Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : DC c Ministre de l’Emploi et du Développement social et LM, 2020 TSS 1008

Numéro de dossier du Tribunal: GP-20-395

ENTRE :

D. C.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre

et

L. M.

Mise en cause


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Raymond Raphael
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 17 septembre 2020
Ministre représenté par : Anita Hoffman
Date de la décision : Le 5 octobre 2020

Sur cette page

Décision

[1] L. M. est la partie mise en cause dans la présente instance. J’ai conclu qu’elle était la conjointe de fait de W. C. au moment de son décès. Elle est admissible à la pension de survivant du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[2] D. C. est la requérante dans la présente instance. Elle et W. C. se sont mariés en juillet 1954 et se sont séparés à la fin des années 1990Footnote 1. Ils n’ont jamais divorcé. W. C. est décédé en janvier 2016. L. M. prétend qu’elle et W. C. étaient des conjoints de faits d’octobre 1996 jusqu’à sa mort. D. C. ne conteste pas que W. C. vivait dans la maison de L. M. de 1999 jusqu’en février 2013, lorsqu’il est déménagé dans une maison de soins infirmiers. Toutefois, elle soutient que W. C. ne faisait que dormir dans la maison de L. M. et qu’ils n’étaient pas conjoints de fait.

[3] D. C. et L. M. ont toutes les deux présenté une demande de prestations de survivant du RPC. Le ministre a accepté la demande de L. M. et a rejeté celle de D. C. Le ministre a rejeté la demande de révision de D. C., qui a interjeté appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[4] En novembre 2017, la division générale a accueilli l’appel de D. C. Toutefois, L. M. n’a pas participé à l’audience par téléconférence. La membre de la division générale a tenu l’audience malgré l’absence de L. M. parce que selon elle, L. M. avait averti le Tribunal qu’elle ne souhaitait pas participer à l’audience. La membre a décidé que D. C. était admissible à la pension de survivant parce que L. M. n’avait pas établi qu’il était plus probable qu’improbable qu’elle et W. C. étaient conjoints de fait au moment de son décès.

[5] L. M. a porté appel à la division d’appel. En mai 2018, la division d’appel a rejeté l’appel de L. M, qui a ensuite porté appel à la Cour d’appel fédérale (CAF). En septembre 2019, la CAF a accueilli l’appel de L. M. et a renvoyé l’affaire devant la division d’appel aux fins de réexamen. La CAF a conclu que L. M. n’avait pas eu droit à la justice naturelle puisqu’un membre du personnel du Tribunal lui avait erronément déclaré que le ministre allait protéger ses droits pendant l’audience. En raison de cela, elle n’a pas participé à l’audience.

[6] En février 2020, la division d’appel a accueilli l’appel de L. M. et a renvoyé l’affaire devant la division générale pour la tenue d’une nouvelle audience. La division d’appel a conclu que la division générale avait privé L. M. de son droit de se faire entendre lors de l’audience initiale.

Questions en litige

[7] Je dois établir si L. M. et W. C. étaient des conjoints de fait au moment de son décès.

Questions préliminaires

[8] Je n’ai pas écouté l’enregistrement de l’audience devant la membre de la division générale et je ne me suis pas fondé sur celui-ci. Je ne l’ai pas fait parce que la CAF a déterminé que la division générale avait privé L. M. de la justice naturelle en procédant à l’audience malgré son absence.

Analyse

[9] L. M. doit établir qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle cohabitait avec W. C. et qu’ils étaient conjoints de fait au moment de son décès, en plus de montrer qu’ils cohabitaient ensemble depuis au moins un an. Si elle ne parvient pas à l’établir, D. C. sera admissible à la pension de survivant.

Principes juridiques

[10] Vivre sous un même toit ne signifie pas forcément que deux personnes sont en relation conjugale, mais il s’agit d’un facteur important à prendre en considération lorsqu’on examine globalement la relationFootnote 2.

[11] La Cour fédérale a déclaré que les facteurs qui peuvent servir à indiquer qu’il existe une relation conjugale sont notamment les suivantsFootnote 3:

  1. le partage d’un toit, notamment le fait que les parties vivaient sous le même toit ou partageaient le même lit ou le fait que quelqu’un d’autre habitait chez elles;
  2. les rapports sexuels et personnels, notamment le fait que les parties avaient des relations sexuelles, étaient fidèles l’une à l’autre, communiquaient bien entre elles sur le plan personnel, prenaient leurs repas ensemble, s’entraidaient face aux problèmes ou à la maladie ou s’offraient des cadeaux;
  3. les services, notamment le rôle des parties dans la préparation des repas, le lavage, les courses, l’entretien du foyer et d’autres services ménagers;
  4. les activités sociales, notamment le fait que les parties participaient ensemble ou séparément aux activités du quartier ou de la collectivité et leurs rapports avec les membres de la famille de l’autre;
  5. l’image sociétale, notamment l’attitude et le comportement de la collectivité envers chacune des parties, considérées en tant que couple;
  6. le soutien, notamment les dispositions financières prises par les parties pour ce qui était de fournir les choses nécessaires à la vie et la propriété de biens;
  7. l’attitude et le comportement des parties à l’égard des enfants.

La preuve orale et documentaire de L. M.

[12] La preuve orale et documentaire appuyant la position de L. M. est convaincante. Elle et deux autres témoins ont témoigné. Elle a aussi présenté plusieurs déclarations de ses amis et de membres de sa famille, ainsi que plusieurs documents.

[13] L. M. a témoigné qu’elle possédait une maison de deux chambres. Elle et W. C. dormaient dans la même chambre et avaient une relation intime. Personne d’autre ne vivait dans la maison. Elle l’accompagnait à tous ses rendez-vous médicaux. Ils s’offraient des cadeaux et elle organisait des fêtes d’anniversaire pour lui. Ils allaient à l’église ensemble. Ils participaient ensemble à des activités sociales et communautaires, en tant que couple, et on les considérait comme [traduction] « mari et femme ». Les gens leur envoyaient des invitations de couple. Ses enfants étaient toujours les bienvenus à la maison et ils allaient souper avec eux. Elle cuisinait pour lui et faisait sa lessive. Elle a déclaré : [traduction] « Je faisais tout pour lui. » Elle (et le fils de W. C., David) ont pris des démarches pour lui trouver une place dans une maison de soins infirmiers en février 2013. Elle le visitait chaque jour et était la personne ressource principale de la maison de soins infirmiers. Elle a déclaré : [traduction] « Nous nous aimions et nous étions en relation conjugale jusqu’à son décès. »

[14] Elle a reconnu qu’ils n’avaient jamais eu de compte conjoint ni de carte de crédit conjointe. Ses gains étaient versés dans son compte de banque à elle. Après février 1999, il a ouvert son propre compte de banqueFootnote 4. Sa pension était versée dans ce compte. Il n’avait aucune autre source de revenus. Elle payait l’hypothèque à partir de son compte à elle. Ils payaient ensemble les dépenses du ménage et pour les autres objets.

[15] T. P. (la sœur de L. M.) a témoigné que L. M. et W. C. allaient ensemble à des réunions familiales. Elle estime qu’ils ont commencé à vivre ensemble en 1996. Elle (T. P.) leur rendait souvent visite et dormait chez eux. Elle les visitait de 10 à 20 fois par année. L. M. et W. C. dormaient dans la même chambre. Les vêtements et effets personnels de W. C. étaient dans cette chambre. Ils se donnaient des noms affectueux. Ils allaient ensemble à des mariages et à d’autres événements familiaux, en tant que couple.

[16] S. F. (directeur des ressources humaines où L. M. travaillait) a témoigné que L. M. parlait de W. C. de la même façon que les autres employés parlaient de leur époux ou épouse. Elle parlait de ce qu’ils faisaient ensemble. Elle a indiqué sur sa demande de prestations et sur sa demande de pension que W. C. était son époux. Elle a demandé plusieurs congés pour pouvoir accompagner W. C. à des rendez-vous médicaux. Elle a demandé que l’on puisse faire exception à la politique qui ne permet pas aux employés de se rendre chez eux pendant l’heure du dîner afin qu’elle puisse aller s’occuper de W. C. Elle a utilisé ses avantages sociaux pour acheter des articles pour W. C. : fauteuil roulant, médicaments et chaise spéciale.

[17] Je vais ci-dessous citer les passages les plus pertinents de nombreuses lettres d’amis et de membres de la famille fournis par L. M.

  • Le 16 mars 2016, A. C. (petite-fille de W. C.) : W. C. résidait avec L. M. de 1996 à 2013; L. M. le visitait tous les jours lorsqu’il est déménagé à la maison de soins infirmiersFootnote 5.
  • Le 21 novembre 2017, E. K. (frère de D. C.) : L. M. et W. C. étaient conjoints de fait; L. M. le visitait tous les jours à la maison de soins infirmiersFootnote 6.
  • Le 23 novembre 2017, E. D. : Lorsque j’étais chez eux, j’ai été témoin de leur affection l’un pour l’autre. L. M. répondait à tous ses besoins, et le faisait sentir aimé et important à ses yeuxFootnote 7.
  • Le 23 novembre 2017, J. P. : Ils vivaient en relation conjugale jusqu’au décès de W. C.Footnote 8.
  • Le 27 novembre 2017, C. D. : Ils formaient un couple heureux et L. M. le visitait chaque jour à la maison de soins infirmiersFootnote 9.
  • Le 28 novembre 2017, J. S (un ami) : J’ai passé la nuit chez eux et ils ne sont absolument pas des colocataires, ce sont des amoureuxFootnote 10.
  • Le 29 novembre 2017, L. H. : J’ai offert des soins à domicile à W. C. et L. M. et lui étaient considérés comme étant des conjoints de fait. L. M. s’occupait des soins de W. C. et lui donnait son amour et son soutienFootnote 11.
  • Le 1er décembre 2017, P. S. (membre de la famille) : Ils vivent en relation conjugale depuis 22 ans et montrent continuellement leur amour et leur affection l’un pour l’autreFootnote 12.
  • Le 19 décembre 2017, A. T. (petite nièce de W. C.) : L. M. prenait soin de W. C., ils s’embrassaient, se câlinaient et montraient souvent leur affection l’un pour l’autreFootnote 13.
  • Le 19 décembre 2017, N. L. (collègue de travail de L. M.) : J’ai souvent été chez eux et j’y ai passé la nuit. L. M. et W. C. dormaient dans la même chambre, s’embrassaient souvent et montraient leur amour l’un pour l’autreFootnote 14.
  • Le 19 décembre 2017 : D. K. : L’amour de L. M. pour W. C. était évident. Elle parlait souvent de son amour pour lui. Elle était dévastée lorsqu’il est déménagé à la maison de soins infirmiers. Elle le visitait tous les joursFootnote 15.
  • Le 31 décembre 2017, D. M. (infirmière autorisée à la maison de soins infirmiers) : L. M. donnait des soins médicaux à W. C., l’accompagnait à ses rendez-vous et se portait à sa défenseFootnote 16.

[18] Je vais ci-dessous citer les passages les plus pertinents d’autres documents fournis par L. M. :

  • Novembre 2003 : Régime d’assurance médicament et dentaire de la Croix Bleue de L. M., indiquant que W. C. est son épouxFootnote 17.
  • Le 16 février 2011 : M. M. (infirmière autorisée) : lettre adressée à W. C. (aux soins de L. M.), demande de soins personnels à domicile acceptéeFootnote 18.
  • Le 19 novembre 2013 : Lettre de Manuvie adressée à L. M., réclamation pour le fauteuil roulant de W. C. acceptéeFootnote 19.
  • Le 30 juin 2015 : Facture d’Extendicare adressée à L. M. pour le logement de W. C.Footnote 20
  • Le 16 février 2016 : Dr Isfeld, dentiste : W. C. est indiqué comme étant le conjoint de L. M.Footnote 21
  • Le 16 mars 2016, Extendicare : L. M. était la personne ressource de W. C. Elle le visite tous les jours et elle téléphone régulièrement pour obtenir des nouvelles. Elle lui a acheté un fauteuil roulant, a répondu à tous ses besoins médicaux et a pris tous les rendez-vous médicaux pour luiFootnote 22.
  • Le 17 novembre 2016 : Life Benefits Solutions : W. C. est indiqué comme étant l’époux de L. M. en date de septembre 2011 aux fins du régime collectif d’avantages sociaux de L. M.Footnote 23
  • Le 21 novembre 2017 : Photo d’un tatouage montrant les initiales de W. C. sur la jambe de L. M., réalisé en août 2015Footnote 24.
  • Le 21 novembre 2017 : Great West Life : L. M. avait une couverture d’assurance familiale, dont bénéficiait W. C. en tant qu’épouxFootnote 25.

La preuve orale et documentaire de D. C.

[19] D. C. a affirmé qu’elle et W. C. avaient été en couple pendant 45 ans et qu’ils avaient élevé quatre enfants. Ils travaillaient ensemble et cotisaient au RPC pendant qu’ils étaient ensemble. Quand W. C. est devenu malade, il ne savait plus ce qu’il faisait. Elle a reconnu que L. M. et W. C. vivaient peut-être ensemble, comme conjoints de fait. Elle a déclaré : [traduction] « peut-être étaient-ils conjoints de fait... mais ce n’était qu’une aventure... elle (L. M.) profitait d’un vieil homme malade qu’il n’avait plus la clarté d’esprit pour prendre des décisions ».

[20] D. C. s’est aussi fondée sur des documents de novembre 1999 à février 2000. Ils semblent avoir rapport avec ses préoccupations quant à la réduction de son allocation de conjoint de la Sécurité de la vieillesseFootnote 26 ou à sa demande de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension de janvier 2000Footnote 27. Ce document soutient la thèse selon laquelle W. C. ne faisait que rester chez L. M., à tout le moins à cette époqueFootnote 28.

[21] J’ai accordé peu de poids à ces documents pour deux raisons. D’abord, ils concernent l’état de la relation entre L. M. et W. C. pour la période de 1997 à 1999. Ils ne concernent pas leur relation dans les 15 années qui ont suivi. Ensuite, il n’y a aucune preuve montrant les raisons pour lesquelles ces documents ont été préparés ni dans quelles circonstances ils ont été préparés.

Facteurs indiquant l’existence d’une relation conjugale

[22] Je me penche maintenant sur chacun des facteurs énoncés au paragraphe 11 de la présente décision.

Partage d’un toit

[23] Je suis convaincu que L. M. et W. C. vivaient ensemble, à la maison de W. C., au moins à partir de 1999 et jusqu’à ce qu’il déménage dans une maison de soins infirmiers en février 2013. Personne d’autre ne vivait dans la maison. L. M. le visitait chaque jour à la maison de soins infirmiers, était la personne ressource pour ses soins, et elle s’assurait qu’on répondait à ses besoins. Le déménagement de W. C. dans une maison de soins infirmiers constituait une séparation involontaire. Cela n’a pas mis fin à la relation conjugale.

Rapports sexuels et personnels

[24] Je reconnais, à partir de la preuve de L. M., qu’ils avaient des rapports sexuels et qu’ils dormaient dans la même chambre. Le témoignage de T. P., ainsi que plusieurs autres lettres appuient cette conclusion. L. M. a déclaré qu’ils étaient engagés dans une relation monogameFootnote 29. Ils s’offraient des cadeaux et L. M. organisait des fêtes d’anniversaire pour W.C.

Services

[25] L.M. cuisinait pour W.C. et faisait sa lessive. Elle l’accompagnait à ses rendez-vous médicaux et a fait les arrangements pour le déménagement à la maison de soins infirmiers. W. C. était couvert par le régime collectif d’avantages sociaux de L. M, à titre d’époux. L. M. a obtenu des soins à domicile pour W. C. et (avec son fils, D. C.), elle a fait les arrangements pour le déménagement à la maison de soins infirmiers.

Activités sociales

[26] Ils allaient ensemble à des activités sociales et communautaires, en tant que couple. Ils allaient à l’église ensemble.

Image sociétale

[27] Ils participaient ensemble à des activités sociales et communautaires, en tant que couple, et on les considérait comme [traduction] « mari et femme ». Ils montraient leur affection l’un pour l’autre en public.

Soutien et dispositions financières

[28] Ils n’avaient aucune propriété ensemble ni aucun bail. Ils vivaient dans une maison dont L. M. était la propriétaire. Ils n’avaient aucune carte de crédit conjointe. Ils n’avaient aucun compte conjoint. L. M. a indiqué que W. C. était son époux aux fins de ses avantages sociaux liés à son emploi. Elle payait l’hypothèque, et ils se séparaient le reste des dépenses.

Attitude et comportement des parties à l’égard des enfants

[29] Les enfants adultes de W. C. étaient toujours les bienvenus à la maison et ils allaient souper avec eux.

Mes conclusions

[30] Le poids de chacun de ces différents facteurs pour établir l’existence d’une relation conjugale varie selon les circonstances uniques à chaque casFootnote 30. Je dois garder en tête la nature infiniment variable du mariage dans notre société et évaluer les circonstances particulières afin d’établir si L. M. et W. C. étaient dans une relation analogue à un mariageFootnote 31.

[31] Il ne serait pas approprié que j’évalue la qualité de leur relationFootnote 32. Il ne serait pas plus approprié pour moi de déterminer qui de D. C. ou de L. M. mérite davantage la pension de survivant. La seule question que je dois trancher est celle de savoir si W. C. et L. M. étaient en relation conjugale depuis au moins un an avant le décès de W. C.

[32] Je n’hésite pas à conclure que L. M. a établi qu’elle et W. C. étaient en relation conjugale au moins à partir de 1999 et jusqu’au décès de W. C. en janvier 2016. Ils ont vécu ensemble au domicile de L. M. jusqu’en février 2013, quand W. C. a déménagé dans une maison de soins infirmiers. Il s’agissait d’une séparation involontaire qui n’a pas mis fin à la relation conjugale.

Conclusion

[33] L. M. est admissible à la pension de survivant.

[34] L’appel de D. C. est rejeté.

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