Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Décision et motifs

Décision

[1] J’accueille l’appel du requérant et renvoie l’affaire à la division générale aux fins de réexamen.

Aperçu

[2] Le requérant a présenté une demande de pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) en mai 2014. Il a plus tard présenté une demande pour les prestations du Supplément de revenu garanti (SRG) également. Le montant de la pension de la SV que touche le requérant dépend du nombre d’années pendant lesquelles il résidait au Canada entre son 18e et son 65e anniversaire. Pour être admissible au SRG, le requérant devait continuer de résider au Canada après son 65e anniversaireNote de bas page 1.

[3] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a examiné les demandes du requérant et lui a posé des questions de suivi sur une période de 15 mois. Puis, en août 2015, le ministre a agréé les demandes du requérant et a conclu qu’il était admissible aux deux prestations.

[4] Toutefois, quelques mois plus tard, le ministre a commencé à vérifier si le requérant était résident au Canada. En mai 2016, le ministre a informé le requérant qu’il allait cesser de lui verser les prestations du SRG. Puis, en octobre 2016, le ministre a modifié sa décision initiale d’agrément de la demande. Le ministre a déterminé que le requérant n’était pas admissible aux prestations du SRG qu’il avait touchées de juillet 2014 à mai 2016. En conséquence, le ministre a demandé au requérant de lui rembourser plus de 15 000 $ de prestations. Le ministre a maintenu sa décision en novembre 2017.

[5] La division générale du Tribunal était d’accord avec la décision du ministre. Le requérant interjette maintenant appel de la décision de la division générale devant la division d’appel du Tribunal. J’ai déterminé que la décision de la division générale contenait des erreurs de droits et de compétence et qu’elle devait être mise de côté. J’ai aussi décidé de renvoyer l’affaire à la division générale aux fins de réexamen.

Questions préliminaires

[6] Trois questions méritent d’être abordées de façon préliminaire.

L’audience devant la division d’appel a eu lieu le 11 mars 2020

[7] L’audience devant la division d’appel devait initialement avoir lieu le 29 janvier 2020. Lorsque les parties se sont rencontrées ce jour-là, elles ont convenu de la repousser.

[8] Depuis la décision du ministre d’octobre 2016, le requérant a souvent allégué que le ministre avait commis une erreur lorsqu’il a agréé sa demande de prestations du SRG. La division générale a mentionné que le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de faire remise du trop-perçu causé par une erreur administrative (ou d’exonérer le requérant du remboursementNote de bas page 2). Ainsi, au début de l’audience, en janvier, j’ai demandé de savoir si le ministre avait décidé d’exercer son pouvoir discrétionnaire ou non, ce à quoi le représentant du ministre a répondu non, à la grande frustration du requérant.

[9] Le représentant du ministre avait confiance, toutefois, que le ministre pourrait prendre ce genre de décision dans les six prochaines semaines. Il a confirmé que le ministre n’allait déduire aucune somme des autres prestations que touchait le requérant tant et aussi longtemps que l’appel serait en cours.

[10] Dans les circonstances, les parties ont convenu de repousser l’audience de six semaines.

[11] Entre les deux dates d’audience, le requérant est devenu frustré d’apprendre que le ministre avait réévalué sa résidence au Canada à nouveau, et que cela allait avoir des répercussions sur sa pension de la SV égalementNote de bas page 3. Le 19 février 2020, le ministre a décidé que le requérant n’était pas admissible à sa pleine pension de la SV qu’il touchait depuis juillet 2014. Le requérant était plutôt admissible à seulement 32/40e d’une pleine pension de la SV.

[12] Cette décision a créé un trop-perçu additionnel (ou une créance) de près de 8 000 $ au compte du requérant. Le ministre a affirmé qu’il allait recouvrer cette somme en réduisant la pension de la SV du requérant à moins de 300 $ par mois à partir d’avril 2020.

[13] Je fais mention de la décision du ministre du 19 février 2020 pour fournir du contexte seulement. Cette décision et le montant de la pension de la SV du requérant, ne sont pas des questions que le Tribunal doit trancher en ce moment. Si le requérant veut contester la décision, il doit suivre les instructions qui commencent à AD5-3, à la section [traduction] « Si vous êtes en désaccord avec la décision ».

[14] Lorsque l’audience a repris, le 11 mars 2020, j’ai demandé d’emblée au représentant du ministre si celui-ci avait pris une décision quant à l’utilisation de ses pouvoirs discrétionnaires pour exonérer le requérant de sa dette en partie ou en totalité. Il n’avait pas pris de décision. J’ai également demandé au représentant du ministre s’il pouvait nous dire approximativement quand cette décision allait être prise. Il ne le savait pas.

[15] Néanmoins, le représentant du ministre a mentionné qu’un autre ajournement pourrait être indiqué afin de donner plus de temps au ministre pour prendre sa décision à ce sujet.

[16] En réponse, le requérant a réitéré ses plaintes au sujet de la lourdeur du gouvernement et de son interminable et pénible bureaucratie. Il a dit qu’il peinait à comprendre et à suivre les nombreuses décisions que le ministre prenait par rapport à son dossier. Il a aussi demandé qu’on lui explique comment une personne pourrait survivre avec la petite somme que le ministre allait lui payerNote de bas page 4.

[17] Dans les circonstances, j’ai décidé d’aller de l’avant et de procéder à l’audience le 11 mars 2020. J’ai fondé ma décision sur les facteurs suivants :

  1. les préoccupations du requérant quant aux retards et le devoir du Tribunal de trancher les appels de la manière la plus expéditive que possibleNote de bas page 5;
  2. l’absence d’un délai clair pour savoir si le ministre souhaite exercer son pouvoir discrétionnaire d’exonérer le requérant de sa dette en partie ou en totalité;
  3. la quantité de problèmes liés aux prestations de la SV du requérant et leur complexité;

[18] Peu après l’audience, le représentant du ministre a fourni des indications quant au moment où le ministre pourrait prendre la décision d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’exonérer le requérant de sa dette en partie ou en totalitéNote de bas page 6. Puis, le 26 mars 2020, le ministre a décidé qu’il n’y avait pas eu d’erreur administrative dans ce dossier et a refusé d’exonérer le requérant de sa detteNote de bas page 7.

[19] Je réitère que je ne peux réviser la décision du ministre du 26 mars 2020 dans le cadre du présent appel. Si le requérant souhaite contester cette décision, il peut suivre les instructions qui se trouvent à AD11-2, sous la section [traduction] « Si vous êtes en désaccord avec la décision ».

Pouvoir de la division d’appel d’étudier de nouvelles questions

[20] Dans ses observations écrites et orales, le ministre a formulé des critiques sur ma décision antérieure dans cette affaireNote de bas page 8. Le ministre allègue en fait que j’ai commis des erreurs de droit et de compétence en accordant la permission d’en appeler à partir d’une question que n’avait pas soulevée le requérant et en transférant le fardeau de la preuve du requérant au ministre.

[21] Si le ministre souhaitait contester ma décision antérieure, il aurait pu demander un contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Il ne l’a pas fait. Ainsi, cette décision est finaleNote de bas page 9. Il n’y a rien que je peux ou devrais ajouter au sujet de cette décision, si ce n’est qu’elle a fourni aux parties une occasion juste d’émettre des commentaires sur les questions soulevées ci-dessous.

Nouveaux éléments de preuve du ministre

[22] Dans ses observations présentées à la division d’appel, le ministre a joint un affidavit d’Elizabeth Charron, agente de la législation responsable de la division des politiques de la SVNote de bas page 10. Il s’agit d’un nouvel élément de preuve que le ministre n’avait pas présenté à la division générale. Toutefois, le rôle limité de la division d’appel fait en sorte que les nouveaux éléments de preuve sont habituellement non pertinents aux questions que je dois trancher. En conséquence, je n’accepte généralement pas de nouveaux éléments de preuve.

[23] En définitive, je n’ai pas à trancher cette question. Puisque je renvoie l’affaire devant la division générale aux fins de réexamen, la division générale aura le loisir de prendre en considération l’affidavit de Mme Charron.

Questions en litige

[24] Pour rendre ma décision, je me suis penché sur les questions suivantes :

  1. Est-ce que la division générale a commis des erreurs de droit et de compétence en tenant pour acquis que le ministre avait le pouvoir de modifier sa décision d’agrément d’août 2015?
  2. Dans l’affirmative, quelle est la meilleure réparation à offrir dans la présente affaire?

Analyse

[25] Je dois me fonder sur la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (Loi sur le FCA) et ses procédures. Ainsi, je ne peux intervenir dans la présente affaire que si la division générale a commis une erreur importanteNote de bas page 11.

[26] En l’espèce, je me suis penché sur la question de savoir si la division générale avait commis une erreur de compétence en omettant de trancher toutes les questions pertinentes et si la décision était entachée d’une erreur de droitNote de bas page 12. Selon le libellé de la Loi sur le FCA, l’existence de toute erreur de ce type me permettrait d’intervenir dans la présente affaireNote de bas page 13.

Question no 1 : La division générale a-t-elle commis des erreurs de droit et de compétence?

[27] Oui. La division générale a commis une erreur en tenant pour acquis que le ministre avait le pouvoir de modifier sa décision d’agrément d’août 2015. La portée des pouvoirs du ministre était au cœur du litige en l’espèce, mais la division générale n’a pas tranché la question.

[28] Pour commencer, je reconnais que le requérant a à nombreuses reprises posé plusieurs questions au sujet du programme de la SV. Ce ne sont pas toutes les questions soulevées par le requérant qui sont directement pertinentes dans la présente décision. Dans les paragraphes ci‑dessous, je vais néanmoins tenter de fournir des éléments de contexte additionnels au sujet de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi sur la SV) et ses exigences. Toutefois, il y a des questions auxquelles je ne peux répondre, par exemple à savoir quand le ministre a fait modifier ses formulaires. Je ne possède pas ce genre d’information parce que le ministre et le Tribunal sont indépendants.

[29] Les questions du requérant touchent à deux exigences importantes énoncées dans la Loi sur la SV :

  1. Résidence au Canada : Une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du CanadaNote de bas page 14. Il n’y a aucune règle définitive dictant combien de jours une personne doit être au pays pour y être considérée comme résidente. Il faut plutôt tenir compte de plusieurs facteurs pour déterminer sa résidenceNote de bas page 15. En pratique, toutefois, le moins de temps qu’une personne est présente au Canada, moins il est probable qu’elle y réside.
  2. Absences du Canada de plus de six mois : Une personne peut perdre son admissibilité à certaines prestations de la SV si elle demeure à l’extérieur du pays pendant plus de six mois à la fois.Note de bas page 16

[30] Le requérant a touché deux types de prestations de la SV : la pension de la SV et le SRG. Les exigences ci-dessus entraînent des conséquences différentes selon le type de prestation.

[31] Le nombre d’années qu’une personne a résidé au Canada détermine si elle est admissible à une pension de la SV, ainsi que le montant de la pensionNote de bas page 17. Une personne qui a résidé au Canada pendant plus de 20 ans, comme le requérant, est admissible à une pension permanente (ou transférable) de la SVNote de bas page 18. Cela signifie qu’elle peut continuer à toucher leur pension de la SV, peu importe où elle réside et la durée de ses absences du Canada.

[32] Seuls les bénéficiaires de la pension de la SV sont admissibles au SRG. De plus, cette personne doit maintenir sa résidence au Canada et ne doit pas s’absenter du pays pendant plus de six mois à la fois. En d’autres mots, l’admissibilité au SRG ne devient jamais permanente. Les deux exigences ci-dessous s’appliquent aux bénéficiaires du SRG, ce qui signifie que leur admissibilité peut changer au fil du temps.

[33] Rien de ce que j’ai écrit ci-dessous n’a changé entre le moment où le requérant a présenté sa demande de prestations de la SV et aujourd’hui. Toutefois, les questions qui figuraient au formulaire de demande du requérant ont pu causer de la confusion en l’espèce puisqu’elles n’étaient pas parfaitement conformes aux exigences énoncées dans la Loi sur la SVNote de bas page 19.

[34] Je reviens maintenant aux questions pertinentes au présent appel. Comme je l’ai mentionné plus haut, le présent appel porte sur l’admissibilité du requérant au SRG seulement. Plus précisément, le ministre a conclu que le requérant n’était pas admissible aux prestations du SRG que le requérant a touchées de juillet 2014 à mai 2016. Le ministre a fondé cette décision sur une réévaluation de la résidence du requérant au Canada.

[35] En fait, au moment de soumettre sa demande, le requérant ne semblait pas penser qu’il était admissible au SDRG. Toutefois, un agent de Service Canada lui a conseillé de présenter une demande quand même, ce qu’il a fait.

[36] En effet, le ministre avait des préoccupations quant à la résidence au Canada du requérant. Il a donc enquêté à ce sujetNote de bas page 20. Il était parfois difficile pour le requérant de répondre aux questions du ministre parce qu’il se déplaçait souventNote de bas page 21.

[37] Finalement, le ministre a agréé la demande du requérant le 12 août 2015Note de bas page 22. Le ministre a informé le requérant de sa décision dans une lettre datée du 18 août 2015, dans laquelle il indiquait au requérant qu’il allait toucher une pleine pension de la SV, ainsi que le SRG, à partir de juillet 2014.Note de bas page 23

[38] Cependant, moins de trois mois après l’envoi de cette lettre, le ministre a commencé à enquêter au sujet de la résidence au Canada du requérant à nouveauNote de bas page 24. En juin 2016, le ministre a suspendu les prestations du SRG du requérantNote de bas page 25.

[39] Puis, le 27 octobre 2016, le ministre a modifié sa décision d’agrément d’août 2015. Le requérant n’a jamais été admissible au SRG et devait rembourser toutes les prestations qu’il avait touchées entre juillet 2014 et mai 2016Note de bas page 26. Il a fallu un an au ministre pour qu’il révise sa décision, mais il est finalement arrivé à la même conclusion.

[40] La division générale était d’accord que le requérant n’avait pas résidé au Canada depuis 1999Note de bas page 27.

[41] Toutefois, la division générale ne s’est pas demandé si le ministre avait le pouvoir de modifier sa décision d’agrément d’août 2015 au départ. À mon avis, la division générale a commis une erreur de droit en omettant de se pencher sur cette question. J’ai tiré cette conclusion pour trois raisons :

  1. Les arguments du requérant, lus de façon généreuse, ont soulevé cette question devant de la division générale;
  2. Dans l’intérêt de la justice, la division générale devait soulever la question, même si le requérant ne l’avait pas fait;
  3. La division générale n’a fait aucune mention de la décision de la division d’appel intitulée BR c Ministre de l’Emploi et du Développement socialNote de bas page 28.

[42] Le ministre soutient que le requérant n’a avancé aucun argument venant mettre en cause le pouvoir du ministre de modifier ses décisions d’agrément. Il soutient également que le Tribunal devrait suivre un modèle plus contradictoire (analogue à celui d’une cour de justice), dans le cadre duquel les questions sont abordées exclusivement selon les conclusions et arguments écrits de chacune des partiesNote de bas page 29.

[43] Les tribunaux ont déjà rejeté le modèle plus contradictoire que le ministre propose d’adopter en l’espèce. Les cours de justice ont plutôt dicté au Tribunal d’éviter d’adopter une approche plus mécanique envers les conclusionsNote de bas page 30. Effectivement, même l’affaire sur laquelle se fondait le ministre, qui aborde le rôle de la Cour fédérale et non pas celui du Tribunal, indique que la lecture des arguments d’une partie doit être faite de façon généreuseNote de bas page 31.

[44] En faisant une lecture généreuse des arguments du requérant, on peut comprendre qu’ils viennent mettre en cause le pouvoir du ministre de modifier sa décision d’agrément. Par exemple :

  1. Dans sa demande de révision, le requérant a souligné que c’était une chose que le ministre cesse de lui verser le SRG à l’avenir, mais que c’en était une autre que de lui demander de rembourser les sommes déjà versées. Il a sommé le ministre d’assumer la responsabilité de sa décision et a indiqué qu’il ne devrait pas avoir à payer pour les erreurs du ministreNote de bas page 32.
  2. Dans son avis d’appel devant la division générale, le requérant a indiqué qu’il pouvait accepter le fait que le ministre suspende ses prestations du SRG, mais qu’il trouvait injuste qu’on lui demande de rembourser ses prestations en raison d’une décision erronéeNote de bas page 33.

[45] Les arguments du requérant sont parfois inélégants et ne sont pas exprimés selon le jargon des juristes. Toutefois, la division générale aurait dû comprendre que le requérant contestait le pouvoir du ministre de modifier sa décision d’agrément et de demander le remboursement des prestations, malgré le fait que la décision antérieure était erronée.  

[46] Le trop-perçu du requérant et le fait qu’il ait souligné à de nombreuses reprises l’erreur du ministre ont pu mener la division générale à penser au pouvoir du ministre de faire remise des montants versés indûment en vertu de l’article 37(4) de la Loi sur la SV. Toutefois, la division générale n’aurait pas dû comprendre que les arguments du requérant se limitaient à cette disposition.

[47] Le requérant s’en est pris aux décisions constamment changeantes du ministreNote de bas page 34. D’abord, on lui a accordé le SRG. Puis, cette prestation a été suspendue. Enfin, le ministre a demandé à ce qu’on la lui rembourse. Il a sommé le ministre d’assumer la responsabilité de sa décision et s’est particulièrement opposé au fait de devoir rembourser les sommes que le ministre lui avait versées après avoir déterminé qu’il y était admissible.

[48] La division générale aurait dû reconnaitre que les arguments du requérant entourant la décision erronée ne correspondaient pas parfaitement avec la notion d’« erreur administrative » dont fait mention l’article 37(4) de la Loi sur la SV. Il s’en prenait aussi au pouvoir du ministre de revenir sur ses décisions précédentes.

[49] Même si le requérant n’a pas directement contesté le pouvoir du ministre de modifier sa décision d’agrément, il a invoqué la notion de justice. En effet, la division générale a le devoir de soulever de nouvelles questions dans l’intérêt de la justice.Note de bas page 35

[50] En l’espèce, le ministre a adopté la position qu’il pouvait réévaluer la résidence du requérant au Canada quand bon lui semblait et le nombre de fois qu’il le souhaitait. Des pouvoirs aussi vastes sont extraordinaires. Dans l’intérêt de la justice, la division générale devait se pencher sur cette question et s’interroger sur ce qui confère de tels pouvoirs au ministre. La justice exige aussi que la division générale définisse clairement les périodes pendant lesquelles elle peut réévaluer la résidence du requérant au Canada.

[51] Le pouvoir du ministre de modifier sa décision d’agrément se trouve au cœur des préoccupations du requérant. Si le ministre n’avait pas le pouvoir de modifier sa décision d’agrément, il a excédé son pouvoir en demandant au requérant de lui rembourser toutes les prestations du SRG que le requérant a touchées. Les pouvoirs du ministre (et du Tribunal) seraient alors limités à la réévaluation de la résidence au Canada seulement à partir du 18 août 2015.

[52] Dans l’intérêt de la justice, la division générale aurait dû tenir compte des limites possibles des pouvoirs du ministre et du Tribunal, mais ne l’a pas fait.

[53] En fait, dans une décision intitulée BR c Ministre de l’Emploi et du Développement social, j’ai décidé que le ministre n’avait pas le pouvoir de modifier sa décision d’agrémentNote de bas page 36.

[54] Je reconnais que la division générale n’était pas forcée de suivre la décision BR. Toutefois, celle-ci soulève une question importante qui vient restreindre les pouvoirs du ministre et du Tribunal. Le ministre n’a jamais contesté BR devant les tribunaux. Ainsi, BR s’applique potentiellement à tous les cas dans lesquels le ministre révise une décision d’agrément précédente.

[55] À mon avis, si la division générale n’avait pas l’intention de suivre BR, elle aurait au moins dû en expliquer les raisonsNote de bas page 37. Effectivement, la Cour suprême du Canada a récemment souligné l’importante de la cohérence dans les décisions : les affaires semblables devraient être traitées de façon semblableNote de bas page 38. La perfection n’est pas exigée, mais les preneurs et preneuses de décisions devraient expliquer leurs motifs lorsqu’ils s’écartent d’autres décisions.

[56] Pour toutes ces raisons, j’ai conclu qu’il y avait erreur de droit aux termes de l’article 58(1)(b) de la Loi sur le FCA lorsque la division générale a tenu pour acquis que le ministre avait le pouvoir de modifier sa décision d’agrément d’août 2015.

[57] En d’autres mots, le pouvoir du ministre de modifier sa décision d’août 2015 était une question que la division générale devait trancher, mais elle ne l’a pas fait. Cela peut également être perçu comme une erreur de compétence aux termes de l’article 58(1)(a) de la Loi sur le FCA.

Question no 2 : Quelle est la meilleure réparation à offrir dans la présente affaire?

[58] J’ai décidé de renvoyer l’affaire à la division générale aux fins de réexamenNote de bas page 39.

[59] En rendant cette décision, je réalise que le requérant pourrait considérer que je contribue aux [traduction] « processus gargantuesques du gouvernement canadienNote de bas page 40 » et même m’accuser de participer dans cette guerre psychologique qu’il a l’impression que le gouvernement mène contre lui.

[60] J’éprouve de l’empathie pour le requérant compte tenu des circonstances. Les nombreuses enquêtes du ministre sur la résidence au Canada du requérant et ses décisions constamment changeantes au sujet de sa résidence au Canada ont créé une saga interminable et ont entraîné un stress perpétuel auxquels le requérant voudrait désespérément mettre fin. Dans les circonstances, il m’a sommé de rendre une décision finale dans cette affaire. Je suis malheureusement dans l’impossibilité de le faire.

[61] Je dois d’une part soupeser la situation du requérant et d’une autre, ce qui est juste pour le ministre. À cet égard, le ministre a soutenu qu’il n’avait pas réalisé que la présente affaire soulevait la question du pouvoir du ministre de modifier sa décision d’agrément. Si cette question est également en jeu, le ministre doit retourner devant la division générale pour présenter davantage d’éléments de preuve (en plus de l’affidavit de Mme Charron)Note de bas page 41.

[62] Pour rendre justice au ministre, je retourne donc l’affaire devant la division générale aux fins de réexamen. Dans le cadre de ce processus, la division générale aura à décider si le ministre avait le pouvoir de modifier sa décision d’agrément. Cela aura des répercussions sur la période pendant laquelle il est possible de réévaluer la résidence au Canada du requérant.

[63] J’espère sincèrement que le ministre commencera à rassembler ses éléments de preuve dès maintenant. J’enjoins la division générale à aller de l’avant aussi expressément et efficacement que possible en respectant la justice, comme le souhaitent les deux parties.

[64] Cela étant dit, il est possible que la division générale puisse examiner toutes les questions relatives à la résidence au Canada du requérant simultanément. Pour que cela soit possible, toutefois, le requérant doit demander au ministre de réviser sa décision datée du 19 février 2020 au sujet de sa pension de la SVNote de bas page 42. Si la décision de révision du ministre lui était défavorable, le requérant pourrait ensuite porter en appel cette décision auprès de la division générale du Tribunal. La division générale pourrait ensuite fusionner les deux dossiers.

Conclusion

[65] J’accueille l’appel. J’ai conclu que la division générale a commis des erreurs de droit et de compétence et que sa décision doit être mise de côté. J’ai aussi décidé de renvoyer l’affaire devant la division générale aux fins de réexamen selon les instructions suivantes :

  1. Afin d’éviter toute préoccupation relative à la partialité, le dossier doit être attribué à un autre membre de la division générale;
  2. La division générale doit clairement définir la période pendant laquelle elle réévalue la résidence au Canada du requérant. Si la division générale ne fait que trancher sur l’admissibilité du requérant au SRG, sa réévaluation devrait porter sur une période commençant au plus tôt en juin 2014. Toutefois, la division générale devra également décider si le ministre a le pouvoir de modifier sa décision d’agrément d’août 2015. Dans la négative, la division générale ne pourrait faire porter sa réévaluation que sur une période commençant à la date de la décision d’agrément.

Date de l’audience :

Le 11 mars 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

L. L., appelant
Marcus Dirnberger, représentant de l’intimé

Annexe

Date Décision du ministre Recours/État
27 octobre 2016 et 27 novembre 2017 Le requérant a accumulé 40 années de résidence au Canada, mais a passé peu de temps au Canada entre mars 2005 et février 2015.  Ainsi, le requérant doit rembourser toutes les prestations du SRG qu’il a touchées de juillet 2014 à mai 2016 (15 009,10 $). Le ministre prévoit de recouvrer cette somme en retenant une partie des sommes qu’il lui verse pour sa pension de la SV.   Il s’agit de la décision qui est contestée devant le Tribunal. Les deux parties ont 30 jours pour demander un contrôle judiciaire à la Cour d’appel fédérale. Sinon, l’affaire sera renvoyée à la division générale aux fins de réexamen.
19 février 2020 Le requérant n’a pas accumulé 40 années de résidence au Canada. Il a plutôt résidé au Canada pendant 32 ans et 101 jours.  Ainsi, le ministre a réduit la pension mensuelle de la SV du requérant et a ajouté un trop-perçu de 7 925 $ (créance) à son compte. Le ministre prévoit recouvrer cette somme en retenant une partie des sommes qu’il verse pour sa pension de la SV. Le requérant dispose de 90 jours après avoir reçu la lettre du 19 février 2020 pour demander au ministre de réviser sa décision (voir AD5-3 et AD5-4).  Cette décision n’est pas contestée devant le Tribunal en ce moment.
26 mars 2020 Le dossier du requérant n’a fait l’objet d’aucune erreur administrative. En conséquence, le ministre a refusé d’exonérer le requérant d’une partie ou de la totalité des trop-perçus de prestations de la SV et du SRG. Le ministre commencera à recouvrer la dette en mai 2020. Le requérant dispose de 30 jours après avoir reçu la lettre du 26 mars 2020 pour demander un contrôle judiciaire de la décision du ministre auprès de la Cour fédérale (voir AD11-2).  Le Tribunal n’a pas le pouvoir de réviser ce type de décision.  
  Comme abordé lors de l’audience devant la division d’appel, le ministre a également le pouvoir d’exonérer le requérant de sa dette en partie ou en totalité en raison de difficultés financières. On ne sait pas si le requérant a déjà demandé qu’on lui accorde ce type d’exonération.  
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