Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – prestations de pension du survivant – compétence de la division générale
Le mari de la requérante est décédé en mars 2017. En mars 2019, la requérante a demandé une pension de survivant du RPC. Le ministre a accueilli sa demande et a décidé qu’elle avait droit à une pension rétroactive à compter d’avril 2018, soit le plus tôt permis par la loi. La requérante a demandé au ministre de réviser sa décision en soutenant avoir droit à plus de prestations rétroactives en raison de ses demandes précédentes. Le ministre a cependant refusé de modifier la date de début. La requérante a ensuite fait appel à la division générale (DG) qui a ordonné que la date de début soit changée pour avril 2017, le mois suivant le décès de son mari. La DG a fondé sa décision sur deux demandes précédentes que la requérante avait présenté avant mars 2019. Le ministre a fait appel de la décision de la DG à la division d’appel (DA), affirmant que la DG avait commis une erreur en tenant compte de demandes qui n’avaient pas été abordées dans la décision de révision du ministre. Le ministre a aussi fait valoir que la DG avait présumé que ces demandes précédentes étaient complètes.

La DA a accepté la position du ministre et conclu que la DG avait excédé sa compétence en considérant les demandes précédentes de la requérante. La DG n’aurait seulement dû tenir compte que de la demande de mars 2019 puisque la décision de révision ne portait que sur celle-ci. Sur la base de cette demande, la requérante n’avait droit qu’à des prestations à compter d’avril 2018. La DG ne pouvait pas accorder davantage de prestations rétroactives, car cela est interdit par la loi. La DA a également confirmé que la DG avait commis une erreur en supposant que les demandes précédentes étaient complètes. La DA a accueilli l’appel du ministre et rendu la décision que la DG aurait dû rendre. Elle a accordé à la requérante la rétroactivité maximale permise en fonction de la seule demande valide au dossier.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : Ministre de l’Emploi et du Développement social c NA, 2021 TSS 72

Numéro de dossier du Tribunal: AD-20-824

ENTRE :

Minister of Employment and Social Development

Appelant

et

N. A.

Intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Neil Nawaz
DATE DE LA DÉCISION : Le 24 février 2021

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli. La division générale a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a accordé à l’intimée des versements rétroactifs supplémentaires de la pension de survivant du Régime de pensions du Canada (RPC). J’ai substitué ma décision à celle de la division générale et confirmé la décision du ministre de commencer à verser la pension à l’intimée à compter d’avril 2018.

Aperçu

[2] Le ministre de l’Emploi et du Développement social demande l’annulation de la décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale d’accorder des prestations supplémentaires à l’intimée, N. A.

[3] L’époux de N. A. est décédé en mars 2017. En mars 2019, elle a présenté une demande de pension de survivant du RPC au bureau de Service Canada de sa région. Le ministre a approuvé la demande et versé à N. A. une pension rétroactive à avril 2018. Il a établi que c’était la date la plus reculée permise par la loiNote de bas de page 1.

[4] N. A. a demandé au ministre de réviser la date du début de sa pension de survivant. Elle affirmait avoir présenté deux demandes de pension antérieures, l’une en avril 2017 et l’autre en janvier 2018. Elle soutenait qu’elle avait droit à d’autres versements rétroactifs découlant de l’une ou l’autre de ces demandes. Dans une lettre datée du 29 janvier 2020, le ministre a refusé de changer la date du début de la pensionNote de bas de page 2.

[5] N. A. a porté ce refus en appel au Tribunal de la sécurité sociale. La division générale du Tribunal a tenu une audience par téléconférence et, dans une décision datée du 7 août 2020, a accueilli l’appel. La division générale a relevé des éléments de preuve montrant que N. A. avait envoyé deux demandes antérieures et elle a admis d’office le fait qu’au Canada, le courrier est habituellement livré dans un délai de sept jours. Elle a conclu que le ministre avait reçu les deux demandes et a ordonné que la date du début de la pension de N. A. soit devancée à avril 2017, soit le mois suivant le décès de son époux.

[6] Le ministre demande maintenant la permission d’en appeler à la division d’appel du Tribunal, car il prétend que la division générale a commis les erreurs suivantes pour en arriver à sa décision :

  • Elle a outrepassé sa compétenceNote de bas de page 3 en examinant non seulement la demande de mars 2019 visée par l’appel de N. A., mais aussi ses demandes d’avril 2017 et de janvier 2018.
  • Elle a commis une erreur de droit en présumant que le courrier recommandé non retourné est effectivement reçu par le destinataire.
  • Elle a fondé sa décision sur des conclusions erronées voulant que le ministre avait reçu les demandes antérieures de N. A. et que ces demandes étaient complètes.

[7] À la fin de l’année dernière, j’ai accordé au ministre la permission d’en appeler parce que je pensais qu’il avait soulevé un argument défendable. Maintenant que j’ai examiné le dossier et entendu les arguments oraux des parties, j’ai conclu que la décision de la division générale est mal fondée.

Questions en litige

[8] Il y a quatre motifs d’appel à la division d’appel. La partie qui demande la permission d’appeler d’une décision doit démontrer que la division générale i) a agi de manière inéquitable, ii) a refusé d’exercer ou a outrepassé sa compétence, iii) a mal interprété la loi ou iv) a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 4.

[9] Dans le présent appel, je devais trancher les questions suivantes :

  • La division générale a-t-elle outrepassé sa compétence en examinant les deux premières demandes de N. A.?
  • La division générale a-t-elle commis une erreur en présumant que le courrier non retourné est effectivement reçu par le destinataire?
  • La division générale a-t-elle commis une erreur en jugeant que les demandes antérieures de N. A. étaient complètes?

Analyse

La division générale a outrepassé sa compétence en examinant les deux premières demandes de N. A.

[10] N. A. a toujours maintenu qu’elle a présenté deux demandes antérieures, soit une en avril 2017 et une en janvier 2018, qui se sont perdues en cours de route ou ont été mal traitées par le bureau du ministre. La division générale a conclu que le ministre avait effectivement reçu les demandes, mais qu’il ne les avait pas traitées pour une raison quelconque.

[11] Le ministre soutient que la division générale n’avait pas la compétence nécessaire pour tirer des conclusions sur les deux premières demandes de N. A. Il souligne qu’aucune des demandes n’a fait l’objet d’une décision de révision au titre de l’article 81 du Régime de pensions du Canada. Il maintient qu’en vertu de l’article 82, une décision de révision est le seul fondement sur lequel on peut faire appel au Tribunal de la sécurité sociale.

[12] Je suis d’accord avec le ministre. La question de savoir si le ministre a reçu les demandes datant d’avril 2017 et de janvier 2018 importe peu. En effet, la division générale n’avait pas la compétence nécessaire pour se pencher sur l’une ou l’autre.

Les décisions du ministre étaient fondées uniquement sur la demande de mars 2019

[13] La décision initiale du ministre d’accorder une pension de survivant à N. A. était fondée sur la demande qu’elle a présentée en mars 2019. Même si N. A. aimerait qu’il en soit autrement, c’est la réalité. Cela signifie qu’elle n’avait pas droit aux versements rétroactifs de la pension avant avril 2018Note de bas de page 5.

[14] N. A. a demandé au ministre de réviser sa décision initiale conformément à l’article 81 du Régime de pensions du Canada. Dans le cadre de la révision, le ministre avait le pouvoir de décider seulement si sa décision initiale concernant la demande de mars 2019 était correcteNote de bas de page 6. Il n’avait pas le pouvoir d’examiner d’autres demandes possiblement présentées par N. A. Par conséquent, le ministre ne pouvait pas modifier la date rétroactive du début de la pension de N. A.

La compétence de la division générale se limitait à la demande de mars 2019

[15] La compétence de la division générale se limite aux appels visant les décisions de révision. Elle découle de l’article 82 du Régime de pensions du Canada, selon lequel une partie qui se croit lésée par une décision rendue par le ministre en application de l’article 81 peut faire appel de cette décision devant le Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a le pouvoir de traiter les appels portant sur les décisions de révisionNote de bas de page 7.

La division générale a outrepassé sa compétence en accordant une rétroactivité que le ministre ne pouvait pas accorder

[16] La division générale a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a accordé à N. A. une pension de survivant rétroactive à avril 2017. Même si la division générale avait la compétence d’examiner seulement la demande de mars 2019, elle a examiné deux autres demandes qui ne faisaient pas l’objet de la décision de révision du ministre.

[17] Lors d’un appel, la division générale ne peut pas rendre des décisions portant sur une autre demande que celle qui a fait l’objet de la décision initiale et de la décision de révision rendues par le ministre.

La division générale a mal interprété l’arrêt Vinet-Proulx

[18] Ce principe a été confirmé par la Cour fédérale dans l’affaire Vinet-ProulxNote de bas de page 8, qui portait sur une situation semblable à la présente affaire. Dans l’affaire Vinet-Proulx, la requérante a demandé une pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) en avril 2004. Le ministre a approuvé sa demande et le versement d’une pension rétroactive à mai 2003Note de bas de page 9. La requérante a alors demandé une révision de la décision du ministre, car elle affirmait avoir déjà envoyé une demande en mars 2003. Comme dans la présente affaire, le ministre n’a trouvé aucune trace d’une demande antérieure et, après avoir fait une révision, il a confirmé sa décision initiale. La requérante a porté la décision de révision en appel devant le prédécesseur de la division générale, le tribunal de révision du RPC. Celui-ci a décidé que le ministre avait bel et bien reçu la demande que la requérante a présentée en mars 2003. Le tribunal de révision lui a accordé des prestations rétroactives à juillet 2002, soit le mois après son 65e anniversaire et donc la date de versement la plus reculée possible. Le ministre a demandé un contrôle judiciaire à la Cour fédérale.

[19] La Cour fédérale a conclu que le tribunal de révision avait outrepassé sa compétence en accordant des versements rétroactifs supplémentaires de la pension de la SV en se fondant sur la demande antérieure que la requérante maintenait avoir envoyée. Le ministre, a affirmé la Cour, pouvait rendre une décision de révision uniquement d’après la demande qui lui avait été présentée. En conséquence, la portée de l’examen du tribunal de révision s’en trouvait limitée. Le ministre ne pouvait pas accorder une rétroactivité remontant plus loin que mai 2003, et le tribunal de révision ne pouvait pas aller au-delà de ce que le ministre avait ordonné à la suite de la révision.

[20] Dans la présente affaire, la division générale a cité l’arrêt Vinet-Proulx, mais, ce faisant, elle a apparemment fait fi du principe sur lequel repose principalement cette affaire. Dans sa décision, la division générale a écrit :

Dans l’arrêt Vinet-Proulx, la Cour a souligné que les questions de savoir à quelle date une demande de prestations a été envoyée par une requérante ou un requérant et à quelle date la demande en question a été reçue par [le ministre] sont des questions de fait qui sont du ressort du tribunal de révision. Il peut trancher la question à partir des témoignages entendus et des documents déposés, ou même en s’appuyant sur des présomptions, selon la prépondérance des probabilités. La Cour a examiné les dispositions législatives pertinentes et elle a conclu que le ministre était tenu d’appliquer les dispositions de la loi à la demande qu’il avait reçueNote de bas de page 10. [mis en évidence dans l’original]

Ce passage s’appuie sur un commentaire dans l’arrêt Vinet-Proulx qui, en fin de compte, n’avait rien à voir avec le point plus général que la Cour fédérale essayait de faire valoir. Il est vrai que la Cour a confirmé le droit du tribunal de révision de tirer une conclusion de fait sur la question de savoir si une demande a été reçue ou à quel moment elle l’a été, mais elle a ensuite laissé entendre que rien de tout cela n’avait d’importance s’il y avait seulement une décision de révision sur la table :

Toutefois, le nœud du litige repose sur la décision initiale et la décision révisée du ministre qui ont été rendues en fonction de la demande de prestations reçue par le ministère le 14 avril 2004 et nonNote de bas de page 11 en vertu d’une autre demande de prestations de la demanderesse qui n’a pas été retrouvée, en supposant qu’elle existe, par le ministèreNote de bas de page 12. [mis en évidence dans l’original]

La Cour n’a rien constaté qui contredise la position du ministre, à savoir qu’il n’avait jamais reçu la première demande de Mme Vinet-Proulx. Mais le point important aux yeux de la Cour était que la première demande, même si l’on supposait qu’elle avait existé et que le ministre l’avait reçue, n’avait jamais fait l’objet d’une décision de révision. Cela voulait dire que le tribunal de révision n’avait rien sur quoi fonder une ordonnance de versements rétroactifs supplémentaires.

[21] Je suis convaincu que si la division générale avait adopté le véritable raisonnement de la Cour fédérale dans l’arrêt Vinet-Proulx, elle en serait arrivée à une conclusion différente de celle qu’elle a tirée. Elle aurait conclu qu’en l’absence d’une décision de révision portant sur les demandes d’avril 2017 et de janvier 2018 qui auraient été « égarées », elle n’avait pas la compétence nécessaire pour examiner un de leurs aspects, quel qu’il soit.

Le Tribunal n’a pas la compétence nécessaire pour obliger le ministre à corriger ses erreurs administratives

[22] Le ministre soutient que comme il n’a jamais reçu les deux premières demandes de N. A., il n’a pas été en mesure de les évaluer, que ce soit initialement ou lors d’une révision. Il affirme que s’il les avait égarées ou mal traitées, le mécanisme approprié pour régler les allégations de N. A. découlerait de l’article 66(4) du Régime de pensions du Canada, qui permet au ministre de corriger les erreurs administratives.

[23] Je suis d’accord. Le ministre n’a jamais admis avoir commis une telle erreur, et ni la division générale ni la division d’appel ne peuvent faire quoi que ce soit pour le forcer à faire une telle admission. De plus, même si le ministre avait admis avoir commis une erreur administrative, ni la division générale ni la division d’appel n’auraient eu le pouvoir de la corriger. Dans une affaire appelée EslerNote de bas de page 13, la Cour fédérale a annulé la tentative du tribunal de révision du RPC de prolonger les prestations rétroactives de la SV au-delà des limites prévues par la loi. La Cour a écrit : « Le Tribunal de révision est une pure création de la loi et, par conséquent, il ne jouit d’aucune compétence inhérente en équité qui lui aurait permis d’écarter la disposition législative claire du paragraphe 8(2) de la Loi et d’appliquer le principe d’équité pour accorder des prestations rétroactives au-delà de la limite prévue par la LoiNote de bas de page 14. »

La division générale a présumé à tort que le courrier non retourné était livré

[24] Pour conclure que le ministre avait effectivement reçu les demandes antérieures de N. A., la division générale a admis « d’office » le fait que « au Canada, le courrier est habituellement livré dans les sept joursNote de bas de page 15 ». La division générale a ajouté : « Je reconnais que, selon le ministre, il n’y a aucun document attestant de la réception des documents. J’admets que la preuve que je dois soupeser n’est pas idéale. Toutefois, on présume que le courrier recommandé est effectivement reçuNote de bas de page 16. »

[25] Je suis d’accord avec le ministre : la division générale a commis une erreur de droit lorsqu’elle a fait ces affirmations. Comme je l’ai expliqué, la décision de la division générale relève uniquement d’une question de compétence. Cependant, en tentant de redonner vie aux deux premières demandes de N. A., la division générale a également fait preuve d’une logique floue à plusieurs reprises et je me sens obligé d’en parler.

[26] Premièrement, la division générale n’a pas tiré de conclusion explicite voulant que N. A. avait en effet envoyé des demandes antérieures en avril 2017 et en janvier 2018. Elle n’a pas non plus tenté de confirmer la méthode d’envoi utilisée — courrier régulier ou recommandé. En l’absence de preuve documentaire démontrant l’une ou l’autre, la division générale a simplement cru N. A. sur parole et conclu que les demandes avaient été envoyées et, qui plus est, reçues. Je ne conteste pas le droit de la division générale de tirer des conclusions de fait, mais lorsque ces conclusions reposent entièrement sur le témoignage de témoins, la division générale doit au moins se donner la peine d’expliquer pourquoi ce témoignage mérite qu’on lui accorde de l’importance.

[27] De toute évidence, il ne suffisait pas que la division générale croie que N. A. avait envoyé deux demandes antérieures. Elle devait aussi conclure que le ministre les avait reçues. Pour ce faire, la division générale a admis d’office le fait qu’au Canada, le courrier est habituellement livré dans un délai de sept jours. La connaissance d’office est habituellement invoquée pour reconnaître les faits qui sont si « notoires ou généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre des personnes raisonnablesNote de bas de page 17 ». Toutefois, je ne crois pas que l’infaillibilité de la livraison du courrier soit quelque chose dont on puisse présumer.

[28] Dans le contexte du Régime de pensions du Canada, on ne présume pas que le courrier régulier arrive toujours à destination dans un délai raisonnable. La division générale elle-même semblait reconnaître cette réalité en écrivant que le courrier arrive « habituellement » dans un délai d’une semaine. Ce faisant, la division générale a implicitement laissé entrevoir la possibilité que le ministre n’ait pas reçu les deux demandes. La question de savoir si le ministre avait reçu les demandes (si l’on suppose qu’elles ont été postées) n’était donc pas « indiscutable ». Par conséquent, la conclusion de la division générale sur ce point ne respecte pas la norme de connaissance d’office.

La division générale a présumé à tort que les deux demandes précédentes étaient complètes

[29] La division générale a non seulement jugé que les demandes antérieures avaient été envoyées et reçues, mais aussi qu’elles étaient complètes. Le ministre affirme que la division générale a fondé sa décision sur une conclusion abusive ou arbitraire voulant que N. A. ait rempli les deux demandes conformément aux exigences du RPC.

[30] Encore une fois, je suis d’accord avec le ministre. Aux termes du Régime de pensions du Canada, les personnes qui demandent la pension de survivant doivent fournir par écrit une longue liste de renseignements, y compris le nom, la date de naissance et le numéro d’assurance sociale de la cotisante ou du cotisant qui est décédé et de la personne que l’on propose comme bénéficiaire de la pensionNote de bas de page 18. Lorsque le ministre reçoit une demande, il vérifie habituellement si elle est complète. À la division générale, N. A. a présenté des copies des deux demandes qu’elle affirmait avoir envoyées au ministre. Dans sa décision, la division générale a commis les erreurs suivantes :

Même si je suis convaincue que le ministre a reçu les deux demandes, je remarque que la demande de 2017 ne semble pas porter de signature. Par contre, la demande de 2018 est signée. Cependant, je ne peux pas décider si la demande était complèteNote de bas de page 19.

En fin de compte, la division générale a accordé à N. A. une rétroactivité supplémentaire comme si une ou les deux demandes antérieures étaient complètes. Pourtant, la division générale a relevé au moins une indication montrant qu’en fait, la demande d’avril 2017 était incomplète. De plus, elle a explicitement refusé de tirer une conclusion au sujet de la demande de janvier 2018. Je vois ici une incohérence. D’une part, la division générale a reconnu non seulement l’existence, mais aussi la validité des demandes antérieures. D’autre part, elle a relevé des lacunes potentielles dans une ou les deux demandes sans expliquer pourquoi ces lacunes ne les rendaient pas incomplètes.

Réparation

Il y a deux façons de corriger les erreurs de la division générale

[31] La division d’appel a le pouvoir de corriger les erreurs commises par la division généraleNote de bas de page 20. Je peux renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle soit instruite à nouveau ou je peux rendre la décision que la division générale aurait dû rendre.

[32] Le Tribunal doit voir à ce que l’instance se déroule aussi rapidement que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent. Près de deux ans se sont écoulés depuis que N. A. a demandé la pension de survivant. Le renvoi de cette question à la division générale ne ferait que retarder le règlement final de ce qui est déjà une instance qui s’étire.

[33] Les parties ont convenu que, si je constatais une erreur dans la décision de la division générale, la réparation appropriée serait que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre et que je mène mon propre examen sur la date du début de la pension de survivant. Bien sûr, les parties avaient des points de vue différents sur le résultat attendu. N. A. a fait valoir que, quelles que soient les erreurs de la division générale, elle devrait tout de même recevoir une pension de survivant remontant au décès de son mari. Le ministre a insisté sur le fait que je n’avais d’autre choix en vertu de la loi que de limiter à 11 mois les paiements rétroactifs à verser à N. A.

Le dossier est assez fourni pour trancher la question sur le fond

[34] Je suis convaincu d’avoir suffisamment d’information pour décider du début de la pension de N. A. La division générale a donné à N. A. toutes les chances de faire valoir qu’elle avait déjà présenté deux demandes, et le ministre a eu les mêmes chances de faire valoir qu’il ne les avait jamais reçues. Cependant, comme je l’ai mentionné plus haut, la question de savoir si et quand N. A. a fait les deux premières demandes importe peu. Il n’en demeure pas moins qu’elles n’ont engendré aucune lettre de révision et qu’elles n’auraient donc pas pu faire l’objet d’un appel à la division générale. En fin de compte, cette affaire se résume à une question de compétence — en particulier, la question de savoir si la division générale avait le pouvoir d’examiner une autre question que celles soulevées dans la lettre de révision du ministre qui est datée du 29 mars 2020.

[35] Par conséquent, je suis en mesure d’appliquer la loi aux faits établis et de rendre la décision que la division générale aurait dû rendre. À mon avis, si la division générale avait bien appliqué l’article 82 du Régime de pensions du Canada, elle se serait rendu compte qu’elle n’avait pas le pouvoir de lier les paiements rétroactifs à une autre demande de pension que celle présentée en mars 2019. Comme cette demande a généré la seule lettre de révision au dossier, la division générale était obligée d’accorder les versements rétroactifs de la pension au plus tôt à compter d’avril 2018Note de bas de page 21.

Conclusion

[36] J’accueille l’appel. La division générale a outrepassé sa compétence en examinant deux demandes qui n’ont jamais fait l’objet d’une lettre de révision du ministre. Mon propre examen du dossier me convainc que, comme le ministre a accordé une pension de survivant fondée sur la demande que N. A. a présentée en mars 2019, elle a droit à seulement 11 mois de versements rétroactifs à partir de cette date.

 

Date de l’audience :

Le 9 février 2021

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

Ian McRobbie, représentant de l’appelant

N. A., intimée

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