Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Résumé :

RPC – invalidité – application du critère Villani à la situation personnelle

La requérante était conductrice de chariot élévateur. Elle a eu un accident de voiture qui l’a laissée avec de la douleur et des maux de tête. Elle avait une 8e année et aucune connaissance en informatique. Neuf ans après l’accident, elle a présenté une demande de pension d’invalidité, mais le ministre l’a rejetée. Elle a fait appel à la division générale (DG). La DG a rejeté l’appel. La DG a examiné les problèmes de santé et les antécédents personnels de la requérante et a conclu qu’elle pouvait encore travailler.

La requérante a donc fait appel à la division d’appel (DA). Celle-ci a conclu que la DG avait commis une erreur de droit. La décision de la DG mentionnait les antécédents de la requérante, mais ne montrait pas que la DG avait examiné les répercussions de son niveau d’éducation limité et du fait qu’elle n’a aucune connaissance en informatique sur sa capacité à travailler. La DA a rendu la décision que la DG aurait dû rendre et a conclu que la requérante était invalide. À cause de ses problèmes de santé, il était très difficile pour la requérante de travailler dans des emplois exigeants physiquement. Puisqu’elle a seulement occupé des emplois exigeants sur le plan physique, ses compétences d’emploi n’étaient pas transférables à un travail sédentaire. Son manque de connaissances informatiques et ses autres difficultés de lecture et d’écriture font en sorte qu’il serait difficile pour elle de se recycler. Avec peu de scolarité, elle aurait du mal à trouver des emplois sédentaires sur le marché du travail. Ses problèmes de santé ne se sont pas améliorés après neuf ans et rien ne prouvait qu’il était possible d’y remédier; sa condition était donc prolongée. La DA a accueilli l’appel, ce qui signifiait que la requérante était admissible à la pension d’invalidité.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : LG c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 277

Numéro de dossier du Tribunal: AD-21-92

ENTRE :

L. G.

Appelante

et

Ministre de l’Emploi et du Développement social

Intimé


DÉCISION DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
Division d’appel


DÉCISION RENDUE PAR : Valerie Hazlett Parker
DATE DE LA DÉCISION : Le 14 juin 2021

Sur cette page

Décision et motifs

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] La présente décision est celle que la division générale aurait dû rendre. La requérante est invalide. Les paiements de pension d’invalidité entreront en vigueur à compter de juin 2017.

Aperçu

[3] L. G. (requérante) a terminé sa 8e année avant d’intégrer la population active. Son dernier emploi a été celui de conductrice de chariot élévateur. Après avoir été impliquée dans un accident de la route, la requérante a commencé à avoir des maux de tête et de la douleur au dos, au cou et à l’épaule droite.

[4] La requérante a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada et dit que ses problèmes de santé la rendent invalide. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande. La requérante a fait appel au Tribunal. La division générale du Tribunal a rejeté l’appel. Elle a conclu que la requérante a une certaine capacité à travailler, mais qu’elle n’a pas tenté de travailler en respectant ses limitations; il ne s’agit donc pas d’une invalidité grave.

[5] La permission de porter cette décision en appel à la division d’appel du Tribunal a été accordée. Il est possible que la division générale ait omis de tenir compte des répercussions du niveau d’alphabétisation et du niveau de scolarité de la requérante sur sa capacité de travail.

[6] J’ai maintenant lu la décision de la division générale et j’ai écouté les parties pertinentes de l’enregistrement de l’audience devant la division générale. J’ai lu tous les documents déposés auprès de la division d’appel et j’ai entendu les arguments oraux des parties. La division générale a commis une erreur de droit. Elle n’a pas analysé pleinement l’ensemble des caractéristiques personnelles de la requérante, y compris son niveau d’alphabétisation et son instruction, au moment de rendre sa décision. Je rends donc la décision que la division générale aurait dû rendre : la requérante est invalide. Les paiements de pension d’invalidité entreront en vigueur à compter de juin 2017.

Question en litige

[7] La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du niveau d’alphabétisation et du niveau de scolarité de la requérante?

Analyse

[8] Un appel à la division d’appel du Tribunal ne consiste pas à instruire à nouveau la demande initiale. La division d’appel peut seulement décider si la division générale a :

  1. omis d’offrir un processus équitable;
  2. omis de trancher une question qu’elle aurait dû trancher ou tranché une question qu’elle n’aurait pas dû trancher;
  3. commis une erreur de droit;
  4. fondé sa décision sur une erreur de fait importanteFootnote 1.

Défaut de tenir compte du niveau d’alphabétisation et du niveau de scolarité de la requérante

[9] Pour décider si une partie requérante est atteinte d’une invalidité grave, le Tribunal doit tenir compte de son état de santé et de sa situation personnelle, notamment son âge, son niveau de scolarité, ses compétences linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vieFootnote 2. La décision de la division générale indique ce qui suit :

[26] Je dois évaluer le caractère grave du critère dans un contexte réaliste. Cela signifie qu’au moment de décider si l’invalidité d’une personne est grave, je dois garder à l’esprit des facteurs comme l’âge, le niveau de scolarité, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie. Dans le cas qui nous occupe, en concluant que l’invalidité de la requérante n’est pas grave, j’ai tenu compte du fait qu’elle avait 46 ans à la date de fin de la PMA et une 8e année. Elle est incapable d’utiliser un ordinateur. Elle peut parler et comprendre l’anglais. Elle a surtout occupé des emplois en usine comme conductrice de chariot élévateur. Elle a également travaillé comme gardienne d’enfants et comme caissière chez PFK.

[27] Je note son faible niveau de scolarité et son incapacité à utiliser un ordinateur. Cependant, son âge et ses limitations fonctionnelles ne l’empêcheraient pas d’essayer un travail plus léger, de suivre une formation visant un travail plus léger ou de se perfectionner. En examinant ses caractéristiques personnelles, j’estime qu’elle n’était pas inapte au travail dans un contexte réaliste à la date de fin de la PMA. Bien que je comprenne qu’elle serait incapable d’accomplir un travail très exigeant sur le plan physique, il ne serait pas impossible pour elle d’essayer du travail plus léger ou sédentaire qui respecte ses limitations ou de suivre une formation visant ce type de travail.

[10] La division générale énumère les caractéristiques personnelles de la requérante, y compris son âge, ainsi que son niveau de scolarité dans le résumé de la preuve dès le début de la décisionFootnote 3. Dans son analyse, elle fait à nouveau référence à l’éducation de 8e année de la requérante et à son incapacité à utiliser un ordinateur. Cependant, la division générale n’aborde pas en quoi le niveau de scolarité limité de la requérante, sa difficulté à remplir des documentsFootnote 4 et son incapacité à utiliser un ordinateur auraient une influence sur sa capacité régulière à détenir une occupation véritablement rémunératrice. Rien n’indique le poids accordé à cet élément de preuve, s’il y a lieu, ni la façon dont ces caractéristiques ont eu des répercussions sur la capacité de travail de la requérante.

[11] Dans un arrêt intitulé Giannaros, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’en cas d’insuffisance de preuves d’une invalidité grave et prolongée, il n’était pas nécessaire de prendre en compte les caractéristiques personnelles d’une partie requéranteFootnote 5. Cette affaire est toutefois très différente de celle dont la division d’appel est saisie. Dans ce cas, la requérante n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de sa demande de pension d’invalidité. De plus, la requérante n’a pas suivi diverses recommandations de traitement. La Cour a conclu que les caractéristiques personnelles de la requérante n’avaient pas d’importance dans les circonstances de l’espèce.

[12] Les faits sont différents dans le présent cas. Des éléments de preuve médicale appuient la demande de pension d’invalidité de la requérante. La preuve montre systématiquement que la requérante ne peut pas occuper un emploi exigeant sur le plan physique, comme celui de conductrice de chariot élévateur. La requérante a également respecté les recommandations de traitement. Puisque les faits sont très différents, je ne suis pas tenue de suivre la décision de la Cour dans l’arrêt Giannaros.

[13] La division d’appel a traité de la même question dans une décision intitulée RFFootnote 6. Dans ce cas, comme dans la présente affaire, la division générale a noté les caractéristiques personnelles du requérant sans en fournir une analyse, et la division d’appel est intervenue. La division d’appel a procédé à un examen approfondi du droit sur la question de savoir quand la prise en considération des caractéristiques personnelles d’une partie requérante n’est pas exigée. Elle a déclaré ce qui suit :

  1. dans l’arrêt clé intitulé Villani, la Cour d’appel fédérale a tranché que la capacité de travailler d’une partie requérante ne peut être dissociée de sa situation particulièreFootnote 7;
  2. un certain nombre d’affaires tranchées après l’arrêt Giannaros ont conclu à la nécessité d’une analyse des caractéristiques personnellesFootnote 8;

[14] Pour ces motifs, j’accepte et j’adopte le principe juridique énoncé dans la décision RF, à savoir qu’une forme d’analyse des caractéristiques personnelles d’une partie requérante est une composante indispensable de l’évaluation de la gravité d’une invaliditéFootnote 9.

[15] Puisque, dans le cas qui nous occupe, la division générale n’a pas pris en considération les répercussions des caractéristiques personnelles de la requérante sur sa capacité à détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice, elle a appliqué le mauvais critère juridique. Il s’agit d’une erreur de droit. L’appel est accueilli.

Réparation

[16] La division d’appel peut offrir différentes mesures de réparation pour corriger les erreurs d’une décision de la division généraleFootnote 10. Il convient que la division d’appel rende la décision que la division générale aurait dû rendre pour les raisons suivantes :

  1. les faits ne sont pas contestés;
  2. le dossier écrit est complet;
  3. l’information au dossier est complète;
  4. les parties ont demandé que la division d’appel rende la décision que la division générale aurait dû rendre si l’appel était accueilli;
  5. le Tribunal est habilité à tirer les conclusions de fait et de droit nécessaires pour statuer sur un appelFootnote 11;
  6. le Tribunal se doit de trancher les appels de la manière la plus expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettentFootnote 12. La requérante a demandé la pension d’invalidité il y a plus de trois ans. Renvoyer l’affaire à la division générale aux fins de réexamen causerait un retard supplémentaire.

L’invalidité de la requérante est grave

[17] Les faits de cet appel ne sont pas contestés. J’adopte le résumé de la preuve de la division généraleFootnote 13; il n’est donc pas nécessaire que je le répète entièrement dans la présente décision. En bref, la requérante a terminé sa 8e année avant de commencer à travailler. Elle a occupé uniquement des emplois exigeants sur le plan physique. En 2012, elle a eu un accident de la route lors duquel elle a subi des blessures qui l’ont laissée avec de la douleur et des limitations. J’accepte et j’adopte la conclusion de la division générale selon laquelle la requérante est incapable d’occuper tout emploi exigeant sur le plan physiqueFootnote 14.

[18] Il reste à déterminer si la requérante a la capacité d’occuper un emploi sédentaire ou moins exigeant. Pour ce faire, il faut examiner les limitations physiques et les caractéristiques personnelles de la requérante, notamment son âge, son niveau de scolarité, ses compétences linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de vie.

[19] La requérante est jeune; cela ne nuit en rien à sa capacité à travailler.

[20] Elle a une 8e année. Son épouse a affirmé que la requérante a de la difficulté à lire et à écrireFootnote 15. La requérante a déclaré avoir du mal avec la paperasserie et qu’elle ne pouvait pas rester assise derrière un bureauFootnote 16. Cela aurait des répercussions sur sa capacité à se recycler, puisqu’il serait difficile pour elle de rester assise en classe, tout comme faire des travaux et des examens. Par ailleurs, la requérante ne sait pas se servir d’un ordinateur, ce qui aurait d’importantes répercussions sur sa capacité à travailler sur le marché commercial, où la plupart des emplois sédentaires requièrent des compétences en informatique.

[21] Enfin, la requérante a seulement de l’expérience dans des emplois exigeants sur le plan physiquement. Elle n’a aucune compétence transférable à un travail sédentaire.

[22] Lorsque l’on examine les problèmes de santé et les caractéristiques personnelles de la requérante dans leur ensemble, ils prouvent qu’elle est atteinte d’une invalidité grave. Elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

[23] La requérante n’a essayé de faire aucun autre travail. Il n’y a toutefois aucune exigence juridique pour qu’elle le fasse si elle est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Par conséquent, cela n’a aucune incidence sur son statut d’invalidité.

L’invalidité de la requérante est prolongée

[24] L’invalidité de la requérante est également prolongée. Elle s’est blessée lors de l’accident de la route dans lequel elle a été impliquée il y a neuf ans. Ses problèmes de santé persistent et rien ne semble indiquer qu’ils s’amélioreront.

Conclusion

[25] L’appel est accueilli.

[26] La présente décision est celle que la division générale aurait dû rendre. La requérante est invalide.

[27] La requérante est devenue invalide en août 2012, lorsqu’elle a subi des blessures lors d’un accident de la route. Cependant, selon le Régime de pensions du Canada, en aucun cas une personne ne peut être réputée être devenue invalide plus de 15 mois avant la date de la présentation de sa demande de pension d’invaliditéFootnote 17. La requérante a fait sa demande de pension en mai 2018. Par conséquent, la requérante est réputée être devenue invalide en février 2017.

[28] Les paiements de pension d’invalidité commencent quatre mois après que la partie requérante est devenue invalideFootnote 18. Les paiements de pension d’invalidité entreront donc en vigueur à compter de juin 2017.

Date de l’audience :

Le 3 juin 2021

Mode d’instruction :

Téléconférence

Comparutions :

Chantelle Yang, avocate de l’appelante
Viola Herbert, représentante de l’intimé

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.