Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – La division générale a commis une erreur de droit en déterminant que la preuve était insuffisante pour trancher les contestations constitutionnelles du prestataire – La division d’appel a conclu que lorsque l’ensemble de la preuve et des arguments est pris en considération, le RPC ne contrevient ni à la Charte, ni à la Loi constitutionnelle de 1867, ni à la Déclaration canadienne des droits – Le prestataire a affirmé que les dispositions du RPC en matière de partage des crédits contreviennent à la Loi constitutionnelle de 1867, car cette loi prévoit clairement que les droits de propriété relèvent de la compétence exclusive des provinces – Le prestataire a fait valoir qu’étant donné que le programme du RPC n’autorise aucune audience avant le partage des crédits accumulés durant un mariage, les articles 1(a), 1(b) et 2(b) de la Déclaration canadienne des droits ont été enfreints – Le prestataire a soutenu que les dispositions du RPC en matière de partage des crédits contreviennent à l’article 8 de la Charte.

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Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] C. R. (requérant) s’est marié en 1973, s’est séparé en 1993 et a divorcé en 1997. Son ex-épouse a présenté une demande de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension (partage des crédits) en 1994, ce qui a été fait. Le requérant a demandé l’annulation du partage des crédits en 2014. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande. Le requérant a interjeté appel de cette décision devant le Tribunal et a soutenu que les dispositions applicables du Régime de pensions du Canada (RPC) transgressent les articles 8 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration canadienne des droits, et qu’elles ne relèvent pas de la compétence du gouvernement fédéral sous le régime de la Loi constitutionnelle de 1867.

[3] La division générale du Tribunal a rejeté l’appel, après avoir déterminé que les dispositions applicables ne transgressaient pas l’article 15 de la Charte et avoir estimé que le requérant n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer son affirmation selon laquelle l’article 8 de la Charte ou la Déclaration canadienne des droits avaient été transgressés ou que les dispositions législatives ne relevaient pas de la compétence fédérale.

[4] La permission d’en appeler a été accordée, car l’appel avait une chance raisonnable de succès pour le motif que la division générale pourrait avoir fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée qu’elle aurait tirée sans tenir compte de tous les éléments portés à sa connaissance. La division générale n’a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée. Toutefois, elle a commis une erreur de droit lorsqu’elle a décidé qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour que les demandes de nature constitutionnelle soient tranchées. Malgré cela, après avoir examiné tous les éléments de preuve et les arguments, j’en arrive à la même conclusion, selon laquelle le RPC ne contrevient pas à la Charte, à la Loi constitutionnelle de 1867 ni à la Déclaration canadienne des droits. Par conséquent, l’appel est rejeté.

Questions préliminaires

[5] Le requérant n’a pas signifié au procureur général du Canada ou aux procureurs généraux des provinces un avis de question constitutionnelle avant l’instruction de l’appel. Je lui ai donné l’occasion de le faire après l’instruction. Le requérant a alors signifié l’avis à tous les procureurs généraux, mais aucun n’a déclaré qu’il participerait à l’appel.

[6] Le requérant affirme dans des documents qu’il a déposés devant le Tribunal qu’il ne porte pas en appel la décision de la division générale concernant l’article 15 de la CharteNote de bas de page 1. Durant l’audience de la division d’appel, le requérant a de nouveau confirmé qu’il ne poursuivait pas l’appel pour ce motif. Aucune des parties n’a donc présenté d’observation sur cette question, et elle ne fait pas partie du présent appel.

Questions en litige

[7] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée parce que les affirmations faites aux paragraphes 1 et 23 de la décision sont incohérentes?

[8] La division générale a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée selon laquelle les parties auraient convenu d’un partage des crédits?

[9] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit parce qu’elle n’aurait pas tenu compte de décisions qui confirment que les pensions constituent un bien?

[10] La division générale a-t-elle erré selon la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS) parce qu’elle aurait présenté incorrectement les questions qui lui ont été présentées?

[11] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit parce qu’elle n’aurait pas déterminé si les dispositions du RPC sur le partage des crédits transgressent l’article 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867?

[12] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit parce qu’elle n’aurait pas déterminé si les dispositions du RPC sur le partage des crédits transgressent la Déclaration canadienne des droits?

Analyse

[13] La Loi sur le MEDS régit le fonctionnement du Tribunal. Elle n’énonce que trois moyens d’appel que la division d’appel peut prendre en considération. Ces moyens d’appel sont les suivants : la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur de compétence; elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit; elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissanceNote de bas de page 2. Les arguments du requérant sont pris en considération dans ce contexte ci-dessous.

[14] Le requérant soutient que la division générale a fondé sa décision sur de nombreuses conclusions de fait erronées. Pour qu’un appel soit accueilli sur la base d’une conclusion de fait erronée, la partie requérante doit prouver trois choses : la conclusion de fait était erronée (tirée de façon erronée); la conclusion de fait a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à la connaissance de la division générale; et la décision de celle-ci était fondée sur cette conclusion de faitNote de bas de page 3.

Question en litige no 1 : Affirmations incohérentes dans la décision

[15] La première conclusion de fait qui serait erronée selon le requérant est liée aux affirmations contradictoires faites aux paragraphes 1 et 23 de la décision. Au paragraphe 1, la division générale affirme que le droit ne permet pas la restitution de crédits de pensions que le requérant a demandée. Au paragraphe 23, elle affirme la même chose, puis déclare que [traduction] « [le requérant] pourrait avoir gain de cause seulement s’il pouvait démontrer que les dispositions applicables transgressent ses droits garantis par la Charte ».

[16] Cependant, ces affirmations ne sont pas incohérentes. Il est vrai que le RPC ne permet la restitution de crédits de pensions après un partage des crédits. Il est aussi vrai que la seule façon pour le requérant d’obtenir une réparation serait qu’il réussisse à démontrer que les dispositions du RPC qui permettent le partage des crédits sont inconstitutionnelles. Par conséquent, les conclusions de fait de la division générale à cet égard ne sont pas erronées, et l’appel ne peut être accueilli sur ce fondement.

Question en litige no 2 : Entente donnant lieu à un partage des crédits

[17] Le requérant soutient également que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée voulant que son ex-épouse et lui auraient convenu de partager leurs crédits du RPC au titre de la loi. Il fait valoir qu’il n’a pas accepté que cela se fasse; son avocat lui a dit qu’il n’avait d’autre choix que de laisser le partage se faire. Toutefois, la division générale affirme ce qui suit dans sa décision : [traduction] « L’entente de [séparation] mentionnait que cela avait été fait sous le régime de la loi de la Province de l’Ontario. Les cotisations au RPC des ex-époux seraient partagées conformément au droit applicableNote de bas de page 4. » Le requérant a signé l’entente. Cela démontre qu’il en a accepté les modalités.

[18] De plus, la division générale n’a pas fondé sa décision sur le libellé de l’entente de séparation du requérant.

[19] L’appel ne peut donc être accueilli sur ce fondement.

Question en litige no 3 : Omission de déterminer si les pensions constituent un bien

[20] En outre, le requérant affirme que la division générale n’a pas tenu compte des nombreux documents qu’il avait présentés afin d’établir que les crédits du RPC constituent un bien. Ces documents comprenaient : des décisions dans des affaires en droit de la famille qui confirmaient que les pensions sont un bien qui est sujet au partage dans un litige matrimonial; des articles spécialisés sur cette question; et des définitions de dictionnaires des termes anglais « tangible » [bien matériel] et « intangible property » [bien immatériel]Note de bas de page 5. Ces documents ne sont pas mentionnés précisément dans la décision de la division générale. Toutefois, ils ne constituent pas des éléments de preuve, mais font plutôt partie des observations présentées par le requérant. La division générale a tenu compte de ses observations lorsqu’elle a rendu sa décision. De plus, il est présumé que la division générale a tenu compte de l’ensemble de la preuve qui a été portée à sa connaissance. Il n’est pas nécessaire de mentionner chaque élément de preuve et chaque argument dans la décision écriteNote de bas de page 6. Par conséquent, le simple fait que la division générale n’a pas mentionné précisément ces renseignements ne démontre pas que la division générale a erré.

[21] Par ailleurs, la nature des crédits du RPC, qu’ils constituent ou non un bien, ne représentait pas une question dont la division générale était saisie. Le ministre a convenu que les crédits du RPC constituent un bien. La division générale ne devait pas se prononcer sur la nature des cotisations au RPC en tant que bien, mais plutôt sur la question de savoir si le partage des crédits du RPCNote de bas de page 7 était inconstitutionnel ou transgressait la Déclaration canadienne des droits. La division générale n’a donc pas erré lorsqu’elle a omis de mentionner la nature des crédits du RPC. L’appel ne peut être accueilli sur ce fondement.

Question en litige no 4 : Présentation des questions en litige

[22] Le requérant fait valoir également que la division générale a erré lorsqu’elle a présenté les questions dont elle était saisie. La décision énonce ce qui suit :

[traduction]

Les questions dont les parties ont traité dans leur preuve et leurs observations peuvent être décrites comme suit :

1. Les dispositions relatives au partage des crédits sont-elles ultra vires parce que les crédits de pensions constituent un bien et la propriété relève de la compétence exclusive des provinces?

2. Le partage des crédits transgresse-t-il la Déclaration canadienne des droits, car il entraîne une perte de biens de façon contraire à l’application de la loi?

3. Le fait que le partage des crédits soit obligatoire constitue-t-il une saisie abusive et, par conséquent, cela transgresse-t-il l’article 8 de la Charte?

4. Le partage des crédits transgresse-t-il les droits à l’égalité de l’appelant garantis par l’article 15 de la Charte?Note de bas de page 8

Le prestataire soutient que les questions 1 et 2 sont mal présentées et que la division générale aurait dû plutôt déterminer ce qui suit : 1. Si les articles 55 et 55.2Note de bas de page 9 transgressent l’article 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867; 2. Si ces articles transgressent les articles 1(a), 1(b) et 2(b) de la Déclaration canadienne des droits.

[23] L’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que chaque province peut exclusivement faire des lois relatives à un certain nombre de sujets énumérés. Le 13e sujet est la propriété et les droits civils dans la province. La façon dont la question 1 a été présentée par la division générale, qui fait référence à la question de savoir si le partage des crédits relève de la compétence provinciale parce qu’il concerne la propriété, est équivalente. La présentation de cette question n’est donc pas erronée.

[24] La Déclaration canadienne des droits énonce ce qui suit :

  1. 1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe :
    1. a) le droit de l’individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu’à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi;
  2. 2. Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme [...]
    1. b) infligeant des peines ou traitements cruels et inusités, ou comme en autorisant l’imposition;

La division générale a présenté la question 2 dont elle était saisie comme visant à déterminer si le partage des crédits transgressait la Déclaration canadienne des droits, car il entraîne une perte de jouissance des biens de façon contraire à l’application régulière de la loi. Il s’agit d’un résumé des droits garantis par les articles de la Déclaration auxquels le requérant fait référence. Par conséquent, la division générale n’a pas erré dans sa manière de présenter cette question.

[25] L’appel ne saurait être accueilli sur le fondement de cet argument.

Question en litige no 5 : Transgression de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la Déclaration canadienne des droits

[26] J’ai examiné le dossier écrit, y compris les observations écrites que le requérant a présentées à la division générale. Le requérant a fourni des éléments de preuve relatifs à son mariage et à sa séparation, ainsi qu’à la somme qui a été déduite de sa pension en raison du partage des créditsNote de bas de page 10. Il a aussi déposé un grand nombre de cas de jurisprudence, ainsi que d’autres documents pour appuyer sa demande (y compris des articles spécialisés et des définitions de dictionnaires). Il est clair d’après ces documents que l’un des arguments principaux du requérant devant la division générale était que le gouvernement fédéral n’avait pas la compétence d’appliquer les dispositions du RPC portant sur le partage des crédits et que ces dispositions transgressaient la Déclaration canadienne des droits et la Charte. La division générale a rejeté ces affirmations, en mentionnant seulement que le requérant n’avait pas présenté assez d’éléments de preuve pour les appuyerNote de bas de page 11. La décision ne souligne nullement quels éléments de preuve seraient nécessaires pour le faire ni la raison pour laquelle ce que le requérant a fourni était insuffisant.

[27] L’avocat du ministre soutient que la preuve constitue des [traduction] « faits » et qu’aucun des faits portés à la connaissance de la division générale ne pouvait lui être utile pour trancher la question. Toutefois, les faits sont simples : le requérant s’est marié en 1973, il s’est séparé en 1993 et un partage des crédits a été effectué en 2014. Cela a fait en sorte que le requérant a touché une pension de retraite du RPC réduite. Les éléments et arguments additionnels que le requérant a présentés pour appuyer ses affirmations suffisaient pour qu’une décision soit rendue. Toutefois, la décision de la division générale ne mentionne aucunement les articles spécialisés ou les arguments du requérant selon lesquels les crédits du RPC constituent un bien et que leur partage à la fin d’un mariage relève réellement de la compétence provinciale. Elle ne donne aucune raison pour laquelle ces sujets n’ont pas été abordés. Le fait qu’ils n’ont pas été abordés constitue une erreur de droit. Par conséquent, la division générale a erré selon la Loi sur le MEDS et la division d’appel devrait intervenir.

Réparation

[28] La Loi sur le MEDS prévoit les réparations que la division d’appel peut accorder lorsqu’un moyen d’appel a été établi. Ces mesures comprennent le fait de rendre la décision que la division d’appel aurait dû rendreNote de bas de page 12. La Loi sur le MEDS confère aussi au Tribunal le pouvoir de trancher les questions de droit et de fait nécessaires pour statuer sur un appelNote de bas de page 13. J’ai examiné le dossier et j’ai écouté les observations des parties. Le dossier dont je suis saisie est complet. Les faits ne sont pas contestés.

[29] De plus, le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale prévoit que l’instance se conclut de la manière la plus expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettentNote de bas de page 14. Le requérant a demandé l’annulation du partage des crédits en 2014, soit il y a près de cinq ans. Si cette affaire était renvoyée à la division générale pour réexamen, il y aurait d’autres délais.

[30] Il est donc approprié que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre.

[31] L’erreur commise par la division générale est qu’elle n’a pas déterminé si les dispositions du RPC concernant le partage des crédits transgressent la Loi constitutionnelle de 1867, la Déclaration canadienne des droits ou l’article 8 de la Charte. Ces questions sont examinées ci-dessous.

La Loi constitutionnelle de 1867

[32] Le requérant soutient que les dispositions du RPC relatives au partage des crédits transgressent la Loi constitutionnelle de 1867 parce que cette loi prévoit clairement que les droits liés à la propriété font partie de la compétence exclusive des provinces. Toutefois, la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit une exception à cette disposition. Elle mentionne ce qui suit :

Le Parlement du Canada peut légiférer sur les pensions de vieillesse et prestations additionnelles, y compris des prestations aux survivants et aux invalides sans égard à leur âge, mais aucune loi ainsi édictée ne doit porter atteinte à l’application de quelque loi présente ou future d’une législature provinciale en ces matières.

Cela signifie que, même si les droits de propriété relèvent de la compétence des provinces, le gouvernement fédéral peut aussi adopter des lois sur les pensions de vieillesse et les prestations supplémentaires. C’est ce que le RPC représente. Par conséquent, à première vue, le gouvernement fédéral avait l’autorité constitutionnelle pour adopter le RPC et n’a donc pas transgressé la Loi constitutionnelle de 1867.

[33] Toutefois, si je me trompe à ce sujet, je dois évaluer le caractère véritable de la loiNote de bas de page 15, c’est-à-dire l’objectif et les effets des dispositions du RPC relatives au partage des crédits.

[34] L’objectif des dispositions concernant le partage des crédits est d’équilibrer, au moment du divorce, les cotisations versées par les époux au RPC et d’assurer que les époux qui ont versé moins de cotisations durant le mariage, ou qui n’en ont versé aucune, bénéficient à parts égales des cotisations versées au RPC durant le mariage. L’intention de la loi est de reconnaître la contribution du travail non rémunéré au sein de la familleNote de bas de page 16. Il est clair que la loi ne transgresse pas la compétence des provinces relative à l’adoption de lois provinciales sur les pensions de vieillesse et les prestations supplémentaires.

[35] La loi a pour effet de diviser les crédits de pensions du RPC accumulés par les deux époux au moment de la fin de leur mariage et d’assurer que leurs cotisations sont équilibrées au moment du divorce, afin de reconnaître les contributions financières et non financières durant la relation. Le RPC donne aux provinces l’option de ne pas participer au régime obligatoire de partage des crédits. Certaines provinces ont choisi de ne pas y participer, mais ce n’est pas le cas de l’Ontario (dont il est question dans cette cause). Par conséquent, encore une fois, le RPC ne transgresse pas la compétence provinciale de légiférer sur la propriété.

[36] La Commission d’appel des pensions l’a confirmé dans la décision BlackwoodNote de bas de page 17, lorsqu’elle a déterminé précisément si l’un des deux ex-époux pouvait demander le partage des crédits en dépit d’une entente de séparation qui énonçait que les parties ne pouvaient pas le faire. Le tribunal a décidé que le pouvoir du gouvernement fédéral d’adopter les dispositions du RPC relatives au partage des crédits tirait son origine de l’article 94A de la Loi constitutionnelle de 1867. Le tribunal a conclu que le fait de donner l’option aux provinces de ne pas participer au régime de partage des crédits permettait d’éviter tout conflit entre les lois provinciales et fédérales.

[37] Par conséquent, la Loi constitutionnelle de 1867 n’a subi aucune transgression et l’appel ne peut être accueilli sur ce fondement.

La Déclaration canadienne des droits

[38] Le requérant soutient que, comme le programme de RPC n’autorise pas la tenue d’audiences avant le partage des crédits accumulés durant un mariage, les articles 1(a), 1(b) et 2(b) de la Déclaration canadienne des droits ont été transgressés. L’article 1 énonce ce qui suit :

Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe :

a) le droit de l’individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu’à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi;

b) le droit de l’individu à l’égalité devant la loi et à la protection de la loi;

Le requérant fait valoir que, comme il n’a pas eu l’occasion de s’opposer au partage des crédits, certains de ses crédits du RPC lui ont été [traduction] « enlevés » de façon contraire à l’application régulière de la loi, ce qui a entraîné une perte de jouissance de ses biens. Cependant, selon la Cour suprême du Canada, la Déclaration canadienne des droits protège seulement les droits qui existaient au moment de son adoption en 1960Note de bas de page 18. Le RPC a été adopté en 1967; à cette époque, il n’existait donc aucun droit relatif au partage des crédits du RPC. Par conséquent, la Déclaration canadienne des droits n’aide aucunement le requérant.

[39] Le requérant affirme aussi qu’il aurait dû avoir l’occasion de participer à une audience avant d’être privé de crédits du RPC au moyen du partage des crédits. Cependant, l’application régulière de la loi et les principes de la justice fondamentale n’exigent pas qu’une audience soit tenue dans tous les casNote de bas de page 19. Ce qui est requis dépend de la nature de la décision à rendre et du processus à suivre pour le faireNote de bas de page 20.

[40] Les principes de la justice fondamentale visent à assurer qu’une partie touchée par une loi ait l’occasion de connaître et comprendre la loi, et que cette loi soit appliquée équitablement. Le requérant n’a présenté aucun élément de preuve qui porte à croire que ces principes n’auraient pas été respectés. Il savait que tous les crédits du RPC que son ex-épouse et lui avaient accumulé au cours de leur mariage seraient partagés également. Si une erreur de calcul a été commise, il pouvait demander une correction. Il n’a pas eu l’occasion de participer à une audience sur cette question précise, mais cela n’est pas nécessaire pour qu’il y ait une application régulière de la loi.

[41] Par conséquent, il n’y a eu aucune transgression de l’article 1 de la Déclaration canadienne des droits.

L’article 2 de la Déclaration canadienne des droits énonce ce qui suit :

Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme

  1. a) autorisant ou prononçant la détention, l’emprisonnement ou l’exil arbitraires de qui que ce soit;
  2. b) infligeant des peines ou traitements cruels et inusités, ou comme en autorisant l’imposition;
  3. c) privant une personne arrêtée ou détenue
    1. (i) du droit d’être promptement informée des motifs de son arrestation ou de sa détention,
    2. (ii) du droit de retenir et constituer un avocat sans délai, ou
    3. (iii) du recours par voie d’habeas corpus pour qu’il soit jugé de la validité de sa détention et que sa libération soit ordonnée si la détention n’est pas légale;
  4. d) autorisant une cour, un tribunal, une commission, un office, un conseil ou une autre autorité à contraindre une personne à témoigner si on lui refuse le secours d’un avocat, la protection contre son propre témoignage ou l’exercice de toute garantie d’ordre constitutionnel;
  5. e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
  6. f) privant une personne accusée d’un acte criminel du droit à la présomption d’innocence jusqu’à ce que la preuve de sa culpabilité ait été établie en conformité de la loi, après une audition impartiale et publique de sa cause par un tribunal indépendant et non préjugé, ou la privant sans juste cause du droit à un cautionnement raisonnable; ou
  7. g) privant une personne du droit à l’assistance d’un interprète dans des procédures où elle est mise en cause ou est partie ou témoin, devant une cour, une commission, un office, un conseil ou autre tribunal, si elle ne comprend ou ne parle pas la langue dans laquelle se déroulent ces procédures.

[42] Le sens de l’article 2(b) doit être compris selon la terminologie du contexte. Cet article fait partie de la section de la Déclaration canadienne des droits qui porte sur les droits qui sont garantis aux personnes qui sont engagées dans le processus judiciaire au criminel, et non à celles pour qui l’application de la loi a eu une incidence sur leur situation financière. Il n’y a eu aucune transgression à cet article de la Déclaration canadienne des droits, car celle-ci ne s’applique pas dans cette situation.

[43] En outre, aucun des éléments portés à ma connaissance ne laisse croire que des peines ou traitements cruels ou inusités ont été infligés à quiconque. Le requérant n’a pas été traité différemment des autres époux séparés ou divorcés dont les crédits du RPC ont été partagés conformément à la loi.

[44] Par conséquent, les dispositions du RPC portant sur le partage de crédits ne transgressent pas la Déclaration canadienne des droits.

La charte

[45] Le requérant prétend que les dispositions du RPC relatives au partage des crédits transgressent l’article 8 de la Charte. Cet article de la Charte énonce que chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. L’objectif de cet article est de protéger l’attente raisonnable en matière de vie privéeNote de bas de page 21. De plus, selon la Cour suprême du Canada, lorsqu’un bien est saisi à la suite d’une action gouvernementale, pour des raisons autres qu’une enquête administrative ou criminelle, il ne s’agit pas d’une saisie au titre de la CharteNote de bas de page 22. Par conséquent, un bien doit avoir été saisi, alors qu’une enquête administrative ou criminelle se déroulait et avait une incidence en matière de vie privée, pour qu’une saisie au sens de la Charte ait eu lieu.

[46] En l’espèce, il n’y a eu aucune incidence sur la vie privée du requérant. Les crédits du RPC du requérant ont été créés par le gouvernement, qui a créé le programme et l’administre. Cette même entité gouvernementale a procédé au partage des crédits. Les attentes en matière de vie privée du requérant n’ont pas été compromises, car l’entité gouvernementale qui a procédé au partage des crédits connaissait déjà ses renseignements personnels.

[47] En outre, aucune enquête administrative ou criminelle n’était liée au partage des crédits. Les crédits que le requérant et son ex-épouse ont accumulés au cours de leur mariage ont été partagés conformément au RPC. Il n’y a donc pas eu de biens saisis.

[48] Par conséquent, la Charte n’a pas été transgressée.

Conclusion

[49] Bien que la division générale ait commis une erreur de droit lorsqu’elle a affirmé qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour appuyer les demandes du requérant au titre de la Loi constitutionnelle de 1867, de la Déclaration canadienne des droits ou de l’article 8 de la Charte, après avoir examiné toute la preuve et les observations, j’ai tiré la même conclusion que la division générale.

[50] L’appel est donc rejeté.

Date de l’audience :

Mode d’instruction :

Comparutions :

Le 24 avril 2019

Vidéoconférence

C. R., appelant
Marcus Dirnberger, avocat de l’intimé

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