Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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Décision

[1] L’appel est accueilli. La division générale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’appelant n’avait pas droit à une pension d’invalidité du RPC. La pension de l’appelant commencera en janvier 2019.

Aperçu

[2] L’appelant, P. N., a travaillé comme opérateur de machine pour un fabricant de composants électriques. Il a l’équivalent d’une 10e année et a maintenant 61 ans. En juin 2018, après avoir ressenti de l’essoufflement et des douleurs thoraciques, il a reçu un diagnostic d’angine instable. Peu après, il a subi une angioplastie. Deux endoprothèses ont été insérées dans ses artères coronaires. Il n’a pas travaillé depuis.

[3] En décembre 2019, l’appelant a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Il a affirmé ne plus pouvoir travailler en raison des symptômes liés à l’affection des artères coronaires, notamment les douleurs thoraciques, l’essoufflement et la fatigue.

[4] Le ministre, par l’intermédiaire de Service Canada, a rejeté la demande de l’appelant parce qu’à son avis, il n’avait pas démontré qu’il avait une invalidité grave et prolongéeNote de bas de page 1. Le ministre a entre autres noté que l’appelant n’avait pas fait de démarches pour trouver un autre emploiNote de bas de page 2.

[5] L’appelant a fait appel de la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu une audience par téléconférence et a rejeté l’appel parce qu’elle a conclu que la preuve médicale était insuffisante pour démontrer que l’appelant était invalide et ne pouvait pas détenir un emploi véritablement rémunérateur. La division générale a reconnu que l’appelant ressentait parfois de l’inconfort thoracique, mais elle n’a vu aucune indication selon laquelle cela l’empêchait de faire des travaux légers.

[6] L’appelant a ensuite demandé à la division d’appel la permission de faire appel. Il a insisté sur le fait qu’il était invalide et il a soutenu que la division générale avait tiré des conclusions erronées d’après la preuve. Il a plus précisément allégué que la division générale n’avait pas tenu compte de l’ensemble de la preuve qui avait été portée à sa connaissance.

[7] Dans une décision datée du 24 février 2022, j’ai accordé à l’appelant la permission d’en appeler parce que j’étais d’avis qu’il avait une cause défendable.

[8] Les parties ont maintenant conclu une entente. Elles m’ont demandé de rendre une décision qui illustre cette entente.

Entente

[9] L’entente conclue le 1er avril 2022 par les parties se lit comme suit :

[traduction]
LES PARTIES CONVIENNENT que la division d’appel devrait accueillir cet appel parce que la division générale a commis des erreurs de droit et de fait au sens des articles 58(1)(b) et 58(1)(c) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LMEDS).

La division générale n’a pas appliqué l’analyse « réaliste » de Villani et n’a donc pas examiné si l’appelant, compte tenu de sa situation particulière, de ses antécédents et de son état de santé, est régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Habituellement, cette analyse fait partie intégrante de l’évaluation du caractère grave de l’invalidité d’une personne. La décision Giannaros (tout comme d’autres affaires comme Kiriakidis) concerne des circonstances dans lesquelles un décideur peut contourner l’analyse réaliste. Ces décisions peuvent demeurer pertinentes et lier le Tribunal, mais elles ne s’appliquent pas aux faits de cette affaire. Contrairement à Giannaros, l’appelant n’a pas ignoré les traitements médicaux et n’a pas omis de fournir des éléments de preuve médicale objectifs à l’appui de sa demande. Contrairement à Kiriakidis, l’appelant n'a pas fourni au Tribunal une preuve médicale qui confirmait qu’il continuait à travailler dans la mesure où il était capable de faire ce travail. Il ne s’agissait pas d’un cas où la division générale avait le droit de contourner l’analyse réaliste.

La division générale n’a pas non plus évalué ou a mal interprété les rapports médicaux suivants :

  1. Le rapport du Dr Khandaker daté du 29 janvier 2019;
  2. Les rapports du Dr Lin datés du 13 décembre 2018 et du 24 mars 2021;
  3. Le rapport du Dr Aggarwal daté du 14 juillet 2021.

La division générale n’a pas évalué que ces rapports, seuls ou ensemble, donnent à penser que, selon la prépondérance des probabilités et compte tenu de sa situation personnelle, la ou les limitations fonctionnelles de l’appelant ont nui à sa capacité de travailler à partir de juin 2018. Selon ces rapports et en les considérant dans le contexte du dossier complet, l’appelant présente des antécédents d’affection des artères coronaires associée à de l’anxiété et à une dyslipidémie et souffre d’épisodes de douleurs thoraciques atypiques, d’inconfort et de fatigue. Le médecin de famille de l’appelant le connaît et le traite depuis environ 2014 et soutient qu’il n’a pas la capacité de travailler en raison de limitations fonctionnelles résultant de ses problèmes de santé. La division générale a fondé sa décision, du moins en partie, sur une constatation factuelle erronée selon laquelle l’état de santé de l’appelant ne posait aucune limitation fonctionnelle à sa capacité de travailler à partir de juin 2018 jusqu’à la date de son audience.

Si la division générale avait évalué l’état de santé et les limitations fonctionnelles de l’appelant dans le cadre d’une analyse réaliste, comme le prescrivent la décision Villani et d’autres décisions, elle aurait décidé, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant avait une invalidité grave et prolongée à compter du 31 décembre 2022, date de sa période minimale d’admissibilité (PMA) et par la suite.

PAR CONSÉQUENT au titre de l’article 18 du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, et de l’article 59(1) de la LMEDS, les parties demandent à la division d’appel d’accueillir l’appel et de donner l’ordre suivant que la division générale aurait dû donner :

  1. (a) Le revenu et les cotisations de l’appelant donnent lieu à une PMA le 31 décembre 2022;
  2. (b) L’appelant est devenu invalide en juin 2018, au sens de l’article 40(2)(a) du RPC. Cependant, au sens de l’article 42(2)(b), la date à laquelle l’appelant peut être réputé invalide au plus tôt est septembre 2018, quinze mois avant le 13 décembre 2019, date de sa demande de prestations d’invalidité;
  3. (c) Par conséquent, au titre de l’article 44(1)b)(ii) et de l’article 69 du RPC, l’appelant a droit à une pension d'invalidité à compter de janvier 2019, soit quatre mois après le mois réputé du début de l’invalidité de l’appelant en septembre 2018;
  4. (d) Cette façon de procéder est la plus rentable et la plus efficace pour les deux parties et est conforme à l’article 2 et à l’article 3(1)(a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale.

Analyse

[10] Pour les raisons expliquées ci-dessous, j’accepte l’entente des parties.

La division générale a ignoré les antécédents et les caractéristiques personnelles de l’appelant

[11] La décision de principe en matière d’invalidité du RPC est Villani c Canada Note de bas de page 3 , qui exige que les parties requérantes soient considérées comme des personnes à part entière. D’après Villani, les décideurs doivent tenir compte de facteurs comme l’âge, le niveau d’instruction, les aptitudes linguistiques, les antécédents de travail et l’expérience de vie de la personne. Ce principe a été consolidé par une décision intitulée BungayNote de bas de page 4, selon laquelle l’employabilité doit être évaluée, non pas dans l’abstraction, mais eu regard à toutes les circonstances, y compris la situation particulière de la personne et ses antécédents médicaux.

[12] Dans sa décision, la division générale a cité Villani mais n’a pas vu la nécessité de l’appliquer :

[traduction]
Finalement, pour décider si l’invalidité d’une personne est grave, il faut généralement tenir compte de ses caractéristiques personnelles. Sa capacité de travailler est ainsi évaluée sous un angle réaliste.

Il n’est pas nécessaire de le faire dans cette affaire parce que je ne crois pas que les limitations fonctionnelles du requérant le rendent régulièrement incapable de détenir une quelconque occupation véritablement rémunératrice. Cela signifie qu’il n’a pas prouvé que son invalidité était grave à ce moment‑làNote de bas de page 5.

À l’appui de cette position, la division générale a cité une affaire intitulée Giannaros qui, à première vue, semble dispenser les décideurs de la nécessité d’effectuer une analyse réaliste s’ils ont déjà décidé que l’invalidité d’une personne n’est pas graveNote de bas de page 6.

[13] Dans ma décision relative à la permission d’en appeler, j’ai soulevé la possibilité que la décision Giannaros soit incompatible avec Villani, car cette dernière donne à penser que l’analyse réaliste fait partie intégrante de toute évaluation de la gravité. Cependant, il n’est pas nécessaire que j’étudie cette question dans cette affaire, car je suis convaincu que la décision Giannaros n’a même jamais été applicable à la situation de l’appelant.

[14] La décision Giannaros concernait une requérante qui n’avait pas tenu compte d’un avis médical clair et élémentaire qui aurait probablement atténué ses incapacités. Ainsi, il était impossible de dire si son invalidité était « grave et prolongée » sans connaître les possibilités que son état puisse s’améliorer. Une telle difficulté n’existe pas dans le cas de l’appelant. Son dossier médical ne contient aucune indication selon laquelle il n’a jamais respecté les recommandations de traitement. En conséquence, la division générale n’avait aucune justification pour se dispenser de l’analyse de Villani. Ce faisant, elle a commis une erreur de droit.

Réparation

[15] Lorsque la division générale commet une erreur, la division d’appel peut corriger cette erreur de l’une des deux manières suivantes : (i) elle peut renvoyer l’affaire à la division générale pour une nouvelle audience, ou (ii) elle peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 7.

[16] Le Tribunal est tenu de procéder de la manière la plus expéditive que l’équité permet. Les parties conviennent que l’appelant est invalide, et le dossier contient suffisamment d’information pour me permettre de valider cette évaluation.

[17] Après avoir examiné le dossier en entier, je suis convaincu que l’appelant est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Je fonds cette conclusion sur les éléments suivants :

  • l’appelant a arrêté de travailler en juin 2018 après avoir eu de graves douleurs thoraciques;
  • il a reçu un diagnostic d’affection des artères coronaires et a subi une angioplastie par la suite;
  • il s’est rétabli de la chirurgie, mais selon ses médecins, il demeure incapable de faire autre chose que des travaux physiques légersNote de bas de page 8;
  • il continue d’éprouver de l’inconfort thoracique et de l’essoufflement après l’effortNote de bas de page 9.

[18] L’appelant a une instruction limitée et est maintenant âgé de plus de 60 ans. L’anglais est sa langue seconde. Il possède de nombreuses années d’expérience de travail, mais seulement dans des emplois semi‑qualifiés ayant une composante physique. L’appelant s’est renseigné au sujet de tâches légères à son dernier lieu de travail, mais aucune n’était disponible. Il n’est pas un bon candidat pour le recyclage professionnel et compte tenu de son profil et de ses limitations, il est en effet inemployable.

Conclusion

[19] L’appel est accueilli conformément à l’entente des parties. L’appelant est devenu invalide en date de juin 2018, le dernier mois où il a travaillé. Je rends la décision que la division générale aurait dû rendre et j’accorde à l’appelant une pension d’invalidité du RPC à partir de janvier 2019Note de bas de page 10.

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