Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – L’appel porte sur la détermination de la période de cohabitation entre la prestataire et la partie mise en cause aux fins du partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension – En mai 2017, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a ordonné à la partie mise en cause d’aviser le Régime de pensions du Canada que la date de la séparation était le 14 décembre 2012 – La partie mise en cause n’a pas respecté cette ordonnance – Étant donné que le ministre ne faisait pas partie de l’instance devant la Cour supérieure, la doctrine de la chose jugée (la règle selon laquelle une affaire jugée n'est plus susceptible de voie de recours) s’applique seulement à la prestataire et à la partie mise en cause – Toutefois, les principes à l’encontre d’abus de procédure et la règle concernant les contestations parallèles s’appliquent à toutes les parties – Il s’agirait d’un abus de procédure si la partie mise en cause était autorisée à faire valoir que la date de la séparation était avril 2007, après avoir consenti à une ordonnance de la cour d’aviser le Tribunal que la date de la séparation était en décembre 2012 – Elle contesterait parallèlement l’ordonnance d’une cour de juridiction compétente – Une telle contestation risquerait de déconsidérer l’administration de la justice.

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Décision

[1] J’ai déterminé que les principes de la chose jugée (l’affaire a déjà été tranchée), de l’abus de procédure et de la règle interdisant les pourvois accessoires s’appliquent. Cela signifie que le mis en cause (P. E.) ne peut pas prendre la position selon laquelle lui et la requérante (M. E.) se sont séparés en avril 2007.

Aperçu

[2] Cet appel concerne la détermination de la période de cohabitation entre M. E. et P. E. pour les besoins du partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension (PGNAP).

[3] En avril 2014, M. E. a présenté une demande de PGNAP relativement à sa période de cohabitation avec P. ENote de bas de page 1. Elle a affirmé qu’elle et P. E. se sont mariés en septembre 1995 et qu’ils se sont séparés en décembre 2012 lorsqu’elle a quitté le domicile conjugal. P. E. a pris la position selon laquelle ils s’étaient séparés en avril 2007, après quoi M. E. [traduction] « a vécu une vie complètement séparée » de lui et a déménagé dans un appartement au sous-sol du domicile conjugalNote de bas de page 2. Le ministre était en accord avec P. E. et a approuvé le PGNAP pour la période de 1995 à 2006. M. E. a demandé une révision de la période de cohabitation. Le ministre a rejeté cette demande et M. E. a interjeté appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[4] En mai 2017, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a ordonné à P. E. d’aviser le Régime de pensions du Canada (RPC) que la date de séparation était le 14 décembre 2012Note de bas de page 3. P. E. ne s’est pas conformé à cette ordonnance.

[5] En décembre 2017, la division générale a accueilli l’appel et a conclu que la période exacte de cohabitation était de septembre 1995 à décembre 2012. L’audience a été tenue par téléconférence et P. E. ne s’est pas présenté à l’audience. P. E. a interjeté appel devant la division d’appel.

[6] Le 16 janvier 2019, la division d’appel a accueilli l’appel et a renvoyé l’affaire à la division générale pour une révision. La division d’appel a déterminé que la division générale avait omis d’observer un principe de justice naturelle en tenant l’audience sans P. E.

[7] En mars 2019, j’ai demandé des observations notamment sur la question de savoir si les principes de la chose jugée, de l’abus de procédure et de la règle interdisant les pourvois accessoires s’appliquent compte tenu de la décision de mai 2017 de la Cour supérieureNote de bas de page 4. M. E. et le ministre estiment qu’ils s’appliquent. P. E. croit le contraire. Puisque j’ai déterminé que ces principes s’appliquent, il n’est pas nécessaire que j’entende une preuve orale concernant la date de la séparation.

[8] J’ai tranché cet appel en me fondant sur les documents et les observations au dossier étant donné qu’une autre audience n’est pas requise.

Question en litige

[9] Je dois déterminer si les principes de la chose jugée (l’affaire a déjà été tranchée), de l’abus de procédure et de la règle interdisant les pourvois accessoires empêchent P. E. de prendre la position selon laquelle la séparation a eu lieu en avril 2007.

Analyse

[10] J’ai déterminé que ces principes s’appliquent. Puisque le ministre n’était pas une partie en instance devant la Cour supérieure, le principe de la chose jugée s’applique uniquement à M. E. et P. E. Toutefois, les principes d’abus de procédure et la règle interdisant les pourvois accessoires s’appliquent à toutes les parties.

Le principe de la chose jugée s’applique à M. E. et P. E.

[11] Si une décision définitive a déjà été rendue sur une question, le principe de la chose jugée empêche cette question d’être jugée ou tranchée de nouveau.

Conditions préalables

[12] Il existe trois conditions préalables pour que le principe de la chose jugée s’applique :

  1. la question doit être la même que celle qui a été décidée dans la décision antérieure;
  2. la décision antérieure doit être définitive;
  3. les parties doivent être les mêmes dans les deux instances.

[13] Si l’on applique ces facteurs à la présente affaire :

  1. La question tranchée par la Cour supérieure est la même que celle dont je suis saisi, soit la date à laquelle P. E. et M. E. se sont séparés. P. E. a reçu l’ordonnance d’aviser le RPC que la date de la séparation était le 4 décembre 2012.
  2. La décision était définitive. La décision a été rendue en vertu du procès-verbal de transaction et aucune preuve ne démontre que l’une ou l’autre des parties a interjeté appel.
  3. M. E. et P. E. étaient des parties en instance devant la Cour supérieure et elles sont des parties en cette instance.

[14] J’estime que les trois conditions préalables de la chose jugée ont été remplies pour M. E. et P. E.

Circonstances particulières

[15] Toutefois, même si les trois conditions préalables ont été remplies, je dois tout de même déterminer, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, si le principe de la chose jugée devrait être appliquéNote de bas de page 5.

[16] Il existe une vaste liste d’éléments discrétionnaires dont il faut tenir compte au moment de déterminer si oui ou non il faut exercer sa discrétion. Parmi eux :

  1. le libellé du texte de loi accordant le pouvoir de rendre l’ordonnance administrative;
  2. l’objet de la loi;
  3. l’existence d’un droit d’appel;
  4. les garanties offertes aux parties dans le cadre de l’instance administrative;
  5. l’expertise du décideur initial;
  6. les circonstances ayant donné naissance à l’instance initiale;
  7. toute injustice potentielle.

[17] P. E. affirme qu’il a mal compris le sens de [traduction] « date de séparation » lorsqu’il a rempli les documents du tribunal de la famille. Il croyait que cela signifiait la date à laquelle la requérante a physiquement quitté l’appartement au sous-sol et non la date à laquelle elle y a déménagé. Il a commis cette erreur en raison du stress émotionnel, mental et financier causé par la procédure de divorce. Il ne s’est pas conformé à l’ordonnance de la cour parce qu’il ne voulait pas dire au Tribunal quelque chose d’inexactNote de bas de page 6.

[18] La position de P. E. n’est pas convaincante. Il était représenté par un avocat dans le cadre des instances judiciaires. L’ordonnance a été émise en vertu du procès-verbal de transaction auquel il a consenti. L’ordonnance exige qu’il avise le RPC que la date de la séparation était le 4 décembre 2012. S’il ne croyait pas que cette date était la date de séparation pour les besoins du RPC, il n’y a aucune raison plausible pour que le RPC soit avisé. Il a accepté les avantages liés au procès-verbal de transaction, mais il souhaite maintenant revenir sur une des modalités.

[19] De plus, P. E. a indiqué à plusieurs endroits dans les documents de la Cour que la date de séparation était en décembre 2012 :

  • Mémoire de conférence de gestion du procès : a couvert l’ensemble des coûts et des dépenses pour la période allant de la date de la séparation, soit le 4 décembre 2012, à la date de la vente du domicile conjugalNote de bas de page 7.
  • Mémoire de conférence de gestion du procès : la séparation a eu lieu le 14 décembre 2012, sans qu’il y ait de possibilité de réconciliationNote de bas de page 8.
  • Éléments de preuve qu’il planifie présenter au procès : a couvert l’ensemble des coûts et des dépenses liés au domicile conjugal de la date de la séparation, soit le 14 décembre 2012, au 18 décembre 2015Note de bas de page 9.
  • Faits incontestés : les parties se sont mariées le 23 septembre 1995 et elles se sont séparées le 14 décembre 2012Note de bas de page 10.
  • Offre de règlement : avisera le RPC que la date de séparation des parties était le 14 décembre 2012 dans les 15 jours suivant l’acceptationNote de bas de page 11.

[20] L’objectif de l’exercice du pouvoir discrétionnaire est de faire en sorte que l’application du principe de la chose jugée favorise l’administration ordonnée de la justice, mais pas au prix d’une injustice dans une affaire donnée.

[21] Les parties à un litige familial sont encouragées à résoudre toute question en suspens afin de favoriser l’administration ordonnée de la justice. En l’absence de circonstances particulières, P. E. ne devrait pas pouvoir ignorer une ordonnance de la Cour émise dans le cadre d’une entente qu’il a conclue avec le bénéfice d’un avis juridique. S’il pouvait le faire en l’espèce, cela aboutirait à une injustice à l’égard de M. E. et non de lui.

[22] J’estime qu’il n’y a pas de circonstances particulières qui feraient en sorte que l’appel fasse exception à la doctrine de la chose jugée.

Les principes de l’abus de procédure et de la règle interdisant les pourvois accessoires s’appliquent à toutes les parties.

[23] Le principe de la chose jugée ne s’applique pas au ministre étant donné qu’il n’était pas une des parties en instance devant la Cour supérieure. Toutefois, le principe de l’abus de procédure et la règle interdisant les pourvois accessoires s’appliquent à toutes les parties. Ils empêchent P. E. de prendre la position selon laquelle la date de la séparation était en avril 2007 et non en décembre 2012.

[24] Le principe d’abus de procédure empêche la mauvaise utilisation de la procédure du Tribunal qui discréditerait l’administration de la justice. Je dispose d’un pouvoir discrétionnaire résiduel pour empêcher que l’affaire soit jugée de nouveau même si les trois conditions du principe de la chose jugée n’ont pas été remplies. Je dois procéder ainsi lorsqu’une instance porterait atteinte aux principes d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justiceNote de bas de page 12.

[25] La règle interdisant les pourvois accessoires protège le caractère définitif des litiges. Une ordonnance judiciaire rendue par un tribunal compétent ne doit pas être remise en question dans des instances subséquentesNote de bas de page 13. La procédure appropriée pour contester une ordonnance judiciaire est en interjetant appel ou en présentant une demande de contrôle judiciaire. Il n’est pas contesté que la Cour supérieure est un tribunal compétent. Il n’y a aucune preuve selon laquelle P. E. a contesté l’ordonnance de la Cour supérieure au moyen d’un appel ou d’un contrôle judiciaire.

[26] J’estime qu’il y aurait abus du processus du Tribunal si P. E. pouvait soutenir que la date de la séparation était en avril 2007 après qu’il a consenti à une ordonnance judiciaire d’aviser le Tribunal que la date de la séparation était en décembre 2012. Cela constituerait un pourvoi accessoire contre une ordonnance d’un tribunal compétent. Permettre un tel pourvoi accessoire discréditerait l’administration de la justiceNote de bas de page 14.

Conclusion

[27] Pour les besoins du PGNAP, la période de cohabitation était de septembre 1995 à décembre 2012.

[28] L’appel est accueilli.

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