Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Sur cette page

Décision

[1] Le ministre n’a pas agi de façon judiciaire lorsqu’il a refusé de faire droit à la demande de la requérante en vue d’obtenir une prolongation du délai pour présenter une demande de révision de la décision rendue à l’égard de sa demande de pension de survivant du Régime de pensions du Canada (RPC). J’estime que le ministre n’a pas tenu compte d’un facteur pertinent au moment de prendre sa décision. Par conséquent, il m’incombait de rendre la décision qui aurait dû être rendue, mais je suis arrivé à la même conclusion : il est impossible d’accorder une prolongation du délai à la requérante puisqu’elle ne respectait pas les critères requis.

Aperçu

[2] Le 19 décembre 2017, le ministre a reçu la demande de la requérante en vue d’obtenir une pension de survivant du RPC. Dans une lettre du 2 ou du 6 février 2018 (la « lettre de décision »), le ministre a accordé à la requérante une pension de survivant du RPC, avec paiements rétroactifs remontant à janvier 2017. La demande de pension de survivant visait le mari de la requérante, Francisco Martinez (le « cotisant »), décédé le 29 novembre 2011. Comme la requérante voulait recevoir des paiements rétroactifs remontant plutôt à 2011, elle a demandé une révision de la décision. Le ministre a reçu la demande de révision le 24 juillet 2018.

[3] Habituellement, une personne doit produire sa demande de révision dans les 90 jours suivant le jour où elle a été avisée de la décision. Comme le ministre a reçu la demande de révision de la requérante plus de 90 jours après que celle-ci avait reçu la lettre de décision, le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de refuser la demande et de ne pas prolonger le délai de 90 jours prévu pour produire la demande de révision. En l’espèce, le ministre a décidé de ne pas faire droit à la demande de la requérante. Si une personne n’est pas satisfaite de la décision du ministre de refuser un délai supplémentaire, elle peut interjeter appel de cette décision devant le Tribunal de la sécurité sociale (le « Tribunal »)Note de bas de page 1. La requérante a donc interjeté appel de la décision devant le Tribunal.

Questions en litige

[4] À quel moment expirait le délai de 90 jours pour présenter la demande de révision?

[5] Le ministre a-t-il agi de façon judiciaire en ne faisant pas droit à la demande de la requérante en vue d’obtenir une prolongation du délai de 90 jours pour demander une révision de la décision annoncée dans la lettre de décision?

[6] Si le ministre n’a pas agi de façon judiciaire, quelle décision aurait-il dû rendre en ce qui concerne la demande de prolongation?

Analyse

[7] Une personne peut, dans les 90 jours suivant le jour où elle a été avisée par écrit d’une décision, demander au ministre de réviser sa décision. Le ministre peut autoriser la prolongation du délai de présentation de la demande de révision s’il est convaincu, d’une part, qu’il existe une explication raisonnable à l’appui de la demande de prolongation du délai et, d’autre part, que l’intéressé a manifesté l’intention constante de demander une révisionNote de bas de page 2.

[8] La décision du ministre d’accorder ou de refuser une demande de révision est considérée comme une décision discrétionnaire. Le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire et judicieuseNote de bas de page 3.

[9] Le Tribunal ne peut s’immiscer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre que dans certaines situations, notamment lorsque le ministre n’exerce pas son pouvoir discrétionnaire judiciairement ou lorsqu’il agit de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Le ministre n’exerce pas son pouvoir discrétionnaire judiciairement dans les cas suivants :

  • s’il agit de mauvaise foi;
  • s’il agit dans un but ou pour un motif irrégulier;
  • s’il prend en compte un facteur non pertinent;
  • s’il ignore un facteur pertinent;
  • s’il agit de manière discriminatoireNote de bas de page 4.

[10] Mon rôle à cette étape de l’analyse ne consiste pas à déterminer si le ministre a pris la bonne décision. Je dois plutôt déterminer si le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire et judicieuse. Comme il semble y avoir une divergence mineure en ce qui concerne la date de la lettre de décision, je vais d’abord me prononcer sur la date de la décision et la date à laquelle prend fin la période de 90 jours prévue pour présenter une demande de révision de la décision.

À quel moment expirait le délai de 90 jours pour présenter la demande de révision?

[11] Le dossier du Tribunal ne contient pas une copie de la lettre de décision. Lors de l’audience, la requérante a dit que la lettre était datée du 6 février 2018. Cependant, selon le dossier du Tribunal, le ministre et la requérante ont dit que la lettre était datée du 2 février 2018Note de bas de page 5. Lors de l’audience, la requérante a aussi reconnu que la lettre de décision indiquait qu’il y avait un délai de 90 jours pour demander une révision de la décision.

[12] Je n’ai aucune raison de douter de la véracité du témoignage oral de la requérante. Je suis d’avis que la requérante s’est exprimée avec sincérité et qu’elle est digne de confiance. En l’absence d’une copie de la lettre de décision, et pour accorder le bénéfice du doute à la requérante, je considère que la lettre de décision est datée du 6 février 2018. Cependant, je dois aussi déterminer à quelle date la requérante a reçu la lettre de décision afin de pouvoir calculer à quel moment expirait le délai de 90 jours.

[13] La requérante ne se souvenait pas du moment où elle a reçu la lettre de décision. Selon la preuve écrite qu’elle a présentée, elle aurait reçu cette lettre au cours du mois de février 2018Note de bas de page 6. Je prends connaissance d’office que le courrier au Canada est habituellement reçu dans les 10 jours suivant l’envoi. Par conséquent, j’estime que la requérante a reçu la lettre de décision le 16 février 2018, ce qui signifie que la requérante avait jusqu’au 17 mai 2018 pour présenter sa demande de révision dans les 90 jours. Comme la requérante a présenté sa demande de révision bien après cette date, je vais maintenant déterminer si le ministre a agi de façon appropriée lorsqu’il n’a pas fait droit à la demande de la requérante.

Le ministre a-t-il agi de façon judiciaire en ne faisant pas droit à la demande de la requérante en vue d’obtenir une prolongation pour demander une révision de la décision annoncée dans la lettre de décision?

[14] Rien dans la preuve n’indique que le ministre a agi de mauvaise foi, dans un but ou pour un motif irrégulier, ou de manière discriminatoire. Après avoir reçu la demande de la requérante, le ministre lui a demandé de justifier le retard et d’expliquer en quoi elle avait manifesté l’intention constante de demander une révision Footnote 7.

[15] La demande du ministre en vue d’obtenir des renseignements supplémentaires montre que le ministre n’avait pas préjugé l’affaire et avait l’intention de prendre une décision éclairée. Je déterminerai maintenant si le ministre a pris en compte un facteur non pertinent ou s’il a ignoré un facteur pertinent.

Le ministre a-t-il pris en compte un facteur non pertinent?

[16] Dans sa lettre du 21 août 2018, la requérante a donné suite à la demande du ministre et a fourni une explication quant au retard pour déposer sa demande. Elle a aussi fourni de l’information sur son intention constante de demander une révision. Cependant, le 19 septembre 2018, le ministre a demandé des renseignements supplémentaires sur la nature de la relation entre la requérante et le cotisant jusqu’à son décès en 2011Note de bas de page 8. Ce n’est qu’après avoir reçu les renseignements supplémentaires de la part de la requérante au sujet du cotisant que le ministre a pris une décision concernant la demande tardive de révision.

[17] Il est difficile de voir en quoi les renseignements supplémentaires demandés étaient pertinents pour la demande de révision. Cependant, dans sa demande de septembre 2018, le ministre a clairement indiqué qu’il cherchait à confirmer si la requérante était toujours admissible à la pension de survivant du RPC : la demande du ministre ne concernait pas la demande tardive de révision. La décision subséquente du ministre concernant la demande tardive de révision ne faisait pas mention de la réponse fournie par la requérante pour donner suite à sa demande de renseignements supplémentaires envoyée en septembre 2018Note de bas de page 9. Je suis donc convaincu que le ministre n’a pas pris en compte un facteur non pertinent.

Le ministre a-t-il ignoré un facteur pertinent?

[18] Dans sa décision rendue le 9 novembre 2018, le ministre n’explique pas en quoi l’explication de la requérante quant au retard de sa demande (ou son explication pour montrer qu’elle a manifesté une intention constante de présenter une demande de révision) était inadéquate. Le ministre n’a fait qu’accuser réception des réponses de la requérante et indiquer qu’il allait les examinerNote de bas de page 10.

[19] La requérante n’a pas laissé entendre qu’elle a manifesté une intention constante de présenter une demande de révision. Ce n’est qu’après avoir discuté de sa situation de pension avec des collègues qu’elle a manifesté l’intention de présenter une demande de révision. Sa lettre d’août 2018 donne fortement à penser qu’elle n’a pas lu au-delà de la première page de la lettre de décision, et elle a agi seulement quelques mois après avoir discuté de la situation avec des collèguesNote de bas de page 11. Cependant, le ministre n’a pas tenu compte de la possibilité que la requérante ait discuté de la situation avec ses collègues avant le 17 mai 2018. Il était important que le ministre ait connaissance de cette information : toute intention de présenter une demande de révision dans le délai prévu de 90 jours aurait été un facteur pertinent à prendre en compte.

[20] J’estime que le ministre a omis de tenir compte d’un facteur pertinent lorsqu’il n’a pas traité explicitement de la discussion entre la requérante et ses collègues et qu’il n’a pas essayé de confirmer le moment où s’est déroulée cette discussion. Par conséquent, je dois conclure que le ministre n’a pas agi de façon judiciaire quand il n’a pas fait droit à la demande de la requérante en vue d’obtenir une prolongation pour présenter sa demande de révision.

Si le ministre n’a pas agi de façon judiciaire, quelle décision aurait-il dû rendre en ce qui concerne la demande de prolongation?

[21] Je dois maintenant rendre la décision qu’aurait dû rendre le ministre à l’égard de la demande de révision de la requérante. Je peux ainsi tenir compte des témoignages que j’ai entendus dans le cadre de cette audience. Cet exercice est important, parce que la requérante a clarifié, dans son témoignage, ce qui s’est passé après qu’elle a reçu la lettre de décision.

[22] À l’audience, la requérante a dit qu’elle était satisfaite, au départ, simplement de recevoir une pension de survivant du RPC. Elle a dit qu’elle n’a pas discuté de la lettre de pension avec ses collègues avant le mois de juin ou juillet 2018. La requérante ne pouvait pas préciser le moment exact de la discussion, mais elle a indiqué que la discussion a eu lieu bien après l’expiration du délai de 90 jours. Après la discussion, elle a décidé de demander une révision et a promptement demandé de l’aide auprès du Centre des ressources pour les aînés. Le jour même où elle s’est rendue au Centre, elle a envoyé une demande de révision au ministre. Je conclus donc que la requérante n’a pas agi et n’avait pas l’intention de le faire avant que le délai de 90 jours ait expiré le 17 mai 2018.

[23] Par conséquent, je dois conclure que la requérante n’a pas manifesté une intention constante de demander une révision de la décision annoncée dans la lettre de décision. La requérante a commencé à manifester une telle intention environ un mois, peut-être moins, avant de présenter sa demande. Peu importe la durée exacte de l’intention, celle-ci n’était pas constante à compter du jour où la requérante a reçu la lettre de décision. Elle n’était pas non plus constante avant l’expiration du délai de 90 jours. Ce fait même signifie que l’appel ne peut pas être accueilli.

[24] En ce qui concerne l’explication raisonnable du retard, la requérante n’a pas caché le fait qu’elle n’avait lu que la première page de la lettre de décision et qu’elle n’avait pas compris qu’elle pouvait interjeter appel de la décisionNote de bas de page 12. Elle a admis d’emblée qu’elle n’avait pas examiné la lettre au complet, notamment en raison de son ignorance générale à l’égard du Régime de pensions du Canada. Je reconnais qu’elle ne connaît pas bien le RPC. Encore une fois, le témoignage de la requérante à cet égard était très crédible. Cependant, il m’est aussi très difficile de conclure que le retard dans la présentation de la demande de révision est raisonnable compte tenu du fait que la requérante n’a pas lu la lettre au complet. Je dois donc en venir à la conclusion qu’aucun motif raisonnable n’étaye la demande de prolongation du délai.

[25] Comme la requérante n’a pas fourni une explication raisonnable pour demander une prolongation du délai et qu’elle n’a pas manifesté une intention constante de demander une révision, je ne peux pas accorder à la requérante plus de temps pour lui permettre de demander une révision de la décision. Elle devait respecter ces deux critères afin de pouvoir obtenir une prolongation.

Conclusion

[26] Même si le ministre n’a pas agi de façon judiciaire lorsqu’il n’a pas fait droit à la demande de la requérante en vue d’obtenir une prolongation pour présenter une demande de révision, et même si j’ai dû rendre la décision qu’aurait dû rendre le ministre, le résultat est le même. La requérante ne respectait pas les critères nécessaires pour obtenir une prolongation du délai pour présenter une demande de révision.

[27] L’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.