Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Résumé :

Le 9 avril 2020, la requérante a fait une demande de pension de survivant du Régime de pensions du Canada (RPC), soutenant qu’elle et le cotisant décédé avaient cohabité dans le cadre d’une relation conjugale pendant 10 ans. Le ministre a initialement accueilli la demande. Cependant, il a changé d’avis une semaine plus tard, invoquant des renseignements selon lesquels la requérante avait cessé de vivre avec le cotisant décédé le 4 décembre 2019.

La requérante a fait appel de la décision du ministre auprès de la division générale (DG), laquelle a rejeté l’appel. La DG a conclu que la preuve a démontré que le cotisant décédé était séparé de la requérante au moment de son décès. La requérante a fait appel de cette décision devant la division d’appel (DA).

La DA a conclu que la DG avait fondé sa décision sur des documents auxquels elle n’avait pas eu accès. La DG s’était appuyée sur la description de ces documents faite par le ministre sans tenter d’en vérifier l’existence ou d’en confirmer le contenu. De ce fait, la DG a enfreint une règle d’équité procédurale en se fondant sur des renseignements de seconde main. La DA a accueilli l’appel, conformément à l’accord convenu entre les parties. La DA a jugé que la DG avait agi de manière inéquitable en concluant que la requérante n’était pas en union de fait avec le cotisant décédé au moment de son décès. La DA a rendu la décision que la DG aurait dû rendre et a accordé à la requérante une pension de survivant du RPC à compter de mai 2020.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : JB c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 205

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : J. B.
Partie intimée : Commission de l’assurance-emploi du Canada
Représentante : Rebekah Ferriss

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 15 novembre 2021 (GP-20-1010)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 17 mars 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentante de l’intimé
Date de la décision : Le 24 mars 2022
Numéro de dossier : AD-22-26

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la requérante n’avait pas droit à une pension de survivant du Régime de pensions du Canada. La pension de la requérante commencera en mai 2020.

Aperçu

[2] La requérante, J. B., veut obtenir une pension de survivant du Régime de pensions du Canada. Elle soutient qu’elle vivait dans une union de fait avec F. R., un cotisant au Régime, lorsqu’il est décédé dans un incendie résidentiel le 5 mars 2020.

[3] Le 9 avril 2020, la requérante a demandé la pension de survivant, affirmant qu’elle et feu F. R. avaient vécu ensemble dans une relation conjugale pendant 10 ans. Le ministre a d’abord accueilli la demande, mais il a changé d’avis une semaine plus tard, citant des renseignements selon lesquels la requérante ne vivait plus avec F. R. depuis le 4 décembre 2019Note de bas de page 1.

[4] La requérante a porté la décision du ministre en appel au Tribunal de la sécurité sociale. La division générale du Tribunal a tenu une audience par téléconférence. Elle a rejeté l’appel. Dans les motifs écrits de sa décision, la division générale a précisé que, tout bien considéré, la preuve montrait que F. R. était séparé de la requérante quand il est décédé. La division générale a souligné le témoignage de la requérante selon lequel elle s’est vu refuser l’accès à F. R. lorsqu’il a été hospitalisé en décembre 2019. Elle a fait remarquer que la requérante était dans une autre province depuis plusieurs mois lorsque F. R. est décédé en mars 2020. Et surtout, elle a accordé de l’importance à une déclaration solennelle, signée à l’hôpital par F. R., selon laquelle la requérante et lui n’étaient plus ensembleNote de bas de page 2.

[5] La requérante était totalement en désaccord avec la décision de la division générale. Elle a dit qu’elle était fausse [traduction] « d’un bout à l’autre ». Dans une décision rendue le 23 janvier 2022, j’ai accordé la permission de faire appel parce que je croyais que la requérante pouvait soutenir que la division générale avait fondé sa décision sur des documents auxquels ni elle ni la requérante n’avaient accès.

[6] Par la suite, j’ai organisé une conférence de règlement pour voir si les parties pouvaient trouver un terrain d’entente. Elles ont conclu un accord, dont les modalités ont été versées au dossier à la fin de la conférenceNote de bas de page 3. Les parties m’ont demandé de rédiger une décision qui reflète leur accord.

Accord

[7] À la conférence de règlement, la représentante du ministre a reconnu que la division générale avait commis une erreur en se fondant sur la déclaration solennelle, qui a été signée pendant que F. R. était à l’hôpital, à l’exclusion des autres éléments de preuve. Elle a convenu que la requérante avait droit à une pension de survivant du Régime de pensions du Canada à compter de mai 2020, soit le mois suivant la date de la demande.

[8] La requérante a accepté l’offre.

Analyse

[9] Pour les raisons suivantes, j’accepte l’accord conclu par les parties.

La division générale s’est appuyée sur des renseignements auxquels elle n’avait pas directement accès

[10] Pour décider que la requérante n’était pas admissible à la pension de survivant, la division générale a accordé de l’importance à un écrit par lequel F. R. a déclaré qu’il n’était plus le conjoint de fait de la requérante :

Dans l’affaire de la requérante, la difficulté réside dans le fait que le [cotisant] a signé une déclaration solennelle le 15 janvier 2020 selon laquelle la requérante et lui étaient séparés et ne vivaient plus ensemble depuis le 4 décembre 2019. Cela signifie que la requérante n’est pas admissible à la pension d’invalidité du [Régime] parce qu’ils ne vivaient pas en union de fait au moment du décès du cotisantNote de bas de page 4. [c’est moi qui met en évidence]

[11] Le ministre n’a pas produit la déclaration solennelle au départ, lorsqu’il a déposé son dossier de révisionNote de bas de page 5. Néanmoins, il s’est appuyé sur ce document pour faire valoir que la requérante n’avait pas droit à la pension de survivantNote de bas de page 6. Du même coup, il a fait référence à d’autres documents pour appuyer sa thèse :

  • Rapport d’enquête de Lynn Torraville, enquêteuse aux Services d’intégrité de Service Canada – F. R. a signé la déclaration solennelle au cours d’une entrevue avec Mme Torraville, qui semble lui avoir rendu visite alors qu’il était encore un patient du Central Newfoundland Regional Health Care Centre [Centre régional de soins de santé du centre de Terre-Neuve]. Apparemment, au cours de l’entrevue, F. R. a dit ne plus entretenir de relation avec la requéranteNote de bas de page 7.
  • Lettre de F. R. à Service Canada, datée du 23 janvier 2020 – F. R. a apparemment demandé par écrit que ses prestations du Régime de pensions du Canada et de la Sécurité de la vieillesse lui soient versées par chèque et envoyées directement par la poste au Centre régional de soins de santé.
  • Registre téléphonique daté du 3 février 2020 – Lors d’une entrevue téléphonique avec Mme Torraville, F. R. a apparemment appelé la requérante son ex-petite amie et il l’a accusée d’avoir retiré de l’argent de son compte bancaire.

[12] Aucun de ces documents n’a été déposé au dossier, même s’ils contenaient peut-être des renseignements pertinents pour la requérante, notamment :

  • Qu’est-ce qui a amené Service Canada à enquêter sur l’état matrimonial de F. R. dans les semaines avant son décès?
  • Qu’est-ce qui a incité Mme Torraville à visiter F. R. à l’hôpital en amenant avec elle un formulaire vierge de déclaration solennelle pour la séparation?
  • Au cours de son enquête, Mme Torraville a-t-elle fait d’autres constatations au sujet des conditions de vie de F. R.? Si oui, lesquelles?

[13] En fin de compte, la division générale a fondé sa décision sur des documents auxquels elle n’avait pas accès. Le membre s’est appuyé sur la description que le ministre a faite de ces documents sans tenter de vérifier leur existence ou de confirmer leur contenu. Ce faisant, la division générale a enfreint une règle d’équité procédurale en se fondant sur des renseignements de seconde main.

La division générale n’a pas vérifié si la requérante avait accès aux renseignements pertinents

[14] À l’audience, la requérante a soulevé la question de la déclaration solennelle et a rejeté l’idée voulant que F. R. l’avait signée en toute connaissance de causeNote de bas de page 8. Elle a ensuite déclaré qu’elle n’avait jamais vu le document. Plus tard, le membre de la division générale qui présidait l’audience a demandé à la représentante du ministre de produire la déclaration solennelle, mais elle a refusé de le faire parce que le document faisait partie du dossier de F. R., et non du dossier de la requéranteNote de bas de page 9. Elle a ajouté de façon un peu mystérieuse : [traduction] « Il n’est pas pertinent, mais il l’estNote de bas de page 10. » Le membre a accepté cette explication sans rien ajouter et il n’a pas exercé de pression sur la représentante du ministre pour qu’elle dépose la déclaration solennelle ou tout autre document relatif à l’enquête mentionnée dans ses observations écrites.

[15] La représentante du ministre a manifestement changé d’avis parce que, deux semaines après l’audience, elle a déposé une copie de la déclaration solennelle à la division d’appel. Elle n’a toutefois présenté aucun des autres documents potentiellement pertinents qui découlent de l’enquête de Mme Torraville. La division générale a rendu sa décision quelques semaines plus tard.

[16] En agissant de cette façon, la division générale a enfreint une règle d’équité procédurale, car elle ne s’est pas assurée que la requérante connaissait tous les arguments avancés contre elle.

Réparation

[17] Lorsque la division générale fait une erreur, la division d’appel peut la corriger de deux façons : i) elle peut renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle la juge à nouveau ou ii) elle peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 11.

[18] Le Tribunal a l’obligation de procéder aussi rapidement que l’équité le permet. Les parties ont convenu que la requérante était la survivante du cotisant décédé, et le dossier comporte assez de renseignements pour me permettre de confirmer cette évaluation par moi-même.

[19] Après avoir examiné l’ensemble du dossier, je suis convaincu que la requérante vivait en union de fait avec F. R. quand il est décédé.

[20] La requérante a fait les déclarations suivantes :

  • F. R. et elle entretenaient une relation étroite et affectueuse depuis 10 ans;
  • les deux partageaient les frais de subsistance et vivaient dans une maison qu’elle possédait;
  • les deux touchaient des pensions qui étaient versées dans son compte bancaire à elle;
  • leurs déclarations de revenus étaient faites conjointement et les deux se déclaraient conjoints de fait.

Le dossier contient des relevés hypothécaires, des relevés bancaires et des relevés d’impôt qui appuient ces déclarations.

[21] La requérante a soutenu qu’au cours de la dernière année de sa vie, F. R. était à peine capable de prendre soin de lui-même ou de gérer ses affaires. Elle affirme qu’au moment où il est décédé, elle était en Ontario pour intenter une action en justice. Elle a insisté sur le fait qu’elle avait l’intention de revenir chez elle et qu’elle n’était pas à la maison seulement de façon temporaire lorsque celle-ci a été détruite dans l’incendie qui a aussi tué F. R.

[22] J’accepte ces éléments de preuve. J’accorde peu d’importance à la déclaration solennelle que F. R. a signée à la demande de l’enquêteuse alors qu’il était hospitalisé pour traiter un cancer du poumon.

[23] Je conclus que la requérante vivait en union de fait avec F. R. quand il est décédé, même si elle était absente de leur domicile à ce moment-là.

Conclusion

[24] L’appel est accueilli conformément à l’accord conclu par les parties. La division générale a agi de façon injuste en concluant que la requérante ne vivait pas en union de fait avec F. R. au moment du décès de celui-ci. Je rends la décision que la division générale aurait dû rendre et j’accorde à la requérante une pension de survivant du Régime de pensions du Canada à compter de mai 2020.

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