Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

Aperçu

[2] L’appelant, R. S., est titulaire d’un baccalauréat ès sciences en mathématiques et en informatique. Il a travaillé comme X chez pendant 23 ans et il est maintenant âgé de 61 ans. En 2002, il a commencé à avoir des crises de panique et d’autres symptômes d’anxiété. Trois ans plus tard, il a été mis à pied de son emploi pour des raisons qu’il soupçonne liées à sa baisse de productivité. Il n’a pas travaillé depuis.

[3] En mars 2016, l’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. L’intimé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, a rejeté sa demande après avoir conclu qu’il n’était pas atteint d’une invalidité « grave et prolongée » au sens du Régime de pensions du Canada (RPC), à l’échéance de sa période minimale d’admissibilité (PMA), le 31 décembre 2015. Le ministre a noté que selon une consultation psychiatrique de 2014, l’appelant était seulement légèrement anxieux. Le ministre a reconnu que l’appelant avait certaines limitations, mais il a conclu que celles-ci ne l’empêchaient pas d’occuper un autre emploi.

[4] L’appelant a interjeté appel de la décision du ministre auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience par vidéoconférence et, dans une décision datée du 4 juillet 2018, elle a conclu que l’appelant n’avait pas fourni une preuve suffisante selon laquelle il était régulièrement incapable de détenir un emploi véritablement rémunérateur en date de sa PMA. La division générale a mis un accent particulier sur l’éducation et les antécédents professionnels de l’appelant grâce auxquels, selon elle, il était [traduction] « capable d’être un employé digne de confiance pour un employeur réaliste dans un contexte réalisteNote de bas de page 1 ».

[5] Le 24 octobre 2018, l’appelant a demandé la permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal, alléguant que la division générale avait fondé sa décision sur deux conclusions de fait erronées :

  • La division générale a conclu que l’appelant aurait pu payer une thérapie cognitivo‑comportementale (TSS) parce qu’il a reçu une indemnité de départ lorsqu’il a perdu son emploi. Cependant, l’appelant souligne qu’il a perdu son emploi en 2005 et qu’un psychiatre ne lui a pas recommandé une TSS avant novembre 2014.
  • La division générale a attribué la douleur au cou de l’appelant à un accident de voiture survenu en février 2017. Pourtant, l’appelant dit que la preuve disponible révèle qu’il éprouvait de la douleur au cou pendant sa PMA en raison d’un autre accident de voiture survenu antérieurement.

[6] Dans ma décision datée du 19 novembre 2018, j’ai accordé la permission d’en appeler parce que j’estimais que l’affaire était défendable en raison des deux observations présentées par l’appelant.

[7] Dans les observations écrites datées du 27 décembre 2018, le ministre a défendu la décision de la division générale en soulignant que, puisque l’appelant avait vécu des produits de son règlement, la division générale avait raison de conclure qu’il avait les moyens de payer la TSS. Le ministre a également renvoyé à l’élément de preuve au dossier selon lequel l’appelant s’était plaint d’une douleur au cou qui remontait à la PMA. La division générale était donc en droit de déterminer que la douleur n’avait pas contribué de manière significative à une détérioration à ce moment-là.

[8] Après avoir examiné les observations orales et écrites des parties, j’estime que la division générale a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Je suis convaincu que le dossier est suffisamment complet pour me permettre d’effectuer ma propre appréciation de la preuve et de conclure que l’appelant était invalide en date de la PMA.

Questions en litige

[9] Aux termes de l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS), seuls trois moyens d’appel peuvent être invoqués devant la division d’appel. Ces moyens sont les suivants : la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle; elle a commis une erreur de droit; elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[10] Je dois répondre aux questions suivantes :

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelant avait les moyens de payer une TSS?

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle ignoré l’élément de preuve selon lequel l’appelant éprouvait de la douleur au cou pendant la PMA?

Analyse

Question en litige no 1 : La division générale a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelant avait les moyens de payer une TSS?

[11] Dans sa décision, la division générale s’est penchée sur les efforts déployés par l’appelant pour trouver un traitement pour ses problèmes psychologiques :

[traduction]

Il a mentionné qu’il n’avait pas pris part à une thérapie de groupe à cause de son anxiété. Le médecin de famille lui a recommandé une thérapie cognitive. Je note qu’il a été capable de jouer au hockey, un sport d’équipe, et de participer à un salon de l’emploi. Rien ne prouve qu’il a fait des efforts raisonnables pour faire un suivi et suivre une TSS, comme il lui avait été recommandé. Il a reçu une indemnité de départ et il avait la capacité financière de suivre une thérapie au cas où il n’arrivait pas à obtenir une recommandation auprès d’un fournisseur de soins médicaux couvert gratuitement. [...] [mis en évidence par le soussigné]Note de bas de page 2

Il fait peu de doute que la division générale a fondé sa décision, du moins en partie, sur ce qu’elle considérait comme l’omission de l’appelant de suivre une TSS. Bien entendu, une personne qui présente une demande de prestations d’invalidité doit respecter les recommandations médicales; toutefois le décideur doit aussi examiner si le refus de cette personne de suivre de telles recommandations est raisonnable dans les circonstancesNote de bas de page 3. Même s’il a été établi qu’une partie requérante n’a pas donné suite au traitement recommandé, le décideur doit tout de même mener une enquête pour déterminer si elle avait une bonne raison de ne pas le faire.

[12] L’appelant a seulement commencé à consulter son médecin de famille actuel en mai 2014, date à laquelle le Dr Winter avait fait des recommandations auprès de plusieurs spécialistes, y compris le Dr Nasri, psychiatre. Après avoir examiné le dossier, je n’ai pas été en mesure de trouver de référence à une TSS datant d’avant le rapport psychiatrique d’octobre 2014, produit par le Dr NasriNote de bas de page 4. Dans son rapport, le Dr Nasri a écrit qu’il a [traduction] « expliqué » la TSS à l’appelant et qu’il lui a fourni une liste de ressources communautaires. La division générale a conclu que le Dr Winter avait [traduction] « recommandé » une TSS. Toutefois, selon son rapport médical du Régime de pensions du Canada daté de février 2016, une TSS avait seulement été [traduction] « suggérée », mais celle‑ci n’était pas [traduction] « possible financièrementNote de bas de page 5 ». Je ne suis pas disposé à relever une erreur dans la distinction entre une [traduction] « suggestion » et une [traduction] « recommandation », mais j’estime que la division générale est allée trop loin en présumant que l’appelant avait les ressources financières pour suivre une TSS.

[13] En l’espèce, aucun fournisseur de traitement n’a [traduction] « recommandé » un counseling en santé mentale avant que le Dr Nasri ne suggère une TSS en octobre 2014. Toutefois, cette suggestion a été faite plus de neuf ans après que l’appelant a perdu son emploi et bien après qu’il a vraisemblablement reçu son indemnité de départ. Le Dr Nasri a mentionné que l’appelant avait vécu de ses économies, mais il n’y avait aucun renseignement au dossier sur l’étendue de ces économies ni sur le fait de savoir si l’indemnité de départ avait été épuisée. Après avoir examiné l’enregistrement audio de l’audience devant la division générale, je n’ai pas entendu le membre saisi de l’affaire poser des questions à l’appelant concernant ses ressources financières lorsque ses médecins l’empressaient de suivre une TSS. En l’absence de tels renseignements, il ne semble guère raisonnable de supposer qu’une somme forfaitaire versée en 2005 ou en 2006 aurait toujours été disponible pour couvrir un traitement presque 10 ans plus tard.

[14] Il incombe à la division générale d’apprécier la preuve et de tirer des conclusions de fait. Lorsqu’il y a des lacunes dans la preuve, la division générale est en droit de formuler des hypothèses et de tirer des conclusions, dans la mesure où il existe un fondement rationnel à cet égard. En supposant, sur la base de rien de plus que des conjectures, que l’appelant avait les ressources pour payer une TSS, la division générale aurait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Question en litige no 2 : La division générale a-t-elle ignoré l’élément de preuve selon lequel l’appelant éprouvait de la douleur au cou pendant la PMA?

[15] Dans sa décision, la division générale s’est penchée sur les prétendues limitations physiques de l’appelant :

[traduction]

L’[appelant] a déclaré qu’il restait à la maison la plupart du temps. Il a souligné qu’il avait une hernie discale dans son cou et une douleur au bas du dos [traduction] « par intermittence ». Il a remarqué une diminution de l’amplitude de mouvement de son épaule gauche. Il est droitier. Il a eu des migraines. Malgré ses limitations physiques, l’[appelant] a été capable de continuer à jouer au hockey jusqu’à deux fois par semaine. Il a une douleur au cou qui perturbe son sommeil. Ce symptôme est apparu à la suite d’un accident de voiture survenu en février 2017, après la PMA. Ses limitations physiques ne nuiraient pas à sa capacité d’occuper un emploi sédentaire [mis en évidence par le soussigné]Note de bas de page 6.

L’appelant cite l’une des notes cliniques du Dr Winter comme élément de preuve que sa douleur au cou peut être datée de sa PMA. Le 1er mai 2014, le Dr Winter a écrit ce qui suit : [traduction] « [L’appelant] souligne qu’il a eu un accident de voiture il y a plusieurs années, qu’un coup de fouet cervical lui a occasionné des [maux de tête] et des douleurs au cou des années plus tard [...], qu’une hernie C5/C6 a été décelée et qu’il a alors passé un examen d’imagerieNote de bas de page 7 ».

[16] Après avoir examiné le dossier, je suis convaincu que la division générale a fondé sa décision en partie sur une conclusion erronée selon laquelle la douleur au cou de l’appelant n’est survenue qu’après sa PMA. Bien que l’appelant s’est appuyé sur ses problèmes de santé mentale pour présenter sa demande de prestations d’invalidité, il a aussi clairement établi dès le début que sa douleur au cou a contribué à son incapacité de travailler. Dans le questionnaire qui accompagnait sa demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 8, l’appelant a énuméré une hernie discale parmi ses problèmes de santé, et selon les limitations fonctionnelles qu’il a déclarées, ses détériorations étaient autant physiques que psychologiques.

[17] Le ministre fait valoir que les problèmes de cou de l’appelant étaient bien clairs dans les renseignements médicaux datant de la PMA; la division générale est donc réputée avoir tenu compte de ces renseignements. Bien entendu, toute présomption est sujette à une réfutation, et j’ai une raison de croire que la division générale a commis une erreur en concluant que la douleur au cou de l’appelant est survenue entièrement après le 31 décembre 2015. Tout d’abord, comme mentionné dans l’extrait cité ci-dessus, la division générale a affirmé la même chose dans sa décision. Ensuite, la division générale a commis cette erreur pas seulement une fois, mais à deux reprises dans sa décision en écrivant plusieurs paragraphes par la suite : [traduction] « [L’appelant] avait mal au cou à cause d’un accident de voiture survenu après la PMANote de bas de page 9 ». Finalement, il convient de noter qu’aucun renseignement concernant la douleur au cou de l’appelant telle qu’il la ressentait pendant la PMA n’a été abordé dans la décision. Bien que la division générale a brièvement mentionné la hernie cervicale, elle n’a pas évalué l’incidence que cette blessure aurait pu avoir sur la capacité de l’appelant de travailler avant le 31 décembre 2015. Cette omission me porte à croire que la division générale ne croyait pas que la hernie cervicale valait la peine d’être évaluée comme elle était survenue après la PMA.

Réparation

[18] La Loi sur le MEDS confère à la division d’appel le pouvoir de corriger les erreurs commises par la division générale. En vertu de l’article 59(1), je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, renvoyer l’affaire à la division générale pour réexamen conformément à certaines directives, ou confirmer, infirmer ou modifier la décision de la division générale. De plus, en vertu de l’article 64 de la Loi sur le MEDS, la division d’appel peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur une demande présentée sous le régime de la Loi sur le MEDS.

Le dossier est-il complet?

[19] Dans les observations orales, les deux parties ont convenu que, si je relevais des erreurs dans la décision de la division générale, la réparation appropriée serait de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. Bien entendu, les parties ne s’entendaient pas sur ce que devrait être cette décision, l’appelant soutenant que la preuve disponible établissait l’invalidité et le ministre faisant valoir le contraire.

[20] La Cour d’appel fédérale a déclaré que le décideur doit tenir compte du temps qui s’est écoulé avant qu’une décision concernant une demande de prestations d’invalidité ait été rendue. L’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité voilà plus de trois ans. Si je renvoyais l’affaire à la division générale, cela causerait un délai supplémentaire à une instance déjà prolongée. Le Tribunal est tenu d’agir le plus rapidement que l’équité et la justice naturelle permettent, et je doute que la preuve soit considérablement différente si la division générale était saisie de l’affaire à nouveau.

[21] Je suis convaincu que le dossier dont je dispose est complet. Aucune des erreurs commises par la division générale n’a empêché l’admission d’éléments de preuve pertinents, avant ou pendant l’audience. L’appelant a eu amplement l’occasion de déposer des documents médicaux, et son dossier comprend beaucoup de renseignements sur ses antécédents professionnels. Il existe un enregistrement audio de l’audience que j’ai écouté dans son intégralité. Celui-ci révèle que la division générale a tenu une audience orale complète et a entendu le témoignage de l’appelant sur ses déficiences, la progression de celles-ci et la façon dont elles ont eu une incidence sur sa capacité de travailler.

[22] Par conséquent, je suis en mesure d’apprécier la preuve qui figurait dans le dossier dont disposait la division générale et de rendre la décision qu’elle aurait dû rendre si elle n’avait pas commis d’erreur. J’estime que si la division générale avait correctement évalué les raisons de l’appelant de ne pas avoir entamé une TSS ainsi que l’incidence de ses blessures physiques en date de la PMA, elle serait parvenue à une conclusion différente. Ma propre appréciation du dossier m’a convaincu que l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2015.

L’appelant est-il atteint d’une invalidité grave?

[23] Pour être considérée comme invalide, une partie requérante doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée à la date marquant la fin de la PMA ou avant cette date. Une invalidité n’est grave que si la personne concernée est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit « vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 10 ».

[24] Le cas de l’appelant est difficile. L’appelant est bien instruit et possède des compétences de haut niveau en tant que X. Sa demande de prestations d’invalidité est principalement fondée sur l’anxiété, un problème de santé qui est difficile à évaluer de façon objective et qui ne peut être diagnostiqué sans s’appuyer sur le récit subjectif des symptômes de la personne atteinte. Il manque également certains documents médicaux pour la période allant de 2005, lorsque l’appelant a été mis à pied par son dernier employeur, à 2014, lorsqu’il a déménagé à X et a changé de médecin de famille.

[25] Malgré ces obstacles, j’ai conclu que l’appelant est atteint, depuis de nombreuses années, d’une invalidité grave survenue bien avant la fin de sa PMA. J’ai fondé ma décision sur les facteurs suivants :

(i) L’anxiété de l’appelant est considérable et bien documentée.

[26] Tel que noté, le dossier comprend peu de documents médicaux datant d’avant 2014. Il est donc difficile d’évaluer la santé mentale de l’appelant dans les années qui ont suivi la perte de son emploi en 2005. Toutefois, il y avait au moins quelques éléments de preuve selon lesquels tout n’allait pas pour le mieux : en septembre 2007, l’appelant s’est rendu au service d’urgence de l’hôpital Markham-Stouffville avec des symptômes d’anxiété, des étourdissements et des difficultés respiratoiresNote de bas de page 11. Cet épisode, le deuxième en deux ou trois mois, corrobore le récit d’anxiété invalidante de longue date de l’appelant.

[27] En 2014, l’appelant avait commencé à consulter le Dr Winter, qui, de toute évidence, avait adopté une approche de gestion des patients plus proactive que celle de son prédécesseur. Selon les propos tenus lors de leur premier rendez-vousNote de bas de page 12, le Dr Winter a rapporté que, au cours des quatre ou cinq dernières années, l’appelant avait des crises de panique deux ou trois fois par année, et que le problème empirait. Dans cette note et dans les notes cliniques subséquentes, le Dr Winter a documenté plusieurs autres problèmes de santé qui étaient de possibles manifestations de l’anxiété de l’appelant, y compris l’alopécie (perte de cheveux diffuse), les migraines et l’alcoolismeNote de bas de page 13.

[28] Peu de temps après avoir commencé à voir l’appelant, le Dr Winter l’a envoyé consulter un psychiatre, le Dr Nasri, qui a préparé un rapport d’évaluation initial daté du 30 octobre 2014Note de bas de page 14. Dans ce rapport, le Dr Nasri a rapporté les antécédents de l’appelant liés à l’anxiété sociale et aux crises de panique irrégulières. Le Dr Nasri a noté que les résultats de l’appelant aux autoévaluations sur l’anxiété et la dépression étaient relativement faiblesNote de bas de page 15. Toutefois, le Dr Nasri a bel et bien diagnostiqué un trouble anxieux chez l’appelant et il lui a attribué une cote d’évaluation globale du fonctionnement de 52, ce qui correspond à des symptômes modérés.

[29] Pour quelque raison que ce soit, le Dr Nasri n’a vu l’appelant qu’une seule fois. Un peu plus tard, après que l’appelant a présenté une demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, le Dr Winter a tenté de réfuter les conclusions antérieures du Dr Nasri, en insistant que la gravité de l’anxiété de l’appelant avait été sous-estimée à l’époqueNote de bas de page 16.

[30] Le Dr Nasri et le Dr Winter ont convenu tous les deux que l’appelant était atteint d’anxiété et de dépression, bien que leur opinion divergeait sur le degré de gravité. Tout bien considéré, je suis porté à accorder plus d’importance à l’opinion du Dr Winter, même s’il est un omnipraticien sans formation en santé mentale. Je note que l’opinion du Dr Winter, bien qu’elle ait été exprimée dans un contexte médico-légal, est généralement conforme à ses notes cliniques antérieures, qui décrivent une personne en proie à l’anxiété et à une foule de symptômes connexes. En outre, je ne suis pas certain si l’appelant a été entièrement franc avec le Dr Nasri dans ce qui était, après tout, une consultation initiale. Le Dr Nasri a écrit que l’appelant lui avait dit qu’il buvait une bière à l’occasion en écoutant le sport; en revanche, le Dr Winter a noté une consommation d’alcool considérablement plus élevée moins de deux ans plus tard (24 bières, 40 onces de whisky et trois bouteilles de vin par semaine).

(ii) L’appelant a divers problèmes de santé dont l’effet combiné est invalidant.

[31] En évaluant l’invalidité de l’appelant, son anxiété ne peut être considérée indépendamment de ses autres problèmes de santé ou de sa personnalité. L’arrêt clé quant au sens du terme « grave » est Villani c CanadaNote de bas de page 17, qui exige que le Tribunal apprécie l’invalidité en tenant compte de la [traduction] « personne entière » dans un contexte « réaliste ». L’employabilité n’est pas un concept qui se prête à l’abstraction. Elle doit plutôt être évaluée eu égard à [traduction] « toutes les circonstances ». Ces circonstances appartiennent à l’une ou à l’autre des deux catégories suivantes :

a) l’état de santé de la partie requérante – il s’agit d’une vaste enquête, qui nécessite d’évaluer l’état de la partie requérante dans son ensemble;

b) les antécédents de la partie requérante – comme [traduction] « l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents professionnels et l’expérience de vie » – sont pertinents.

[32] Le premier point a été consolidé par l’arrêt Bungay c CanadaNote de bas de page 18, qui a établi que toutes les déficiences d’une partie requérante pouvant avoir une incidence sur son employabilité doivent être examinées, pas seulement les déficiences les plus importantes ou la déficience principale. Cette approche cadre avec l’article 68(1) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada, qui prévoit que la partie requérante doit fournir des renseignements très particuliers sur « toute invalidité physique ou mentale », pas seulement ce qu’elle estime être la déficience dominante.

[33] Comme il a déjà été noté, il existe un élément de preuve pour appuyer les allégations de l’appelant selon lesquelles il éprouvait une douleur au cou en date de sa PMA : en mai 2017, bien avant de présenter une demande de prestations d’invalidité, l’appelant a précisé au Dr Winter qu’il avait subi une blessure à la colonne cervicale à la suite d’un accident de voitureNote de bas de page 19. Bien que cela ne soit pas appuyé par un document primaire, j’estime que le rapport de cette blessure est fiable et que les symptômes résiduels de cette blessure (douleur occasionnelle au cou, migraines récurrentes) auraient vraisemblablement contribué à l’invalidité de l’appelant. Dans une note clinique de février 2016Note de bas de page 20, le Dr Winter a noté que les crises de panique de l’appelant l’obligeaient généralement à s’étendre sur le dos pendant quelques jours. Cela, combiné à sa douleur au cou, à ses migraines et à son anxiété sociale globale, empêcherait l’appelant d’offrir le type de rendement régulier que la plupart des employeurs exigent.

[34] L’appelant possède une bonne éducation et une expérience professionnelle de haut niveau, des atouts qui lui permettraient normalement d’être en bonne posture sur le marché du travail. Toutefois, il était dans la mi-cinquantaine à la fin de sa PMA, ce qui est bien au-delà de ce que la plupart des employeurs considéreraient comme l’âge le plus actif. Cela, combiné à ses problèmes psychologiques et physiques documentés, a bel et bien rendu l’appelant inemployable.

(iii) L’appelant s’était conformé raisonnablement aux recommandations de traitement.

[35] Contrairement à la division générale, j’estime que l’appelant a pris des mesures raisonnables pour atténuer ses détériorations par un traitement. Une personne à qui on a diagnostiqué un trouble anxieux social et une agoraphobie est moins susceptible de chercher activement une aide médicale, mais rien au dossier ne me permet de croire que l’appelant a déjà refusé de suivre des conseils d’ordre médical. Il a essayé divers médicaments contre la dépression et l’anxiété. Après avoir changé de médecin de famille, l’appelant a consulté tous les spécialistes que le Dr Winter lui a recommandés. Il est vrai que l’appelant n’a pas essayé la TSS comme lui avait suggéré le Dr Nasri, mais j’accepte le fait qu’il n’avait pas les ressources financières nécessaires pour suivre le traitement en 2014. Il a reçu son indemnité de départ d’X neuf ans plus tôt, et le dossier montre qu’il a divorcé en 2013, puis qu’il est retourné vivre avec sa mère peu de temps après dans sa ville natale. Tous ces facteurs donnent de la crédibilité à ses allégations de pauvreté.

(iv) Le témoignage de l’appelant était convaincant et crédible.

[36] Le témoignage de l’appelant devant la division générale, la franchise qui s’en dégageait et sa description de ses symptômes et de leurs effets sur sa capacité à fonctionner dans un milieu professionnel étaient crédibles. L’appelant a parlé de ses dernières années chez X, alors qu’il se sentait de plus en plus nerveux lors de réunions de plus de quatre personnes. Il a commencé à ne pas respecter les délais, puis à s’absenter du travail en moyenne une fois par semaine. Vers la fin, il devait se soumettre à des entretiens individuels réguliers avec son gestionnaire, ce qui n’avait jamais été exigé depuis plus de vingt ans passés avec l’entreprise. Finalement, il a été mis à pied en même temps que plusieurs autres collègues. On ne lui a fourni aucune explication pour justifier son licenciement, mais il a la certitude qu’elle est liée à sa baisse de productivité.

[37] L’appelant a également décrit ses tentatives de trouver un emploi, bien qu’aucune d’entre elles n’a porté fruit. Il est vrai qu’il a limité sa recherche à des emplois compatibles avec son éducation et son expérience, mais je doute qu’il puisse être capable d’occuper n’importe quel emploi, compte tenu de sa faible tolérance au stress. Il a déclaré qu’il souhaitait travailler, mais a reconnu que ses détériorations psychologiques limitaient le nombre et le type d’emplois auxquels il pouvait avoir accès. Il a déclaré à la division générale qu’à un moment donné, il avait considéré un emploi qui lui aurait permis de travailler principalement à partir de la maison. Il demeure finalement qu’il n’a pas été embauché parce qu’il avait tardé à présenter une évaluation préalable. Toutefois, même s’il avait obtenu l’emploi, je me demande s’il aurait été capable de le maintenir, comme il ne peut pas travailler tous les jours et a de la difficulté à respecter les délais.

[38] Très peu d’emplois offrent le type d’environnement flexible et sans stress que l’appelant semble avoir besoin. Compte tenu de la réalité du marché du travail, je suis convaincu que l’appelant n’a pas la capacité résiduelle de trouver un autre emploi.

(v) L’appelant a de solides antécédents professionnels.

[39] Le registre des gains de l’appelantNote de bas de page 21 montre qu’il a travaillé pendant près de 30 années consécutives. Pendant 23 de ces années, il a travaillé pour une multinationale où il était un professionnel technique bien rémunéré. Puis les choses ont commencé à se gâter. En 2005, il a été congédié de son emploi et n’a pas travaillé depuis. Son mariage s’est effondré. Il prend maintenant une série de médicaments psychotropes.

[40] Quelque chose a provoqué ces renversements. L’appelant prétend qu’il était atteint d’un trouble anxieux invalidant, et je suis enclin à le croire. On peut supposer qu’une personne ayant un dossier professionnel aussi solide que celui de l’appelant n’aurait pas quitté le marché du travail sans l’existence d’importantes causes sous-jacentes.

L’appelant est-il atteint d’une invalidité prolongée?

[41] Le témoignage de l’appelant, corroboré par les rapports médicaux, indique qu’il est atteint d’anxiété invalidante depuis le début des années 2000. Le traitement n’a produit qu’un effet limité, et l’appelant est devenu effectivement inemployable. Il est difficile de juger si sa santé s’améliorera considérablement, même s’il commençait le counseling ou un autre type de thérapie. À mon avis, ces facteurs qualifient l’invalidité de l’appelant de prolongée.

Conclusion

[42] J’accueille l’appel. La division générale a fondé sa décision sur des conclusions erronées selon lesquelles l’appelant aurait refusé déraisonnablement des conseils liés à un traitement et n’aurait pas eu une douleur au cou en date de sa PMA. Ayant décidé qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve au dossier pour me permettre de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre, j’estime que l’appelant est atteint d’une invalidité qui est devenue grave et prolongée en juillet 2005, le mois au cours duquel il a été congédié par X. Conformément à l’article 42(2)(b) du RPC, une personne ne peut être réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de 15 mois à la date à laquelle le ministre a reçu sa demande de pension d’invalidité. En l’espèce, le ministre a reçu la demande en mars 2016; par conséquent, l’appelant est réputé avoir été invalide en décembre 2014. Selon l’article 69 du RPC, la pension d’invalidité est payable à compter du quatrième mois qui suit la date du début de l’invalidité réputée. La pension d’invalidité de l’appelant doit donc commencer en avril 2015.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 1er avril 2019

Téléconférence

R. S., appelant
Alexandra Victoros, représentante de l’appelant
Sandra Doucette, représentante de l’intimé

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