Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Résumé :

Régime de pensions du Canada – pension de retraite – pension de survivant – calcul et somme – chose jugée – division d’appel – erreur de fait – erreur de droit – motifs inadéquats – preuve ignorée – réparation – renvoi de l’affaire à la division générale aux fins d’audience

En 2013, la requérante a reçu une pension de retraite au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). En 2020, elle a demandé une pension de survivant du RPC. Le ministre a accueilli sa demande et a commencé à lui verser une pension mensuelle combinée de retraite et de survivant de 790,25 $ en janvier 2021.

La requérante a fait appel de la décision devant la division générale (DG) parce qu’elle n’était pas d’accord avec la somme. Elle a soutenu que le ministre n’avait pas calculé correctement le montant de sa pension. La DG a rejeté sommairement l’appel au motif que le ministre avait utilisé la formule appropriée pour calculer la pension. La DG a conclu que la Cour fédérale (CF) avait déjà rendu une décision dans laquelle elle avait tranché toutes les questions relatives à la pension de retraite de la requérante. La DG a donc décidé que l’appel de la requérante n’avait aucune chance raisonnable de succès.

La prestataire a fait appel de la décision de la DG devant la division d’appel. La DA a conclu que la DG avait commis une erreur de fait lorsqu’elle a ignoré certains des éléments de preuve de la prestataire concernant la décision de la CF Cour fédérale en lien avec la pension de retraite de la prestataire. La DA a aussi conclu que la DG n’avait pas donné de motifs suffisants pour appuyer sa conclusion qu’elle était liée par la décision de la CF selon le principe de la chose jugée. Ce principe prévoit qu’un tribunal ne peut pas trancher une question qui a déjà été tranchée. La DG a commis une erreur de droit en ne fournissant pas de motifs concernant cette question fondamentale. La DA a aussi conclu que la DG avait commis une erreur de droit en n’abordant pas la question précise du calcul qui avait été soulevée par la requérante.
La DA a accueilli l’appel et a renvoyé l’affaire à la DG pour qu’elle tienne une audience et que les deux parties aient l’occasion de présenter leurs arguments.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : LB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 773

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : L. B.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentant ou représentante : Rebekah Ferriss

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 10 août 2021 (GP-21-632)

Membre du Tribunal : Kate Sellar
Mode d’audience : Sur la foi du dossier
Date de la décision : Le 17 décembre 2021
Numéro de dossier : AD-21-277

Sur cette page

Décision

[1] J’accueille l’appel. La division générale a commis plusieurs erreurs quand elle a rejeté l’appel de la requérante de façon sommaire. L’affaire est renvoyée à la division générale pour une nouvelle audience.

Aperçu

[2] L. B. (requérante) touche une pension de retraite du Régime de pensions du Canada (RPC) depuis janvier 2013. Après le décès de son époux, elle a demandé en juin 2020 une pension de survivant du RPC. Sa demande a été approuvée par le ministre en décembre 2020. Il a décidé qu’elle avait droit chaque mois à un total de 790,25 $ pour sa pension de retraite et sa pension de survivant du RPC à compter de janvier 2021.

[3] La requérante a porté cette décision en appel devant la division générale du Tribunal, soutenant que sa pension combinée, et particulièrement la portion de retraite, avait été mal calculée. La décision générale a rejeté son appel sans tenir d’audience. C’est ce qu’on appelle un rejet sommaire. La division générale a effectivement conclu que l’appel de la requérante n’avait aucune chance de succès, pour les raisons suivantes :

  • Le ministre a calculé la pension en utilisant la formule prévue au RPC.
  • La Cour fédérale a affirmé que toutes les questions concernant sa pension avaient été tranchées de façon définitive, et la division générale ne pouvait pas rendre une décision contraireNote de bas de page 1.

[4] Je dois décider si la division générale a commis des erreurs en rejetant l’appel de façon sommaire. Advenant des erreurs, je devrai aussi décider comment y remédier.

[5] Je suis d’avis que la division générale a commis plusieurs erreurs en rejetant l’appel de la requérante de façon sommaire. Elle a effectivement commis une erreur de fait et plusieurs erreurs de droit. La division générale a ignoré certains éléments de preuve relatifs à la procédure judiciaire sur la pension de la requérante. De plus, pour rejeter l’appel sans audience, la division générale s’est basée sur deux conclusions dont les motifs n’expliquent pas suffisamment le résultat final, à savoir que l’appel de la requérante était voué à l’échec peu importe la preuve ou les arguments qu’elle présenterait lors d’une audience.

Questions en litige

[6] Les questions à examiner dans cet appel sont les suivantes :

  1. a) La division générale a-t-elle commis une erreur de fait en rejetant de façon sommaire l’appel sans traiter de la preuve de la requérante sur les causes qui se sont rendues devant les cours fédérales relativement à sa pension?
  2. b) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en rejetant de façon sommaire l’appel sans motiver suffisamment la conclusion voulant qu’elle était liée par le fait que la Cour fédérale les avait dites [traduction] « tranchées de façon définitive »?
  3. c) La division générale a-t-elle commis une erreur de droit en rejetant de façon sommaire l’appel sans avoir adéquatement traité de l’enjeu précis soulevé par la requérante quant à l’exactitude du calcul de sa pension?

Analyse

[7] Pour comprendre les erreurs faites par la division générale, je dois d’abord traiter du rôle que la division d’appel et moi-même jouons en examinant les décisions de la division générale, et du rôle que la division générale a joué en rejetant l’appel de façon sommaire.

Examen des décisions de la division générale

[8] La division d’appel ne donne pas la chance aux requérants et au ministre de défendre leur cause de nouveau, comme si c’était la première fois. Le rôle de la division d’appel est d’examiner les décisions de la division générale pour voir si elles contiennent des erreurs.

[9] La division d’appel peut s’attaquer aux trois types d’erreurs suivants :

  • les erreurs de fait;
  • les erreurs de droit;
  • les erreurs découlant d’une procédure inéquitable, ou liées aux pouvoirs de la division généraleNote de bas de page 2.

Rejet sommaire

[10] La division générale rejette un appel de façon sommaire si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès. Il est question de savoir s’il est manifeste et évident, d’après le dossier, que l’appel est voué à l’échecNote de bas de page 3.

[11] La question que doit se poser la division générale n’est pas de savoir si l’appel doit être rejeté après un examen des faits, de la jurisprudence et des arguments des parties. Elle doit plutôt se demander si l’appel est voué à l’échec indépendamment de la preuve et des arguments que le requérant ou la requérante pourrait présenter lors d’une audienceNote de bas de page 4.

Erreur de fait : preuve ignorée concernant l’ordonnance de la Cour fédérale

[12] La division générale a commis une erreur de fait en ignorant certains éléments de preuve de la requérante ayant trait à l’ordonnance de la Cour fédérale.

[13] La division générale a écrit à la requérante pour l’aviser qu’elle envisageait de rejeter son appel de façon sommaire. Cet avis demandait à la requérante d’expliquer pourquoi la division générale ne devrait pas rejeter son appel sans tenir d’audienceNote de bas de page 5.

[14] Dans sa décision, la division générale affirme que la requérante avait, en réponse à son avis, [traduction] « réitéré le même argument que celui dans son avis d’appel, à savoir qu’une erreur avait été faite dans le calcul de sa pension de retraite du RPCNote de bas de page 6. »

[15] Contrairement à ce que la division générale prétend dans sa décision, la requérante a bel et bien présenté des arguments et des éléments de preuve dépassant la simple question du calcul de sa pensionNote de bas de page 7. En réponse à l’avis, elle a effectivement soumis une ordonnance de la Cour fédérale accompagnée de différentes informations, notamment contextuelles.

[16] La requérante a expliqué avoir eu une cause (contrôle judiciaire) à la Cour d’appel fédérale, qui aurait strictement porté sur la période de cotisation utilisée pour calculer sa pension de retraite. Après avoir reçu cette décision, elle avait déposé une demande de prorogation de délai auprès de la Cour fédérale, ce qui avait été une erreur, car la requérante avait été mal conseillée. Elle a clairement exprimé son désaccord avec les observations que le ministre avait soumises à la Cour fédérale, selon qui le litige devant la Cour d’appel fédérale ne se limitait pas seulement à sa période de cotisationNote de bas de page 8.

[17] La Cour fédérale n’a pas statué en faveur de la requérante. Elle a conclu que sa requête était une attaque indirecte contre une décision de la Cour d’appel fédérale. La Cour fédérale a affirmé qu’elle n’avait pas compétence (le pouvoir) pour autoriser un contrôle judiciaire.

[18] Dans les énonciations de l’ordonnance, il est précisé que toutes les questions concernant la pension de la requérante ont été tranchées de façon définitive. Les énonciations, dans un document juridique, sont les affirmations commençant par « considérant ». Elles servent à mettre en contexte l’ordonnance.

[19] La division générale n’a pas abordé les arguments que la requérante avait formulés par rapport à l’ordonnance de la Cour fédérale avant de rejeter son appel de façon sommaire. Si l’appel était effectivement voué à l’échec parce que la Cour fédérale avait dit que toutes les questions concernant sa pension avaient été tranchées de façon définitive, il fallait que la division générale se penche sur les éléments de preuve et les arguments soumis par la requérante quant au contexte de l’ordonnance de la Cour fédérale.

[20] La division générale n’a pas besoin de mentionner chacun des éléments de preuve dans une décision. Par contre, tout élément de preuve suffisamment important se doit d’être abordéNote de bas de page 9.

[21] La division générale n’a pas abordé la preuve de la requérante quant à ce qui avait mené à l’ordonnance de la Cour fédérale ou à ce sur quoi portait la décision de la Cour d’appel fédérale. Pourtant, il aurait fallu le faire, compte tenu de l’importance qu’elle a accordée à l’ordonnance de la Cour fédérale pour décider que l’appel de la requérante était voué à l’échec. La division générale s’est plutôt fiée à l’idée que la Cour fédérale avait déjà décidé que [traduction] « toutes les questions concernant sa pension avaient été tranchées de façon définitiveNote de bas de page 10 ». Elle a conclu qu’il lui fallait [traduction] « respecter » les décisions de la Cour fédérale et qu’elle ne pouvait pas rendre une décision [traduction] « différente ».

[22] La division générale a considéré que la réponse donnée par la requérante à son avis de rejet sommaire répétait essentiellement ses anciens arguments quant au calcul de sa pension. Pourtant, sa réponse ne se résumait pas à cela. J’en conclus que la division générale a ignoré ce que la requérante a avancé par rapport à l’ordonnance. Cette preuve était importante et la division générale aurait dû en traiter.

Motifs insuffisants : respect de l’ordonnance de la Cour fédérale

[23] La division générale a commis une erreur en rejetant l’appel de façon sommaire parce qu’elle croyait qu’elle était tenue de [traduction] « respecter » l’ordonnance de la Cour fédérale. La division générale n’a pas fourni de motifs suffisants pour appuyer cette conclusion et a ainsi commis une erreur de droit.

[24] Une erreur de droit peut survenir si on ne motive pas adéquatement une question centrale à une affaireNote de bas de page 11. Il n’était pas manifeste et évident sur la foi du dossier que les arguments de la requérante quant au calcul de sa pension étaient voués à l’échec vu l’énonciation contenue dans l’ordonnance de la Cour fédérale. À première vue, cette ordonnance était vraiment une affaire de compétence : la Cour fédérale n’avait pas le pouvoir d’examiner la décision de la Cour d’appel fédérale et ne pouvait pas servir à attaquer à cette décision.

[25] Les questions concernant la pension de la requérante sont dites [traduction] « tranchées de façon définitive » dans les énonciations de l’ordonnance. Néanmoins, je ne trouve pas manifeste et évident que ces informations contextuelles, contenues dans une ordonnance relative à une prorogation de délai, soient contraignantes.

[26] D’après ses motifs de décision, il est difficile de dire exactement pourquoi la division générale se croyait liée par l’ordonnance de la Cour fédérale. Il se peut qu’elle ait rejeté l’appel de façon sommaire en appliquant la « règle » voulant qu’elle ne peut pas rendre une nouvelle décision dans une affaire déjà jugéeNote de bas de page 12.

[27] Si c’était son raisonnement, la division générale n’a pas donné de motifs expliquant suffisamment l’application de cette règle. Pour appliquer cette règle ici, il fallait expliquer et conclure que les questions en litige et les parties étaient identiques à celles de la cause précédente, et aussi que l’ordonnance était définitiveNote de bas de page 13. Toutefois, sa décision n’examine aucunement la question de savoir si les questions et les parties en jeu étaient les mêmes.

[28] De plus, l’application de cette règle demeure un choix, qui relève de son pouvoir discrétionnaire. Cette règle existe pour favoriser l’administration ordonnée de la justice, mais pas au prix d’une injustice dans une affaire donnée. Avant d’appliquer cette règle, le décideur doit donc chercher à savoir si une injustice pourrait s’ensuivreNote de bas de page 14.

[29] Différents facteurs doivent être considérés pour décider si l’application de cette règle risque de causer une injustice. Par exemple, quelles sont les circonstances ayant conduit à une instance en Cour fédérale? Quelles étaient les garanties offertes aux parties dans cette instanceNote de bas de page 15? Il est possible que la division générale n’ait tenu compte d’aucun de ces facteurs quand elle a appliqué la règle en jugeant que l’appel de la requérante était voué à l’échec.

[30] Si la division générale a effectivement utilisé cette règle, elle n’a pas suffisamment motivé son application – particulièrement parce qu’il lui fallait d’abord décider si son application était indiquée.

[31] Il n’était pas manifeste et évident que toutes les questions concernant la pension de la requérante avaient été réglées de façon définitive. Même si la Cour fédérale s’est exprimée ainsi dans son ordonnance, il est défendable que son énonciation était fondée sur la décision de la Cour d’appel fédérale, qui elle, portait de façon bien plus restreinte sur un seul aspect de la pension de retraite de la requérante, soit le nombre de mois compris dans sa période de cotisationNote de bas de page 16.

[32] Le ministre soutient que la Cour fédérale était au fait des questions relatives au calcul de la pension de la requérante et que ces questions avaient été réglées, même si elle n’en a pas traité explicitement dans sa décision finaleNote de bas de page 17. Les arguments de ce genre sont habituellement discutés dans le cadre d’une audience, et ensuite traités dans des motifs de décision. Selon moi, rien de tout cela n’était manifeste et évident.

Motifs insuffisants : calcul basé sur la formule

[33] La division générale a conclu que le ministre avait calculé la pension de la requérante conformément à la formule prévue par la loi. D’après ses motifs, il m’est difficile de savoir quelle conclusion la division générale a tirée quant au calcul précis que la requérante a fourni dans son appel initial.

[34] La division générale a conclu que le ministre avait utilisé la bonne formule du RPC compte tenu de l’âge de la requérante et de la date depuis laquelle elle recevait sa pension de retraite. Cependant, elle ne semble pas s’être attaquée aux problèmes de calcul précis que la requérante a soulevés auprès de la division générale.Note de bas de page 18

[35] La requérante semblait notamment avoir un calcul particulier pour la portion occupée par sa pension de retraite dans sa pension combinée. Ce calcul affectait ensuite le calcul de la pension combinée. Selon elle, le montant de 394,45 $ pour sa pension de retraite du RPC (ensuite majoré à 439,91 $) était incorrect. Elle affirmait que le ministre ne devait pas utiliser la rémunération d’une pension d’invalidité pour calculer une pension de retraite du RPCNote de bas de page 19.

[36] La division générale semble avoir accepté la façon dont la formule fonctionne pour combiner les pensions. Pourtant, il est difficile de dire si elle a cherché à savoir si le montant de 439,91 $, que le ministre a utilisé dans son calcul, était le bon pour la requérante. Elle a commis une erreur de droit en omettant de traiter des différents arguments de parties en ce qui a trait aux calculs.

[37] Considérant que la division générale a dit devoir respecter l’énonciation de l’ordonnance de la Cour fédérale, à savoir que toutes les questions concernant la pension de la requérante étaient réglées, mais qu’elle n’a pas traité de cette question dans ses motifs, je ne peux pas déduire que la division générale a examiné et rejeté la position et les calculs de la requérante.

Réparation des erreurs

[38] La division générale a commis plusieurs erreurs quand elle a rejeté de façon sommaire l’appel de la requérante. Pour remédier à ces erreurs, je vais renvoyer son dossier à la division générale pour réexamenNote de bas de page 20. La requérante aura droit à une audience.

[39] Le ministre est d’avis qu’il me faut renvoyer le dossier à la division générale si je conclus que celle-ci a commis une erreur. La division générale pourra ainsi juger l’appel en fonction d’un dossier complet.

[40] Je suis d’accord avec lui. Comme la décision portée en appel est un rejet sommaire, j’estime que la réparation appropriée est de renvoyer le dossier à la division générale. La requérante devrait avoir l’occasion d’avoir une audience quelconque, pour aborder les questions qu’elle soulève quant au paiement combinant sa pension de retraite et sa pension de survivant.

[41] Quand le dossier retourne à la division générale pour une audience, les parties pourront demander de soumettre leurs arguments par rapport aux calculs. La requérante pourra notamment soumettre la dernière observation qu’elle avait soumise à ce sujet à la division d’appel, et dont le ministre n’a peut-être pas encore traité expressément dans ses argumentsNote de bas de page 21.

Conclusion

[42] J’accueille l’appel. La division générale a commis des erreurs quand elle a rejeté l’appel de façon sommaire. L’affaire est renvoyée à la division générale et une audience sera tenue.

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