Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Décision

[1] Dans le Régime de pensions du Canada (RPC), les définitions de « conjoint de fait » et de « survivant » ne portent pas atteinte aux droits de la requérante énoncés aux articles 15(1) et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Aperçu

[2] La requérante a cohabité dans le cadre d’une union de fait avec le défunt V. H. pendant 22 ans. Ils se sont séparés en décembre 1999 parce qu’il était violent sur le plan physique et ils sont demeurés séparés jusqu’à ce que V. H. décède en décembre 2010. En novembre 2012, la requérante a présenté une demande de pension du survivant du RPC. Le ministre a refusé la demande initialement et après révision, puis la requérante a interjeté appel de la décision devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[3] Le 26 avril 2016, la division générale a rejeté l’appel. Le 3 mai 2017, la division d’appel a accueilli l’appel et a renvoyé l’affaire à la division générale pour qu’une audience soit tenue sur les questions relatives à la Charte seulement.

[4] V. H. était l’époux d’O. H. avant d’être en union de fait avec la requérante. Ils n’ont pas divorcé, et une pension de survivant a été versée à O. H. jusqu’à ce qu’elle décède en avril 2013.

[5] Une pension de survivant est payable au survivant d’un cotisant décédé qui, dans ce cas-ci, est V. HNote de bas de page 1. Un survivant est défini comme le conjoint de fait du cotisant au décèsNote de bas de page 2. S’il n’y avait aucun conjoint de fait, la pension de survivant est versée à la personne à laquelle le cotisant était marié. Un conjoint de fait est une personne qui cohabitait avec le cotisant décédé dans le cadre d’une relation conjugale depuis au moins un an de façon continue au moment du décès du cotisantNote de bas de page 3. (Voilà les dispositions contestées.)

[6] La position de la requérante est qu’elle est une survivante de violence conjugale et que les dispositions contestées sont discriminatoires à son égard en raison de son [traduction] « état civil », ce qui contrevient à ses droits à l’égalité en vertu de l’article 15(1) de la Charte. Elle a affirmé qu’elle est traitée différemment qu’une [traduction] « personne mariée », car les personnes mariées ne sont pas tenues de continuer à cohabiter avec leur époux au moins un an avant le décès de l’époux pour être admissibles à la pension de survivant. Elle soutient également qu’il s’agit d’une violation de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité garanti par l’article 7 de la Charte. Elle dit être soumise à un traitement ou une peine cruels et inusités parce qu’elle a été forcée à choisir entre demeurer avec un époux violent sur le plan physique et perdre son admissibilité à la pension de survivant.

[7] En revanche, le ministre soutient que la requérante n’est pas victime de discrimination en raison de son état civil, étant donné qu’elle n’était pas la conjointe de fait de V. H. au moment du décès de V. H. Elle était son ancienne conjointe de fait et elle est traitée de la même manière que les personnes qui ont déjà été mariées et qui sont divorcées au moment où l’un des époux décède. En ce qui concerne l’article 7, le ministre soutient que le refus d’accorder à quelqu’un un avantage économique comme la pension de survivant du RPC ne porte pas atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de cette personne.

Questions en litige

  1. Est-ce que les dispositions contestées sont discriminatoires à l’égard de la requérante en raison de son état civil, ce qui contrevient à l’article 15(1) de la Charte?
  2. Portent-elles atteinte à son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, ce qui contrevient à l’article 7 de la Charte?
  3. Dans l’affirmative, la justification de cette violation peut-elle se démontrer dans une société libre et démocratique aux termes de l’article 1 de la Charte?

Analyse

Article 15(1) de la Charte

[8] L’article 15(1) de la Charte prévoit que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi indépendamment de toute discrimination, notamment les discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[9] Une analyse contextuelle est requise pour déterminer s’il y a eu violation de cet article.

[10] La discrimination est une distinction fondée sur un motif lié à des caractéristiques personnelles qui a pour effet d’imposer des fardeaux, des obligations et des désavantages qui ne sont pas imposés aux autres et qui empêchent ou limitent l’accès aux possibilités et aux avantages auxquels ont droit les autres membres de la société.

Bien que l’affaire Hodge ne soit pas concluante, elle est persuasive

[11] Le ministre soutient que la décision de la Cour suprême du Canada (CSC) dans HodgeNote de bas de page 4 est concluante quant à l’appel de la requérante à l’égard de l’article 15(1) de la Charte puisqu’elle illustre le principe selon lequel les exigences d’admissibilité du RPC pour une pension de survivant ne sont pas discriminatoires envers les anciens conjoints de fait en raison de leur état civil.

[12] Selon le ministre, il est pratiquement impossible de faire une distinction entre les faits de cette affaire et ceux de Hodge. Dans Hodge, la CSC a déterminé que Mme Hodge était l’ancienne conjointe de fait du cotisant décédé même s’ils s’étaient séparés quatre mois avant le décès. Dans l’affaire dont je suis saisi, cela faisait 10 ans que la requérante était séparée de V. H. lorsqu’il est décédé. Dans les deux cas, il y avait eu une longue union de fait (21 ans dans l’affaire Hodge et 22 ans dans ce cas-ci). Dans les deux cas, la survivante a quitté la relation parce qu’elle était victime de violence physique.

[13] Le ministre affirme aussi que la requérante était l’ancienne conjointe de fait de V. H. lorsqu’il est décédé et que sa situation était semblable à celle d’une épouse divorcée (qui est une ancienne épouse) et non à celle d’une épouse séparée. Il existe une différence fondamentale entre des personnes mariées et des conjoints de fait. La réalité juridique du mariage subsiste jusqu’au divorce même s’il n’y a plus de relation conjugale. Une union de fait prend fin lorsqu’il y a une intention ferme de mettre fin à la relation conjugale. Dans ce cas-ci, il est clair qu’il y avait une intention ferme de mettre fin à la relation conjugale lorsque la requérante est partie en 1999 parce qu’elle était victime de violence physique. Le fait qu’elle n’avait aucune autre option pratique compte tenu de la menace à sa vie et à sa sécurité ne change rien au fait que c’est à ce moment qu’a pris fin l’union de faitNote de bas de page 5.

[14] Dans Hodge, la CSC a affirmé que le groupe de comparaison approprié pour Mme Hodge était des époux divorcés et non des époux séparés. Mme Hodge était physiquement séparée de son ancien époux lorsque celui-ci est décédé et elle avait l’intention de rendre cette séparation physique permanente. Au moment de son décès, elle n’était pas une conjointe de fait [traduction] « séparée », mais bien une [traduction] « ancienne » conjointe de fait. Les anciens conjoints de fait, tout comme les époux divorcés, ne sont plus des conjoints au sens juridique. Dans les deux cas, ils ne sont pas admissibles à la pension de survivant du RPCNote de bas de page 6.

[15] La requérante fait valoir que sa cause est différente de celle de Hodge. Premièrement, dans son cas, la violence physique a été confirmée par une condamnation et des ordonnances de non-communication. Deuxièmement, elle a continué à avoir une relation juridique avec V. H. puisqu’il a été ordonné par un tribunal à lui verser une pension alimentaire.

[16] K. C., la fille de la requérante, a affirmé qu’il y a une différence entre quitter une relation et abandonner une relation. Sa mère est partie parce qu’elle n’avait pas le choix de la faire, et il n’est pas raisonnable d’exiger qu’elle demeure dans une relation simplement pour maintenir son admissibilité à la pension de survivant.

[17] J’estime qu’il n’existe aucune différence factuelle importante entre Hodge et l’espèce en ce qui a trait à l’existence ou non d’une union de fait. Les deux cas portent sur des unions de fait qui avaient pris fin avant le décès du cotisant. Les faits de l’affaire Hodge pourraient être plus convaincants que ceux de l’espèce puisque la période de séparation était de quatre mois seulement comparativement à 10 ans.

[18] Même si le motif de la séparation était la violence physique, la requérante affirme que dans ce cas, il existe des preuves documentaires de la violence, alors que dans l’affaire Hodge, il s’agissait seulement d’une allégation. Je ne crois pas qu’il s’agit d’une distinction importante. De plus, je ne crois pas que le motif de la séparation est pertinent. Le RPC ne fait pas de distinction entre différentes catégories d’anciens conjoints de fait et ne fournit pas différents avantages à ceux qui se séparent en raison de violence physique par rapport à ceux qui se séparent pour d’autres raisons. Une telle approche exigerait que le RPC évalue les motifs de la séparation des conjoints de fait et des relations humaines complexes où de nombreux motifs peuvent être présents.

[19] La loi est claire sur le fait qu’une union de fait prend fin lorsqu’un ou l’autre des parties la considère comme étant terminée et démontre par sa conduite que sa décision d’y mettre fin est manifesteNote de bas de page 7. En l’espèce, cela faisait 10 ans que la requérante était séparée physiquement de V. H. lorsqu’il est décédé et il est clair qu’elle avait l’intention manifeste de ne jamais le revoir.

[20] De plus, je ne suis pas d’accord que l’obligation de verser une pension alimentaire mensuelle imposée à V. H. par un tribunal et la dépendance financière de la requérante prolongent l’union de fait. Le versement d’une pension alimentaire imposée par un tribunal indique la fin d’une union de fait et non sa continuation. Je reconnais qu’il peut continuer d’y avoir une dépendance financière lorsque des conjoints de fait se séparentNote de bas de page 8. Toutefois, cela ne prolonge pas une union de fait qui a pris fin.

[21] Je suis d’accord avec le ministre qu’il est pratiquement impossible de faire une distinction entre les faits de cette affaire et ceux dans Hodge.

[22] Mme Doire a reconnu que depuis la décision dans Hodge, la Charte a évolué et s’est éloignée de l’analyse formaliste d’un groupe miroir pour aller davantage vers une analyse contextuelle substantive qui cherche à déterminer si, compte tenu de tous les facteurs contextuels, y compris la nature et l’objet de la disposition législative, les dispositions contestées ont un effet discriminatoire en ce sens qu’elles perpétuent un désavantage ou applique un stéréotype à l’égard du groupeNote de bas de page 9.

[23] Pour cette raison, je ne crois pas que l’arrêt Hodge peut être considérée comme concluante quant à la question relative à l’article 15(1).

[24] Toutefois, je suis d’accord avec Mme Doire que le raisonnement et les conclusions dans Hodge sont persuasifs dans le cas qui nous occupe. Les plus importantes conclusions étaient que Mme Hodge était une ancienne conjointe de fait et non une conjointe séparée, et que sa situation était semblable à celle d’une épouse divorcée. Dans Hodge, la CSC affirme ce qui suit :

L’intimée était peut-être dans un certain état de dépendance financière, mais elle n’entretenait plus aucun rapport juridique. Un demandeur raisonnable, dans sa situation, ne se sentirait pas, à mon avis, dévalorisé s’il était traité au même titre que les autres « anciens conjoints ». En fait, comme l’avocat de l’appelant l’a souligné, la réparation demandée par l’intimée, si elle était accordée, aurait elle-même pour effet de créer une certaine forme d’inégalité en allouant aux anciens conjoints de fait des pensions de survivant auxquelles les anciens conjoints mariés ne sont pas admissiblesNote de bas de page 10.

[25] Ces conclusions sont applicables à la situation de la requérante. Elle est une ancienne conjointe de fait et non une épouse séparée. Elle n’avait plus de lien juridique avec V. H. lorsqu’il est décédé. Sa situation est semblable à celle d’une épouse divorcée.

Les dispositions contestées ne portent pas atteinte aux droits de la requérante énoncés à l’article 15(1) de la Charte

[26] La CSC a établi un test (critère) à deux volets pour l’appréciation d’une demande fondée sur l’article 15(1) de la Charte :

  1. La loi crée-t-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?
  2. Dans l’affirmative, la distinction crée-t-elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypesNote de bas de page 11?

[27] La requérante n’a pas démontré que les dispositions contestées créent une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue.

[28] La discrimination a une définition précise et une situation semblant injuste dans des circonstances particulières n’équivaut pas à de la discrimination.

[29] Il n’y a aucun doute quant au fait que l’état civil est un motif analogue de discrimination lorsqu’il est utilisé de manière discriminatoire. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, la requérante ne s’est pas vu refuser les prestations de survivant en raison de son statut de conjointe de fait. On lui a refusé les prestations parce qu’elle n’était plus une conjointe de fait. Elle était une ancienne conjointe de faitNote de bas de page 12.

[30] La requérante a soutenu que les dispositions contestées font une distinction entre les personnes mariées qui se séparent et les conjoints de fait qui se séparent. En tant que survivante d’un conjoint de fait qui était violent envers elle, elle est traitée différemment que les survivants d’un époux qui était violent. On lui refuse des prestations de survivant parce qu’elle ne cohabitait plus avec son conjoint abusif au moment du décès, tandis que les femmes mariées qui quittent leur époux abusif sont traitées différemment. Le fait d’exiger qu’elle demeure dans une relation abusive afin de conserver son droit aux prestations de survivant porte atteinte à son droit à la dignité et à la liberté en tant que personne.  

[31] La requérante a insisté sur le fait qu’il était injuste que les prestations de survivant soient versées à O. H. Cela faisait plus de 33 ans qu’O. H. ne vivait plus avec V. H. au moment du décès et ils sont seulement demeurés mariés pour des raisons religieuses. Toutefois, elle a été « à toutes fins utiles » son épouse pendant 22 ans jusqu’à ce qu’elle soit forcée à partir en 1999. Elle a continué de dépendre financièrement de lui et d’avoir un lien juridique avec lui jusqu’à son décès étant donné qu’il lui versait une pension alimentaire.

[32] Mme Doire a soutenu que les prestations de survivant du RPC ne s’appliquent pas à la situation de la requérante étant donné qu’elle n’était pas l’épouse de V. H. au moment de son décès. Elle était son ancienne conjointe de fait et par conséquent, sa situation était semblable à celle d’une femme divorcée qui a le statut d’ancienne épouse au moment du décès de son ancien époux.

[33] J’ai déjà déterminé que le raisonnement dans Hodge est persuasif pour le cas qui nous occupe. La requérante n’avait plus de lien juridique avec V. H. lorsque celui-ci est décédé et sa situation était semblable à celle d’une épouse divorcée. Il n’y a aucun doute qu’elle est survivante de violence conjugale, mais cela ne suffit pas à établir une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue au titre de l’article 15(1) de la Charte.

[34] La requérante est traitée de la même manière que d’anciens époux qui sont divorcés lorsque l’un d’entre eux décède. Dans les deux cas, aucune prestation de survivant du RPC n’est versée.

[35] Étant donné que la requérante n’a pas établi une distinction fondée sur un motif analogue ou énuméré, elle ne peut pas établir une distinction discriminatoire. Ainsi, la deuxième étape du test de la Charte n’a pas besoin d’être abordée.

[36] Je juge que la requérante n’a pas su démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, ses droits en vertu de l’article 15(1) de la Charte n’avaient pas été respectés.

Article 7 de la Charte

[37] L’article 7 de la Charte prévoit que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Les dispositions contestées ne portent pas atteinte aux droits de la requérante en vertu de l’article 7 de la Charte?

[38] La requérante soutient que les dispositions contestées la soumettent à des peines cruelles et inusitées étant donné qu’elles exigent qu’elle demeure avec un époux violent et abusif si elle veut être admissible à la pension de survivant.

[39] Le ministre affirme que la loi n’exige pas qu’elle demeure avec son époux abusif et que le RPC peut lui venir en aide d’autres façons qui correspondent à sa situation. La requérante a reçu des prestations d’invalidité du RPC ainsi que des prestations de retraite du RPC. Si elle avait fait une demande dans les quatre années suivant sa séparation, elle aurait aussi eu droit à un partage des gains non ajustés ouvrant droit à une pension pour la période de 1977 à 1983, où elle a commencé à recevoir des prestations d’invalidité du RPC.

[40] Le ministre fait également valoir que l’article 7 cible les mesures gouvernementales qui portent atteinte au droit d’une personne à la vie, à la liberté ou à la sécurité. Il n’impose pas une obligation formelle aux gouvernements pour qu’ils améliorent la vie, la liberté ou la sécurité d’une personneNote de bas de page 13.

[41] Je suis d’accord avec le ministre.

[42] En l’espèce, si quelque chose portait atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la requérante, c’était le comportement violent de son ancien conjoint de fait. Ce n’est pas à cause d’une mesure gouvernementale et certainement pas à cause des dispositions contestées du RPC.

[43] Je conclus que la requérante n’est pas parvenue à démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, quelque chose avait porté atteinte à ses droits en vertu de l’article 7 de la Charte.

Article 1 de la Charte

[44] Puisque je suis arrivé à la conclusion qu’il n’y avait pas eu de violation par rapport à la Charte, je n’ai pas besoin de déterminer si une violation peut être justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte.

Conclusion

[45] L’appel est rejeté.

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