Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. La demande de la prestataire fondée sur une violation de la Charte canadienne des droits et libertés est rejetée. Le reste de l’appel est renvoyé à la division générale pour examen.

Aperçu

[2] C. B. (la prestataire) a commencé à travailler en 1965 et a cotisé au Régime de pensions du Canada pendant un certain nombre d’années. En avril 1993 1983, elle a commencé à recevoir une prestation de survivant du Régime de pensions du Canada parce que son mari est décédé. Elle a par la suite commencé à toucher une pension de retraite du Régime de pensions du Canada avant d’avoir atteint l’âge de 65 ans. Le ministre de l’Emploi et du Développement social (le ministre) a recalculé le montant des prestations payables à la prestataire lorsqu’elle a eu 65 ans et a commencé à recevoir la pension de retraite, ce qui a entraîné une réduction du montant total des prestations que la prestataire a reçues.

[3] La prestataire a interjeté appel devant le Tribunal de la sécurité sociale de la décision du ministre qui a réduit ses prestations totales. Elle prétend également que ses droits en vertu des articles 7, 10, 11, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) ont été violés. Le ministre a demandé que la division générale rejette sommairement la partie de son appel fondée sur la Charte. La division générale a refusé cette demande. Le ministre a interjeté appel de cette décision. L’appel est accueilli parce que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a refusé de rejeter le volet de l’appel fondé sur la Charte, et la division d’appel accueille la décision que la division générale aurait dû rendre.

Question préliminaires

[4] Le ministre a demandé que la demande de la prestataire fondée sur la Charte soit rejetée de façon sommaire et que l’appel soit également rejeté de façon sommaire parce que, sans aucune allégation fondée sur la Charte, l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès en vertu du Règlement. J’ai décidé que le ministre devait obtenir la permission d’en appeler de la décision qui refusait de rejeter sommairement la partie de l’appel relative à la Charte et l’appel sur le fond. En effet, lorsque les articles 53 et 56 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) sont lus ensemble, un appelant qui est l’appelant tant à la division générale qu’à la division d’appel n’a pas à obtenir la permission d’en appeler d’une décision de rejet sommaire. En l'espèce, la prestataire était l'appelante à la division générale et le ministre est l'appelant à la division d'appel.

[5] Toutefois, la nature de la décision en question est celle du rejet sommaire. L’appel est examiné dans ce contexte ci-après.

Questions en litige

[6] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a refusé de rejeter la demande fondée sur la Charte et a décidé que le dossier de la prestataire fondé sur la Charte était suffisant?

[7] La division générale a-t-elle omis de fournir des motifs suffisants pour décider que le dossier de la Charte était suffisant, pour refuser de rejeter la partie de l’appel visée par la Charte ou pour conclure que le rejet sommaire n’était pas approprié?

[8] La division générale a-t-elle manqué à un principe de justice naturelle en exigeant du ministre qu’il dépose un dossier de la Charte à la lumière d’un dossier lacunaire de la prestataire?

Analyse

[9] C’est la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (la « Loi sur le MEDS ») qui régit le fonctionnement du Tribunal. Elle ne comporte que trois moyens d’appel que la division d’appel peut prendre en considération. Ils sont que la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur de compétence, qu’elle a commis une erreur de droit ou qu’elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 1. Par conséquent, pour obtenir gain de cause dans le présent appel, le ministre doit prouver que la division générale a commis une erreur de l’une des façons susmentionnées.

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle erré en droit?

[10] Le Régime de pensions du Canada (RPC) indique comment calculer le montant de la prestation de survivant payable à un prestataireNote de bas de page 2. Le calcul change lorsque le bénéficiaire commence à recevoir une pension de retraite du RPCNote de bas de page 3. La prestataire fait valoir que le nouveau calcul de ses prestations totales du RPC lorsqu’elle a atteint l’âge de 65 ans et qu’elle a commencé à recevoir une pension de retraite a entraîné une réduction de 40 % du montant qu’elle a reçu, ce qui constitue une violation de ses droits garantis par la Charte.

[11] Le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale prévoit que lorsque la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une disposition du RPC doit être mise en cause, la partie qui soulève la question doit déposer un avis qui énonce la disposition en cause et qui contient des observations à l’appui de la questionNote de bas de page 4. La division générale a également ordonné aux parties de déposer des dossiers fondés sur la Charte et de préciser ce que chaque dossier devait contenirNote de bas de page 5. En l’espèce, la prestataire a contesté la validité de l’article 58 du RPC. Elle a déposé de nombreux documents détaillés et longs à l'appui de sa demande. Le ministre soutient que ces documents ne sont pas suffisants sur le plan juridique et que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a refusé de rejeter cette partie de sa demande.

[12] La Cour fédérale enseigne que la division générale peut exiger que les parties déposent un dossier fondé sur la CharteNote de bas de page 6. La Cour d’appel de l’Ontario indique que, dans une affaire fondée sur la Charte, il n’est pas déraisonnable d’insister sur la cristallisation de la question par un demandeur pour que le ministre puisse y répondre et que le décideur la comprenneNote de bas de page 7. De même, la Cour suprême du Canada enseigne que les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être prises dans un vide factuelNote de bas de page 8. Cela signifie qu’un prestataire doit fournir un fondement factuel suffisant pour la demande fondée sur la Charte afin que le ministre et le Tribunal puissent comprendre quelle disposition législative est remise en question et le fondement juridique de la demande fondée sur la Charte.

[13] La prestataire allègue que ses droits en vertu des articles 7, 10, 11, 12 et 15 de la Charte ont été violés. Elle ne fait aucune autre déclaration dans les volumes de documents déposés concernant une sanction ou une peine qu’elle a subie. Il n'y a aucun moyen de savoir comment s'appliquent les articles 10 (droits d'arrestation ou de détention), 11 (droits s'il s'agit d'une infraction) ou 12 (droit de ne pas être soumis à une peine cruelle ou inusitée) de la Charte. Ces dispositions de la Charte s’appliquent normalement dans des procédures criminelles. Aucune procédure de ce genre n’a été engagée.

[14] L’article 7 de la Charte prévoit que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. La prestataire soutient que sa sécurité a été compromise par la réduction du montant des prestations qu’elle reçoit. Toutefois, la sécurité de la personne ne comprend pas la sécurité financièreNote de bas de page 9. L’application de cette disposition de la Charte n’est donc pas claire.

[15] L’article 15 de la Charte prévoit que chaque personne est égale devant la loi et en vertu de celle-ci et a droit à la même protection et au même bénéfice de la loi sans discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou le handicap mental ou physique. La prestataire soutient avoir été victime de discrimination parce qu'elle est veuve. Elle fait valoir qu’il est injuste qu’en tant que veuve, ses prestations aient été réduites lorsqu’elle a eu 65 ans et a commencé à recevoir une pension de retraite.

[16] La prestataire a exposé certains faits pour comprendre sa demande fondée sur l’art. 15 de la Charte. Toutefois, les faits doivent être suffisants pour prouver que les allégations de discrimination en vertu de la loi créent une distinction entre des groupes de personnes sur la base d’un motif énuméré ou laborieux énoncé à l’art. 15Note de bas de page 10, et il doit y avoir une certaine preuve d’une violation prima facie de la CharteNote de bas de page 11. La prestataire n’a pas produit ce document. Elle n'a fait qu'une simple allégation de discrimination. Ses déclarations selon lesquelles le fait de recalculer ses prestations totales est « inéquitable » et « injuste » sont insuffisantes.

[17] La Loi sur le MEDS exige que la division générale rejette sommairement les demandes de paiement qui n’ont aucune chance raisonnable de succèsNote de bas de page 12. Il n’appartient pas à la division générale, lorsqu’elle décide s’il y a lieu de rejeter sommairement une demande, d’apprécier la preuve ou d’évaluer le bien-fondé de la demande, pour décider si la demande est vouée à l’échec. La division générale ne l’a pas fait en l’espèce. Un examen superficiel des documents déposés par la prestataire révèle que, bien que volumineux, les documents ne traitent pas des questions constitutionnelles que la prestataire soulève. Ils font référence à un certain nombre de prétendus torts causés à la prestataire par d'autres organismes dont les tribunaux et la police. Les demandes fondées sur la Charte ne peuvent être accueillies sur la base de cette information.

[18] La division générale n’a pas tenu compte de l’exigence de rejeter sommairement une demande qui n’a aucune chance raisonnable de succès, ce qui constitue une erreur de droit. Compte tenu du libellé de l’article 58 de la Loi sur le MEDS, aucune déférence n’est due à la division générale lorsqu’une erreur de droit est commise. L’appel doit être accueilli sur ce fondement.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle suffisamment motivé sa décision?

[19] La division générale doit motiver par écrit ses décisionNote de bas de page 13. Ces motifs, lorsqu’ils sont lus dans le contexte du dossier écrit, doivent permettre au lecteur de savoir quelle décision a été prise et pourquoi elle a été priseNote de bas de page 14. La décision de la division générale concernant le caractère suffisant du dossier de la prestataire fondé sur la Charte indique ce qui suit :

[Traduction]

La lettre d’instruction datée du 13 mai 2016 a été envoyée après un examen du mémoire de [la prestataire] (GD22) et une décision selon laquelle [la prestataire] s’était acquittée de son fardeau de fournir un dossier suffisant sur la Charte. Bien que bon nombre des observations [de la prestataire] se rapportent à ses interactions et difficultés avec d’autres parties, son mémoire comprend suffisamment d’observations et de remises en question relatives au RPCNote de bas de page 15.

Cela n’explique pas pourquoi la division générale a conclu que le dossier relatif à la Charte de la prestataire était suffisant ou permet au ministre de comprendre sa prétention selon laquelle ses droits garantis par la Charte avaient été violés et d’y répondre. Les motifs sont donc insuffisants.

[20] Le ministre a demandé que la division générale rejette sommairement la prétention fondée sur la Charte de la prestataireNote de bas de page 16. La division générale a refusé cette demande. Dans la décision qui a accordé la permission d’en appeler, j’ai décidé que la demande avait été dûment présentée en vertu du Règlement sur le Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 17. Il ne s’agissait donc pas d’une demande de rejet sommaireNote de bas de page 18. Pour les motifs énoncés précédemment, je suis convaincue que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a refusé cette demande.

[21] Le ministre soutient également que les motifs de la division générale étaient insuffisants parce qu’ils n’expliquaient pas pourquoi la division générale avait refusé de rejeter le volet de l’appel fondé sur la Charte. Toutefois, lorsque la demande a été présentée à la division générale, elle a été présentée comme une demande de rejet sommaire de la demande fondée sur la Charte. Le critère du rejet sommaire est énoncé expressément dans la Loi sur le MEDSNote de bas de page 19. La division générale a appliqué ce critère. Elle a écrit que le rejet sommaire de la demande fondée sur la Charte n’était pas approprié parce qu’elle demandait au Tribunal de soupeser le caractère suffisant de la preuve sur le fond à cette étape de l’instanceNote de bas de page 20. Comme la division générale a répondu à la demande qui lui avait été faite à ce moment-là, elle n’a commis aucune erreur en agissant ainsi.

Question en litige no 3 : La division générale a-t-elle manqué à un principe de justice naturelle?

[22] Les principes de justice naturelle visent à s’assurer que toutes les parties à une procédure judiciaire ont l’occasion de présenter leur cause, de connaître la preuve qui leur est présentée et d’y répondre, et d’obtenir une décision d’un décideur impartial fondée sur le droit et les faits. Le ministre soutient que, comme la prestataire n’a pas fourni un dossier suffisant en vertu de la Charte, il ne peut pas connaître l’affaire qu’il doit réfuter. Il ne peut répondre adéquatement aux arguments de la prestataire parce qu’il ne connaît pas leur fondement.

[23] Les documents déposés par la prestataire ne fournissent aucun détail sur la façon dont ses droits en vertu d’un certain nombre de dispositions de la Charte ont été violés. Tout au plus allègue-t-on simplement que l'article 7 a été enfreint, mais la façon de procéder n'est pas claire. Il n’existe pas de fondement factuel suffisant pour une allégation de discrimination en vertu de l’art. 15 de la Charte. On ne peut raisonnablement s’attendre à ce que le ministre sache à quoi il doit répondre dans ces circonstances. Le défaut de la division générale de rejeter la demande fondée sur la Charte dans ces circonstances est un manquement aux principes de justice naturelle. L’appel doit également être accueilli sur ce fondement.

[24] Le ministre soutient également qu’en exigeant le dépôt de son propre dossier fondé sur la Charte, la division générale a en fait renversé le fardeau de la preuve. Il soutient qu’en raison de l’insuffisance du dossier de la prestataire, le ministre devait dans les faits prouver que les droits de la prestataire garantis par la Charte n’avaient pas été violés, alors que la prestataire est la partie qui doit prouver que ses droits garantis par la Charte ont été violés. Toutefois, comme le ministre n’a pas déposé de dossier fondé sur la Charte, je ne peux évaluer cet argument.

Conclusion

[25] L’appel est accueilli pour les motifs énoncés précédemment.

[26] La Loi sur le MEDS énonce les redressements que la division d’appel peut accorderNote de bas de page 21. En l’espèce, aucun fait n’est contesté. La prestataire a déposé de nombreux documents énonçant sa position sur les questions en litige, et le ministre a déposé des observations écrites détaillées en réponse. De plus, il y a eu un retard considérable dans cette procédure. Par conséquent, je rends la décision que la division générale aurait dû rendre.

[27] Pour ces motifs, je conclus que la prestataire n’a pas déposé de dossier fondé sur la Charte qui renferme un fondement factuel suffisant pour l’arbitrage. Par conséquent, ses prétentions fondées sur la Charte sont rejetées.

[28] Le reste de l’appel est renvoyé à la division générale pour examen parce que l’appel n’a pas été examiné au fond.

Date de l’appel :

Mode d’instruction :

Comparutions 

Le 12 mars 2018

Téléconférence

C. B., appelante
Sylvie Doire, avocate de l’intimé

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