Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : MS c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 17

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision relative à une demande de permission d’en appeler

Partie demanderesse : M. S.
Partie défenderesse : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 30 août 2021 (GP-20-1009)

Membre du Tribunal : Kate Sellar
Date de la décision : Le 13 janvier 2022
Numéro de dossier : AD-21-380

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Décision

[1] Je refuse la permission d’en appeler. L’appel s’arrête ici. Les motifs qui suivent expliquent cette décision.

Aperçu

[2] M. S., la requérante, était mariée F. F., le cotisant. En août 2001, le cotisant a été assassiné.

[3] La requérante a demandé une pension de survivant en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC). Le ministre de l’Emploi et du Développement social a approuvé sa demande en septembre 2001.

[4] En mai 2006, la requérante a été condamnée pour meurtre au premier degré du cotisant. Le même mois, le ministre a mis fin à sa pension de survivant du RPC. Il lui a aussi demandé de rembourser l’argent qu’elle avait touché entre septembre 2001 et mai 2006.

[5] En 2011, la requérante a eu gain de cause en appel contre sa condamnation. Par contre, elle a fait l’objet d’un autre procès en octobre 2013, et a de nouveau été trouvée coupable du meurtre au premier degré du cotisant.

[6] La requérante a demandé au ministre de réviser sa décision de mai 2006, qui mettait un terme à sa pension de survivant et établissait un trop-payé à rembourser. Le ministre a confirmé sa décision, et la requérante l’a portée en appel devant le Tribunal de la sécurité sociale.

[7] Au Tribunal, la division générale a conclu que le ministre avait parfaitement le pouvoir de mettre un terme à sa pension de survivant du RPC et d’exiger qu’elle rembourse les sommes qu’elle avait déjà reçues. La requérante demande maintenant la permission de faire appel de cette décision de la division générale.

[8] Je dois décider s’il est défendable que la division générale ait commis une erreur justifiant de donner à la requérante la permission d’en appeler.

[9] Il n’est pas défendable que la division générale ait commis une erreur. Je refuse la permission d’en appeler. L’appel prend fin ici.

Question en litige

[10] Les questions à examiner sont les suivantes :

  1. a) Est-il défendable que la division générale ait commis une erreur de droit en décidant que le RPC :
    • empêchait la requérante de recevoir des prestations à cause du décès du cotisant?
    • l’obligeait à rembourser les sommes qu’elle avait reçues?
  2. b) Est-il défendable que la division générale ait commis une erreur de compétence parce qu’elle n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher ou a tranché une question qu’elle n’aurait pas dû trancher?
  3. c) Est-il défendable que la division générale ait privé la requérante d’une procédure équitable parce qu’elle s’est fondée sur un document sans d’abord avoir permis à la requérante d’en prendre connaissance et d’y répondre?

Analyse

[11] D’abord, je vais décrire le rôle de la division d’appel quand elle examine une décision de la division générale. Ensuite, j’expliquerai comment je suis arrivée à ma conclusion, à savoir qu’une erreur de la division générale n’est pas défendable dans ce cas-ci.

Examen des décisions de la division générale

[12] À la division d’appel, les parties ne peuvent pas défendre leur cause à nouveau, comme si c’était la première fois. Je dois plutôt examiner les arguments de la requérante et la décision de la division générale pour savoir si celle-ci pourrait avoir commis une erreur.

[13] Cet examen est basé sur le libellé de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, qui établit les « moyens d’appel ». Les moyens d’appel sont les raisons de l’appel. Pour accorder la permission d’en appeler, je dois conclure qu’il est défendable que la division générale ait commis au moins l’une des erreurs suivantes :

  • Elle n’a pas agi de façon équitable.
  • Elle n’a pas tranché une question qu’elle aurait dû trancher, ou a tranché une question qu’elle n’aurait pas dû trancher. Autrement dit, elle a commis une erreur de compétence.
  • Elle a basé sa décision sur une erreur importante par rapport aux faits du dossier.
  • Elle a mal interprété ou mal appliqué la loiNote de bas de page 1 .

[14] Au stade de la permission d’en appeler, la requérante doit montrer que son appel a une chance raisonnable de succèsNote de bas de page 2 . Pour ce faire, il lui suffit de montrer qu’il existe un motif défendable grâce auquel elle pourrait gagner son appelNote de bas de page 3 .

Erreur de droit indéfendable

[15] Il n’est pas défendable que la division générale ait commis une erreur de droit en interprétant le RPC.

[16] La requérante affirme que la division générale a commis une erreur de droit. Elle souligne que la partie du RPC permettant expressément au ministre de mettre fin à une pension et de demander son remboursement existe seulement depuis 2015. Avant 2015, la décision du ministre de mettre fin à sa pension de survivant reposait essentiellement sur une question de politique et sur l’idée, en common law, selon laquelle une personne ne doit pas profiter de son crime. La requérante souligne que pour la période entre sa victoire en appel et sa deuxième condamnation, elle n’avait aucun crime aux yeux de la loi. Elle était innocente jusqu’à preuve du contraire, et le RPC ne spécifiait aucunement qu’elle n’ait pas accès à une pension de survivant du RPC du fait qu’elle avait été condamnée dans le passé ou qu’elle attendait un second procès.

[17] La division générale a tiré les trois conclusions suivantes sur le fondement du RPC :Note de bas de page 4

  • Une pension de survivant n’est pas payable à une personne déclarée coupable du meurtre au premier ou au deuxième degré ou de l’homicide involontaire coupable du cotisantNote de bas de page 5 .  
  • Le ministre doit recouvrer les sommes payées à une personne déclarée coupable, y compris celles payées avant la date de la déclaration de culpabilité de la personneNote de bas de page 6 .
  • Ce qui précède s’applique à toute déclaration de culpabilité précédant l’entrée en vigueur de la règle. Autrement dit, aucune personne reconnue coupable de meurtre au premier ou au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable d’un cotisant ne peut recevoir ni garder de prestations versées relativement au décès de ce cotisantNote de bas de page 7 .

[18] Selon moi, il n’est pas défendable que la division générale ait commis une erreur de droit. Elle a appliqué le RPC conformément à son libellé actuel. Sa rétroactivité est expressément et clairement indiquée. La division générale n’avait aucune raison en droit d’ignorer la loi actuelle et d’appliquer une ancienne version du RPC précédant 2015. Il n’est pas défendable que la division générale ait commis une erreur de droit en arrivant aux trois conclusions qu’elle a tirées.

Erreur de compétence indéfendable

[19] Il n’est pas défendable que la division générale ait commis une erreur de compétence en appliquant la version actuelle du RPC à l’appel de la requérante.

[20] La requérante soutient que la division générale a commis une erreur de compétence. Elle dit que ses pouvoirs ne lui permettent pas de conclure que le ministre était en droit de mettre fin à sa pension de survivant et de réclamer le trop-payé d’après la version actuelle du RPC. Plus précisément, la requérante avance que l’application de cette version actuelle à sa situation va à l’encontre du principe canadien de la primauté du droit. Personne ne devrait être puni à moins d’avoir enfreint une loi établie.

[21] La requérante a gagné son appel en 2011, puis a subi un autre procès et a de nouveau été déclarée coupable en 2013. Avant 2015, le RPC n’abordait pas la question du versement d’une pension de survivant à une personne trouvée coupable du meurtre au premier degré d’un cotisant.

[22] À mon avis, la requérante n’a pas de cause défendable pour une erreur de compétence. La division générale n’avait pas à décider si la requérante était admissible à une pension de survivant à chaque moment de sa procédure d’appel au criminel.

[23] En juillet 2017, le ministre a écrit à la requérante pour lui expliquer qu’un principe de common law veut qu’une personne ne peut pas profiter de son crime. Ainsi, elle ne pouvait pas bénéficier de la pension de survivant. Le ministre a rejeté sa deuxième demandeNote de bas de page 8 .

[24] La requérante a demandé une révision en octobre 2017. Elle a reçu une décision de révision datée de mars 2020. Conformément à la loi, la division générale devait examiner cette décision de révision. Cette décision est fondée sur le RPC, tel qu’il est depuis 2015, et sur sa disposition qui s’applique de façon rétroactive.

[25] La lettre relative à la décision de révision décrit les choix politiques faits par le gouvernement en rendant la décision initiale, et explique le fondement juridique justifiant le rejet, en 2006, de la demande de révision de la requérante : la loi actuelle s'applique de façon rétroactive.

[26] En appel, la division générale était obligée de rendre une décision par rapport à la décision de révision, et c’est ce qu’elle a fait. Il est impossible d’évaluer cette décision de révision de 2020 sans tenir compte de la version du RPC que le  ministre a utilisée pour rendre cette décision. Depuis 2015, le RPC contenait une règle interdisant à un survivant de toucher une pension de survivant s’il est condamné pour meurtre au premier degré du cotisant. La division générale n’a commis aucune erreur de compétence.

Procédure inéquitable indéfendable

[27] Il n’est pas défendable que la division générale n’ait pas veillé à l’équité du processus.

[28] La requérante avance que la division générale s’est fiée à un document qu’elle n’avait jamais eu l’occasion de voir ou de commenter. Si la division générale se base sur un document sans qu’une partie n’ait d’abord pu l'examiner, la procédure devient effectivement inéquitable. Dans sa décision, la division générale prend acte de l’argument du ministre, voulant que [traduction] « la loi de 2006 [lui] permettait de mettre fin aux prestations de la requérante afin qu’elle ne profite pas de son acte criminelNote de bas de page 9 . » La requérante avance que le ministre ne lui a jamais fourni de copie de la loi de 2006 qu’il a utilisée.

[29] À mon avis, il n’est pas défendable que la division générale ait privé la requérante d'une procédure équitable. Les arguments du ministre sur la loi de 2006 semblent se rapporter à ce que dit la common law sur la profitabilité des activités criminelles. Le ministre n’a jamais soutenu qu’une partie précise du RPC de 2006 interdisait le versement d’une pension de survivant dans le cas d’une condamnation pour meurtre au premier degré du cotisant.

[30] Par conséquent, la division générale n’a pas omis de fournir à la requérante une loi ni un document qu’elle aurait elle-même examiné. La division générale n’a pas omis de donner à la requérante un document pour qu’elle puisse l’examiner et le commenter. Il n’est pas possible de soutenir que la division générale ait privé la requérante d'une procédure équitable.

[31] En terminant, j’aimerais ajouter deux choses. D’abord j’ai examiné le dossier écrit. Je suis convaincue que la division générale n’a ni mal compris ni ignoré des éléments de preuve qui aurait pu changer le résultat de l’appel.

[32] Ensuite, je suis convaincue que la requérante ne cherche pas à contester pour une première fois devant la division d’appel la validité du RPC en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans les arguments écrits qu’elle a soumis à la division d’appel, la requérante fait référence à la Charte dans le contexte du principe de la primauté du droitNote de bas de page 10 . Elle semble invoquer la primauté du droit pour soutenir sa position en droit que le membre de la division générale n’aurait pas dû appliquer la version du RPC telle qu'elle était quand le ministre a rendu sa décision de révision en appelNote de bas de page 11 . La requérante a envisagé (puis a fini par abandonner) une contestation constitutionnelle au niveau de la division générale. Ses arguments concernant les erreurs possibles de la division générale ne m’apparaissent pas contester la validité constitutionnelle du RPC. Son appel n'est pas une affaire de validité constitutionnelleNote de bas de page 12 .

Conclusion

[33] Je refuse la permission d’en appeler. L’appel prend donc fin ici.

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