Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli, et la décision que la division générale aurait dû rendre est rendue. La requérante était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande avant la date à laquelle elle l’a fait.

Aperçu

[2] J. D. (requérante) a travaillé au Canada avant de déménager aux États-Unis. Elle a de nombreux problèmes médicaux, notamment la maladie de Lyme, l’arthrite, la fibromyalgie, une affection post-commotion, la dépression, l’anxiété et un trouble cognitif. Elle a présenté une demande de pension de retraite du Régime de pensions du Canada en août 2016 lorsqu’elle avait 71 ans. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a accueilli la demande et a commencé à effectuer des versements en octobre 2015, ce qui correspondait à la rétroactivité maximale pour le paiement au titre du Régime de pensions du Canada (RPC).

[3] La requérante a porté en appel devant le Tribunal la décision du ministre relativement au début du versement de la pension. Elle a fait valoir que le versement aurait dû commencer en 2012 parce qu’elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande à partir d’avril 2012 lorsqu’elle a subi une blessure à la tête et une commotion cérébrale jusqu’au moment où elle a présenté sa demande. Le RPC prévoit une exception à la rétroactivité maximale permise si une partie requérante est incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demandeNote de bas de page 1.

[4] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel parce qu’elle a déterminé que la requérante n’était pas incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande. L’appel est accueilli parce que la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées sans tenir compte de l’ensemble de la preuve portée à sa connaissance, à savoir que la preuve médicale concernant la période pendant laquelle la requérante était incapable était incohérente, et qu’elle a commis une erreur de droit lorsqu’elle a décidé que la requérante n’était pas incapable. La décision que la division générale aurait dû rendre est rendue; la requérante était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande à partir d’avril 2012 lorsqu’elle a subi une commotion cérébrale jusqu’à 2016 lorsqu’elle a présenté une demande de pension.

Questions en litige

[5] La division générale a-t-elle axé sa décision sur une conclusion de fait erronée au titre de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS) selon laquelle il y a eu plusieurs périodes d’incapacité auxquelles ont fait allusion les médecins de la requérante?

[6] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a tenu compte des activités de la requérante après que celle-ci a recouvré la capacité comme preuve qu’elle n’était pas incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande pendant la période de prétendue incapacité.

Analyse

[7] La LMEDS régit le fonctionnement du Tribunal. Elle n’énonce que trois moyens d’appel que la division d’appel peut prendre en considération. Ces moyens d’appel sont les suivants : la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur de compétence; elle a commis une erreur de droit, ou elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 2. C’est dans ce contexte que sont examinés ci-dessous les moyens d’appel invoqués par la requérante.

Question en litige no 1 : Période d’incapacité

[8] Pour qu’un appel soit accueilli sur la base d’une conclusion de fait erronée, la partie requérante doit établir trois choses : la conclusion de fait était erronée (tirée de façon erronée); la conclusion de fait a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale; et la décision de celle-ci était fondée sur cette conclusion de faitNote de bas de page 3.

[9] La requérante soutient qu’elle est devenue incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande en avril 2012 lorsqu’elle a subi une blessure à la tête et une commotion cérébrale, et qu’elle a recouvré sa capacité en 2016, moment où elle a présenté une demande de pension. Le fait que la requérante a eu une commotion cérébrale et des symptômes post-commotion n’est pas contesté. La requérante a été traitée par au moins trois médecins après cet incident. Ils ont fourni une preuve écrite au Tribunal, laquelle est résumée ci-dessous.

Preuve du Dr Alexander :

  • Le 19 août 2016 : l’incapacité de la requérante a commencé le 4 avril 2012 et était continueNote de bas de page 4.
  • Le 7 octobre 2016 : la requérante était atteinte d’une incapacité découlant d’une commotion cérébrale survenue le 4 avril 2012, et elle était incapable de trouver de l’information pour présenter sa demande avant août 2016Note de bas de page 5.
  • Le 11 octobre 2016 : la requérante avait de la difficulté à planifier et à exécuter des tâches de façon continue à partir de 2012 jusqu’à la date de la lettreNote de bas de page 6.

Preuve du Dr Slater :

  • Le 26 août 2016 : l’incapacité de la requérante a commencé le 4 avril 2014 et était continueNote de bas de page 7.
  • Le 10 octobre 2016 : la requérante était atteinte d’une invalidité à partir du 12 avril 2012, et n’a eu aucune période de capacitéNote de bas de page 8.
  • Le 18 septembre 2017 : la requérante a subi une lésion cérébrale autour du 4 avril 2012 et son incapacité était continueNote de bas de page 9.

Preuve de la Dre Nevins :

  • Le 23 août 2016 : l’incapacité de la requérante a commencé dans les années 1990 et était continueNote de bas de page 10. Cela a été précisé dans le témoignage. La Dre Nevins a affirmé que la requérante était capable de fonctionner, mais que son état s’est empiré après sa blessure à la tête en 2012.
  • Le 11 octobre 2016 : la requérante était atteinte d’une incapacité à la suite d’un accident en 2005, et son état a été aggravé par la lésion du 4 avril 2012Note de bas de page 11.
  • Le 20 septembre 2017 : les troubles cognitifs sont apparus en avril 2012 et son incapacité était continueNote de bas de page 12.
  • Le 20 septembre 2017 : l’état de la requérante s’était détérioré depuis sa commotion cérébrale en avril 2012, cela était continu et elle n’aurait pas pu présenter une demande avant le moment où elle l’a faitNote de bas de page 13.

Bien que ces rapports médicaux ne montrent pas tous exactement les mêmes dates en ce qui concerne le début de l’invalidité de la requérante, l’ensemble des médecins mentionnent que la requérante était atteinte d’une incapacité après sa blessure à la tête d’avril 2012. Dans le même ordre d’idées, les rapports n’établissent pas tous une date de fin exacte relativement à l’incapacité. Cependant, les rapports rédigés en 2016 mentionnent tous que la requérante était encore atteinte d’une incapacité au moment où les rapports ont été rédigés. Cette information concorde avec la preuve orale à l’audience selon laquelle l’état de la requérante s’est amélioré en 2016 et que pendant cette année-là elle a recouvré la capacité de participer à des activités, etc.

[10] Par conséquent, les conclusions de fait selon lesquelles [traduction] « les médecins traitants de la requérante ont fait allusion à plusieurs périodes d’incapacitéNote de bas de page 14 » et « le manque de preuve cohésive ne fournissait pas de délimitation claire quant aux périodes continues pendant lesquelles la requérante pourrait avoir été atteinte d’une incapacité et au moment où elle a cessé de l’êtreNote de bas de page 15 » sont erronées. Les rapports médicaux ont fait référence de façon constante à l’incapacité de la requérante d’avril 2012 à 2016.

[11] Ces conclusions de fait ont été tirées par la division générale sans tenir compte de tous les éléments portés à sa connaissance. La division générale a omis de tenir compte de la preuve écrite de l’ensemble des médecins et du témoignage de la Dre Nevins à l’audience. À l’audience, le membre de la division générale a expliqué la définition d’incapacité du RPC. Après avoir entendu cette explication, la Dre Nevins a affirmé que l’incapacité de la requérante avait débuté au moment de sa blessure à la tête survenue en avril 2012 et s’était poursuivie jusqu’en 2016 lorsqu’elle s’était suffisamment rétablie pour présenter sa demande.

[12] La décision de la division générale était aussi fondée sur ces conclusions de faits. Par conséquent, l’appel doit être accueilli.

Question en litige no 2 : Activités de la requérante

[13] La décision de la division générale mentionne également que les activités de la requérante peuvent aussi éclairer quant à sa capacité de former ou d’exprimer l’intention nécessaireNote de bas de page 16. Cependant, la Cour d’appel fédérale énonce que les activités pertinentes d’une partie requérante entre le début de l’invalidité et la date de la demande peuvent nous informer sur la capacité de cette personne pendant cette période (mis en évidence par la soussignée)Note de bas de page 17.

[14] La division générale a examiné les activités de la requérante, notamment le fait qu’elle fréquentait un groupe biblique/de femmes, et qu’elle avait commencé à nager régulièrement lorsque son amie lui a acheté un laissez-passer pour la piscine. Cependant, d’après la preuve de son amie, cette dernière avait d’abord rencontré la requérante en 2016, elle lui avait acheté le laissez-passer pour la piscine et elle avait dû l’aider considérablement pour présenter sa demande de pension. Par conséquent, même si la participation de la requérante avec son amie au groupe de femmes, aux séances de natation et à la préparation des documents démontre que la requérante avait une certaine capacité de faire des choix et de prendre des décisions, cela démontre cette capacité en 2016, lorsque la requérante dit avoir recouvré la capacité de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande. Cette preuve n’est pas pertinente à sa capacité avant 2016. De même, le fait que la requérante a été capable de remplir d’autres demandes de prestations gouvernementales à la fin de 2016 et en 2017 n’illustre pas sa capacité de le faire avant ce moment.

[15] Par conséquent, la division générale a commis une erreur de droit. Elle s’est fiée sur la preuve concernant les activités de la requérante après qu’elle a recouvré la capacité de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande avant 2016. L’appel doit également être accueilli sur cette base.

Réparation

[16] La LMEDS énonce les réparations que la division d’appel peut accorder lorsqu’un appel est accueilli, notamment rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 18. Elle énonce également que le Tribunal peut trancher toute question de droit ou de fait nécessaire pour statuer sur une demandeNote de bas de page 19. J’ai lu et examiné la division générale ainsi que le dossier écrit. J’ai également écouté l’enregistrement de l’audience devant la division générale. Le dossier dont je dispose est complet; rien ne donne à penser qu’une ou l’autre des parties n’a pas été en mesure de défendre pleinement sa cause devant la division générale ou que d’autres documents devraient être examinés avant qu’une décision soit rendue. De plus, les deux parties ont demandé, si l’appel est accueilli, que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre.

[17] Les éléments de preuve non contestés sont énoncés ci-dessous :

  1. La requérante a eu 65 ans en 2005.
  2. La requérante a des antécédents médicaux de maladie de Lyme, d’arthrite, de fibromyalgie, de dépression, d’anxiété et de trouble cognitif.
  3. Le 4 avril 2012, la requérante a subi une blessure à la tête et une commotion cérébrale.
  4. Elle avait des symptômes post-commotion chroniques et était très dépressive après cette blessure.
  5. La requérante avait besoin de recourir à des services d’aidants à raison de six heures par jour après cette blessure; Cela incluait de l’aide pour l’épicerie, la préparation des repas, le ménage et les courses. Les aidants veillaient à ce que ses les factures de la requérante soient payées automatiquement et à ce que quelqu’un passe chercher l’argent du loyer.
  6. La requérante se faisait aussi conduire à ses rendez-vous.
  7. La requérante était traitée par au moins trois médecins qui ont rédigé des rapports qui figurent dans le dossier écrit (voir le paragraphe 9 ci-dessus).
  8. Ces rapports médicaux mentionnent que la requérante était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande à partir de la date de sa blessure à la tête jusqu’en 2016.
  9. La requérante avait de la difficulté à fixer des rendez-vous et à s’y présenter.
  10. Personne d’autre que la requérante n’a pris de décisions médicales en son nom.
  11. En 2016, la requérante a assisté à un groupe biblique/de femmes et est devenue amie avec quelqu’un qui lui a acheté un laissez-passer pour la piscine. La requérante a alors commencé à nager régulièrement.
  12. En 2016, la requérante, avec de l’aide, a présenté une demande de pension de retraite du RPC.
  13. Après que la requérante a présenté une demande de pension de retraite, elle a également présenté d’autres demandes de prestations gouvernementales.

[18] Le RPC prévoit que si une partie requérante est incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande, les prestations peuvent être versées rétroactivement au mois qui précède le mois au cours duquel l’incapacité a commencé, à condition que la période d’incapacité soit continueNote de bas de page 20. La preuve médicale est importante pour déterminer si une partie requérante est atteinte d’incapacité. De plus, les activités pertinentes de la personne en cause entre la date prétendue de début de l’invalidité et la date de la demande, qui nous informent sur la capacité de cette personne pendant la période en question « de former et d’exprimer » l’intention de faire une demande, doivent être prises en compteNote de bas de page 21.

[19] Les médecins traitants de la requérante ont tous mentionné que la requérante était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande à partir de 2012 jusqu’en 2016. De plus, la preuve montre que la requérante avait de la difficulté à accomplir les activités simples de la vie quotidienne comme l’épicerie et la préparation des repas. Ses aidants avaient pris des dispositions pour que ses factures soient payées automatiquement, et elle avait besoin qu’on lui rappelle de payer son loyer. La requérante n’a pas pris de décisions importantes pendant cette période, par exemple changer de prestataires de soins, initier des demandes de nature juridique ou d’assurance ou participer à des transactions commerciales. Ces faits me portent à conclure que la requérante était incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de pension à partir du moment où elle s’est blessée, en avril 2012, jusqu’au moment où elle a signé le formulaire de demande de pension, en août 2016.

[20] La participation de la requérante au groupe de femmes et le moment où elle a commencé à nager ont eu lieu après qu’elle a recouvré une certaine capacité et n’aident donc pas à déterminer si elle avait la capacité nécessaire pendant la période pertinente.

Conclusion

[21] L’appel est accueilli.

[22] La requérante était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande d’avril 2012 jusqu’à août 2016. Par conséquent, la demande est réputée avoir été faite en mars 2012.

 

Date de l’audience :

Mode d’audience :

Comparutions :

Le 16 avril 2019

Téléconférence

Dr Daniel Slater, représentant de l’appelante

Stéphanie Pilon, représentante de l’intimé

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