Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – En 2005, le prestataire a bénéficié d’un partage de crédits entre lui et son épouse décédée selon les dispositions relatives au partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension (PGNAP). Après le décès de son épouse, le prestataire a présenté une demande de retour des crédits de pension qui avaient été transférés. Le ministre a rejeté sa demande, affirmant que le partage de crédits ouvrant droit à pension était permanent et était irréversible après le décès d’un conjoint. Le prestataire a interjeté appel de cette décision auprès de la division générale (DG), soutenant qu’elle portait atteinte à ses droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte). Il a affirmé être victime de discrimination en tant qu’ex-conjoint touchant le revenu le plus élevé et une pension réduite. La DG a rejeté la contestation du prestataire fondée sur la Charte. Le prestataire n’a pas été en mesure de prouver que les dispositions du RPC portaient atteinte à son droit à l’égalité en vertu de la Charte. Il n’a pas non plus démontré que ces dispositions créaient un désavantage en perpétuant un préjugé ou l’application de stéréotypes. La DG a appliqué la jurisprudence et a conclu que les dispositions n’étaient pas discriminatoires envers les conjoints touchant le revenu le plus élevé. Elle a également conclu que la perte de crédits de pension du prestataire ne le privait pas de ses droits économiques fondamentaux requis pour la survie humaine et protégés par la Charte. Après avoir rejeté l’argument fondé sur la Charte, la DG a donné au prestataire la chance d’expliquer pourquoi le reste de son appel ne devrait pas être rejeté de façon sommaire.

Contenu de la décision

Décision

[1] W. L. est le requérant en l’espèce. Il soutient que le ministre de l’Emploi et du Développement social a enfreint ses droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte). Je ne suis pas d’accord avec le requérant. Je rejette sa contestation fondée sur la Charte. J’examine également la possibilité de rejeter sommairement le reste de son appel. Les présents motifs expliquent pour quelles raisons.

Aperçu

[2] Le requérant a marié son ex-conjointe en juin 1966. Ils se sont séparés en septembre 1986Footnote 1. Ils ont divorcé en mai 2005Footnote 2.

[3] L’ex-conjointe du requérant a présenté une demande de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension (PGNAP) ou de partage des crédits de pension en vertu de l’article 55.1 du Régime de pensions du Canada (RPC) en août 2005. Le ministre a accueilli sa demande de partage des crédits de pension en novembre 2005, malgré les objections du requérant. La décision du ministre a eu pour effet de réduire la pension de retraite du RPC du requérant, pour passer de 544,11 $ à 427,20 $ par moisFootnote 3. Le requérant n’a pas présenté de demande de révision de la décision du ministre ou interjeté appel de cette décision auprès du Tribunal de la sécurité sociale.

[4] L’ex-conjointe du requérant est décédée en février 2015. Le requérant a présenté une demande de retour des crédits de pension qui avaient été transférés à son ex-conjointe en septembre 2015. Il a soutenu que son ex-conjointe n’avait jamais présenté de demande de pension de retraite du RPC à l’âge de 65 ans. Elle a continué de travailler à temps plein jusqu’au moment de son décès. Le requérant souhaitait qu’on lui rende ses crédits de pension, car ces derniers « n’étaient plus nécessaires [à son ex-conjointe] pour lui fournir des prestationsFootnote 4 ». Il a demandé un nouveau calcul de sa pension de retraite à compter de mars 2015, soit le mois suivant le décès de son ex-conjointe.

[5] Le ministre a rejeté la demande du requérant. Le ministre a informé le requérant que le partage des crédits de pension était permanent. Les crédits de pension ne sont pas des biens personnels qui peuvent être empruntés puis retournés à leur propriétaire par la suite. Le RPC ne permettait pas l’annulation du PGNAP après le décès d’un conjoint. Le RPC n’accordait pas non plus au ministre le pouvoir de faires des exceptions à cette règle généraleFootnote 5.

[6] Le requérant a demandé au ministre de réviser sa décision. Le ministre a rejeté la demande de révision du requérant. Le ministre a réitéré sa position selon laquelle le partage des crédits de pension était permanent et était irréversible après le décès d’un conjointFootnote 6.

[7] Le requérant a interjeté appel devant le Tribunal de la décision du ministre découlant de la révision. Il a écrit au Tribunal le 9 mai 2016, affirmant que la décision du ministre de ne pas lui redonner ses crédits de pension à la suite du décès de son ex-conjointe allait à l’encontre de ses droits prévus par la Charte. Il a soutenu que le fait de ne pas lui redonner ses crédits de pension était injuste et constituait une violation des principes de justice naturelle. Il a fait valoir qu’il avait perdu une partie de son revenu de pension en raison du partage des crédits de pension dont son ex-conjointe n’avait pas besoinFootnote 7.

[8] Le requérant a avisé le Tribunal le 26 juin 2016 du fait que le ministre avait enfreint les droits garantis par les articles 7 et 15 de la Charte. Il a fait valoir qu’il avait été victime de discrimination, car il était l’ex-conjoint qui touchait le revenu le plus élevé et une pension réduite, mais que le RPC ne traitait pas de la question du retour des crédits de pension. Il a soutenu qu’il était privé d’un actif auquel il a cotisé et qu’il a acquis, et ce, en raison des mesures prises par le ministreFootnote 8.

[9] Le requérant a rédigé un avis de contestation constitutionnelle le 28 septembre 2016. Il a affirmé que le ministre avait enfreint ses droits prévus par les articles 7 et 15 de la CharteFootnote 9.

Historique des procédures

[10] La division générale du Tribunal avait préalablement rejeté l’appel du requérant le 4 août 2017.

[11] Le requérant a interjeté appel de cette décision devant la division d’appel du Tribunal. La division d’appel a accueilli son appel parce que la division générale avait enfreint des principes de justice naturelle en procédant par téléconférence malgré la déficience auditive du requérant et en rejetant sommairement son appel sans préavis. La division d’appel a renvoyé l’affaire à la division générale, car le requérant n’avait pas eu l’occasion de défendre le bien-fondé de sa cause. La division d’appel a également déterminé qu’une audience orale était appropriée en raison de la déficience auditive du requérant. Le requérant a demandé qu’un membre différent de la division générale entende l’appel, car il avait de la difficulté à entendre les voix douces, et que toutes les communications lui soient envoyées par courriel.

[12] J’ai déterminé qu’une nouvelle audience orale n’était pas requise après avoir été saisi de l’appel en raison des observations détaillées qui se trouvaient déjà au dossier. J’ai déterminé que je pouvais traiter des questions d’ordre constitutionnel en l’espèce sous forme de questions et réponses. J’ai conclu qu’une audience tenue sous forme de questions et de réponses ne causait aucun préjudice au requérant en raison de sa déficience auditive.

[13] Le Tribunal a envoyé aux deux parties un avis d’audience au moyen de questions et de réponses le 21 septembre 2018. J’ai demandé au requérant s’il avait d’autres observations concernant les questions constitutionnelles liées à son appel et qui ne faisaient pas encore partie du dossier dont le Tribunal était saisiFootnote 10.

[14] J’ai reçu les observations du requérant le 14 novembre 2018 et celles du ministre le 17 janvier 2019. J’ai demandé aux parties de participer à une vidéoconférence le 19 janvier 2019 afin d’obtenir des précisions au sujet des questions en l’espèce. La [sic] a envoyé une lettre d’instructions le 29 janvier 2019 dans laquelle était établi un échéancier adressé aux parties et qui précisait les délais pour présenter les dossiers ainsi que les observations supplémentaires. J’ai avisé le requérant [traduction] « de faire son possible, car le Tribunal a la capacité de rejeter son appel s’il estime que les arguments qu’il présente ne sont pas fondésFootnote 11 ».

[15] J’ai reçu des observations détaillées des deux parties à la suite de la lettre d’instructions du 29 janvier 2019Footnote 12.

[16] J’ai décidé de rendre la décision de rejeter la contestation du requérant fondée sur la Charte, compte tenu des documents et des observations écrites.

[17] Maintenant, examinons pour quelles raisons je rejette l’appel du requérant fondé sur la Charte.

Observations des parties

[18] Le requérant a soutenu que son appel initial portait uniquement sur le caractère constitutionnel du PGNAP. Maintenant, il met l’accent sur la clause d’exclusion pour élever des enfants (CEEE) et son interaction avec la disposition sur le PGNAP. Il a soutenu que le PGNAP et la CEEE étaient discriminatoires envers le conjoint touchant le revenu le plus élevé en cas de rupture d’un mariage. Il a ensuite divisé les conjoints touchant le revenu le plus élevé en deux sous-groupes : état matrimonial et situation familiale. Il a affirmé que la CEEE ne s’appliquait pas aux couples mariés avec [sans] enfant, mais qu’elle s’appliquait aux couples mariés qui ont des enfants. Si la CEEE n’était pas appliquée au moment de faire le partage des crédits de pension, le conjoint touchant le revenu le plus élevé qui n’a pas accès à la CEEE est injustement pénalisé. Le requérant a soutenu avoir été injustement pénalisé parce que le ministre n’a pas appliqué la CEEE lors du calcul relatif au partage des crédits de pension. Il a fait valoir que le RPC ne mentionnait nullement où devaient aller les crédits de pension en cas de décès d’un conjoint. Il a affirmé que le conjoint touchant le revenu le plus élevé est privé de la pension qu’il a gagnée, et que le RPC était injustement enrichi, et ce, sans validité ni autorisation légale. Il a fait référence aux articles 7 et 15 de la Charte dans ses argumentsFootnote 13.

[19] Le ministre a fourni des observations au Tribunal le 17 janvier 2019. Le ministre a fait valoir que la Cour d’appel fédérale (CAF) a examiné le PGNAP et son interaction avec la CEEE dans l’arrêt intitulé RuncheyFootnote 14. L’appelant dans l’arrêt Runchey soutenait que l’interaction entre le PGNAP et la CEEE était discriminatoire envers les hommes, contrairement à la garantie constitutionnelle d’égalité prévue à l’article 15 de la Charte. Le ministre a soutenu que l’une des différences en l’espèce est que les allégations du requérant portaient sur l’état matrimonial et la situation familiale plutôt que sur le sexe. Cependant, la décision rendue dans l’arrêt Runchey qui maintenait le caractère constitutionnel du PGNAP et de la CEEE avait une valeur éminemment persuasive dans la présente affaireFootnote 15.

[20] Dans un courriel daté du 1er février 2019, le requérant a demandé au ministre de fournir les calculs relatifs au partage de crédits qui ont entrainé la réduction de sa pension de retraite du RPC. Il a demandé au ministre de confirmer l’admissibilité de son ex-conjointe à la CEEE et de refaire les calculs relatifs au partage des crédits après avoir appliqué la [traduction] « disposition d’attribution de gains pour l’éducation des enfants (DAGEP)Footnote 16 ».

[21] En réponse au courriel du requérant daté du 8 février 2019, le ministre a fourni au requérant une copie de la documentation liée au calcul du partage des crédits de pension. Le ministre était d’avis que l’application de la CEEE au partage des crédits n’était pas pertinente. Il était également d’avis que la DAGEP était entrée en vigueur après le décès de l’ex-conjointe du requérant, et que par conséquent, elle ne s’appliquait pas à sa cause.

[22] Le requérant a également soutenu le 11 mars 2019 qu’il ne faisait aucun doute que l’entrée en vigueur de la DAGEP le 1er janvier 2019 avait pour but de remédier à l’injustice que représentait le fait de ne pas appliquer la CEEE avant de faire le calcul relatif au partage des crédits. Il a soutenu que les couples qui se sont séparés avant le 1er janvier 2019 étaient victimes de discrimination si la DAGEP n’est pas appliquée rétroactivement. Il a demandé l’annulation du partage des crédits qui avait été fait en novembre 2005. Il a demandé que le partage des crédits comprenne la CEEE et la DAGEPFootnote 17.

[23] Le ministre a demandé que l’appel du requérant soit rejeté après avoir reçu les observations du 11 mars 2019. Le ministre était d’avis que la CAF avait déjà conclu dans l’arrêt Runchey que le recoupement entre la CEEE et le PGNAP était constitutionnel. Le ministre a soutenu que la DAGEP n’était pas en vigueur au moment où le partage des crédits de pensions avait été fait entre le requérant et son ex-conjointe. Le ministre a également soutenu que le concept de « conjoint touchant le revenu le plus élevé » ne constitue pas un motif énuméré ou analogue au titre de l’article 15 de la CharteFootnote 18.

[24] Le requérant a soutenu le 19 mai 2019 que la nouvelle DAGEP est appliquée avant le partage des crédits et que la décision rendue dans l’arrêt Runchey de la CAF est désuète. Il a affirmé que le ministre irait à l’encontre de la Charte s’il appliquait uniquement la DAGEP après le 1er janvier 2019. Il a demandé que la DAGEP soit appliquée rétroactivement [traduction] « afin qu’il y ait une égalité pour toute personne qui a été une victime avant la mise en vigueur de la clause d’inclusionFootnote 19 ».

[25] J’ai décidé de rendre une décision dans laquelle je rejette la contestation du requérant fondée sur la Charte, et ce, compte tenu des documents et des observations écrites.

[26] Maintenant, examinons les raisons pour lesquelles je rejette l’appel du requérant fondé sur la Charte.

Questions en litige

[27] Le ministre a-t-il enfreint les droits à l’égalité du requérant garantis par l’article 15 de la Charte?

[28] Le ministre a-t-il privé le requérant de ses droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne prévus à l’article 7 de la Charte?

Analyse

[29] L’article 48(2) du RPC concerne la CEEE. La CEEE a une incidence sur le montant de la pension de retraite d’une personne, car le ministre doit exclure des mois de la période de cotisation de la personne lorsque cette dernière a touché un faible revenu ou aucun revenu alors qu’elle s’occupait d’un enfant de moins de 7 ans. Lorsque le ministre retranche des mois de la période de cotisation d’une personne, cela augmente habituellement le montant de la pension de retraite de cette personne.

[30] L’article 55.1 du RPC traite de la disposition relative au PGNAP. La disposition relative au PGNAP prévoit que, dans le cas d’époux, il doit y avoir un partage des crédits de pension lorsqu’est rendu un jugement accordant un divorce, ou dès que le ministre est informé du jugement et qu’il reçoit les renseignements prescrits. Le partage des crédits de pension fait en sorte que les crédits de pension des deux conjoints sont regroupés, puis divisés en parts égales entre eux. Par conséquent, il est possible que l’un des conjoints ait moins de crédits qu’avant.

[31] Le requérant a également fait valoir que l’interaction entre la CEEE et le PGNAP allait à l’encontre de ses droits prévus à l’article 7 de la Charte.

[32] L’article 15(1) de la Charte prévoit que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[33] La Cour suprême du Canada (CSC) a établi un critère permettant de déterminer si une loi porte atteinte à l’article 15(1) de la CharteFootnote 20. Je dois poser les questions suivantes afin de déterminer s’il y a eu un manquement à l’article 15(1) de la Charte :

  1. 1. La loi crée-t-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?
  2. 2. La distinction crée-t-elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes?

[34] Si la réponse à chacune de ces questions est oui, je peux conclure que la disposition législative contestée porte atteinte aux droits à l’égalité garantis par l’article 15(1) de la Charte.

[35] Le requérant a le fardeau de prouver qu’il y a eu violation de l’article 15 de la Charte. Il revient au requérant de prouver que l’objet ou l’effet de la loi est discriminatoireFootnote 21. Bien que le fardeau de la preuve n’a pas à être lourd, la preuve doit représenter plus qu’une accumulation d’intuitionsFootnote 22.

[36] L’article 7 de la Charte prévoit que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et qu’il ne peut être porté atteinte à c droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[37] L’article 7 de la Charte comporte une analyse en deux étapes :

  1. 1. Existe-t-il une atteinte à l’un des trois intérêts protégés, à savoir la vie, la liberté ou la sécurité de la personne?
  2. 2. Cette atteinte a-t-elle été portée en conformité avec les principes de justice fondamentale?

[38] La CSC a établi qu’il n’y a aucun droit indépendant à la justice fondamentale. Une violation de l’article 7 de la Charte ne peut pas avoir lieu s’il n’y a pas d’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personneFootnote 23.

Le requérant n’a pas prouvé que les dispositions relatives au PGNAP et à la CEEE portent atteinte à ses droits à l’égalité prévus à l’article 15 de la Charte.

[39] Le requérant a fait valoir que les dispositions relatives à la CEEE ne sont pas appliquées lorsque les crédits de pension sont partagés en vertu du PGNAP. En n’appliquant pas la CEEE, cela a fait en sorte que son ex-conjointe s’est retrouvée avec moins de crédits de pension. Par conséquent, plus de crédits de pension du requérant ont été transférés inutilement à son ex‑conjointe. Cette interaction entre le PGNAP et la CEEE est une violation de ses droits prévus à l’article 15 de la Charte. Il a soutenu que ses droits à l’égalité ont été violés, car le fait de transférer des crédits de pension d’un conjoint touchant le revenu le plus élevé à un conjoint touchant le revenu le plus faible sans l’annulation du partage des crédits après le décès du conjoint touchant le revenu le plus faible équivalait à de la discrimination fondée sur l’état matrimonial et la situation familiale.

[40] Afin de conclure à une violation de l’article 15 de la Charte, une partie doit démontrer que sa cause relève soit d’un des motifs énumérés ou d’un motif analogue. J’estime qu’un conjoint touchant le revenu le plus élevé ne peut pas être considéré comme étant un motif énuméré ou analogue prévu à l’article 15(1) de la Charte. L’objectif des droits à l’égalité prévus par la Charte est de « corriger ou empêcher la discrimination contre des groupes victimes de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux dans la société canadienne »Footnote 24. Les conjoints touchant le revenu le plus élevé ne sont pas victimes de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux dans la société canadienne.

[41] Le requérant n’a pas démontré que l’interaction entre le PGNAP et la CEEE crée un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes en se fondant sur des décisions rendues par la CSC et la CAF que je suis dans l’obligation de respecter.

[42] Le ministre a soutenu que la CAF a examiné le PGNAP et de son interaction avec la CEEE dans l’arrêt RuncheyFootnote 25. L’appelant dans l’arrêt Runchey soutenait que l’interaction entre le PGNAP et la CEEE était discriminatoire envers les hommes, contrairement à la garantie constitutionnelle d’égalité prévue à l’article 15(1) de la Charte. Le ministre a soutenu que l’une des différences en l’espèce est que les allégations du requérant portaient sur l’état matrimonial et la situation familiale plutôt que sur le sexe. Cependant, la décision rendue dans l’arrêt Runchey qui maintenait le caractère constitutionnel du PGNAP et de la CEEE avait une valeur éminemment persuasive dans la présente affaireFootnote 26.

[43] Je partage l’avis du ministre que la décision rendue par la CAF dans l’arrêt Runchey est éminemment persuasive dans la présente affaire.

[44] La CAF a analysé l’interaction entre le PGNAP et la CEEE dans l’arrêt Runchey. La CAF a déterminé que l’interaction entre le PGNAP et la CEEE créait une distinction subtile fondée sur le sexe. Il était plus facile pour les femmes que les hommes d’accéder à la CEEE. La disposition relative au PGNAP visait à transférer des crédits de pension du conjoint touchant le revenu le plus élevé au conjoint touchant le revenu le plus faible à la suite d’un divorce ou d’une séparation. Dans plusieurs cas, le conjoint touchant le revenu le plus faible est une femme. Cependant, l’interaction entre le PGNAP et la CEEE touchait seulement certains hommes dans certaines circonstances. Le PGNAP et la CEEE ne réservaient pas aux hommes un traitement différent. Dans l’arrêt Runchey, la CAF a déterminé que le PGNAP et la CEEE ne perpétuaient pas un préjugé et n’appliquaient pas de stéréotypes discriminatoires envers les hommes, et ne portaient pas atteinte aux droits à l’égalité garantis par la Charte.

[45] Je suis d’accord avec le ministre que je dois appliquer la décision de la CAF dans l’arrêt Runchey, car les faits y sont semblables à ceux en l’espèce. Dans l’arrêt Runchey, le requérant a contesté le caractère constitutionnel des dispositions relatives au PGNAP et à la CEEE, et il a échoué. En l’espèce, le requérant a soulevé un argument légèrement différent et fondé sur un motif différent, mais son argument est également rejeté, car un conjoint touchant le revenu le plus élevé ne constitue pas un motif énuméré ou analogue énoncé à l’article 15 de la Charte.

Le requérant n’a pas réussi à prouver qu’il y avait eu un manquement à ses droits prévus à l’article 7 de la Charte.

[46] Le requérant a soutenu qu’on lui avait attribué de manière injuste, inéquitable et déraisonnable une diminution de crédits sans que la CEEE soit appliquée au moment du partage des crédits en novembre 2005. Il a demandé le remboursement de la valeur de sa pension qu’il avait perdue jusqu’alors. Il a affirmé que le ministre avait commis des infractions dans l’administration des prestations du RPC en refusant d’accorder aux conjoints touchant le revenu le plus élevé le montant approprié de prestations qu’ils avaient gagné et qu’ils méritaient. Il a également soutenu que le ministre s’enrichissait injustement, car les crédits de pension retranchés au conjoint touchant le revenu le plus élevé ne lui sont pas rendus à la suite du décès du conjoint touchant le revenu le plus faibleFootnote 27.

[47] Le requérant a soutenu qu’un bien qui appartenait à sa conjointe, notamment les crédits de pension qu’elle avait reçus en novembre 2005, lui appartenait après le décès de sa conjointe. Cela n’est cependant pas le cas. Les crédits de pension sont devenus ceux de son ex-conjointe lorsqu’ils lui ont été transférés en novembre 2005. Le requérant n’a pas subi de perte de bien. Même s’il avait été privé d’un bien, l’article 7 de la Charte ne concerne généralement pas les biens et les droits économiques. La CSC a suggéré que l’article 7 protégeait peut-être contre la privation d’une protection des « droits économiques fondamentaux [...] à [la] survie [de la personneFootnote 28] ». Je ne vois pas de quelle façon la perte de crédits de pension le prive de ses droits économiques fondamentaux à la survie de la personne.

Le requérant n’a fourni aucune preuve permettant d’établir l’existence d’un manquement à la Charte.

[48] Les observations du requérant comprennent divers articles, le Rapport annuel du Régime de pensions du Canada de 2015-2016, ainsi qu’un document de référence provenant du ministère des Finances. Le requérant a également fait référence à la disposition relative à la DAGEP. Le RPC a été modifié afin d’inclure la DAGEP, laquelle est entrée en vigueur en 2019Footnote 29. La DAGEP aide les parents qui ont arrêté de travailler ou qui ont réduit leurs heures de travail lorsqu’ils sont devenus les principaux responsables de leurs jeunes enfants. Dans certaines circonstances, le RPC verserait un montant équivalent à la moyenne des gains du parent au cours des cinq années précédant la naissance ou l’adoption de l’enfant si c montant est plus élevé que leurs gains réels au cours de cette période. Cela ferait augmenter la pension des parents qui ont réduit leur revenu afin de prendre soin de leurs enfants.

[49] Le requérant a fait valoir qu’il ne « faisait aucun doute » que l’entrée en vigueur de la DAGEP avait pour but de remédier à l’injustice que représentait le fait de ne pas appliquer la CEEE avant de faire le calcul relatif au partage des crédits. Le requérant n’a fourni aucun élément de preuve à l’appui de cet argument. Les articles et les documents qu’il a soumis ne viennent pas appuyer une conclusion selon laquelle il y a eu un manquement à la Charte. La preuve présentée par le requérant ne démontrait pas que la CEEE et le PGNAP créaient un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes.

[50] Je rejette l’appel du requérant fondé sur la Charte.

J’examine également la possibilité de rejeter sommairement le reste de l’appel du requérant.

[51] Je dois rejeter un appel de façon sommaire si je suis convaincu qu’il n’a aucune chance raisonnable de succèsFootnote 30. Il n’existe pas de chance raisonnable de succès lorsqu’il est clair et évident sur la foi du dossier que l’appel est manifestement voué à l’échecFootnote 31.

[52] Dans son avis d’appel initial, le requérant a demandé que le ministre annule le partage des crédits de pension effectué en novembre 2005 en se fondant sur des motifs d’équité. Sa pension a été réduite afin de répondre à une demande de partage de crédits pour son ex‑conjointe qui n’a jamais eu à utiliser ces crédits avant son décèsFootnote 32.

[53] L’article 55.1(a) du RPC prévoit qu’un PGNAP est obligatoire dans le cas des conjoints mariés dès que le ministre est informé d’un jugement accordant le divorce et qu’il reçoit les renseignements prescrits à l’article 54(2) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada (Règlement sur le RPC).

[54] L’ex-conjointe du requérant a fourni au ministre les renseignements qu’elle était tenue de fournir au titre de l’article 54(2) du Règlement sur le RPC. Elle a fourni au ministre un certificat de divorceFootnote 33. Elle a fourni au ministre une copie du certificat de mariage, les dates où les deux parties ont vécu ensemble et les dates où elles étaient séparéesFootnote 34.

[55] En l’espèce, le PGNAP a été effectué conformément à l’article 55.1(1)(a) du RPC. La CAF a reconnu la nature obligatoire du PGNAP au titre de l’article 55.1(1)(a) du RPC. Un PGNAP effectué conformément au RPC est obligatoire. Le partage des crédits est permanent et irréversibleFootnote 35. Les personnes n’ont pas le droit d’annuler un PGNAP après le décès de leur ex-conjointFootnote 36.

[56] La compétence du Tribunal est limitée par les pouvoirs que lui confère la loi. Je peux uniquement accorder des réparations au titre de la loi habilitante du TribunalFootnote 37.

[57] Les pouvoirs du Tribunal relatifs aux appels concernant le RPC sont énoncés dans la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le MEDS)Footnote 38. J’ai la compétence nécessaire pour trancher la question relative au montant découlant du PGNAPFootnote 39. Je dois également respecter les décisions de la CSC et de la CAF.

[58] Le requérant a demandé que la CEEE soit appliquée avant l’application du PGNAP, mais la CAF a déterminé que le RPC ne le permet pasFootnote 40.

[59] Le requérant a demandé que le partage des crédits soit recalculé afin que les calculs tiennent compte de la disposition relative à la DAGEP. La nouvelle disposition relative à la DAGEP est appliquée au moment du PGNAP dans certaines circonstancesFootnote 41. Cependant, le RPC ne permet pas d’appliquer la DAGEP en l’espèce. La DAGEP est entrée en vigueur le 1er janvier 2019, bien après le partage des crédits qui a eu lieu en novembre 2005 en l’espèce. La CSC a déterminé que, règle générale, les lois ne s’appliquent pas de manière rétroactive à moins que cette loi le prévoie, ou si cela est nécessaireFootnote 42. Je ne vois rien dans les dispositions de la DAGEP qui prévoit qu’elle peut être appliquée à une situation ayant eu lieu avant le 1er janvier 2019.

[60] Je donnerai la chance au requérant d’expliquer par écrit pourquoi son appel a une chance raisonnable de succès au titre du Règlement sur le Tribunal de la sécurité socialeFootnote 43. Il recevra une autre lettre du Tribunal dans laquelle la date limite pour présenter des observations lui sera fournie.

Conclusion

[61] Je rejette l’appel du requérant relatif à la contestation selon laquelle l’interaction entre la CEEE et le PGNAP contrevient aux articles 7 et 15 de la Charte.

[62] J’examine également la possibilité de rejeter sommairement le reste de l’appel du requérant. Je donnerai la chance au requérant d’expliquer par écrit la raison pour laquelle son appel a une chance raisonnable de succès. Il recevra une autre lettre du Tribunal lui fournissant une date limite.

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