Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : MR c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 192

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : M. R.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Partie mise en cause : La succession de N. R.

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision datée du 27 août 2020 rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Pierre Vanderhout
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 2 février 2022
Personne présente à l’audience : Partie appelante
Date de la décision : Le 4 février 2022
Numéro de dossier : GP-20-1613

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] Le requérant, M. R., ne peut pas empêcher ou annuler le partage des créditsNote de bas de page 1 du Régime de pensions du Canada (RPC) pour lequel son ex-épouse N. R. a fait une demande. Cette décision explique pourquoi je rejette l’appel.

Aperçu

[3] Le requérant a épousé N. R. le 21 juin 1986. Ils se sont séparés le 1er septembre 2014. Ils ont signé un accord de séparation le 10 avril 2015 et ont signé une demande conjointe de divorce le 30 avril 2018Note de bas de page 2. L’ordonnance de divorce a été rendue le 13 juin 2018 et a pris effet le 14 juillet 2018Note de bas de page 3. En juin 2019, N. R. a demandé un partage des crédits du RPC à l’égard du requérantNote de bas de page 4.

[4] Le ministre dit avoir approuvé la demande de partage des crédits du RPC de N. R. le 7 octobre 2019Note de bas de page 5. La décision du ministre a été envoyée le 18 octobre 2019Note de bas de page 6. Cependant, N. R. est décédé le 11 octobre 2019Note de bas de page 7. Le partage des crédits a réduit le nombre total de crédits du RPC du requérant.

[5] La partie mise en cause est la succession de N. R. O. R., le fils cadet du requérant et de N. R., était le représentant de la succession pour le présent appelNote de bas de page 8.

[6] Le requérant a présenté de nombreuses observations sur les raisons pour lesquelles le partage des crédits du RPC ne devrait pas être maintenu. Il dit que le partage est invalide parce qu’il n’a été traité qu’après la mort de N. R. Autrement, cela ne devrait pas être maintenu parce que N. R. est décédée avant de pouvoir recevoir tout montant accru du RPC. Il dit aussi que la demande est invalide parce que N. R. l’a déposée plus de 36 mois après la fin de leur mariage, et qu’il n’a jamais renoncé à cette règle. Il laisse également entendre que N. R. n’était pas apte à prendre des décisions lorsqu’elle a demandé le partage des crédits du RPC, car elle a pris d’autres décisions irrationnelles peu avant son décès. Autrement, il estime que la rancune a motivé sa demande de partage des crédits du RPC.

[7] Le requérant soutient également que N. R. a accepté de ne pas réclamer sa pension du RPC. Il dit que N. R. a accepté de recevoir une pension alimentaire de 500 $ par mois à la place. Finalement, le requérant affirme que l’accord de séparation interdit tout partage des crédits du RPC.

[8] Le ministre indique qu’il doit effectuer un partage des crédits du RPC dès qu’il est informé d’un divorce et qu’il reçoit les renseignements prescrits. Le ministre affirme que le partage des crédits est obligatoire et qu’aucune des exceptions potentielles ne s’applique à la situation du requérant. Le ministre précise également que le partage des crédits est permanent et ne peut pas être annulé si l’un des conjoints décède.

Ce que le requérant doit prouver

[9] Pour gagner son appel, le requérant doit prouver que les dispositions relatives au partage obligatoire des crédits du RPC du Régime de pensions du Canada ne s’appliquent pas à sa situation.  

Questions que je dois examiner en premier

La partie mise en cause n’était pas présente à l’audience

[10] Une audience peut avoir lieu en l’absence de la partie mise en cause si elle a reçu l’avis d’audienceNote de bas de page 9. J’ai jugé que la partie mise en cause a reçu l’avis d’audience parce que le Tribunal le lui a envoyé par courriel le 24 janvier 2022. Le Tribunal a également informé la partie mise en cause de l’audience par téléphone le 24 janvier 2022. Le Tribunal avait déjà essayé d’envoyer l’avis d’audience à la partie mise en cause par courrier recommandé, mais la livraison n’avait pas réussi à se faire à l’adresse fournie par la partie mise en cause.

[11] Les documents du Tribunal envoyés par courriel sont réputés avoir été communiqués le jour ouvrable suivant leur envoiNote de bas de page 10. Cela signifie que l’avis d’audience a été communiqué à la partie mise en cause le 25 janvier 2022. Par conséquent, l’audience a eu lieu à la date prévue, mais sans la partie mise en cause.

Motifs de ma décision

[12] La plupart des faits ne sont pas contestés. Le requérant a convenu qu’il avait vécu avec N. R. de juin 1986 à septembre 2014Note de bas de page 11. Il n’a pas contesté les dates de partage des crédits du RPC, soit de janvier 1986 à décembre 2013Note de bas de page 12. Au contraire, il soutient que le partage des crédits n’aurait jamais dû avoir lieu. Sinon, il soutient que le partage des crédits devrait être annulé.  

Le ministre a-t-il été contraint d’effectuer un partage de crédits?

[13] Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que le ministre a été obligé d’effectuer un partage des crédits à l’égard de N. R. et du requérant.

[14] La loi oblige le ministre à effectuer un partage des crédits du RPC dans certaines circonstances. Pour les conjoints, le ministre doit procéder à un partage des crédits dès qu’il (1) est informé d’un jugement accordant un divorce et (2) reçoit les renseignements prescritsNote de bas de page 13.

[15] Je constate que le ministre a été informé du jugement de divorce au plus tard le 7 octobre 2019. C’est ce qui ressort de la demande de partage des crédits du RPC de N. R. Elle a fait la demande en juin 2019 et a évoqué le divorce. Un employé du ministère a noté le jugement de divorce directement sur la demandeNote de bas de page 14.

[16] Les « renseignements prescrits » sont essentiellement les renseignements et les documents demandés dans la demande de partage des crédits du RPCNote de bas de page 15. Pour des raisons de protection de la vie privée, le ministre a caviardé une grande partie des informations figurant sur le formulaire de demande de N. R. Cependant, j’estime probable que N. R. ait fourni les informations prescrites. Le formulaire montre que N. R. a fourni beaucoup d’informations, bien qu’une grande partie d’entre elles ait été caviardée par la suiteNote de bas de page 16. Je constate également que des documents tels que l’acte de mariage semblent avoir été soumis avant l’approbation du partage des créditsNote de bas de page 17. Le partage des crédits a été effectué dans les quatre mois suivant la demande de N. R. Le ministre a également demandé au requérant de confirmer les dates pertinentes au cours de cette période, ce qu’il a faitNote de bas de page 18.

[17] Il y a une exception limitée à cette règle. Le ministre a le pouvoir discrétionnaire de ne pas procéder à un partage de crédits s’il est convaincu que le partage laisserait les deux conjoints dans une situation plus défavorableNote de bas de page 19. Cependant, je ne vois aucune preuve que N. R. (ou sa succession) se trouve dans une situation plus défavorable en raison du partage des créditsNote de bas de page 20. À l’audience, le requérant a admis que N. R. aurait bénéficié du partage. Les détails du partage de ses crédits montrent également que le partage des crédits a réduit ses gains ouvrant droit à pension pour chaque année du partage (sauf 1991), mais a probablement augmenté les gains de N. R. pour chaque année du partage (sauf 1991)Note de bas de page 21. J’estime qu’il est très improbable que le partage des crédits ait laissé N. R. dans une situation plus défavorable.

[18] Je suis convaincu que le ministre semble avoir agi correctement en effectuant le partage des crédits du RPC en octobre 2019. Cependant, le requérant a soulevé plusieurs préoccupations concernant ce partage des crédits. Je vais maintenant examiner ces préoccupations.

Est-ce important que N. R. soit décédée en octobre 2019?

[19] La lettre du ministre informant le requérant du partage des crédits est datée du 18 octobre 2019Note de bas de page 22. C’était une semaine après le décès de N. R. Le ministre laisse entendre que le partage des crédits a effectivement été effectué le 7 octobre 2019, soit quatre jours avant le décès de N. RNote de bas de page 23.

[20] Le requérant affirme que le partage des crédits n’est pas valide, car il a été effectué après le décès de N. R. Sinon, il dit que ce partage devrait être révoqué parce qu’elle n’a jamais tiré d’avantage de ce partage.

[21] Je reconnais que le partage des crédits du RPC a eu peu d’avantages pratiques pour N. R. puisqu’elle est décédée le même mois où il a été effectué. Toutefois, les conditions d’admissibilité à un partage des crédits du RPC pour les conjoints divorcés ne font pas référence au fait que l’un ou l’autre des conjoints doit être en vieNote de bas de page 24. Les conditions sont légèrement différentes pour les conjoints de fait et pour les conjoints qui ne sont pas divorcésNote de bas de page 25. Malheureusement, ces conditions ne s’appliquent pas à la situation du requérant. Il n’existe pas non plus de délai de 36 mois pour les conjoints divorcés, comme le suggère le requérant. Un tel délai a pu s’appliquer à d’autres situations ou à d’autres moments. Je note également que tout retard du ministre dans le traitement de la demande n’est pas pertinentNote de bas de page 26.

[22] Le Tribunal est lié par les décisions de la Cour fédérale. Cela est important, car la Cour fédérale a récemment examiné si le décès d’un conjoint avait une incidence sur une demande de partage des crédits du RPC. La Cour fédérale a confirmé que le ministre doit effectuer le partage des crédits même si l’un des conjoints est décédé et que le partage est défavorable au conjoint vivant et entraîne une réduction de sa pensionNote de bas de page 27.  

[23] Compte tenu des dispositions du Régime de pensions du Canada et de la position de la Cour fédérale, le décès de N. R. n’a pas d’incidence sur le partage des crédits du RPC. Il importe peu que le partage ait été effectué avant ou après le décès de N. R.

[24] Le requérant estime que cela est injuste. Toutefois, le Tribunal ne peut ignorer le Régime de pensions du Canada. Le Tribunal a été créé en vertu de la législation. Le Tribunal peut seulement accorder les réparations qu’il a le pouvoir légal d’accorderNote de bas de page 28. Le Tribunal ne peut pas renoncer aux dispositions du Régime de pensions du Canada ou les modifier, même si le résultat peut sembler injuste. Le Tribunal ne peut pas non plus ignorer les décisions de la Cour fédérale.

Les motivations ou l’état d’esprit de N. R. comptent-ils?

[25] Je conclus que les motivations et l’état d’esprit de N. R. ne comptent pas.

[26] Dans son testament de septembre 2018, N. R. a désigné son fils B. comme fiduciaire de sa succession. Son testament répartit ses biens entre ses fils B. et O. R.Note de bas de page 29 Cependant, à peine deux semaines avant son décès, N. R. a signé un codicille retirant B. comme exécuteur testamentaire et nommant O. R. comme l’un des deux nouveaux co-exécuteurs. Le codicille semble également accorder à O. R. la majeure partie de la succession de N. R.Note de bas de page 30 Lors de l’audience, le requérant a dit qu’O. R. s’est retrouvé avec environ 70 000 $ de la succession de N. R., tandis que B. a reçu environ 20 000 $. Le requérant a ajouté que B. avait été très proche de N. R. et avait passé beaucoup de temps avec elle.

[27] Le requérant a indiqué que le codicille de N. R. et sa demande de partage des crédits du RPC démontraient un comportement malveillant, irrationnel ou incompétent. Le requérant a déclaré que N. R. était atteint d’un cancer en phase terminale et avait déjà décidé de mourir par injection létale lorsqu’elle a demandé le partage des crédits.

[28] Le Régime de pensions du Canada ne dit rien des intentions ou des motivations d’une partie demanderesse. Quant aux comportements irrationnels, la loi pardonne certains retards causés par un manque de capacitéNote de bas de page 31. Cependant, le retard n’est pas le problème dans la présente affaire. Le requérant cherche à faire annuler la demande de N. R. en raison d’un manque de capacité. Dans une décision convaincante rendue en 2003, la Commission d’appel des pensions a confirmé que les dispositions relatives à la capacité du Régime de pensions du Canada peuvent seulement aider à établir une date d’application antérieure. Elles ne peuvent pas être utilisées pour annuler une demande pour cause d’incapacitéNote de bas de page 32.   

[29] Comme il est indiqué ci-dessus, le partage des crédits du RPC est obligatoire dès que le ministre est informé du divorce et reçoit les renseignements prescrits. L’accent est mis sur le divorce lui-même, plutôt que sur le raisonnement qui sous-tend le divorce ou la demande. Les preuves circonstancielles concernant les actions de N. R. à la fin de sa vie ne changent rien au divorce ou à la durée de sa relation avec le requérant. Je note que le requérant était d’accord avec ces faits essentielsNote de bas de page 33.   

Les exigences de l’accord de séparation ont-elles une incidence sur le partage des crédits?

[30] Dans certaines situations limitées, les conjointes ou conjoints peuvent conclure un accord écrit qui empêche le ministre d’effectuer un partage des crédits du RPCNote de bas de page 34. Le requérant laisse entendre que l’accord de séparation est un tel accord. Cependant, l’accord de séparation ne répond pas aux exigences permettant d’éviter le partage des crédits du RPC.

[31] Un accord écrit doit répondre à quatre exigences pour empêcher le partage des crédits RPC. L’une des exigences est que la disposition de l’accord doit être « expressément autorisée selon le droit provincial applicable à de tels [accords]Note de bas de page 35 ». Or, la loi ontarienne ne permet pas un tel accordNote de bas de page 36. Le mariage, la séparation et le divorce dans cette affaire ont tous eu lieu en OntarioNote de bas de page 37. Par conséquent, je n’ai pas besoin d’examiner si l’accord de séparation satisfait aux trois autres exigences.

[32] Le requérant a également proposé de verser à N. R. 500 $ par mois à la condition qu’elle n’ait pas accès à ses crédits du RPCNote de bas de page 38. Je note que l’accord de séparation ne lie pas les 500 $ à ses crédits du RPCNote de bas de page 39. Quoi qu’il en soit, la législation pertinente est toujours celle de l’Ontario. Un prétendu accord oral ne peut pas empêcher le partage des crédits du RPC si un accord écrit et signé ne peut pas empêcher ce même partage.

Conclusion

[33] Je conclus que le requérant ne peut pas empêcher ou annuler le partage des crédits du RPC pour lequel N. R. a fait une demande.

[34] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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