Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Décision

[1] Les articles 44(1) et 46 du Régime de pensions du Canada (RPC) ne portent pas atteinte aux droits de la requérante énoncés à l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. La requérante n’est pas admissible à un montant plus élevé pour sa pension de retraite du RPC.

Aperçu

[2] La requérante conteste le montant de sa pension de retraite du RPC. Elle conteste également la validité constitutionnelle des articles 44(1) et 46 du RPC.

[3] L’article 44(1) énumère les prestations payables au titre du RPC et l’article 46 explique comment les prestations de retraite sont calculées.

[4] L’article 44(1)(a) du RPC prévoit qu’une pension de retraite doit être payée à une personne cotisante qui a atteint l’âge de 60 ans. L’article 44(1)(d) dit qu’une pension de survivant est payable au survivant ou à la survivante d’une personne cotisante qui a fait suffisamment de cotisations au RPC. Au titre du RPC, le survivant ou la survivante d’une personne cotisante est une personne qui habitait avec la personne cotisante au moment du décès de celle-ci, et cela depuis au moins un an. S’il n’y avait pas de conjoint ou conjointe de fait, le survivant ou la survivante est la personne qui était mariée à la personne cotisante au moment du décès de celle-ci. S’il n’y a pas de conjoint ou conjointe de fait ni d’époux ou épouse au moment du décès, il n’y a pas de survivant ou survivanteNote de bas de page 1.

[5] La requérante était âgée de 69 ans quand elle a commencé à toucher une pension de retraite du RPC, en mai 2014. Le montant a été calculé à 1 021,33 $ avec un ajustement pour commencer le versement de la pension à l’âge de 69 ans. Elle affirme être admissible à une pension de retraite plus élevée parce qu’elle n’a jamais été mariée et qu’elle n’a jamais vécu en union de fait. Elle soutient qu’elle a subi de la discrimination fondée sur le motif analogue de l’état matrimonial.

Questions en litige

  1. Les articles 44(1) et 46 du RPC entraînent-ils une discrimination à l’encontre de la requérante fondée sur l’état matrimonial qui contrevient à l’article 15(1) de la Charte?
  2. Dans l’affirmative, cette violation peut-elle être justifiée comme étant raisonnable dans le cadre d’une société libre et démocratique au regard de l’article premier de la Charte?

Analyse

[6] La Constitution canadienne constitue l’autorité suprême à l’égard de toute autre disposition législative canadienne. La Charte fait partie de la Constitution. Elle protège les droits de la personne en garantissant l’égalité.

[7] L’article 15(1) de la Charte prévoit que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[8] La Cour suprême du Canada (CSC) a établi un critère à deux volets pour l’évaluation des demandes fondées sur l’article 15(1)Note de bas de page 2:

  1. La loi crée-t-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?
  2. Le cas échéant, la distinction crée-t-elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes?

[9] Cette analyse exige que soit menée une enquête souple et contextuelle sur la question de savoir si une distinction a pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire à l’endroit d’une partie requérante sur le fondement de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue. Elle reconnaît que des désavantages systémiques persistants ont limité les possibilités offertes aux membres de certains groupes de la société. Elle cherche à prévenir les actions qui continuent d’engendrer ces désavantages. L’analyse au titre de l’article 15 de la Charte porte principalement sur la question de savoir si la législation établit une discrimination en établissant des distinctions qui perpétuent un désavantage ou un préjudice, ou qui créent un stéréotype.

Existe-t-il une distinction fondée sur le motif analogue de l’état matrimonial?

[10] La première étape de l’analyse de l’article 15(1) est de déterminer si la loi, à première vue ou selon son effet apparent, établit une distinction en raison d’un motif énuméré ou analogue. Dans le présent cas, la question est de savoir si le fait de ne pas avoir fourni à la requérante une pension de retraite plus élevée en raison de son état matrimonial la prive d’un avantage dont d’autres bénéficient, ou si cela lui impose un fardeau que d’autres n’ont pas à porter.

Position de la requérante

[11] Elle reçoit le même montant pour sa pension de retraite qu’une personne du même âge qui a fait les mêmes cotisations au RPC et qui était mariée ou qui vivait en union de fait au moment de sa retraite. Pour cette raison, elle soutient que l’article 44(1)(d) du RPC établit une discrimination fondée sur l’état matrimonial. Seules les personnes cotisantes qui étaient mariées ou qui vivaient en union de fait au moment de leur décès bénéficient de la pension de survivant. Les personnes qui n’ont jamais été mariées ou qui n’ont jamais vécu en union de fait n’en bénéficient pas. Par conséquent, elles font l’objet d’une discrimination, car elles reçoivent des prestations de pension d’une valeur moindre.

[12] Elle compare le RPC à ce que Kelly McKeating, qui a fourni des éléments de preuve actuarielle d’expert, a désigné comme étant des régimes de retraite privés non subventionnés. Avec ces régimes, une personne qui n’est pas mariée et qui ne vit pas en union de fait au moment de sa retraite reçoit une pension de retraite plus élevée qu’une personne qui est mariée ou qui vit en union de fait. L’augmentation est fondée sur des calculs actuariels qui compensent la personne qui n’est pas mariée et qui ne vit pas en union de fait parce pour le fait qu’elle n’a pas bénéficié de la pension de survivant.

[13] Elle reçoit des prestations moins élevées et souhaite que sa pension de retraite soit augmentée en fonction de calculs actuariels. Selon le rapport actuariel de Kelly McKeating, la requérante demande qu’on lui verse un paiement forfaitaire de 8 860 $ jusqu’au 31 décembre 2018, et qu’on augmente de 148 $ ses versements de pension mensuels, indexés sur l’inflation, à compter du 1er janvier 2019.

Position du ministre

[14] La position de la requérante comporte une lacune fondamentale. Elle est fondée sur une éventualité qui surviendrait seulement au terme d’un événement futur, à savoir, qu’elle ne sera pas mariée ou qu’elle ne vivra pas en union de fait au moment de son décès. La requérante reconnaît qu’elle reçoit la même pension de retraite que toute autre personne de son âge qui a fait des cotisations équivalentes au RPC. Sa position est essentiellement que sa succession sera privée de la prestation de survivant. Toutefois, la CSC a établi qu’une succession de peut pas avoir de droits au titre de la Charte. Il en est ainsi parce qu’une succession n’est que l’ensemble des biens et des dettes d’une personne décédée. Il ne s’agit pas d’une personne et on ne peut donc pas porter atteinte à sa dignité.

[15] De plus, la distinction sur laquelle s’appuie la requérante est fausse et différenciable d’une relation d’union de fait, que la CSC a déterminé comme étant un motif analogue dans l’arrêt Miron c TrudelNote de bas de page 3. Les unions de fait sont des relations qui ont une certaine permanence, alors que la requérante s’appuie sur l’état matrimonial d’une personne à un moment précis dans le temps, soit au moment où elle prend sa retraite. Une personne qui n’est pas mariée et qui ne vit pas en union de fait au moment où elle prend sa retraite peut avoir eu ce type de relation par le passé, ou pourrait avoir ce type de relation plus tard. L’état d’une personne à un moment précis, et qui peut changer au fil des événements normaux de la vie, ne peut pas être considéré comme s’il portait atteinte à sa dignité et sa valeur fondamentales.

Mes constatations

[16] La requérante doit démontrer qu’on lui refuse une prestation offerte à d’autres ou qu’elle doit porter un fardeau plus lourd que d’autres en raison d’une caractéristique personnelle correspondant à un motif énuméré ou analogue visé par l’article 15(1)Note de bas de page 4.

[17] La requérante soutient qu’elle fait l’objet d’une discrimination illicite fondée sur le motif analogue de l’état matrimonial. Un motif analogue est fondé sur « une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle »Note de bas de page 5.

[18] En me fondant sur les nombreuses études universitaires et de Statistique Canada que la requérante a présentées, je reconnais que les personnes qui n’ont jamais été mariées ou qui n’ont jamais vécu en union de fait font potentiellement partie d’un groupe analogue digne d’être protégé contre la discrimination au titre de l’article 15(1).

[19] Dans Miron c Trudel, la CSC discute des unions de fait et affirme ce qui suit :

Premièrement, la discrimination fondée sur ce motif touche la dignité et le mérite essentiels de la personne de la même façon que d’autres motifs de discrimination reconnus vont à l’encontre de normes fondamentales en matière de droits de la personne. Plus particulièrement, ce motif touche la liberté d’une personne de vivre avec le partenaire de son choix, comme elle l’entend. Il s’agit là d’une question d’importance déterminante pour les personnes. Ce n’est pas une question qui devrait être écartée d’un examen fondé sur la Charte pour le motif que l’on se trouverait ainsi à banaliser la garantie d’égalitéNote de bas de page 6.

[20] Cet énoncé devrait aussi s’appliquer aux personnes qui choisissent de ne pas se marier ou de vivre en union de fait. Il peut s’agir d’une question d’importance déterminante pour de telles personnes et elle ne devrait pas être écartée d’un examen fondé sur la Charte.

[21] Le ministre soutient qu’une personne qui n’est pas mariée et qui ne vit pas en union de fait au moment de sa retraite aurait pu avoir un de ces types de relation avant de prendre sa retraite, ou qu’elle pourrait avoir un de ces types de relation après avoir pris sa retraite. Cela est peut-être le cas, mais on pourrait aussi dire la même chose au sujet des unions de fait que la CSC a déterminé comme ayant des « caractéristiques personnelles immuables [...] mais sous une forme atténuée »Note de bas de page 7.

[22] Toutefois, il n’est pas suffisant que la requérante établisse qu’elle fait partie d’un groupe pouvant être victime de discrimination. Elle doit aussi établir qu’elle a été traitée différemment en raison de son appartenance à ce groupeNote de bas de page 8.

[23] La requérante confond deux dates et éventualités.

[24] Premièrement, elle se fie à la pension de retraite à la date de la retraite. Toutefois, elle reconnaît qu’elle reçoit la même pension de retraite que toute autre personne ayant le même historique de cotisation au RPC et qui a commencé à recevoir sa pension au même âge qu’elle.

[25] Deuxièmement, elle se fie à la pension de survivant à la date de son décès. Toutefois, elle ne recevra pas une pension de survivant. Elle soutient que sa succession se verra refuser cette prestation, mais une succession n’a pas de droits garantis par la CharteNote de bas de page 9. De plus, la prestation de survivant du RPC est versée à une survivante ou un survivant (le cas échéant) et non à la succession d’une personne cotisante. La requérante formule une contestation fondée sur la Charte au nom d’une personne non existante à compter d’une date future indéterminée.

[26] La requérante souhaite remplacer une pension de survivant par une pension de retraite plus élevée de la même manière que les personnes dans sa situation reçoivent une pension de retraite plus élevée dans le cadre des régimes privés non subventionnés. Toutefois, le RPC n’est pas un régime de pension non subventionné. Le but du RPC est d’assurer une protection financière minimale contre la perte de gains généralement liée à la retraite, à l’invalidité ou au décès d’une personne salariéeNote de bas de page 10. Il s’agit d’un régime national d’assurance sociale et par sa nature même, il comporte un élément important d’interfinancementNote de bas de page 11. L’interfinancement s’effectue comme suit :

  • des personnes cotisantes célibataires aux personnes cotisantes mariées ou vivant en union de fait;
  • des personnes valides aux personnes invalides;
  • des personnes survivantes jeunes aux personnes survivantes âgées;
  • des personnes sans enfants aux enfants qui deviennent orphelins ou aux enfants de personnes cotisantes invalides;
  • des employeurs et travailleurs autonomes aux employés;
  • d’une génération à l’autre.

[27] La requérante s’oppose à l’interfinancement des cotisants célibataires aux cotisants mariés ou vivant en union de fait, mais elle ne s’oppose pas aux autres types d’interfinancement. Elle souhaite que les dispositions relatives à la pension de retraite du RPC répondent à ses besoins précis et qu’elles soient rédigées de la même façon que celles d’un régime d’assurance privé non subventionné. Toutefois, le RPC n’est pas censé répondre aux besoins de tout le monde, mais plutôt de remplacer en partie des revenus dans certaines circonstances. Les cotisations qu’une personne verse au RPC pendant qu’elle travaille ne mènent pas toujours à des prestations. Il se peut que pour certaines personnes, un ensemble différent de règles ou de conditions pour certaines prestations soient préférables, mais le RPC ne peut pas répondre aux besoins de toutes les personnes cotisantes dans toutes les circonstances imaginables, pas plus qu’il n’est conçu pour ce faireNote de bas de page 12.

[28] J’estime que la requérante n’a pas établi une distinction en vertu de l’article 15(1) de la Charte en ce qui concerne motif analogue de l’état matrimonial.

[29] Étant donné que la requérante n’a pas établi une distinction fondée sur un motif analogue ou énuméré, elle ne peut pas établir une distinction discriminatoire. Ainsi, je n’ai pas besoin d’aborder le deuxième volet du critère à l’article 15(1) de la Charte concernant l’existence de la discrimination.

Article premier de la Charte

[30] L’article premier de la Charte garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Puisque je n’ai constaté aucune violation par rapport à la Charte, je n’ai pas besoin de déterminer si une violation peut être justifiée en vertu de l’article premier de la Charte.

Conclusion

[31] L’appel est rejeté.

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