Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Décision

[1] L’appel est rejeté. L’appelant et la mise en cause n’ont pas cohabité dans une relation conjugale pendant une période d’au moins un an sans interruption en aucun temps avant leur mariage en octobre 1987. Le Ministre a correctement partagé les gains non ajustés ouvrant droit à pension au titre du Régime de pensions du Canada (RPC) pour la période allant de janvier 1987 à décembre 1992.

Aperçu

[2] Le RPC prévoit que les gains non ajustés ouvrant droit à pension des époux ou des conjoints de fait sont partagés également après la fin de leur relationNote de bas de page 1. Ceci est connu sous les appellations de PGNAP ou de partage des crédits. Un « conjoint de fait » comme défini dans le RPC est « [l]a personne qui, au moment considéré, vit avec la personne cotisante en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an »Note de bas de page 2. L’exigence d’une période d’un an de cohabitation continue est répétée en référence précise du partage des créditsNote de bas de page 3. Le partage des crédits est appliqué en janvier de l’année durant laquelle les parties se sont mariées ou ont commencé à cohabiter comme conjoints de fait, et il se termine en décembre de la dernière année complète avant qu’ils se séparent et vivent séparémentNote de bas de page 4.

[3] En juin 1996, l’appelant a fait la demande de partage des créditsNote de bas de page 5. Dans sa demande, il a fait valoir ce qui suit :

  • lui et la mise en cause ont été conjoints de fait de mars 1983 jusqu’à leur mariage en octobre 1987;
  • durant une partie de cette période, du 1er août 1985 au 30 juillet 1986, l’appelant a vécu avec ses parents pendant qu’il retournait à l’université pour terminer son Baccalauréat ès arts « comme il avait été discuté et entendu entre les conjoints »;
  • il a réemménagé avec la mise en cause après avoir terminé son programme universitaire;
  • après leur mariage, ils ont continué à cohabiter jusqu’en mars 1993;
  • ils ont divorcé en octobre 1994.

[4] Selon cette information, un partage des crédits a été appliqué pour la période de janvier 1983 à décembre 1992. Le Ministre n’a pas considéré la séparation de 1985-1986, car celle-ci a duré moins de 12 mois et les parties ont recommencé à cohabiter pour plus de 12 moisNote de bas de page 6.

[5] Plusieurs années plus tard, pour des motifs traités par la division d’appel et qui ne sont pas en litige en l’espèce, le Ministre a rendu une décision relative à une révision. Le Ministre a décidé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve d’une union de fait avant le mariage de l’appelant et de la mise en cause. Le partage des crédits a été appliqué de janvier 1987 à décembre 1992, sur le fond d’une cohabitation commençant lorsque les parties se sont mariées et finissant en mars 1993Note de bas de page 7.

[6] L’appelant a interjeté appel de la décision découlant de la révision au Bureau du Commissaire des tribunaux de révision (maintenant le Tribunal de la sécurité sociale). En novembre 2015, la division générale du Tribunal a rejeté l’appel et l’appelant a interjeté appel à la division d’appel. La division d’appel a retourné l’affaire à la division générale pour déterminer si l’appelant et la mise en cause étaient en union de fait entre 1982 et leur mariage, et quelle incidence ceci aurait sur le partage des crédits.

[7] J’ai instruit l’appel par vidéoconférence le 30 août 2018. L’appelant a informé le Tribunal le jour précédent qu’il ne prévoyait pas assister et que le Tribunal pouvait procéder en son absenceNote de bas de page 8. Je n’ai pas annulé la réservation de la salle d’audience, au cas où il aurait changé d’avis. Toutefois, il n’était pas au centre de Service Canada au moment de commencer l’audience. Comme j’étais convaincue que l’appelant avait reçu l’avis d’audience, j’ai décidé de procéder sans luiNote de bas de page 9 avec la mise en cause présente.

Questions en litige

[8] L’appelant et la mise en cause ont-ils cohabité dans une relation conjugale pour une période continue d’au moins un an à tout moment entre 1982 et octobre 1987?

[9] S’ils l’ont fait, quelle incidence ceci a-t-il sur le partage des crédits?

Analyse

[10] Dans sa demande, l’appelant a fait valoir que l’union de fait a commencé en mars 1983Note de bas de page 10. Toutefois, il a aussi suggéré que celle-ci avait débuté en mars 1982Note de bas de page 11. Peu importe la date de début, il a déclaré qu’elle avait continué jusqu’à ce que lui et la mise en cause se soient mariés en octobre 1987Note de bas de page 12. La mise en cause a affirmé que toute union de fait avait été de moins d’un an et qu’elle s’était terminée en septembre ou octobre 1984.

[11] Je n’ai pas instruit ou rendu de décision au premier appel. La division d’appel a exigé que la décision de la division générale de novembre 2015 et l’enregistrement de l’audience initiale soient retirés du dossier; par conséquent, je n’ai pas examiné aucun des deux. En rendant ma décision, j’ai considéré tous les éléments de preuve documentaire présentés à la division générale et à la division d’appel, ceux-ci commençant tous par GT, AD ou IS, incluant les observations tardives de l’appelant (IS2), ainsi que le témoignage lors de l’audience du 30 août 2018. J’ai ignoré les observations des parties où il était mention d’évènements survenus lors de la première audience.

[12] Après avoir examiné les preuves orales et écrites, je conclus que l’appelant et la mise en cause n’étaient pas en union de fait conformément au RPC à aucun temps qui aurait une incidence dans la version actuelle du partage des crédits. J’estime que toute période d’union de fait s’est terminée en octobre 1984 et qu’ensuite les parties n’ont pas cohabité dans une relation conjugale jusqu’à leur mariage.

Caractéristiques d’une union de fait selon le RPC

[13] Les conjoints de fait sont sujets aux conditions du partage des crédits dans les situations suivantes :

  • ils doivent avoir cohabité;
  • la cohabitation doit avoir été au sein d’une relation conjugale;
  • la cohabitation doit avoir duré pour une période d’au moins un an.

[14] Il existe aussi des délais durant lesquels une demande doit être présentée, ce qui est traité subséquemment dans ces motifs.

[15] Dans la décision Hodge c CanadaNote de bas de page 13, la Cour suprême du Canada a établi : [traduction]

[…] cohabitation est un élément essentiel de l’union de fait. La « cohabitation », dans ce contexte, n’est pas synonyme de corésidence. Deux personnes peuvent cohabiter même si elles ne vivent pas sous le même toit et, inversement, elles peuvent ne pas cohabiter au sens où il faut l’entendre même si elles vivent sous le même toit.

[16] La Cour a ajouté que les périodes de séparation physique n’interrompent pas l’union de fait « s’il y a une intention mutuelle de continuer » et que sujette à toute disposition pouvant être prévue dans une loi, « une union de fait prend fin “lorsque l’une ou l’autre des parties la considère comme terminée et affiche un comportement qui démontre, de manière convaincante, que cet état d’esprit particulier a un caractère définitif” ».

[17] L’expression « relation conjugale » n’est pas définie pas le RPC. Dans l’affaire MSD c PrattNote de bas de page 14, la Commission d’appel des pensions (CAP) a affirméque : [traduction] « [L]e noyau de la relation [conjugale], c’est que les parties ont, par leurs actions et leur conduite, démontré une intention mutuelle de vivre ensemble dans une relation semblable au mariage d’une certaine permanence ». Dans l’affaire Betts c ShannonNote de bas de page 15, la CAP a listé les éléments qui se retrouvent généralement dans une relation conjugale, mais elle a mis l’accent sur le fait qu’ils n’ont pas à être tous présents. Ceux-ci incluent notamment :

  • une interdépendance financière;
  • un lien sexuel;
  • une résidence commune;
  • l’achat mutuel de cadeaux lors d’occasions spéciales;
  • le partage des responsabilités domestiques;
  • l’utilisation partagée des biens;
  • une responsabilité partagée à l’éducation des enfants;
  • des vacances communes;
  • l’attente d’une dépendance mutuelle continue;
  • la désignation mutuelle comme bénéficiaires dans le testament et les polices d’assurance;
  • le lieu où les vêtements de chacun sont conservés;
  • le soin mutuel lors de maladie;
  • la connaissance des besoins médicaux de l’autre;
  • la communication entre les parties;
  • la reconnaissance publique des parties comme étant un couple;
  • l’état civil déclaré par les parties sur plusieurs demandes ou sur d’autres formulaires, remplis par ces derniers;
  • la responsabilité pour les arrangements funéraires.

Les déclarations des parties relativement à leur relation

i. Mars 1982 à octobre 1984

[18] L’appelant et la mise en cause avaient tous deux 22 ans lorsqu’ils se sont connus en mars 1982. Ils s’entendent sur le fait qu’ils sont devenus un couple rapidement après leur rencontre, mais ils avaient des versions très différentes de ce qui s’est passé dans leur relation par la ensuite.

[19] Dans l’ensemble du dossier, l’appelant a décrit [traduction] « une relation continue, intime et solidaire » qui a duré pendant 11 ans du moment où il a rencontré la mise en cause en mars 1982 jusqu’à ce qu’ils se séparent en mars 1993. Il a déclaré qu’ils avaient loué un appartement ensemble sur une base mensuelle; qu’ils possédaient conjointement des biens comme des meubles et des articles ménagers; qu’ils détenaient des comptes bancaires conjoints; qu’ils détenaient des polices d’assurance nommant mutuellement l’autre comme bénéficiaire. Il a déclaré qu’il avait acheté une automobile et l’avait enregistré au nom de la mise en cause; que les comptes du ménage étaient inscrits à son nom; qu’ils avaient acheté des obligations d’épargne du Canada ensemble; qu’ils partageaient les dépenses à l’exception d’une période d’un an où il avait été absent; qu’il faisait les emplettes, cuisinait, faisait les tâches domestiques et s’occupait du potager aux deux résidences qu’ils partageaientNote de bas de page 16.

[20] La mise en cause a déclaré que lorsqu’elle a rencontré l’appelant en mars 1982, elle vivait sur la X à Toronto et que l’appelant vivait avec ses parents dans sa maison d’enfance sur la X aussi à Toronto. En 1983, elle a déménagé dans un appartement loué dans un sous-sol de la X. Au début, elle s’est souvenue que l’appelant avait emménagé avec elle d’environ mars à août de cette année-làNote de bas de page 17; mais plusieurs mois plus tard, elle s’est corrigée et a déclaré qu’en fait cette période de cohabitation était en 1984Note de bas de page 18. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas eu accès à aucun de ses dossiers, car l’appelant les avait gardés après leur séparation; toutefois, elle s’est souvenue qu’ils avaient vécu ensemble pendant environ six mois, et selon les renseignements fournis par d’autres, elle s’était actuellement rappelé que c’était en 1984 et non en 1983Note de bas de page 19.

[21] La mise en cause a ensuite fait une Déclaration officielle pour faire valoir qu’elle et l’appelant avait cohabité dans une relation conjugale de février à août 1984. Elle a nié avoir un document commun relatif à une résidence, une propriété en copropriété, des comptes conjoints ou que l’appelant ou elle-même étaient nommés comme bénéficiaire sur les polices d’assurance-vie de l’autreNote de bas de page 20.

[22] La mise en cause a confirmé sous serment les déclarations précédentes lors de l’audience. Elle a déclaré lors de son témoignage que l’appelant avait déménagé dans son appartement de l’Xtôt en 1984, car ils avaient décidé d’essayer de vivre ensemble. Il avait apporté quelques vêtements, mais avait laissé de ses possessions à la maison de ses parents où ils lui avaient gardé une chambre. Il retournait parfois à la X pour visiter ses parents ou s’occuper de leur chat lorsque ceux-ci s’absentaient. Occasionnellement, la mise en cause allait avec lui, mais elle ne restait pas chez les parents de l’appelant à moins qu’ils soient en voyage. La mise en cause a déclaré durant son témoignage que durant les mois où l’appelant avait vécu avec elle à l’X, il contribuait aux dépenses du ménage et payait la moitié du loyer, mais il n’aidait pas avec les tâches ménagères.

[23] La mise en cause a affirmé lors de son témoignage que durant leur relation, elle et l’appelant passaient leurs anniversaires ensemble. Pendant plusieurs années, ils n’étaient pas ensemble pour les fêtes comme Noël et l’Action de grâces, car ils les passaient séparément dans leur famille respective. Ceci a changé une fois que leur mariage les a rapprochés et ils ont commencé à passer ces fêtes ensemble. Elle a déclaré qu’elle avait changé son nom de famille pour celui de l’appelant après leur mariage, mais jusqu’à ce moment elle avait utilisé son propre nom de famille.

ii. Octobre 1984 à octobre 1987

[24] Les deux parties s’entendent sur le fait que l’appelant est déménagé de l’X, car il était retourné à l’XNote de bas de page 21. Alors que la mise en cause s’est premièrement rappelé que l’appelant avait déménagé de chez elle à l’automne 1983 et qu’elle ait corrigé plus tard que c’était à l’automne 1984, l’appelant a originellement déclaré qu’il était absent d’août 1985 à juillet 1986, mais il semble avoir accepté qu’en fait il avait déménagé durant l’automne 1984.

[25] L’appelant a déclaré que son retour à la résidence de ses parents était un arrangement temporaire qui avait duré plus d’un an et qui n’avait pas changé sa relation avec la mise en cause. Il a affirmé que la sœur de la mise en cause avait emménagé avec elle pour payer la moitié du loyer pendant qu’il était parti, et qu’il avait laissé des meubles et d’autres possessions à l’appartement et qu’il visitait régulièrement, apportait de l’épicerie et des articles ménagers. Il a fait valoir que même après son départ, lui et la mise en cause se comportaient comme des conjoints « en prenant soin et en s’occupant mutuellement de leur bien-être général »Note de bas de page 22.

[26] La mise en cause a déclaré dans son témoignage qu’elle et l’appelant avaient discuté au préalable de son déménagement. Il lui avait dit qu’il n’y avait pas de raison pour qu’ils vivent ensemble, car elle s’organisait bien seule et qu’ils n’étaient pas mariés. Elle croyait que la raison principale du retour de l’appelant chez ses parents était qu’il ne voulait pas les responsabilités et la charge financière d’avoir à vivre ailleurs que dans sa maison d’enfance. Bien que ses parents vivaient plus près de l’université, son appartement était près d’une station de métro, alors elle ne croyait pas qu’il y avait beaucoup d’avantages pour ce qui est des déplacements.

[27] La mise en cause a accepté la déclaration de l’appelantNote de bas de page 23 de savoir que sa sœur avait emménagé avec elle après le départ de l’appelant, car elle voulait une colocataire pour aider à payer le loyer, mais elle a nié qu’il y ait eu tout plan pour que sa sœur déménage si l’appelant revenait. Elle a affirmé durant son témoignage qu’elle et sa sœur avaient déménagé l’année suivante, car il y avait eu une fuite d’huile dans le sous-sol où leur appartement était situé. La mise en cause a emménagé dans un appartement sur le X et sa sœur est allée vivre ailleurs.

[28] L’appelant a fait valoir qu’il avait été absent durant environ un an et qu’il avait réemménagé avec la mise en causeNote de bas de page 24. Il a expliqué qu’après être retourné vivre avec la mise en cause, il allait souvent chez ses parents, car il y louait un espace à partir duquel il exploitait une entreprise appelée XNote de bas de page 25.

[29] La mise en cause a affirmé durant son témoignage qu’après son déménagement de l’Xà l’automne de 1984, l’appelant n’était pas retourné vivre avec elle à aucun temps jusqu’à ce qu’ils soient mariés en octobre 1987. Ils ont continué à se fréquenter et il passait la nuit chez elle environ une fois par semaine. Ils n’avaient pas de propriété ou de finances communes. Elle pensait qu’il avait probablement laissé une brosse à dents à son appartement et il apportait de la bière lorsqu’il passait la nuit, mais il n’avait pas payé de loyer, n’avait pas contribué aux dépenses domestiques ou n’avait pas aidé avec les tâches ménagères avant qu’ils ne soient mariés. La seule exception a été à l’été de 1987 durant les préparatifs du mariage, lorsque l’appelant a alors payé une partie du loyer de la mise en cause, car elle avait des problèmes avec les dépenses du mariage.

[30] La mise en cause a fait valoir que l’appelant avait redonné sa clé de l’Xet qu’elle l’avait donné à sa sœur. Il n’avait pas de clé pour l’appartement du X. Elle pensait qu’il avait peut-être eu une clé pour l’appartement de la X dans lequel elle avait emménagé aux environs de septembre 1986, mais seulement pour quelques mois avant leur mariage. Elle a déclaré durant son témoignage qu’il n’avait pas actuellement emménagé avec elle avant qu’ils ne reviennent de leur lune de miel.

Crédibilité et prépondérance accordée à la preuve

[31] Bien que l’appelant n’ait pas assisté à l’audience, j’ai tenu compte de ses déclarations écrites. Toutefois, en appréciant leur valeur probante, j’ai dû tenir compte du fait qu’à l’exception de sa Déclaration officielleNote de bas de page 26, la preuve de l’appelant n’a pas été donnée sous serment. Plus particulièrement, l’appelant n’a pas été disponible pour un contre-interrogatoire par la mise en cause ou pour répondre à mes questions. Par conséquent, les éléments qu’il aurait pu clarifier n’ont pas été expliqués.

[32] Durant l’audience, la mise en cause a répondu à mes questions de manière directe. Elle a donné des explications plausibles pour les incohérences comme discuté ci-après. J’estime qu’elle était crédible.

[33] L’appelant a attaqué la crédibilité de la mise en cause pour un certain nombre de raisons. Il a laissé entendre qu’elle ne pouvait pas être crue, car elle avait initialement dit qu’ils avaient vécu ensemble en 1983, mais avait changé à 1984 une fois que les éléments de preuve de cette année-là avaient été révélésNote de bas de page 27. Je note que l’appelant a fait une erreur semblable lorsqu’il a déclaré avoir réemménagé avec ses parents en 1985 et 1986, mais qu’il a changé sa date de départ à octobre 1984 lorsqu’il a trouvé une lettre soutenant ce faitNote de bas de page 28.

[34] Je ne crois pas que ceci ou toute autre erreur relative à un mois en particulier durant lequel un évènement est survenu soit des preuves de malhonnêteté de la part de l’une ou l’autre des parties. Elles sont le résultat du temps qui passe. Il aura été manifestement préférable que les deux parties aient nuancé leurs déclarations en soulignant qu’il soit possible que leurs souvenirs n’aient pas été exacts. Toutefois, leur omission de le faire ici ne signifie pas qu’ils aient été généralement peu fiables. Il n’y a pas d’avantage pour la mise en cause à déclarer que la période de cohabitation était en 1983 plutôt qu’en 1984 : son argument était que c’était une courte période qui s’était terminée longtemps avant le mariage.

[35] L’appelant a accusé la mise en cause d’avoir falsifié les documents, car l’adresse avait été enlevée de la demande de passeport de l’appelant de février 1984 et de ses relevés de notes universitaires, et une lettre qu’il avait envoyée au Ministre manquait au dossierNote de bas de page 29. La mise en cause a nié avoir fait quoi que ce soit à ces documents et elle a précisé qu’elle n’en avait pas accès excepté pour ce qui est des copies que le Tribunal lui avait envoyées. Le Ministre doit envoyer les documents pertinents au Tribunal une fois que l’appel est déposé. Tout caviardage ou toute perte seraient possiblement survenus avant ou à cette étape et ceci n’a rien à voir avec la mise en cause. Je note aussi que l’appelant aurait pu envoyer ces documents à nouveau et il l’a fait pour certains.

[36] De plus, l’appelant a prétendu que la mise en cause était malhonnête, car elle avait déclaré qu’il ne détenait pas conjointement de comptes ou de propriété. Il a présenté une liste de ce qu’il prétendait lui appartenaitNote de bas de page 30 et des éléments de preuve d’un compte de banque conjoint datant de 1988Note de bas de page 31. Toutefois, la mise en cause faisait référence à une propriété et des comptes durant l’union de fait et non durant le mariage. De plus, la liste de propriété n’était simplement qu’une déclaration écrite de l’appelant a présentée en appui à son appel, et avec laquelle la mise en cause s’est opposée. Ceci ne la rend pas déshonnête, et ne rend pas ses souvenirs peu fiables.

[37] Il n’y a pas de fondement aux attaques de l’appelant à l’égard de la crédibilité de la mise en cause. Parce que j’estime que la mise en cause est crédible et parce que sa preuve est appuyée par des documents, j’accepte son témoignage comme étant un compte rendu véridique de sa relation avec l’appelant.

Documents à l’appui

i. Documents divers

[38] La mise en cause a présenté des déclarations de sa sœur, de sa nièce et d’une amie qui fournissent toutes essentiellement les mêmes renseignements que ceux de la mise en causeNote de bas de page 32. Je reconnais que ces déclarations n’ont pas été faites sous serment et que dans deux cas elles ne semblent pas avoir être signées. Pour ce motif, je ne leur ai pas accordé d’importance.

[39] L’appelant a présenté quelques documents en appui à sa position. Je reconnais que beaucoup de temps s’est écoulé et que d’obtenir des documents puisse avoir été difficile. L’appelant aurait pu aider sa cause s’il avait assisté à l’audience pour expliquer les raisons pour lesquelles il avait été capable de trouver certains documents et incapable de trouver les autres. Par exemple, il aurait pu expliquer pourquoi il avait un livret bancaire montrant qu’il avait payé du loyer pendant huit mois en 1984, mais aucun livret pour les autres périodes; pourquoi il avait un chèque montrant un paiement partiel de loyer en août 1987, mais qu’il n’en avait pas pour tout autre mois; pourquoi il n’avait pas de documents prouvant qu’il louait des espaces de bureau de ses parents.

[40] Plusieurs des documents présentés par l’appelant ne sont pas des éléments de preuve d’une union de fait. Ceux montrant le fruit de son travail et ses activitésNote de bas de page 33 ne sont pas particulièrement pertinents aux questions en litige. Bien qu’ils suggèrent que l’appelant gagnait de l’argent, ils ne montrent pas qu’il vivait à l’adresse de la mise en cause ou qu’il contribuait aux dépenses du ménage durant la période visée. D’autres documents sont datés après leur mariage et rien ne les lie à la prétendue période d’union de faitNote de bas de page 34.

[41] La plupart des documents datés avant octobre 1987 correspondent à la preuve de la mise en cause plutôt qu’à celle de l’appelant :

  • Le relevé de notes universitaires de l’appelant daté de mai 1982 lui est adressé à la maison de ses parents sur la XNote de bas de page 35, comme l’a déclaré la mise en cause.
  • Les avis d’évaluation de la mise en cause datés du 25 août 1983 et du 6 avril 1984Note de bas de page 36 montrent qu’elle vivait à l’Xà ces dates, comme elle l’a affirmé.
  • La demande de passeport de l’appelant du 9 février 1984 ne montre pas son adresseNote de bas de page 37. Il a prétendu qu’avant qu’elle soit caviardée, elle montrait qu’il vivait à l’X. Supposant que ça soit le cas, ceci correspond avec le témoignage de la mise en cause. Je note aussi que l’appelant a nommé sa mère plutôt que la mise en cause comme personne à contacter en cas d’urgence. Ceci ne soutient pas sa déclaration voulant qu’il soit au cœur ou sur le point de débuter une relation d’une certaine permanence semblable au mariage.
  • Le relevé de notes universitaires daté de mai 1983 lui est en effet adressé à l’XNote de bas de page 38. Toutefois, le document montre aussi qu’il a été modifié en mai 1984 et qu’il avait été posté à l’appelant à un moment où la mise en cause avait confirmé qu’il vivait avec elle à cette adresse.
  • Des extraits de ce que l’appelant a déclaré être son livret bancaire montrent un chèque au montant de 395 $ encaissé le 7 février 1984 et des chèques de 418,70 $ encaissés le 7 mars, le 4 avril, le 5 juin, le 3 août et le 6 septembre de cette année-làNote de bas de page 39. L’appelant a déclaré que ceci montre ses contributions au loyer de l’X. Le document montre qu’aucun paiement n’a été fait entre octobre 1984 et février 1985 et l’appelant n’a pas présenté d’autres extraits de ses livrets bancaires montrant des paiements avant ou après cette période. Par conséquent, le seul élément de preuve de sa contribution au paiement du loyer est pour la période allant de février à septembre 1984, ce qui correspond au témoignage de la mise en cause de savoir qu’il avait vécu avec elle seulement durant ces mois.
  • Un chèque daté du 1er août 1987 pour la somme de 345 $Note de bas de page 40 correspond à l’élément de preuve de la mise en cause spécifiant que l’appelant l’avait aidé avec le loyer ce mois-là en raison de ses dépenses liées au mariage. Le fait que l’appelant a fait un chèque correspondant à la balance du loyer, plutôt que sa portion du loyer, et l’absence de tout chèque pour les autres mois durant cette période soutient le témoignage de la mise en cause.

ii. Lettre du 1er octobre 1984

[42] La lettre de l’appelant d’octobre 1984Note de bas de page 41 est un document étrange. La mise en cause a déclaré en témoignage qu’elle n’avait jamais vu cette lettre avant qu’elle ne lui soit envoyée par le Tribunal. Elle avait l’impression que cette lettre servait les intérêts de l’appelant et qu’elle avait été écrite récemment par celui-ci en appui à sa demande. Je trouve étrange qu’une personne, qui selon les deux parties étaient à ce moment-là dans une relation aimante et étroite, ait écrit et gardé une copie d’une lettre personnelle envoyée à l’autre personne. Si l’appelant n’a pas fait une copie, mais qu’il a gardé l’original, ceci appuie la déclaration de la mise en cause de savoir que l’appelant a depuis 1993 refusé de lui retourner ses documents personnels, ce qui est une raison pour laquelle elle a été incapable de fournir tout document en appui à sa version des évènements.

[43] Compte tenu du fait que la mémoire de la mise en cause ne soit pas infaillible, et que beaucoup de temps s’est écoulé, je ne suis pas prête à conclure que l’appelant n’a pas écrit cette lettre en octobre 1984 ou qu’il ne l’a pas donné à la mise en cause. Toutefois, la lettre n’aide pas l’appelant. Elle montre qu’au début d’octobre 1984, l’appelant avait décidé de déménager de l’X et qu’il l’avait déjà fait ou qu’il était sur le point de le faire. Bien qu’il ait décrit la séparation comme étant temporaire, aucune date de retour n’était incluse et il exprimait simplement le vœu et l’assurance, dans des termes très généraux, que leur relation continuerait. Sans autres documents à l’appui, cette lettre ne contribue guère à prouver que l’union de fait a continué ou a repris plus tard.

iii. Lettre du 24 novembre 1983

[44] Une lettre datée du 24 novembre 1983 et adressée à l’appelant à l’X, suggère que l’appelant y vivait à ce moment-là. Il y avait possiblement emménagé. Il est aussi possible qu’il utilisait cette adresse en sachant qu’il y emménagerait dans un avenir rapproché. Il utilisait potentiellement l’adresse de la mise en cause pour recevoir du courrier de certains expéditeurs. Comme l’appelant n’a pas assisté à l’audience, il n’a pas répondu aux questions soulevées par cette lettre, étant donné que celle-ci ne concordait pas aux souvenirs de la mise en cause. En soi, la lettre n’est pas suffisante pour réfuter le témoignage de la mise en cause, et elle ne peut changer le fait que d’autres éléments de preuve pointent de manière convaincante à une fin de l’union de fait en octobre 1984. Ceci étant le cas, le fait que l’appelant puisse avoir emménagé avec la mise en cause plusieurs mois avant février 1984 n’est pas pertinent. Comme discuté précédemment, les erreurs liées aux mois durant lesquels les parties ont commencé à vivre ensemble n’ont pas d’incidence sur leur crédibilité respective.

Fardeau de la preuve

[45] L’appelant doit prouver l’existence d’une union de fait selon la prépondérance des probabilitésNote de bas de page 42. Il a fait valoir que la norme de la preuve ne devait pas être trop élevée en raison de la longueur de la période écoulée. Ceci ne fait pas loi. De toute façon, lui permettre de réussir sur une prépondérance des probabilités moindre déplacerait seulement le fardeau de la preuve à la mise en cause, qui fait face aux mêmes difficultés pour obtenir la preuve sans que cette responsabilité puisse lui être attribuée. Étant la personne qui revendique l’existence d’une union de fait, l’appelant doit la prouver.

[46] Je ne suis pas convaincue que les parties aient cohabité dans une relation conjugable à aucun temps entre février et octobre 1984. Le poids des éléments de preuve penche vers le fait que l’appelant a emménagé avec la mise en cause en février 1984 et a déménagé en octobre de la même année. Bien que lui et la mise en cause aient continué une relation romantique et sexuelle, l’appelant a réemménagé avec ses parents et a arrêté de contribuer financièrement au ménage qu’il avait partagé avec la mise en cause. Il n’avait pas planifié retourner.

[47] Par ces actions, l’appelant a démontré qu’il avait l’intention de mettre fin à son union de fait. Il n’y a pas d’élément de preuve convaincant que la situation ait changé ensuite. De plus, d’autres caractéristiques d’une relation conjugale étaient absentes, particulièrement après octobre 1984. Par exemple, il n’y avait pas de biens communs ni d’élément de preuve qu’ils étaient publiquement reconnus comme des conjoints de fait ni qu’ils se présentaient comme tels. Ils étaient simplement un jeune couple qui avait vécu ensemble pendant un moment et qui avait arrêté de le faire. Ils ne se sont pas séparés, mais ils ont vécu séparément et indépendamment jusqu’à ce qu’ils se marient en octobre 1987. Ils n’étaient pas conjoints de fait.

Aucun partage des crédits n’est offert pour l’union de fait

[48] Si une union de fait avait existé jusqu’à la date du mariage, ces périodes de cohabitation auraient été incluses dans le partage des créditsNote de bas de page 43. Toutefois, elle s’est terminée trois ans plus tôt et par conséquent, elle est considérée comme étant une relation séparée du mariage.

[49] Il existe plusieurs raisons pour lesquelles il ne peut y avoir un partage des crédits pour les unions de fait :

  • Premièrement, j’estime que les parties n’ont pas cohabité dans une relation conjugale pour une période continue d’au moins un an.
  • Deuxièmement, avant que l’article 55.1 du RPC n’ait été adopté, les conjoints de fait ne pouvaient faire la demande de partage des crédits. L’article 55.1 s’applique seulement aux conjoints de fait qui se sont séparés après le 31 juillet 2000Note de bas de page 44.
  • Troisièmement, même si ce n’était pas le cas, à moins que les anciens partenaires n’en conviennent pas écrit, la demande de partage des crédits doit être faite dans les quatre années suivant la date durant laquelle ils se sont séparés et ont commencé à vivre séparémentNote de bas de page 45. L’union de fait s’est terminée en octobre 1984, presque huit ans avant la demande de l’appelant de juin 1996.

Conclusion

[50] L’appel est rejeté.

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