Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – Pension de survivant – Charte –
La requérante a présenté une demande de pension de retraite du RPC qu’elle a commencé à percevoir en 2014. Elle n’a jamais été mariée ou eu de conjoint de fait, et elle prétend recevoir moins de prestations au titre du RPC pour cette raison. Elle soutient donc que certains articles du RPC sont discriminatoires à son égard et qu’ils vont à l’encontre de la Charte. Le ministre a rejeté cet argument relatif à la Charte. La requérante a fait appel à la division générale (DG). Celle-ci a rejeté l’appel et a jugé que bien que la requérante fasse partie d’un groupe digne de la protection de la Charte, il n’y avait aucune preuve que le RPC faisait une distinction à l’encontre de ce groupe. La requérante a fait appel à la division d’appel (DA).

Comme la DG, la DA a reconnu que les personnes qui ne se sont « jamais mariées » ou qui n’ont « jamais eu de conjoint de fait » font partie d’un groupe qui peut faire l’objet de discrimination. Toutefois, la jurisprudence fournit un processus en deux étapes pour décider si ces personnes sont victimes de discrimination et si elles ont droit à la protection de la Charte. D’abord, il doit y avoir une distinction dans les règles du RPC fondée sur le fait de faire partie de ce groupe. Et c’est seulement lorsqu’une telle distinction est établie qu’il est possible de déterminer s’il y a eu discrimination envers les personnes de ce groupe.

La DA a conclu comme la DG que la requérante n’avait pas démontré l’existence d’une distinction; elle reçoit la même pension de retraite que toute autres personnes cotisant au RPC avec un historique de cotisations semblable. De plus, elle ne pourrait pas recevoir une pension de survivant de toute façon puisque cette prestation est seulement versée à la succession du cotisant. De plus, pour que ce type de prestation soit versée, le cotisant doit décéder pendant qu’il est marié ou qu’il entretient une union de fait. Ainsi, aucune pension de survivant n’est payable dans les cas où un cotisant est marié depuis des années mais pas au moment de son décès. Modifier le versement pour tenir compte de circonstances futures n’a pas de sens. Dans ce cas-ci, aucune distinction n’a été démontrée, alors la DG n’a pas eu à aborder la discrimination. La DA a jugé que la DG n’avait commis aucune erreur et a rejeté l’appel.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : RL c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 847

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-658

ENTRE :

R. L.

Appelante

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Intimé


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Valerie Hazlett Parker
DATE DE LA DÉCISION : Le 1er octobre 2020

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est rejeté.

Aperçu

[2] R. L., la requérante, a demandé et commencé à toucher une pension de retraite du Régime de pensions du Canada (RPC) en 2014. Elle n’a jamais été mariée et elle n’a jamais vécu en union de fait. Elle prétend que les articles 44(1) et 46 du RPC sont discriminatoires à son égard et qu’ils vont à l’encontre de la Charte canadienne des droits et libertés parce qu’elle n’a jamais été mariée et qu’elle n'a jamais vécu en union de fait.

[3] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la contestation relative à la Charte de la requérante. Elle a fait appel de cette décision devant le Tribunal. La division générale du Tribunal a décidé que la requérante fait peut-être partie d’un groupe digne d’une protection contre la discrimination en vertu de la Charte, mais qu’elle n’avait pas démontré qu’une distinction avait été faite à l’égard de ce groupe. La division générale a rejeté l’appel.

[4] La permission de faire appel de la décision devant la division d’appel du Tribunal a été accordée. L’appel avait une chance raisonnable de succès, car la division générale pourrait avoir commis une erreur de droit lorsqu’elle a décidé que le RPC ne faisait pas de distinction au titre de la Charte fondée sur le motif de l’état matrimonial.

[5] J’ai maintenant pris connaissance des observations écrites que les parties ont présentées à la division d’appel, et j’ai entendu leurs arguments oraux. J’ai aussi examiné le dossier écrit et la décision de la division générale. L’appel est rejeté. La division générale n’a pas commis d’erreur de droit.

Questions préliminaires

[6] À l’audience devant la division d’appel, j’ai demandé aux parties si elles voulaient écouter l’enregistrement de l’audience devant la division générale avant qu’une décision soit rendue relativement à l’appel. La requérante ne voulait pas que j’écoute l’enregistrement. Une partie de l’enregistrement de l’audience est absente. La requérante affirme qu’il s’agissait de sa contre-interrogation du témoin expert du ministre, qui était importante.

[7] Le ministre n’avait aucune objection à ce que j’écoute l’enregistrement de l’audience.

[8] Je n’ai toutefois pas écouté l’enregistrement. Les observations écrites des parties sont détaillées et elles abordent toutes les questions portées en appel. De plus, les parties ont fait des observations orales complètes à l’audience devant la division d’appel. Leurs observations, tant orales qu’écrites, étaient suffisantes pour que je tranche les questions dont j’étais saisie.

Questions en litige

[9] La division générale a-t-elle commis une erreur en omettant de décider si la requérante faisait partie d’un groupe pouvant faire l’objet de discrimination?

[10] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en décidant que les articles 44(1)(d) et 46 du RPC ne font pas une distinction au titre de la Charte?

[11] La division générale a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de l’ensemble des prestations versables à la requérante avant et après le décès?

[12] La division générale a-t-elle commis une erreur en omettant de vérifier s’il y avait eu de la discrimination?

Analyse

Un appel devant la division d’appel du Tribunal n’est pas une nouvelle audience de la demande originale. La division d’appel peut seulement décider si la division générale a :

  1. négligé d’offrir un processus équitable;
  2. omis de trancher une question qu’elle aurait dû trancher, ou a tranché une question qu’elle n’aurait pas dû trancher;
  3. commis une erreur de droit;
  4. fondé sa décision sur une erreur factuelle importanteNote de bas de page 1.

Les personnes qui n’ont jamais été mariées ou qui n’ont jamais vécu en union de fait peuvent faire l’objet de discrimination.

[13] La Cour suprême du Canada établit un processus en deux étapes qui doit être suivi pour décider si une personne fait partie d’un groupe qui fait l’objet de discrimination au titre de la CharteNote de bas de page 2. C’est ce qu’énonce correctement la décision de la division générale :

  1. La loi crée-t-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?
  2. La distinction crée-t-elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypesNote de bas de page 3?

[14] La décision de la division générale se penche ensuite sur la question de savoir si les personnes qui n’ont jamais été mariées ou qui n’ont jamais vécu en union de fait font partie d’un groupe qui est protégé contre la discrimination au titre de la Charte. La Charte énumère de façon précise un certain nombre de motifs de discrimination qui sont protégésNote de bas de page 4. Un des motifs d’appel analogues qui est accepté est l’état matrimonialNote de bas de page 5. La décision précise que les personnes qui n’ont jamais été mariées ou qui n’ont jamais vécu en union de fait pourraient faire partie d’un groupe analogue digne d’être protégé contre la discrimination au titre de la CharteNote de bas de page 6.

[15] Cet énoncé n’établit pas de façon claire que les personnes qui n’ont jamais été mariées ou qui n’ont jamais vécu en union de fait font partie d’un groupe digne d’être protégé par la Charte. Toutefois, la décision devrait être lue dans son ensemble et en contexteNote de bas de page 7. Après avoir lu la décision dans son ensemble, je suis convaincue que la division générale a décidé qu’il s’agit d’un groupe qui est digne de la protection de la Charte. La décision précise que l’état matrimonial peut être une question d’importance déterminante pour de telles personnes et qu’elle ne devrait pas être écartée d’un examen fondé sur la CharteNote de bas de page 8. La division générale procède ensuite à déterminer si la requérante a établi qu’elle a été traitée différemment parce qu’elle fait partie de ce groupeNote de bas de page 9. Je n’aurais pas analysé cette question si la requérante n’avait pas été considérée comme faisant partie d’un groupe digne de la protection de la Charte.

[16] La division générale n’a commis aucune erreur à cet égard.

Aucune distinction au titre de la Charte

[17] Le deuxième volet du critère consiste à déterminer si la législation contestée crée une distinction entre des groupes qui est fondée sur un motif protégé. La requérante affirme que la division générale a commis une erreur de droit en décidant qu’il n’y avait aucune distinction. Elle soutient que les parties requérantes qui n’ont jamais été mariées et qui n’ont jamais vécu en union de fait reçoivent une pension de retraite moins élevée, car il n’y a aucune prestation payable à une survivante ou un survivant à son décès. Par conséquent, elle soutient qu’elle devrait recevoir une pension de retraite plus élevée de son vivant pour tenir compte de ce que l’époux ou le conjoint de fait qu’une personne mariée ou vivant en union de fait recevrait à son décès.

[18] La division générale conclut que la requérante n’a pas établi une distinction en vertu de l’article 15(1) de la CharteNote de bas de page 10. Elle a fourni les motifs suivants pour sa décision :

  1. La requérante reçoit la même pension de retraite que toute autre personne ayant le même historique de cotisation au RPC et qui a commencé à recevoir sa pension au même âge qu’elleNote de bas de page 11.
  2. La requérante ne recevra pas une pension de survivant. Cette prestation est versée à la succession d’une partie cotisante. Une succession n’a pas de droits garantis par la CharteNote de bas de page 12.
  3. Le RPC n’est pas un régime de pension non subventionné. C’est un régime d’assurance sociale conçu pour remplacer une partie des revenus dans certaines circonstancesNote de bas de page 13.

[19] La requérante soutient que la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a rendu sa décision relativement à cette question. Elle affirme que puisque dans l’affaire RuncheyNote de bas de page 14 la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il y avait une distinction fondée sur l’interaction de deux prestations du RPC, il doit y avoir une distinction dans son cas. Toutefois, contrairement aux parties dans l’affaire Runchey, la requérante ne s’est vue refuser aucune prestation du RPC. Elle touche une pension de retraite. Le montant qu’elle reçoit est le même que toute autre personne ayant versé les mêmes cotisations et ayant commencé à recevoir sa pension au même âge que la requérante.

[20] Il est vrai que la succession de la requérante ne recevra pas une prestation de survivant à moins qu’elle soit mariée ou qu’elle vive en union de fait au moment de son décès. Toutefois, la division générale affirme à juste titre que ce n’est pas la requérante qui est admissible à cette prestation, mais bien sa succession. Une succession n’a pas de droits garantis par la CharteNote de bas de page 15. La division générale n’a pas commis d’erreur de droit en rendant cette décision.

[21] De plus, la requérante a présenté cet argument à la division générale. Ce n’est pas à la division d’appel d’entendre de nouveau les arguments des parties et de remplacer la décision de la division générale par sa propre décision. La division d’appel ne peut pas intervenir à moins que la division générale ait commis une des erreurs énoncées dans sa loi habilitante, la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. La division générale n’a commis aucune erreur de ce type. Par conséquent, l’appel est rejeté pour ce motif.

Ensemble des prestations

[22] La requérante soutient également que la division générale a commis une erreur de droit parce qu’elle n’a pas tenu compte de l’ensemble des prestations qui lui sont accessibles au titre du RPC. Elle affirme qu’elle reçoit une pension de retraite moins élevée qu’une personne mariée ou vivant en union de fait parce qu’en plus de recevoir une pension de retraite, ces personnes reçoivent une prestation de survivant à leur décès. À la division générale, la témoin experte de la requérante a calculé à combien s’élèverait cette prestation supplémentaire dans le cadre d’une pension non subventionnée. La requérante soutient que ses versements de pension de retraite devraient être ajustés à la hausse afin qu’elle reçoive le même montant total qu’une personne mariée ou vivant en union de fait recevrait comme pension de retraite et comme prestation de survivant.

[23] Toutefois, la division générale n’a pas commis d’erreur à cet égard. Le RPC n’est pas une pension non subventionnée. La décision précise que le RPC est un régime d’assurance sociale qui n’est pas conçu pour répondre à tous les besoins possibles de tout le monde. Il a plutôt comme but de remplacer une partie des revenus dans certaines circonstances. Les cotisations qu’une personne verse au RPC pendant qu’elle travaille ne mènent pas toujours à des prestationsNote de bas de page 16.

[24] La prestation de survivant est payable lorsque surviennent des événements précis à un moment précis. Pour que cette prestation soit versée, une partie cotisante doit être mariée ou elle doit vivre en union de fait, et elle doit décéder alors qu’elle est dans l’une de ces relations. Si une partie cotisante a été mariée pendant de nombreuses années, mais qu’elle ne l’est plus au moment de son décès, aucune prestation de survivant ne lui est versée. Même si une partie cotisante est mariée actuellement, il est impossible de prédire si elle le sera encore au moment de son décès. Ainsi, il ne serait pas logique d’ajuster le montant des versements de sa pension de retraite pour tenir compte de toute circonstance future possible. Le montant d’une pension de retraite ne peut pas être versé en fonction de circonstances futures possibles.

[25] De plus, c’est la succession d’une partie cotisante, et non la partie cotisante, qui est admissible à la prestation de survivant. La requérante n’est pas admissible à la recevoir.

[26] Pour ces raisons, établies de façon claire dans sa décision, la division générale n’a pas commis l’erreur d’omettre de considérer la prestation de survivant comme faisant partie de l’ensemble des prestations payables.

Omission de tenir compte de la discrimination

[27] Finalement, la requérante soutient que la division générale a commis une erreur de droit, car elle n’a pas déterminé s’il y avait eu discrimination. Toutefois, elle n’a pas commis d’erreur à cet égard. La Cour suprême du Canada affirme qu’un décideur peut seulement déterminer s’il y a eu discrimination si une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue est découverte.

[28] La division générale a décidé qu’il n’y avait aucune distinctionNote de bas de page 17. Ainsi, elle n’a commis aucune erreur en omettant de déterminer s’il y avait eu discrimination.

[29] L’appel est également rejeté pour ce motif.

Conclusion

[30] L’appel est rejeté pour ces motifs.

Date de l’audience :

Le 15 septembre 2020

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

R. L., appelante

Tiffany Glover, avocate de l’intimé

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