lorsque sa fille avait été admise à l’université;
  • avait constaté une amélioration suffisante de sa santé mentale de façon à ce que la [traduction] « vie était plutôt normale » en 1993;
  • aimait [traduction] « cuisiner et faire la lessive ainsi que les tâches ménagères habituelles »;
  • se sentait assez bien au Canada pour ne plus avoir besoin de traitement ni de médicaments?

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle manqué à un prince de justice naturelle en posant à l’appelante des questions suggestives à maintes reprises et en refusant de lui permettre de clarifier son témoignage?

Analyse

Question en litige no 1 : Dans quelle mesure la division d’appel doit-elle faire preuve de déférence à l’égard de la division générale?

[13] Dans Canada c HuruglicaNote de bas de page 2, la Cour d’appel fédérale a établi que les tribunaux administratifs doivent d’abord se reporter à leur loi constitutive pour déterminer leur rôle : « L’approche textuelle, contextuelle et téléologique requise par les principes d’interprétation législative modernes nous donne tous les outils nécessaires pour déterminer l’intention du législateur […] ».

[14] En appliquant cette approche à la Loi, on remarque que les articles 58(1)(a) et (b) ne définissent pas les erreurs de droit et les manquements à la justice naturelle, donnant ainsi à penser que la division d’appel doit soumettre la division générale à une norme rigoureuse pour toute question d’interprétation juridique. En revanche, le libellé de l’article 58(1)(c) laisse penser qu’il faut faire preuve d’une certaine déférence à l’égard de conclusions de fait tirées par la division générale. La décision doit être fondée sur la conclusion prétendument erronée, et il faut que la division générale ait aussi tiré cette conclusion de façon « abusive ou arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance ». Comme l’a laissé entendre l’affaire Huruglica, il faut donner à ces mots leur propre interprétation, mais le libellé porte à croire que la division d’appel doit intervenir si la division générale commet une grave erreur de fait qui n’est pas simplement déraisonnable, mais clairement flagrante ou contraire ou dossier.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées?

[15] L’appelante et sa fille ont expliqué en détail plusieurs occasions où la division générale aurait ignoré, déformé ou mal interprété leurs témoignages. Elles soutiennent que, contrairement à ce qui est écrit dans la décision de la division générale, elles n’avaient ni l’une ni l’autre fait les déclarations qui suivent. Par contre, j’ai maintenant écouté l’enregistrement audio de l’audience qui a eu lieu le 23 octobre 2017, et je n’ai entendu rien qui permette d’étayer leurs prétentions selon lesquelles la division générale aurait déformé leurs propos.

Capacité de l’appelante à s’occuper de sa fille

[16] Au paragraphe 15 de sa décision, la division générale a écrit ce qui suit :

[traduction]

Graduellement au fil des ans, elle avait été capable de s’occuper toute seule de sa mère et, lorsqu’elle avait eu 15 ou 16 ans, sa mère avait commencé à pouvoir s’occuper d’elle, par exemple en allant à son école pour rencontrer ses professeurs.

[17] À 25 minutes 10 secondes de l’enregistrement, on peut entendre cet échange :

[traduction]

Membre : Vous avez dit à un certain moment, plus tôt je crois, qu’elle [l’appelante] avait commencé à aller mieux. Est-ce qu’il y avait eu un moment où elle avait été capable de faire des choses comme certaines tâches ménagères ou s’occuper de vous?

Fille : Ouais, graduellement au fil des ans elle avait été capable de s’occuper elle-même de moi. Elle pouvait me parler et prendre soin de moi. Ça allait, elle était capable de… mais elle avait encore différents symptômes, mais ouais, elle pouvait me parler et être avec moi. Elle souffrait encore de dépression et de problèmes d’anxiété et de panique mais à part ça, ça ne nous empêchait pas d’avoir une relation ou rien comme ça.

Membre : Je sais que vous m’avez dit, je pense, que vous n’aviez environ que 13 ans au moment de son accident. Vous souvenez-vous de l’âge que vous aviez quand votre mère a pu commencer à s’occuper de vous?

Fille : Selon moi, je pense qu’elle avait vraiment commencé à être capable de s’occuper de moi quand j’avais environ 15 ou 16 ans, et c’est là que j’ai vraiment senti qu’elle pouvait s’occuper de moi et m’aider avec des trucs comme l’école. Elle avait commencé à pouvoir venir à l’école et rencontrer mes professeurs pour la première fois et des choses du genre.

[18] Cette transcription montre que la fille de l’appelante avait bel et bien affirmé que sa mère avait fini par se rétablir suffisamment de manière à pouvoir [traduction] « s’occuper » d’elle, son enfant. À mon avis, la division générale a résumé le témoignage à ce sujet avec exactitude et, par conséquent, elle avait le droit de se fonder sur celui-ci pour rendre sa décision.

Retour de l’appelante au Canada et à une [traduction] « vie normale »

[19] Au paragraphe 17 de sa décision, la division générale a écrit ce qui suit :

[traduction]

Elles sont revenues au Canada vers 1993 lorsque [la fille de l’appelante] a été admise à l’université, bien qu’elle ait ensuite retiré sa candidature et soit seulement entrée à l’université quelques années plus tard. Elle a affirmé qu’en 1993, sa mère allait beaucoup mieux et était plus forte mentalement, et ils vivaient avec son frère. La vie était plutôt normale, et sa mère aimait cuisiner et faire la lessive ainsi que les tâches ménagères habituelles […]

[20] L’extrait qui précède est un résumé de l’échange suivant, qui peut être entendu à 31 minutes 25 secondes de l’enregistrement :

[traduction]

Membre : Donc vous m’avez dit qu’elle [l’appelante] était venue au Canada un certain nombre d’années plus tard. Vous souvenez-vous de l’année?

Fille : Elle est revenue au Canada, entre… je pense que c’était en 1993, je ne suis pas sûre, dans ces environs. Nous l’avons ramenée quand je suis retournée à l’université. Je suis allée à l’Université de X. Donc elle est revenue vers ce moment-là.

Membre : En 1993 alors, qu’avez-vous pu observer relativement à son état de santé quand elle est revenue?

Fille : Elle allait beaucoup mieux. Elle était forte mentalement, elle parlait, elle avait l’air [inaudible] d’être heureuse de nouveau, elle riait. Je me souviens qu’à notre retour nous lui avons montré notre ancienne maison et des choses du genre, et des endroits où elle allait avant, et ça lui a rappelé des souvenirs, et elle était donc vraiment contente quand elle, quand nous sommes revenus au Canada. Mon père et moi l’avons amenée à l’église où ils allaient avant et à son ancien travail et des trucs comme ça et elle était vraiment contente.

[…]

Membre : Dites-moi ce que vous vous rappelez de la vie quotidienne de votre mère lorsqu’elle est revenue au Canada à ce moment-là.

Fille : C’était plutôt normal quand on est revenus. Elle faisait la cuisine et le ménage. Mon frère l’amenait faire les courses, l’épicerie, et la laissait choisir ses produits et tout. Elle aimait beaucoup faire la cuisine et des desserts, et elle faisait donc surtout ça, en étant supervisée. Elle faisait la lessive, prenait soin des chats, et des trucs du genre.

[21] Encore une fois, je ne vois pas de quelle façon la division générale aurait déformé le témoignage de la fille de l’appelante. En effet, il me semble que la décision de la division générale décrit avec exactitude l’essence de ce qu’a raconté la témoin durant l’audience au sujet des activités de sa mère en 1993.

Besoin de l’appelante en matière de traitement et de médicaments

[22] Au paragraphe 20 de sa décision, la division générale a écrit ce qui suit :

[traduction]

Elle a dit qu’elle se sentait suffisamment bien au Canada pour ne pas avoir besoin de traitement, et elle ne prenait aucun médicament au Canada.

[23] À 51 minutes de l’enregistrement, la discussion porte sur le traitement de l’appelante après son retour au Canada :

[traduction]

Membre : D’après ce que j’ai compris, vous n’aviez pas de médecin ici au Canada lorsque vous êtes revenue en 1993.

Appelante : Non. Je dirais que c’est comme, je ne sais pas comment l’expliquer, si je ne pouvais pas me redresser [inaudible] à Trinité, c’était comme, vous savez quand [inaudible] de trop parler, mais ici, je me sentais bien.

 Membre : OK. Donc vous vous sentiez assez bien au Canada pour ne pas avoir besoin de traitement pendant que vous étiez ici?

Appelante : Oui, absolument.

Membre : Pendant que vous étiez au Canada par contre, preniez-vous encore du Prozac et vos autres médicaments?

Appelante : Non, rien du tout.

Membre : OK. Mais quand vous êtes retournée à Trinité, est-ce que vous en preniez quand vous étiez là ou après ou vous ne prenez pas de médicaments?

Appelante : Je prenais juste d’autres trucs en vente libre, en quelque sorte, mais pas vraiment, parce que je me sentais vraiment forte et vraiment bien.

Membre : OK, c’est bien. Vous souvenez-vous du moment où vous auriez arrêté de prendre du Prozac et d’autres médicaments?

Appelante : Vers 1992 ou 1993 vraiment.

[24] L’enregistrement révèle que le membre de la division générale s’est efforcé de bonne foi de comprendre l’ampleur du traitement en santé mentale de l’appelante après 1993 et qu’il a ensuite résumé de façon juste son témoignage dans sa décision.

[25] En conclusion, il se peut que l’appelante et sa fille aient mal compris la signification des déclarations qu’elles faisaient quand elles les ont faites, et il se peut qu’elles ne soient pas d’accord avec le poids que la division générale a accordé à ces déclarations. Cependant, il ne fait aucun doute que ces déclarations ont effectivement été faites par l’appelante et sa fille, quand bien même elles souhaiteraient maintenant les formuler autrement ou les mettre en contexte. L’appelante a reproché à la division générale d’avoir [traduction] « extrait et choisi » des [traduction] « poignées de mots » dans son témoignage, mais rien ne me permet de croire que la division générale aurait déformé le propos essentiel de ce que sa fille et elle avaient dit. En gros, je ne peux convenir que la division générale aurait fondé sa décision sur une interprétation fautive des témoignages.

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle manqué à un prince de justice naturelle en posant à l’appelante des questions suggestives à maintes reprises et en refusant de lui permettre de clarifier son témoignage?

[26] L’appelante prétend que le membre de la division générale ayant présidé l’audience a adopté une conduite qui a entravé son témoignage ou l’a empêchée de témoigner. Elle l’accuse plus précisément de lui avoir posé des questions suggestives et de lui avoir coupé la parole avant qu’elle puisse clarifier son témoignage.

[27] Après avoir écouté la totalité de l’enregistrement audio, j’estime que cette observation est sans fondement. D’abord, il n’existe aucune règle d’équité procédurale qui empêche un arbitre de poser des questions suggestives, dans la mesure où elles visent à faire ressortir des renseignements pertinents. Il est vrai que, parfois, des questions suggestives posées de façon acharnée peuvent témoigner de la partialité ou de la mauvaise foi d’un arbitre, mais je n’ai rien entendu de la sorte en l’espèce. En effet, il m’apparaît que le membre a tenu l’audience avec un véritable esprit d’enquête. Jamais l’appelante ni sa fille n’ont soulevé d’objection ou exprimé un malaise relativement à la conduite du membre. Son ton était doux durant l’instance et je n’ai rien entendu qui pourrait être décrit comme une pression indue ou un contre-interrogatoire. Les extraits transcrits plus haut représentent de façon juste le style du membre en posant ses questions, et il a toujours offert à l’appelante et à sa fille l’occasion d’ajouter des précisions, de clarifier leurs témoignages ou de revenir sur ce qu’elles avaient dit.

Conclusion

[28] Pour les motifs qui précèdent, l’appelante ne m’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la division générale avait commis une erreur qui corresponde à l’un des moyens d’appel prévus à l’article 58(1) de la Loi.

[29] L’appel est donc rejeté.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 12 juillet 2018

Téléconférence

J. G., appelante
S. G., représentante de l’appelante
Viola Herbert, représentante de l’intimé

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