Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : MM c Ministre de l’Emploi et du Développement social et JA, 2020 TSS 931

Numéro de dossier du Tribunal: GP-19-773

ENTRE :

M. M.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre

et

J. A.

Mis en cause


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Pierre Vanderhout
Date de l’audience par téléconférence : Le 31 août 2020 et le 21 septembre 2020
Date de la décision : Le 23 septembre 2020

Sur cette page

Décision

[1] La requérante a vécu en union de fait avec le mis en cause du 22 avril 1995 au 27 décembre 1998. Cela permet un partage supplémentaire des crédits du Régime de pensions du Canada ( RPC) à l’égard de ses gains et de ceux du mis en causeNote de bas de page 1. Le partage des crédits du RPC s’applique de janvier 1995 à décembre 1997. Comme l’union de fait s’est terminée avant la fin de 1998, aucun partage des crédits n’est applicable à cette année-là.

Aperçu

[2] La requérante et le mis en cause ont commencé à vivre ensemble en août 1978. Ils se sont mariés en octobre 1979 et ont divorcé le 22 avril 1995. Malgré le divorce, la requérante affirme qu’elle a continué de vivre en union de fait avec le mis en cause jusqu’au 27 décembre 1998Note de bas de page 2. Le ministre a reçu la demande de la requérante pour le partage des crédits du RPC le 22 septembre 2017. Le ministre ne lui a accordé un partage des crédits du RPC que de janvier 1978 à décembre 1994. Le ministre a conclu que la requérante et le mis en cause avaient divorcé en avril 1995 et n’étaient pas conjoints de fait après cela. Le ministre a maintenu cette décision après révision. La requérante a interjeté appel de la décision découlant de la révision au Tribunal de la sécurité sociale.

[3] Pour être admissible à un partage des crédits du RPC avec une autre personne durant une période donnée, une partie demanderesse doit montrer qu’elle était mariée à cette personne (et non séparée) ou en union de fait avec cette personne durant cette période. Les partages des crédits du RPC ne s’appliquent qu’aux années civiles complètes. Lorsqu’un mariage ou une union de fait commence au cours d’une année en particulier, cette année civile complète est assujettie aux dispositions du RPC sur le partage des crédits. Toutefois, lorsque la relation prend fin au cours d’une année en particulier, cette année civile n’est pas assujettie aux dispositions du RPC sur le partage des créditsNote de bas de page 3.

Questions en litige

[4] La requérante et le mis en cause étaient-ils conjoints de fait entre le 22 avril 1995 et le 27 décembre 1998?

[5] Dans l’affirmative, quel est le partage supplémentaire des crédits du RPC qui s’applique?

Analyse

[6] Cet appel comportait un ensemble de circonstances tout à fait inhabituelles, y compris l’affirmation selon laquelle une union de fait entre la requérante et le mis en cause a commencé le jour où ils ont divorcé. Le mis en cause voulait apparemment un divorce afin de pouvoir hériter de biens au Pakistan. Le mis en cause et la requérante ont déclaré que ce dernier avait également une épouse au Pakistan, à partir de 1982Note de bas de page 4.

[7] La première audience a comporté énormément d’animosité entre les parties. J’ai dû imposer des limites strictes sur le temps alloué à la deuxième audience, qui s’est toutefois avérée beaucoup plus conciliante. La deuxième audience a aussi inclus un aveu inattendu de la part du mis en cause.

La requérante et le mis en cause étaient-ils conjoints de fait entre le 22 avril 1995 et le 27 décembre 1998?

[8] Pour les raisons énoncées ci-dessous, j’estime que la requérante et le mis en cause étaient conjoints de fait du 22 avril 1995 au 27 décembre 1998 (la période suivant le divorce).

[9] Pour être considérée comme étant la conjointe de fait du mis en cause, la requérante doit montrer qu’elle vivait avec lui dans une relation conjugale depuis au moins un anNote de bas de page 5.

[10] Une décision de 2001 de la Commission d’appel des pensions intitulée Betts fait autorité sur cette questionNote de bas de page 6. Bien que la décision Betts n’ait qu’une valeur persuasive, elle définit clairement les facteurs qui sont habituellement pertinents à la « cohabitation en union conjugale ». Il n’est pas nécessaire que tous les facteurs de la décision Betts soient présents pour conclure à l’existence d’une union de fait. Les facteurs de la décision Betts sont :
  1. Interdépendance financière
  2. Relation sexuelle
  3. Résidence commune
  4. Achat de cadeaux lors d’occasions spéciales
  5. Partage des responsabilités du foyer
  6. Utilisation partagée des biens
  7. Partage des responsabilités associées à l’éducation des enfants
  8. Vacances communes
  9. Chaque jour, le fait de penser que la dépendance mutuelle va se poursuivre
  10. Le fait d’être nommé bénéficiaire dans le testament de l’autre
  11. Le fait d’être nommé bénéficiaire dans les polices d’assurance de l’autre
  12. Endroit où chacun conserve ses vêtements
  13. Le fait de prendre soin l’un de l’autre en cas de maladie et la connaissance des besoins médicaux
  14. Communications entre les parties
  15. Reconnaissance publique
  16. Attitude et conduite de la collectivité envers les parties
  17. État civil déclaré sur divers documents
  18. Prise en charge des arrangements funéraires

[11] Avant la seconde audience, la requérante et le mis en cause ont donné des versions très différentes des événements de la période suivant le divorce. Le mis en cause a donné plusieurs comptes rendus de son lieu de résidence. En mai 2018, il a dit qu’il vivait avec la requérante de juin 1979 à mars 1993Note de bas de page 7. En janvier 2019, il a dit qu’ils se sont séparés en avril 1994Note de bas de page 8. En avril 2019, il a dit qu’il n’avait pas vécu avec elle depuis octobre 1979Note de bas de page 9. À la première audience, il a déclaré avoir vécu avec la requérante pendant un an après leur divorce en 1995. Il a nié avoir habité chez elle après cela : il s’y rendait seulement les fins de semaine pour voir ses enfants. Il habitait au centre-ville avec son frère à ce moment-là.

[12] La requérante a toujours dit que le mis en cause a continué de vivre avec elle jusqu’au 27 décembre 1998, quand il est allé au Pakistan pour une visite prolongéeNote de bas de page 10. Elle a dit qu’ils avaient convenu de continuer à vivre ensemble parce que ce serait préférable pour les enfants. Sa famille les a encouragés à essayer de régler leurs différendsNote de bas de page 11.

[13] À l’audience, la requérante a décrit sa relation avec le mis en cause comme étant violenteNote de bas de page 12. Durant la période suivant le divorce, elle a dit qu’il la battait et s’en allait lorsque la police arrivait. Cependant, elle préparait ses repas pour lui. Ils partageaient un lit dans la même chambre. Elle lui achetait des vêtements. Ils conservaient tous deux leurs vêtements dans l’appartement. Elle faisait toute leur lessive. Elle faisait tous leurs achats. Elle faisait tout l’entretien de l’appartement, si le propriétaire ne s’en chargeait pas. Elle a acheté une voiture, même si elle était la seule à s’en servir. Ils partageaient les responsabilités associées à l’éducation des enfants : elle a dit [traduction] « Il aimait les enfants plus que moi. » Elle aurait pris soin de lui s’il avait été malade, et lui aurait rendu visite s’il avait été à l’hôpital. Elle a dit [traduction] « Tout le monde savait que c’était un faux divorce. » Bien qu’elle remplissait des formulaires d’impôt en indiquant l’état civil « divorcée », elle a dit qu’elle nourrissait et hébergeait le mis en cause et que c’était comme un mariage. Ils vivaient la même vie que celle qu’ils avaient vécue avant 1995.

[14] La version de la requérante correspondait au témoignage de S. A. . S. A. est le fils de la requérante et du mis en cause. Il était adolescent durant la période suivant le divorce et habitait l’appartement de la requérante.

[15] À l’audience, S. A.a dit que le mis en cause vivait à l’appartement de la requérante pendant la semaine. Toutefois, lorsque le mis en cause touchait sa paie le jeudi ou le vendredi, il buvait et il s’énervait. Il était censé donner une partie de son chèque de paie à la requérante pour la nourriture et le logement, mais généralement il ne payait pas le montant suffisant. Ils se disputaient et le mis en cause s’en allait souvent jusqu’au dimanche soir. Le mis en cause logeait au centre-ville avec son frère dans ces cas-là. Le cycle se répétait, et parfois la police a été appelée à l’appartement de la requérante. La relation a finalement été rompue en décembre 1998, quand le mis en cause est allé au Pakistan. S. A.considérait cela comme une union de fait plutôt qu’une simple entente de cohabitation. Il croyait que la requérante et le mis en cause partageaient une chambre.

[16] Malgré toutes ses dépositions antérieures, le mis en cause a changé sa version des faits à la deuxième audience. Il a admis qu’il avait vécu avec la requérante de 1995 à 1998. Il a dit qu’il vivait là parce que ses enfants y étaient et qu’il voulait les voir. Il voulait les garder à l’œil, pour qu’ils ne [traduction] « prennent pas une mauvaise voie ». Il les voyait tous les soirs. Il a dit que la requérante était bonne et gentille. Cela allait à l’encontre de son témoignage antérieur, qui était souvent difficile à accepter. Par exemple, à la première audience, il a dit qu’il conservait tous ses vêtements au travail. Il a dit qu’il faisait sa lessive là-bas, parce que des collègues apportaient des appareils de la décharge.

[17] Dans les circonstances, je reconnais que la requérante et le mis en cause vivaient ensemble dans l’appartement de la requérante durant la période suivant le divorce. Bien que ce soit important, ce n’est pas l’unique élément à prendre en compte pour établir s’ils cohabitaient également dans une relation conjugale durant la période suivant le divorce. Je dois aussi tenir compte des autres facteurs de la décision Betts.

[18] Bien que la relation ait été instable, plusieurs autres facteurs de la décision Betts existaient durant la période suivant le divorce. La requérante et le mis en cause partageaient le même lit. Ils ont mutuellement accepté cet arrangement très inhabituel pendant plus de trois ans et demi, et il y avait une forme d’interdépendance entre eux. La requérante a nourri et vêtu le mis en cause, alors qu’il contribuait financièrement et prenait part à l’éducation des enfants. Ils partageaient des biens comme la voiture. Ils conservaient tous deux leurs vêtements à l’appartement. La requérante a dit qu’elle aurait pris soin du mis en cause s’il avait été malade. D’autres facteurs de la décision Betts avaient peu de pertinence : les ressources semblent avoir été trop maigres pour une assurance-vie ou des cadeaux, et il ne semble pas qu’ils aient réfléchi à des arrangements funéraires ou à des testaments. Je constate que le nombre et la nature des facteurs présents de la décision Betts sont suffisants pour établir la cohabitation en relation conjugale tout au long de la période suivant le divorce.

[19] J’ai tenu compte du fait que la relation semble avoir été physiquement et émotionnellement violente. La requérante avait peu de contrôle sur leur relation ou leurs finances : leur compte de banque était au nom du mis en cause seulement. Elle a dit qu’il allait au Pakistan chaque année, mais qu’il ne la laissait pas l’accompagner. Il avait une autre épouse au Pakistan, bien qu’il ne soit pas évident que cela ait duré au long de la période suivant le divorce. Il semble y avoir eu de la violence et une présence policière. Le mis en cause voulait prétendument tirer sur la requérante, mais son frère s’en est mêlé. Dans ces circonstances, il faut accorder moins d’importance à certains des facteurs manquants de la décision Betts (comme les « vacances communes »).

[20] La Cour fédérale du Canada a affirmé que le Tribunal ne devrait pas évaluer la qualité de la relation. Si l’un des conjoints de fait commet un acte répréhensible au détriment de l’autre, cela n’est pas pertinent à l’état civil de la personne à titre de conjoint de faitNote de bas de page 13. Dans une décision non exécutoire, la Commission d’appel des pensions a décrit que le « noyau » de la relation conjugale est que les parties ont démontré une intention mutuelle de vivre ensemble dans une relation semblable au mariage d’une certaine permanenceNote de bas de page 14. En dépit des lacunes évidentes de la relation, et des dommages permanents encore visibles à la première audience, c’est précisément ce qui s’est passé ici.

Quelle est l’incidence de l’union de fait supplémentaire sur le partage de crédits du RPC?

[21] La requérante et le mis en cause étaient conjoints de fait du 22 avril 1995 au 27 décembre 1998. Toutefois, pour les partages des crédits du RPC, seules l’année initiale et les années civiles complètes subséquentes sont comptéesNote de bas de page 15. Cela signifie que seule la période du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1997 est assujettie à un partage des crédits.

[22] Je souligne que l’union de fait a pris fin cinq jours seulement avant le premier jour de 1999. Si elle avait duré jusqu’au 1er janvier 1999, un partage des crédits aurait également pu s’appliquer à 1998. Cependant, la requérante a dit précisément à plusieurs reprises que le 27 décembre 1998 a été la fin de l’union. Je dois appliquer les dispositions législatives telles qu’elles ont été écrites, même si elles semblent injustes. Je ne peux pas déroger ou modifier ce que le Parlement a décrété.

Conclusion

[23] L’appel de la requérante est accueilli. Il doit y avoir des partages supplémentaires de crédits du RPC pour les années 1995, 1996 et 1997.

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