Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : JS c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 962

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-1108

ENTRE :

J. S.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Connie Dyck
Requérante représentée par : Melanie Gardin
Date de l’audience par vidéoconférence : Le 14 septembre 2020
Date de la décision : Le 16 septembre 2020

Sur cette page

Décision

[1] La requérante, J. S., est admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). La pension est payable à compter de mars 2017. La présente décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[2] La requérante a été impliquée dans un accident de la route en septembre 2015. Elle avait alors 33 ans. Elle en garde les séquelles suivantes : traumatisme crânien léger, maux de tête, troubles de la vue, étourdissements, fatigue, douleur aux épaules et au cou. La requérante a demandé une pension d’invalidité du RPC le 27 février 2018. Le ministre de l’Emploi et du Développement social du Canada a rejeté sa demande. Selon lui, la preuve ne permettait pas de conclure que la requérante avait une pathologie ou une déficience grave qui l’empêchait d’occuper un emploi convenant à ses limitations fonctionnelles. La requérante a fait appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

Ce que la requérante doit prouver

[3] Pour avoir gain de cause, la requérante doit prouver qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée le 31 décembre 2017. Cette date a été établie en fonction des cotisations qu’elle a versées au RPCNote de bas de page 1.

[4] Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou doit entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 2.

Motifs de ma décision

[5] Je conclus que la requérante est atteinte d’une invalidité grave et prolongée depuis septembre 2015. Les considérations qui suivent ont guidé ma décision.

Motifs pour lesquels je conclus à une invalidité grave

La requérante a des limitations fonctionnelles affectant sa capacité de travail

[6] Je ne me suis pas basée sur un diagnostic pour décider si l’invalidité de la requérante était grave. La question est plutôt de savoir si elle a des limitations fonctionnelles qui l’empêchent de travaillerNote de bas de page 3. Je dois examiner son état de santé global et considérer l’incidence de ses problèmes médicaux sur son aptitude à travaillerNote de bas de page 4.

[7] La requérante doit fournir des preuves médicales objectives de son invalidité en date du 31 décembre 2017. Si la requérante ne parvient pas à prouver qu’elle était atteinte d’une invalidité grave avant cette échéance, les preuves médicales suivant cette date n’ont aucune pertinenceNote de bas de page 5.

[8] La requérante affirme qu’elle est incapable de travailler en raison des effets cumulés de ses problèmes de santé. Elle dit que sa concentration, son attention et sa mémoire ne sont plus les mêmes à cause de sa commotion cérébrale / son traumatisme crânien léger. Elle doit se fier à ses filles pour lui rappeler ses rendez-vous et d’autres choses telles que les tâches ménagères. Elle m’a confié avoir des maux de tête quotidiens qui lui donnent des étourdissements et affectent sa capacité à parler. Elle a aussi des troubles de la vue. Elle a expliqué que c’est comme si la ligne horizontale de sa vue avait été décalée. Sa vue est embrouillée et sa perception de la profondeur est [traduction] « mauvaise ». En guise d’exemple, elle a expliqué qu’elle ne pouvait pas accompagner ses filles à pied jusqu’à l’école s’il neigeait. Le reflet des flocons et leur mouvement de chute lui donnent la nausée. La requérante dit qu’elle souffre aussi de fatigue et d’une douleur au cou, aux épaules et au dos. La douleur est constante. Elle ne peut faire que des tâches simples et courtes. La requérante a témoigné que ses problèmes médicaux et leurs effets sont les mêmes depuis septembre 2015.

[9] La preuve médicale du docteur Dawud corrobore les propos de la requérante. Au moment de sa période minimale d’admissibilité (PMA), il a dit que la requérante souffrait encore des séquelles de son traumatisme crânien. Cette blessure lui causait des maux de tête chroniques, des étourdissements, des troubles cognitifs, des troubles de la vue et des problèmes d’équilibre. Elle souffrait aussi d’une douleur chronique au cou, aux épaules et au bas du dosNote de bas de page 6. Le docteur Dawud a aussi noté que la requérante répondait lentement au traitement et qu’elle était incapable d’accomplir des tâches. Il a dit qu’il y avait eu certaines améliorations, même si les progrès se faisaient lentement. Ses troubles cognitifs prenaient encore du temps à s’améliorer, même s’il y avait eu une amélioration de son équilibre. Malgré ces progrès minimes, le docteur Dawud n’était pas certain que la requérante puisse se rétablir suffisamment pour accomplir des tâches. Je suis consciente que ces informations décrivent l’état et les limitations de la requérante près de deux ans après son accident. Ainsi, malgré les nombreux traitements répétés sur deux ans, l’amélioration de son état continue d’être minime et insuffisante pour lui permettre de reprendre un emploi. De plus, on ignorait encore, après deux ans, si elle se rétablirait un jour suffisamment pour être capable de travailler.

[10] J’ai également tenu compte de la preuve du docteur Adekoya (expert en gestion de la douleur). Il avait examiné la requérante au moment de sa PMANote de bas de page 7. Il a noté qu’elle avait mal au bas du dos et au cou et qu’elle souffrait de maux de tête depuis son accident de la route de 2015. Le docteur Adeoka était d’avis que la requérante était atteinte d’une douleur au dos et au cou de nature mécanique, jumelée à une douleur neuropathique centrale, ainsi que d’une douleur myofaciale et de maux de tête post-commotionnels. Ce rapport appuie les conclusions du docteur Dawud.

[11] La docteure Franklyn (psychologue) était d’accord avec le docteur Dawud : en date d’août 2017, la requérante était incapable de reprendre son emploi de coordonnatrice de la méthode d’évaluation RAI auprès des foyers de soins de longue durée Country Village Homes, et incapable de reprendre tout emploi comparable. La docteure Franklyn a déclaré que la requérante avait encore des problèmes d’attention, de concentration et de mémoire à court terme. Elle était aussi épuisée mentalement, ce qui la limitait beaucoup. Elle a expliqué que la requérante ne pouvait pas maintenir ni les efforts ni la cadence nécessaires pour accomplir une tâche. Elle a dit que les problèmes cognitifs et émotionnels de la requérante ont un impact sur sa vie quotidienneNote de bas de page 8.

[12] Madame Alisha Worotny (ergothérapeute) était d’accord avec les docteurs Dawud et Franklyn pour dire que la requérante n’était pas en mesure de reprendre son emploi d’infirmière. Cependant, le critère que je dois juger n’est pas de savoir si elle pouvait reprendre son ancien emploi. Je dois plutôt décider si elle est capable d’occuper tout type d’emploi convenable. Compte tenu des limitations fonctionnelles relevées par l’ergothérapeute, je suis d’accord que la requérante serait incapable de reprendre son emploi d’infirmière. Je conclus aussi qu’elle serait incapable de reprendre tout type d’emploi. En effet, la requérante souffrait de troubles cognitifs persistants, l’empêchant notamment de faire simultanément plusieurs tâches, de porter attention aux détails et de fonctionner dans un environnement intense et bruyant. La gestion du temps lui posait également problème. Si elle cuisinait des plats simples alors qu’il y avait du bruit chez elle, elle attrapait constamment des nausées et des maux de tête. Elle était aussi sensible à la lumière et pouvait très peu utiliser des appareils informatiques, comme ils exacerbaient ses symptômes. Elle avait encore des problèmes d’équilibre, particulièrement pour monter les escaliers. Elle avait constamment mal et avait de la difficulté à adopter certaines positions. Sa tolérance était limitée pour les positions assise et debout ainsi que la marche. Les tâches quotidiennes typiques l’épuisaient encore. L’effort lui cause de la fatigue, des maux de tête accrus, des nausées et des étourdissements. Compte tenu de ces limitations fonctionnelles, il m’est bien difficile d’imaginer un quelconque emploi qu’elle soit capable de faire.

[13] Le docteur Harnadek (neuropsychologue) a examiné la requérante en novembre 2017, peu avant l’échéance de sa PMANote de bas de page 9. Le docteur Harnadek lui a fait passer de nombreux tests et a posé un diagnostic neurologique de déficiences légères ayant trait à la vitesse de traitement visuel, au raisonnement conceptuel non verbal et à la dextérité accélérée de la main droite. Il a dit que, selon le DSM-V, l’état de la requérante correspondait à un trouble neurocognitif léger non précisé. Il a émis un pronostic réservé pour ce qui était d’un meilleur rétablissement neuropsychologique. Il a aussi noté qu’il était possible que ses fonctions neuropsychologiques se détériorent davantage si sa douleur s’aggravait ou si ses fonctions psychologiques se détérioraient.

[14] Le docteur FitzGerald (spécialiste en réadaptation professionnelle) a évalué la requérante en mars 2019Note de bas de page 10. Même si cette évaluation a lieu plus d’un an après sa PMA, les symptômes de la requérante étaient toujours les mêmes, comme l’avaient noté le docteur Dawud et la requérante lors de son témoignage.

[15] Le docteur FitzGerald a noté que la requérante avait eu besoin de mesures d’adaptation pour faire les tests, notamment des bouchons d’oreilles et des lunettes solaires. Elle était incapable de poursuivre un test pendant plus de quelques minutes. La requérante disait que ses symptômes devenaient plus forts et la rendaient incapable de se concentrer et de lire. Selon le docteur FitzGerald, la requérante n’était pas employable face à la concurrence, et ce même à temps partiel, compte tenu de ses déficits professionnels en date de mars 2019. Il s’attendait à ce que cette situation perdure, à moins que se règlent ses handicaps visuels.

[16] J’ai également pris en considération le rapport de février 2020 du docteur SanghaNote de bas de page 11. J’ai conscience que ce rapport a été produit plus de deux ans après la PMA de la requérante. Cela dit, les opinions du docteur Sangha sont basées sur les blessures et les limitations fonctionnelles dues à l’accident routier de 2015, et qui sont toujours les mêmes aujourd’hui. Le rapport corrobore aussi la nature prolongée des problèmes de santé de la requérante.

[17] D’après sa propre évaluation et l’information médicale fournie, le docteur Sangha a affirmé que l’accident avait causé les déficiences suivantes :

  • Traumatisme crânien léger, accompagné d’un syndrome post-commotionnel persistant;
  • Entorse cervicale, accompagnée d’un dysfonctionnement et d’une douleur facettaires médiocervicaux, et jumelée à un trouble myofacial présentant des caractéristiques du syndrome de sensibilité centrale;
  • Douleur myofaciale chronique des régions thoraco-lombaire et fessière présentant des caractéristiques du syndrome de sensibilité centrale;
  • Troubles du sommeil;
  • Syndrome de douleur chronique;
  • Détresse psychoaffective;
  • Trouble cognitif avec preuve objective de dysfonctionnement neurocognitif à l’évaluation neuropsychologique.

[18] Le docteur Sangha était d’avis qu’il fallait considérer le pronostic comme réservé et plus probablement sombre. Compte tenu du temps qui s’était déjà écoulé, les chances que ses symptômes disparaissent étaient négligeables. Il estimait que ses symptômes étaient là pour de bon et qu’ils étaient susceptibles de s’exacerber.Note de bas de page 12 Selon le docteur Sangha, la requérante avait atteint son rétablissement maximal eu égard à l’accident de septembre 2015.

[19] Tous les avis des nombreux spécialistes dont il vient d’être question corroborent les limitations fonctionnelles et les symptômes en date de la PMA décrits par la requérante. La preuve médicale révèle que la requérante avait des limitations fonctionnelles nuisant à sa capacité de travailler en date du 31 décembre 2017. D’après la preuve des médecins, la requérante est incapable de travailler.

La requérante n’a pas la capacité de travailler

[20] Pour décider si la requérante est capable de travailler, il ne suffit pas que je tienne compte de ses problèmes médicaux et de leur incidence fonctionnelle. Je dois également tenir compte de son âge, de son niveau de scolarité, de ses aptitudes linguistiques, de son expérience de travail et de son expérience de la vie. Ces facteurs m’aident à décider si la requérante peut travailler dans un contexte réalisteNote de bas de page 13.

[21] La requérante n’avait que 35 ans en décembre 2017. Il lui resterait donc potentiellement de nombreuses années de travail avant l’âge habituel de la retraite. Grâce à son expérience de travail, elle possède également des compétences transférables. Elle a notamment des compétences en informatique, une formation universitaire et un certificat d’infirmière auxiliaire autorisée. Malgré les avantages que lui procurent son âge, son éducation et ses compétences transférables, son état de santé ne lui permettrait pas d’être une employée fiable ni de se recycler. Elle ne peut plus utiliser un ordinateur et souffre de limitations cognitives, à cause desquelles elle ne peut faire qu’une tâche à la fois et pendant quelques minutes seulement, avant de nécessiter un environnement calme et un éclairage tamisé. De plus, la requérante ne pourrait pas être une employée prévisible pour un employeur dans un contexte réaliste, comme le démontrent ses activités bénévoles.

[22] La requérante a dit qu’elle avait voulu faire du bénévolat, malgré l’avis contraire des médecins. Elle s’était arrangée en 2017 pour faire du bénévolat deux fois par semaine à la bibliothèque de l’école de sa fille. Elle devait prendre des livres à la bibliothèque et les placer dans l’étagère de la classe de maternelle. Elle le faisait avant que les cours commencent, quand il y avait peu de gens dans l’école. Elle affirme qu’elle n’arrivait pas à mettre les livres en ordre alphabétique à cause de ses limitations cognitives. Elle les mettait simplement sur la tablette. La requérante m’a confié qu’elle n’avait pu faire que 15 minutes de bénévolat lors de sa première journée, à cause de sa douleur, de maux de tête, de ses problèmes de vue et de ses limitations cognitives. Elle dit qu’en 2018, elle parvenait à faire du bénévolat pendant 45 minutes avant que ses symptômes ne l’obligent à arrêter.

[23] La requérante avait aussi essayé de faire du bénévolat dans un milieu qui lui était familier : une clinique. Elle a dit qu’elle y allait une fois par semaine, mais qu’elle était incapable de rester plus de 45 minutes. Elle a dit qu’elle devait mettre ses lunettes de soleil à cause des lumières. Elle avait essayé de taper à l’ordinateur, mais elle était incapable de regarder un écran sans que ses symptômes s’aggravent. Elle avait systématiquement mal au bras et à l’épaule si elle classait des dossiers. Elle a affirmé que son superviseur la renvoyait chez elle la plupart des jours.

[24] Je juge que la requérante, en dépit de ses attributs, est incapable d’occuper tout type d’emploi pour des raisons de santé. Par conséquent, je conclus qu’il est improbable, dans un « contexte réaliste », que la requérante soit capable de conserver un emploi. Selon le témoignage de la requérante, sa physiothérapeute a dit qu’il lui faudrait être capable de faire du bénévolat deux heures par jour, deux jours par semaine, avant qu’un programme de retour au travail puisse être envisagé. Malheureusement, la requérante ne pouvait pas faire du bénévolat plus de 45 minutes à la fois avant que ses symptômes ne l’obligent à arrêter.

La requérante a fait des efforts raisonnables pour suivre les traitements recommandés

[25] La requérante a fait des efforts raisonnablesNote de bas de page 14. Elle a consulté de nombreux spécialistes, a reçu des anesthésies tronculaires, a fait de la physiothérapie, prend de nombreux médicaments, et a suivi tous les conseils de ses médecins. Beaucoup de ses traitements actuels ont commencé en 2015 et durent toujours. Par contre, ils n’ont pas suffisamment amélioré son état fonctionnel pour la rendre capable de travail.

Motifs pour lesquels je conclus à une invalidité prolongée

[26] L’invalidité de la requérante est prolongée. Une invalidité est prolongée si elle dure longtemps et laisse croire qu’elle durera indéfiniment, ou si elle doit causer la mort de la personneNote de bas de page 15.

[27] Aucune preuve ne laisse raisonnablement présager la guérison de la requérante dans un avenir prévisible. La requérante souffre des mêmes problèmes de santé qui sont apparus immédiatement après son accident de septembre 2015, notamment des troubles cognitifs, des maux de tête et une douleur au dos, au cou et aux bras.

[28] Malgré les nombreux traitements, son état fonctionnel ne s’est pas assez amélioré pour lui permettre de reprendre une occupation rémunératrice. Ni son médecin de famille ni les multiples spécialistes qu’elle a consultés ne laissent penser qu’elle soit capable de recommencer à travailler.

[29] Le pronostic formulé par le neuropsychologue en date de la PMA était réservé. Il doutait que la requérante puisse se rétablir davantage d’un point de vue neuropsychologique, et croyait même que son état puisse se détériorer. Plus de deux ans plus tard, en février 2020, le docteur Sangha émettait un pronostic réservé, et plus probablement sombre, quant à l’état global de la requérante. Il croyait que la requérante avait atteint son rétablissement maximal.

[30] J’en comprends donc que la requérante restera indéfiniment dans cet état. Je conclus que son invalidité est prolongée, en plus d’être grave.

Conclusion

[31] La requérante est atteinte d’une invalidité grave et prolongée depuis septembre 2015. Conformément au RPC, elle ne peut être réputée invalide plus de 15 mois avant la date où le ministre a reçu sa demande de pension d’invalidité. Après cette date, une période d’attente de quatre mois doit aussi être observée avant le début du versement de la pension. Le ministre a reçu sa demande en février 2018. La requérante est donc considérée comme invalide à partir de novembre 2016. La pension est payable à partir de mars 2017.

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