Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : CL c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 985

Numéro de dossier du Tribunal: GP-20-406

ENTRE :

C. L.

Appelante (requérante)

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Ministre


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division générale – Section de la sécurité du revenu


Décision rendue par : Raymond Raphael
Date de l’audience par
téléconférence :
Le 20 octobre 2020
Date de la décision : Le 26 octobre 2020

Sur cette page

Décision

[1] La requérante est admissible à la pension de survivant du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[2] La requérante et le cotisant maintenant décédé S. M. se sont mariés en avril 1987. Ils ont eu deux fils qui sont nés en mars 1988 et en décembre 1991. Ils se sont séparés en mars 1994. Ils ont divorcé en septembre 1996. Ils se sont réconciliés après le divorce. La requérante déclare qu’elle et S. M. étaient conjoints de fait d’août 1997 à septembre 2013 et de février 2015 jusqu’au décès de S. M. en avril 2018. En janvier 2019, la requérante a présenté une demande de prestation de survivant du RPC. Le ministre a rejeté sa demande initialement et après révision. La requérante a fait appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

Question en litige

[3] Je dois déterminer si la requérante et S. M. étaient conjoints de fait au moment du décès de ce dernier.

Analyse

[4] Pour être admissible à la pension de survivant du RPC, la requérante doit établir qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle et S. M. étaient conjoints de fait au moment du décès de ce dernier. Elle doit également établir qu’ils étaient conjoints de fait pendant une période continue d’au moins un anNote de bas de page 1.

[5] S. M. était atteint de dystrophie multiple [sic]. Lorsqu’ils se sont mariés en 1987, il travaillait encore et était autonome. Au fil des ans, son état a décliné. Il n’était plus capable de travailler. Malgré cela, ils ont vécu comme les autres couples mariés. Il recevait une pension de son fonds de retraite et des prestations d’invalidité du RPC. Elle s’occupait des enfants, de la maison, des repas et de la lessive. Elle s’occupait également des soins personnels de S. M.

[6] Au fur et à mesure que sa maladie progressait, S. M. devenait de plus en plus dépendant de la requérante. Il souffrait beaucoup et se mettait en colère. La requérante a déclaré qu’elle était [traduction] « submergée par les responsabilités et les exigencesNote de bas de page 2 ».

[7] Ils se sont séparés pour la première fois en 1994. Cependant, elle est restée à proximité et a fait des « allers-retours » pour s’occuper de lui. Elle lui a cédé la maison lorsqu’ils ont divorcé en 1996. Ils se sont réconciliés en 1997. Elle est retournée vivre dans la maison. Elle y est restée jusqu’en 2013. De 2013 à 2015, elle a déménagé au Nouveau-Brunswick pour aider leur fils et sa femme. Elle était de retour dans la maison de février 2015 à mars 2017.

[8] En mars 2017, elle a de nouveau déménagé. Elle a loué une maison qui se trouvait à environ 10 minutes de celle de S. M. Un de leurs fils a continué à vivre dans la maison avec S. M. Lorsque j’ai demandé à la requérante pourquoi elle avait déménagé, elle a déclaré : [traduction] « Il avait des accès de violence... il se montrait agressif et émotionnellement abusif... il me traitait de tous les noms... il courait dans ma direction avec une chaise... il était en colère parce qu’il dépendait de moi... j’ai dû déménager pour préserver ma santé mentale ».

[9] Le ministre ne conteste pas que la requérante et S. M. ont vécu ensemble en tant que conjoints de fait de mars 2015 à mars 2017. Toutefois, sa position est qu’ils ont cessé d’être des conjoints de fait lorsqu’elle a déménagé en mars 2017.

[10] Je dois décider si la requérante et S. M. ont continué à être des conjoints de fait après mars 2017. Voici les raisons pour lesquelles j’ai déterminé qu’ils ont continué à l’être.

[11] La Cour fédérale a déclaré que les facteurs indicatifs d’une union de fait sont notamment les suivantsNote de bas de page 3 :

  1. le partage d’un toit, notamment le fait que les parties vivaient sous le même toit ou partageaient le même lit ou le fait que quelqu’un d’autre habitait chez elles;
  2. les rapports sexuels et personnels, notamment le fait que les parties avaient des relations sexuelles, étaient fidèles l’une à l’autre, communiquaient bien entre elles sur le plan personnel, prenaient leurs repas ensemble, s’entraidaient face aux problèmes ou à la maladie ou s’offraient des cadeaux;
  3. les services, notamment le rôle des parties dans la préparation des repas, le lavage, les courses, l’entretien du foyer et d’autres services ménagers;
  4. les activités sociales, notamment le fait que les parties participaient ensemble ou séparément aux activités du quartier ou de la collectivité et leurs rapports avec les membres de la famille de l’autre;
  5. l’image sociétale, notamment l’attitude et le comportement de la collectivité envers chacune des parties, considérées en tant que couple;
  6. le soutien, notamment les dispositions financières prises par les parties pour ce qui était de fournir les choses nécessaires à la vie et la propriété de biens;
  7. l’attitude et le comportement des parties à l’égard des enfants.

[12] Je me penche maintenant sur chacun des facteurs énoncés ci-dessus.

Partage d’un toit

[13] Bien qu’ils n’aient plus vécu sous le même toit après mars 2017, la requérante allait lui rendre visite presque tous les jours. Elle aidait S. M. à se coucher le soirNote de bas de page 4.

Rapports sexuels et personnels

[14] À partir de mars 2017, il n’y avait plus d’intimité sexuelle en raison de la progression de la maladie de S. M. Après mars 2017, ils ont continué à communiquer et à se montrer affectueux l’un envers l’autre. Ils se disaient qu’ils s’aimaient. Ils mangeaient ensemble. La requérante a continué à aider S. M. dans le cadre de sa maladie.

Services

[15] Après mars 2017, la requérante a continué à préparer les repas pour S. M., à faire sa lessive et à aider aux travaux ménagers. Elle le nourrissait et lui donnait son bain. Elle préparait également les fêtes de famille.

Activités sociales

[16] Ils ont continué à célébrer ensemble les anniversaires, l’Action de grâces et Noël. En raison de la maladie de S. M., ils ne sortaient pas. Les visites sociales impliquaient que parents ou amis venaient à la maison. Ces visites ont diminué en raison de l’aggravation de la maladie de S. M. Ils continuaient à être connus comme mari et femme dans leur communauté.

Soutien et dispositions financières

[17] Après mars 2017, la requérante travaillait à temps partiel pour payer son loyer et ses dépenses personnelles. S. M. payait la carte de crédit au nom de la requérante. Elle utilisait cette carte pour payer les dépenses du ménage. Elle avait une autre carte de crédit qu’elle utilisait pour ses dépenses personnelles. Ils n’avaient pas de compte bancaire commun depuis leur divorce en 1996. La maison était au nom de S. M. après leur divorce. Après mars 2017, elle a pris des dispositions pour qu’il signe un testament. Il avait refusé de faire un testament auparavant. Leurs enfants en étaient les bénéficiaires. Elle n’avait pas de testament. Il n’avait pas de police d’assurance vie. Elle l’a maintenu comme bénéficiaire de sa police d’assurance vie. Elle était à l’hôpital pour s’occuper de lui au moment de son décès. Leurs enfants se sont occupés des funérailles. S. M. a été incinéré et elle conserve ses cendres dans sa chambre.

Attitude et comportement à l’égard des enfants

[18] Un de leurs fils vivait dans la maison. Leur petit-fils venait tous les week-ends. La requérante s’occupait de leur petit-fils quand il venait.

Mes constatations

[19] Je dois me concentrer sur la période allant de mars 2017 à avril 2018.

[20] La mesure dans laquelle il convient de prendre en compte les différents facteurs d’une union de fait varie selon les circonstances de chaque casNote de bas de page 5. Je dois garder à l’esprit la nature infiniment variable du mariage dans notre société et évaluer les circonstances spécifiques, afin de déterminer si la requérante et S. M. avaient une relation comparable au mariageNote de bas de page 6.

[21] La Cour suprême du Canada a déclaré que la cohabitation dans le cadre d’une union de fait n’est pas synonyme de corésidence, et que deux personnes peuvent cohabiter même si elles ne vivent pas sous le même toit. Il peut y avoir des périodes de séparation physique s’il y avait une intention mutuelle de poursuivre une union de faitNote de bas de page 7.

[22] Bien qu’une union de fait implique généralement une résidence commune, chaque cas doit être déterminé en fonction de ses propres faitsNote de bas de page 8. Il peut y avoir des périodes de séparation qui ne perturbent pas le statut juridique d’une union de fait. La séparation due à une relation abusive n’interrompt pas l’union de fait, s’il y avait intention mutuelle de poursuivre la relationNote de bas de page 9.

[23] La requérante était investie dans une relation semblable au mariage avec S. M. depuis plus de 30 ans. Son engagement envers lui et la véritable nature de cette relation n’ont pas changé après mars 2017, simplement parce qu’elle a déménagé à dix minutes de sa maison. Elle a déménagé uniquement parce qu’elle devait préserver sa santé mentale en raison des mauvais traitements qu’il lui infligeait. Les aspects les plus importants de leur relation se sont poursuivis. Rien ne prouve qu’elle ou S. M. avait l’intention de mettre fin à la relation.

[24] Le ministre s’appuie sur la déclaration de la requérante dans sa demande de prestations de survivant du RPC selon laquelle l’état matrimonial de S. M. au moment de son décès était « séparéNote de bas de page 10 ». Cependant, dans sa déclaration solennelle, elle a déclaré que leur séparation après mars 2017 était devenue nécessaire pour sa propre santé mentale. La maladie de S. M. avait progressé et il était devenu de plus en plus colériqueNote de bas de page 11. Lors de l’audience, la requérante a déclaré qu’elle avait écrit cela parce qu’ils vivaient dans des résidences séparées. Elle a déménagé dans une résidence séparée parce qu’il était devenu si cruel et abusif qu’elle ne pouvait plus vivre dans la maison. Le déménagement de la requérante dans une résidence séparée était une séparation involontaire en raison des abus de S. M. – elle n’avait pas l’intention de mettre fin à leur relation. Le fait de cocher une case sur un formulaire de demande standard n’est pas une preuve convaincante de la véritable nature d’une relation complexe à long terme, comme celle entre la requérante et S. M.

[25] J’estime que la requérante et S. M. ont continué à être conjoints de fait jusqu’au décès de S. M. en avril 2018. La requérante a établi qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle et S. M. étaient conjoints de fait au moment de son décès.

Conclusion

[26] La requérante est admissible à la pension de survivant du RPC.

[27] L’appel est accueilli.

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