Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : JB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 846

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale – Section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : J. B.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision de révision du ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 5 mai 2020 (transmise par Service Canada)

Membre du Tribunal : George Tsakalis
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 24 août 2021 et observations post-audience
Personnes présentes à l’audience : Partie appelante
Représensentante de l’intimé
Date de la décision : Le 15 novembre 2021
Numéro de dossier : GP-20-1010

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La requérante n’a pas prouvé qu’elle est admissible à la pension de survivant du Régime de pensions du Canada (RPC).

Aperçu

[3] J. B. est la requérante dans cette affaire. Elle affirme avoir vécu en union de fait avec F. R. (le cotisant décédé) pendant 10 ans avant son décès survenu le 5 mars 2020.

[4] Le ministre de l’Emploi et du Développement social a reçu la demande de pension de survivant de la requérante le 9 avril 2020.

[5] Le ministre a approuvé initialement la demande de pension de survivant de la requérante le 14 avril 2020, mais a changé d’avis le 22 avril 2020.

[6] La requérante a porté en appel la décision du ministre devant le Tribunal de la sécurité sociale du Canada.

[7] Le ministre affirme que la requérante n’est pas admissible à la pension de survivant, parce qu’elle ne vivait pas avec le cotisant au moment de son décès. Le cotisant décédé a rempli une déclaration solennelle d’union de fait le 15 janvier 2020 selon laquelle il ne vivait plus en union de fait avec la requérante depuis le 4 décembre 2019. Selon le ministre, la preuve n’a pas démontré que la requérante et le cotisant ont recommencé à vivre en union de fait après le 4 décembre 2019.

[8] La requérante dit être admissible à la pension de survivant. Elle affirme qu’elle vivait en union de fait avec le cotisant au moment de son décès. Ils prenaient leurs repas ensemble et s’occupaient tous les deux des tâches ménagères. Ils socialisaient dans la collectivité. Les gens les considéraient comme un couple. Ils se soutenaient financièrement l’un l’autre. Elle fait aussi valoir que le cotisant n’avait pas la capacité de signer la déclaration solennelle selon laquelle il ne vivait plus en union de fait avec elle.

Les questions que je dois examiner en premier

[9] Le ministre n’a pas fourni au Tribunal une copie de la déclaration solennelle signée par le cotisant décédé le 15 janvier 2020. Lors de l’audience du 24 août 2021, j’ai demandé à la représentante du ministre pourquoi la déclaration solennelle n’avait pas été fournie. Elle a répondu que la déclaration était dans le dossier du cotisant décédé et qu’elle avait été signée par une tierce partie. Elle a ajouté que le ministre ne pouvait pas fournir ce document en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques.

[10] Le ministre a écrit au Tribunal le 7 septembre 2021 pour demander la permission de soumettre la déclaration solennelle. Il a convenu que ce document pourrait être communiqué à la requérante et au Tribunal.

[11] J’ai accueilli la demande du ministre visant à soumettre la déclaration solennelle signée par le cotisant décédé et à présenter des observations d’ici le 14 septembre 2021 parce qu’il s’agissait d’un document pertinent. J’ai donné à la requérante l’occasion de présenter des observations au Tribunal au plus tard le 28 septembre 2021.

[12] J’ai reçu les observations du ministre et la déclaration solennelle le 14 septembre 2021. J’ai reçu de nombreuses observations de la part de la requérante jusqu’au 28 septembre 2021 et après cette date. J’ai accepté les observations qu’elle a présentées avant la date limite du 28 septembre 2021. J’ai cependant refusé celles qu’elle a déposées après le 28 septembre 2021, car le Tribunal les a reçues après la date limite.

Ce que la requérante doit prouver

[13] Pour avoir gain de cause, la requérante doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle vivait avec le cotisant dans une relation conjugale depuis au moins un an au moment de son décèsFootnote 1.

[14] Dans une décision intitulée McLaughlin c Canada (Procureur général), 2012 CF 556, la Cour fédérale du Canada a statué que les caractéristiques généralement acceptées de l’union conjugale sont les suivantes :

  • le partage d’un toit, notamment le fait que les parties vivaient sous le même toit ou partageaient le même lit ou le fait que quelqu’un d’autre habitait chez elles;
  • les rapports sexuels et personnels, notamment le fait que les parties avaient des relations sexuelles, étaient fidèles l’une à l’autre, communiquaient bien entre elles sur le plan personnel, prenaient leurs repas ensemble, s’entraidaient face aux problèmes ou à la maladie ou s’offraient des cadeaux;
  • les services, notamment le rôle des parties dans la préparation des repas, le lavage, les courses, l’entretien du foyer et d’autres services ménagers;
  • les activités sociales, notamment le fait que les parties participaient ensemble ou séparément aux activités du quartier ou de la collectivité et leurs rapports avec les membres de la famille de l’autre;
  • l’image sociétale, notamment l’attitude et le comportement de la collectivité envers chacune des parties, considérées en tant que couple;
  • le soutien, notamment les dispositions financières prises par les parties pour ce qui était de fournir les choses nécessaires à la vie et la propriété de biens;
  • l’attitude et le comportement des parties à l’égard des enfants.

[15] Toutefois, il a été reconnu que ces éléments peuvent être présents à des degrés divers et que tous ne sont pas nécessaires pour que l’union soit tenue pour conjugaleFootnote 2.

[16] Pour les raisons qui sont expliquées ci-dessous, je juge que la preuve a démontré que la requérante et le défunt ne vivaient pas en union de fait au sens du RPC depuis au moins un an au moment du décès.

Commentaires concernant les conclusions sur la preuve

[17] Bon nombre des arguments formulés par la requérante n’étaient pas pertinents relativement aux questions dont le Tribunal est saisi. Le droit n’exige pas que je fasse référence à chacun des documents présentés. Je ne suis pas tenu de faire référence à tous les éléments de preuve de l’audience ou de répondre à chacune des observations. Le droit me demande d’indiquer la démarche que j’ai suivie pour en arriver à ma décisionFootnote 3.

[18] Je vais faire seulement référence aux documents, au témoignage et aux observations qui sont pertinents relativement aux questions dont je suis saisi, à savoir si la requérante vivait en union de fait avec le cotisant décédé depuis au moins un an au moment du décès de ce dernier.

Motifs de la décision

[19] J’estime que la requérante n’a pas prouvé qu’elle vivait en union de fait avec le cotisant depuis au moins un an au moment de son décès, le 5 mars 2020.

[20] La requérante a formulé des arguments qui donnaient à penser qu’elle vivait en union de fait avec le cotisant décédé si l’on tient compte des caractéristiques d’une union conjugale établies par la Cour fédérale du Canada dans la décision McLaughlin.

[21] La requérante a affirmé qu’elle vivait en union de fait avec le cotisant décédé depuis 2010 et qu’ils vivaient ensemble chez elle, dans sa résidence, au moment de son décès. Elle a présenté une lettre signée par le cotisant décédé le 8 juillet 2019 dans laquelle il était affirmé qu’il vivait avec la requérante depuis 2010Footnote 4.

[22] En ce qui concerne les rapports sexuels et personnels, la requérante a affirmé que le cotisant décédé et elle n’étaient pas actifs sexuellementFootnote 5, mais qu’ils s’aimaient. Au moment du décès, ils planifiaient se marierFootnote 6. La requérante avait de graves problèmes de santé, et elle s’occupait du défunt alors qu’elle était malade. Elle a rémunéré une personne pour s’occuper du cotisant et lui offrir des services de soutien. Ils s’achetaient des cadeaux l’un l’autre.

[23] La requérante a soutenu que le défunt l’aidait à faire le ménage. Il pelletait la neige, et ils entretenaient la pelouse ensemble. Ils mangeaient et faisaient leurs courses ensembleFootnote 7.

[24] La requérante dit que le défunt et elle allaient à l’église ensemble. Les parents du cotisant décédé n’étaient plus vivants pendant leur relation. Elle ne connaissait que trois des onze frères et sœurs de ce dernier. Mais elle a déclaré que les trois frères et sœurs qu’elle connaissait considéraient qu’elle et le cotisant décédé formaient un couple en union de fait.

[25] La requérante a présenté des déclarations qui selon elle démontraient que la collectivité considérait que le défunt et elle formaient un couple en union de faitFootnote 8.

[26] La requérante a affirmé que le cotisant décédé et elle se soutenaient financièrement l’un l’autre. Elle payait toutes les factures et l’hypothèque sur sa maison. Ils touchaient tous deux des pensions qui étaient déposées dans le compte bancaire de la requérante. Le cotisant décédé n’avait pas son propre compte bancaire. Le revenu de ce dernier était déposé dans le compte du ménage, et les factures étaient payées conjointement. Le cotisant décédé ne figurait pas sur le titre de propriété de la résidence de la requérante, mais ils ont demandé un prêt hypothécaire ensemble. Ils ont produit ensemble leur déclaration de revenus et ont déclaré qu’ils vivaient en union de fait. Ils ont acheté une voiture ensemble.

[27] La requérante a produit un certificat d’assurance de la compagnie Assurance Croix Bleue Vie daté du 16 mai 2016. Elle y était désignée comme la bénéficiaire et l’épouse du cotisant décédéFootnote 9. Elle a affirmé avoir reçu une somme au titre de cette police d’assurance‑vie. La requérante a produit un relevé bancaire du 24 décembre 2019 au 23 janvier 2020 sur lequel figuraient le nom du cotisant décédé et le sien en tant que titulaires du compteFootnote 10. Elle a produit une lettre d’une institution financière datée du 28 avril 2020 dans laquelle on mentionnait que le cotisant décédé et elle avaient fait une demande de crédit en tant que couple vivant en union de fait en novembre 2016Footnote 11.

[28] En ce qui concerne l’attitude et le comportement des parties à l’égard des enfants, la requérante n’a pas d’enfant et le cotisant décédé en avait trois. La requérante a affirmé que deux des enfants du défunt ne parlaient plus à ce dernier. Il avait une fille qui ne l’avait pas visité depuis de nombreuses années et il n’avait pas de véritable contact avec lui. La requérante a présenté des messages textes provenant de la fille du défunt qui démontrent à tout le moins qu’elle la connaissaitFootnote 12.

[29] Dans l’affaire de la requérante, la difficulté réside dans le fait que le cotisant décédé a signé une déclaration solennelle le 15 janvier 2020 selon laquelle la requérante et lui étaient séparés et ne vivaient plus ensemble depuis le 4 décembre 2019. Cela signifie que la requérante n’est pas admissible à la pension d’invalidité du RPC parce qu’ils ne vivaient pas en union de fait au moment du décès du cotisant. Par ailleurs, même si la requérante et le cotisant décédé s’étaient réconciliés après la signature de la déclaration solennelle, elle n’est tout de même pas admissible à la pension de survivant. En effet, pour être admissible, la requérante devait vivre en union de fait depuis au moins un an avant le décès du cotisantFootnote 13.

[30] La requérante a fait valoir que le cotisant décédé était frappé d’incapacité lorsqu’il a signé la déclaration solennelle. Elle a fourni une note de consultation en psychologie datée du 18 janvier 2011 pour appuyer son argument quant à l’incapacité du cotisant décédé. La note de consultation en psychologie mentionnait que le cotisant décédé était atteint de schizophrénie et que ses capacités cognitives étaient extrêmement faiblesFootnote 14.

[31] La requérante a déclaré que le cotisant décédé ne pouvait pas effectuer ses propres opérations bancaires. C’est le frère de ce dernier qui avait géré ses affaires financières. Le cotisant décédé ne pouvait pas faire d’addition et ne savait pas ce qu’était une hypothèque, et les accords de financement qui avaient été conclus avaient été faits au nom de la requérante parce qu’il n’avait pas la capacité de le faire. Elle a dit que si le cotisant décédé n’avait pas la capacité de faire ses propres opérations bancaires, il n’avait pas la capacité de signer la déclaration solennelle. La requérante a soutenu que le cotisant décédé avait indiqué une date de signature erronée sur la déclaration solennelle, ce qui démontrait qu’il ne savait pas ce qu’il signaitFootnote 15.

[32] La requérante a également accusé la représentante du ministre de fraude. Elle a dit que le cotisant décédé avait été piégé et poussé à signer la déclaration solennelleFootnote 16.

[33] Cependant, je suis d’accord avec l’observation du ministre selon laquelle l’information contenue dans la déclaration solennelle au sujet d’une séparation au cours de la période d’un an qui a précédé le décès était exacte.

[34] Je suis d’accord avec l’argument du ministre selon lequel il n’est pas clair si l’incapacité indiquée dans la note de consultation en psychologie de 2011 a continué jusqu’au décès du cotisant en mars 2020. La requérante n’a pas présenté de renseignements médicaux à jour qui montraient une éventuelle incapacité du cotisant décédé après 2011. Les dossiers du ministre ne contenaient aucune information indiquant que le cotisant décédé souffrait d’une incapacitéFootnote 17.

[35] De plus, je ne constate aucun élément appuyant les allégations de fraude faites par la requérante. Le ministre a dit que le dossier de la requérante avait fait l’objet d’une enquête en octobre 2019 afin de déterminer sa situation matrimoniale avec le cotisant décédé. Le ministre cherchait à savoir si la requérante était admissible à une allocation au titre de la Loi sur la sécurité de la vieillesse. Le dossier du ministre indiquait que la requérante et le défunt s’étaient séparés puis réconciliés dans le passé. L’enquêtrice du ministre a interviewé le cotisant décédé le 15 janvier 2020, alors qu’il était à l’hôpital. Il a signé la déclaration solennelle ce jour-là. Il a écrit au ministre le 23 janvier 2020 afin de demander que ses prestations du RPC et de la SV lui soient versées par chèque et envoyées à son nom à l’hôpital. Lorsqu’il a appelé le ministre, le 3 février 2020, il a désigné la requérante comme étant son ex‑copineFootnote 18. Lors de cet appel téléphonique, le cotisant décédé a reçu comme instruction d’aviser le ministre de tout changement de son statut matrimonial. Le cotisant décédé n’a toutefois jamais informé le ministre de sa réconciliation avec la requérante avant son décès.

[36] Je n’ai aucune raison de douter de la version des événements du ministre. Je ne vois aucun motif pour lequel l’enquêtrice du ministre aurait piégé le cotisant décédé pour qu’il signe une déclaration solennelle indiquant qu’il était séparé de la requérante au cours de l’année qui avait précédé son décès.

[37] La requérante a affirmé que le cotisant décédé et elle avaient prévu se marier et déménager au Québec. Elle dit qu’ils avaient fait une demande de prêt hypothécaire ensemble. La requérante a produit un message texte de la fille du cotisant décédé qui disait que ce dernier et la requérante iraient au QuébecFootnote 19. Cependant, je n’ai relevé aucun élément dans les messages textes de la fille du cotisant décédé qui démontraient qu’elle considérait ce dernier et la requérante comme des conjoints de fait. Je n’ai également rien vu dans les messages textes de sa fille qui laissait entendre qu’elle savait que son père avait l’intention d’épouser la requérante. Je ne vois pas non plus de preuve selon laquelle d’autres membres de la famille du cotisant décédé considéraient qu’elle et le cotisant décédé formaient un couple en union de fait.

[38] Il existe un élément de preuve selon lequel la requérante et le cotisant décédé ne vivaient peut-être pas en union de fait au moment du décès. Le défunt n’a pas payé les frais funéraires. La requérante a produit une déclaration du directeur funéraire qui la décrivait comme étant la plus proche parente du cotisant décédéFootnote 20. Cependant, la requérante a affirmé que le cotisant décédé avait désigné sa fille comme étant sa plus proche parente. Sa fille a payé les frais funéraires, et c’est elle qui a touché la prestation de décès du RPC.

[39] J’ai examiné les déclarations des témoins fournies par la requérante qui, selon elle, appuyaient la conclusion d’une union de fait. Je juge que les déclarations fournies par la requérante sont vagues quant à la nature de sa relation avec le cotisant décédé. Elles ne contenaient pas beaucoup de détails sur la vie quotidienne de la requérante et du cotisant décédé.

[40] La requérante a soutenu qu’il n’y avait pas eu de séparation au cours de la période d’un an qui a précédé la décès du cotisant. La seule raison pour laquelle ils ont vécu séparément est que le défunt se trouvait à l’hôpital. Elle a toutefois présenté des éléments de preuve qui montrent qu’elle n’avait pas accès à lui lorsqu’il était à l’hôpital. Elle a mentionné que les infirmières ne la laissaient pas lui parlerFootnote 21. On pourrait penser que si la requérante et le cotisant décédé avaient été un couple en union libre, elle aurait pu aller le voir à l’hôpital.

[41] La preuve documentaire n’est pas claire quant à savoir si la requérante et le cotisant s’étaient réconciliés au moment du décès de ce dernier. La preuve donne à penser que le défunt et la requérante s’étaient séparés et réconciliés à plusieurs reprises au cours de leur relation. Je juge qu’il y a eu séparation au cours de la période d’un an qui a précédé le décès du cotisant. Cela signifie que la requérante n’a pas droit à une pension de survivant du RPC.

Conclusion

[42] Je juge que la requérante n’est pas admissible à une pension de survivant du RPC parce qu’elle n’a pas cohabité avec le cotisant pendant une période continue d’au moins un an avant son décès.

[43] Cela signifie que l’appel est rejeté.

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