Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : MC c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 316

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : D. K.
Représentante : M. K.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante : Rebekah Ferriss

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 24 septembre 2021 (GP-21-726)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 22 mars 2022
Personnes présentes à l’audience : Représentante de la partie appelante
Représentante de la partie intimée

Date de la décision : Le 28 avril 2022
Numéro de dossier : AD-21-442

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. La division générale a commis une erreur, mais après avoir examiné moi-même le dossier, je conclus que le requérant n’était pas incapable de présenter une demande de prestations d’invalidité du RPC entre février 2008 et mai 2020.

Aperçu

[2] Le requérant, D. K., a travaillé comme conducteur d’autobus. En février 2008, un passager maniant un fusil l’a menacé. Il souffre de détresse psychologique grave depuis cet événement. Peu de temps après, il a quitté son emploi et a reçu par la suite un diagnostic du trouble de stress post-traumatique (TSPT), de dépression et d’anxiété. À part les trois mois qu’il travaillait comme préposé à l’entretien en 2017, il n’a pas travaillé depuis. Il a maintenant 51 ans.      

[3] En mai 2020, la mère (représentante autorisée du requérant) a demandé une pension d’invalidité du RPC au nom de son fils. Le ministre a accueilli la demande à compter de juin 2019; c’est le plus tôt que le requérant peut recevoir son premier versement selon la loiNote de bas de page 1.

[4] La représentante du requérant a fait appel de la date de début du versement de sa pension auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Elle a dit que son fils avait été incapable par le passé de demander une pension d’invalidité.   

[5] La division générale a tenu une audience par téléconférence et a rejeté l’appel. La division générale a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le requérant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande avant le mois de mai 2020. La division générale s’est fiée en particulier aux éléments de preuve indiquant que le requérant a cherché du travail et a consenti à suivre des traitements médicaux. La division générale a aussi accordé de l’importance au fait que le requérant est devenu père pendant la période au cours de laquelle il a prétendu être atteint d’incapacité.

Les motifs d’appel du requérant

[6] La représentante du requérant a fait appel de la décision de la division générale auprès de la division d’appel du Tribunal. Elle a affirmé que la division générale avait commis les erreurs suivantes :

  • Elle s’est fiée à des éléments de preuve particuliers pour étayer sa conclusion selon laquelle le requérant n’était pas atteint d’incapacité et elle a ignoré les éléments qui prouvaient le contraire.    
  • Elle a fondé sa décision sur les activités et les choix du requérant au lieu de tenir compte de la preuve médicale accablante démontrant qu’il est incapable de demander la pension d’invalidité du RPC depuis février 2008.     
  • Elle a déduit la capacité du fait que le requérant a signé son formulaire de demande. En fait, il ne savait pas ce qu’il signait et ne s’en souciait pas – sa mère lui a indiqué où écrire son nom à l’aide d’une note autocollante jaune.
  • Elle a déduit la capacité du fait que le requérant est devenu père en 2011. En fait, c’est l’ex-épouse du requérant qui a pris la décision d’avoir un enfant; il n’y a aucun élément de preuve indiquant que le requérant a consenti à devenir un parent.

[7] J’ai accordé au requérant la permission d’en appeler parce que j’estimais qu’il avait une cause défendable. J’ai tenu une audience par téléconférence le mois dernier afin de discuter en détail des allégations du requérant.

Question en litige

[8] Il existe quatre moyens d’appel devant la division d’appel. Une partie requérante doit montrer que la division générale a commis l’une des erreurs suivantes :  

  • Elle a procédé d’une manière inéquitable;
  • Elle a excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  • Elle a commis une erreur de droit;
  • Elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 2.  

Je dois décider si au moins une des allégations du requérant correspond à au moins un des moyens d’appel, et si elle est fondée.

Analyse

[9] Je suis convaincu que la division générale a fondé sa décision sur une erreur de fait importante lorsqu’elle a déduit la capacité du fait que le requérant était devenu père. Comme la décision de la division générale porte uniquement sur cette raison, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’aborder les autres erreurs.   

Il y a une cause défendable selon laquelle la division générale a fondé sa décision sur un fait non pertinent

[10] La représentante du requérant soutient que le fait qu’il soit devenu père n’a aucun rapport avec la question de savoir si le requérant était incapable de demander sa pension plus tôt. Elle dit que la division générale a présumé – sans se fier à un élément de preuve – que son fils avait consenti à avoir un troisième enfant.

[11] À mon avis, le requérant soulève un point valable.

[12] Dans sa décision, la division générale mentionne le statut parental du requérant seulement deux fois. Néanmoins, son argument semble avoir été influencé par le renseignement indiquant qu’il est devenu père pendant la période où il était prétendument atteint d’incapacité :

Je suis d’accord avec le ministre pour dire que le requérant était parfois capable de conduire, de faire des courses, et de se présenter aux rendez-vous médicaux de février 2008 à mai 2020. Le requérant a consenti à suivre des traitements médicaux et à prendre des médicaments. Le médecin de famille a confirmé que le requérant pouvait prendre des décisions et émettre des jugements dans des situations quotidiennes à compter de mai 2019. Le requérant est devenu père en 2011. Il a travaillé en 2017 [mis en évidence par le soussigné]Note de bas de page 3.

[13] Dans ce passage, la division générale cite le fait de devenir parent comme l’un des nombreux indicateurs de capacité. Je ne suis pas d’accord. Conduire une automobile exige un certain niveau d’acuité mentale et de jugement. Tout comme le fait de consentir à un traitement médical. Même faire des courses exige une certaine capacité. Mais s’engager dans un acte de procréation est une autre affaire. Comme le fait remarquer la représentante du requérant, il faut deux personnes pour produire un enfant, et il est possible de le faire sans le consentement éclairé de l’une d’elles. De plus, le simple fait qu’une personne ait un enfant ne dit rien sur sa capacité à assumer les responsabilités parentales.

[14] Je reconnais que la division générale n’a pas fondé toute sa décision sur le fait que le requérant soit devenu père pendant la période au cours de laquelle il a prétendu être atteint d’incapacité. Mais le contexte dans lequel la division générale mentionne ce fait indique indubitablement qu’il a influencé son raisonnement de façon importante.    

[15] Comme la division générale l’a noté à juste titre, les tribunaux ont conclu que le critère juridique d’incapacité exige que les décideurs et décideuses tiennent compte des activités de la partie requéranteNote de bas de page 4. Mais ces activités doivent être en rapport avec la question à traiter – si le requérant était capable de former ou d’exprimer l’intention de demander des prestations. En 2011, le requérant était marié et vivait avec son épouse lorsqu’elle a accouché, mais il n’y avait aucune preuve au dossier indiquant que le requérant avait accepté d’avoir un enfant. En présumant que le requérant a consenti à avoir un troisième enfant, la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

Réparation

Il existe deux façons de corriger l’erreur de la division générale

[16] La division d’appel a le pouvoir de corriger les erreurs de la division générale. Je peux renvoyer l’affaire à la division générale aux fins d’une révision, ou rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 5.

[17] Le Tribunal doit veiller à ce que les instances se déroulent de la manière la plus expéditive et équitable que les circonstances permettent. La Cour d’appel fédérale a déclaré qu’une décideuse ou un décideur devrait tenir compte du retard dans la conclusion d’une demande de pension d’invalidité. Cela fait deux ans que le requérant a demandé une pension d’invalidité. Si la présente affaire était renvoyée à la division générale, cela ne ferait que retarder pour aucune raison la résolution finale.

[18] Lors de l’audience, les parties ont convenu que si je trouvais une erreur dans la décision de la division générale, la réparation appropriée serait que je rende la décision que la division générale aurait dû rendre; elles veulent aussi que j’évalue moi-même la prétendue incapacité du requérant. Évidemment, les parties avaient des points de vue différents quant au bien-fondé de la demande du requérant.

[19] La représentante du requérant a soutenu que si la division générale avait tenu compte comme il faut de la preuve, elle aurait conclu que son fils était incapable de présenter une demande d’invalidité du RPC entre février 2008 et mai 2020. Le ministre a soutenu que, quelles que soient les erreurs de la division générale, la preuve disponible indique quand même que le requérant était capable de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande durant la période en question.  

Le dossier contient assez de renseignements pour trancher cette affaire sur le fond

[20] Je suis convaincu que le dossier dont je dispose est complet. La représentante du requérant a déposé de nombreux rapports médicaux devant le Tribunal, et je détiens beaucoup de renseignements au sujet de l’état psychologique de son fils de 2008 à 2020. La division générale a tenu une longue audience orale au cours de laquelle la mère du requérant a fourni des éléments de preuve au sujet des détériorations de son fils et de leur effet sur sa capacité d’effectuer des tâches quotidiennes.   

[21]  Par conséquent, je suis en position d’évaluer la preuve dont disposait la division générale et de rendre la décision qu’elle aurait dû rendre. À mon avis, même si la division générale avait bien évalué la preuve, l’issue aurait été la même. En me fondant sur ma propre évaluation du dossier, je suis convaincu que le requérant était capable de former ou d’exprimer l’intention de demander la pension d’invalidité du RPC lors des douze années qui ont précédé le moment où il l’a fait.

La preuve ne fait pas état d’une incapacité

[22] Une personne qui prétend être atteinte d’incapacité doit prouver qu’elle était incapable de former ou d’exprimer l’intention de demander les prestations d’invaliditéNote de bas de page 6. L’incapacité doit être continue : à partir de la date à laquelle la personne prétend être atteinte d’incapacité jusqu’à la date à laquelle elle a effectivement présenté une demandeNote de bas de page 7. J’ai examiné les renseignements du dossier et je conclus que le requérant n’a pas satisfait à ces critères. Je suis convaincu que le requérant est atteint de troubles psychologiques invalidants. Toutefois, je n’ai simplement pas trouvé assez d’éléments de preuve pour conclure que ces troubles l’ont empêché de présenter plus tôt une demande.

[23] Il est clair que le requérant a des problèmes importants. On lui a diagnostiqué une dépression grave, un trouble d’anxiété et un TSPT. Il est agoraphobe et sujet aux crises de panique dans des situations sociales. Il a l’habitude d’abuser de l’alcool afin de gérer son stress. Depuis l’événement en milieu de travail qui a déclenché en février 2008 sa dépression nerveuse, le requérant s’est fié d’abord à sa femme, ensuite à ses parents pour gérer ses affaires personnelles et financières. Il semble ne pas avoir la motivation et l’initiative nécessaires pour effectuer de nombreuses tâches quotidiennes.  

[24] Cependant, cela ne signifie pas nécessairement que le requérant était incapable de former ou d’exprimer l’intention de demander des prestations d’invalidité.  

Le critère d’incapacité est sévère

[25] Au sens du Régime de pensions du Canada, l’invalidité et l’incapacité sont deux concepts différents. L’une est l’incapacité d’exercer régulièrement une occupation véritablement rémunératrice; l’autre est l’incapacité de former ou d’exprimer l’intention de présenter une demande de prestations d’invalidité. Le second concept est généralement beaucoup plus difficile à prouver que le premier.  

[26]  La disposition du RPC en matière d’incapacité est précise et ciblée. Elle n’exige pas de prendre en compte la capacité de présenter, de préparer, de traiter ou de remplir une demande de prestations, mais seulement la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demandeNote de bas de page 8. La capacité doit être considérée à la lumière du sens ordinaire du terme puis déterminée en fonction de la preuve médicale et des activités de la personne visée. Cette capacité est semblable à la capacité de former ou d’exprimer une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent au requérantNote de bas de page 9.

[27] Lors de l’audience, on a discuté d’une récente décision de la Cour d’appel fédérale appelée Blue. Dans cette affaire il était question d’une requérante qui était capable de faire plusieurs choses (par exemple : elle élevait toute seule sa fille comme mère monoparentale) et pourtant on a quand même conclu qu’elle était atteinte d’incapacité aux fins du RPCNote de bas de page 10. La représentante du requérant a soutenu que son fils n’était pas moins atteint d’incapacité que Mme Blue, mais à mon avis les deux affaires se distinguent en raison d’un aspect clé. Mme Blue a présenté une preuve psychiatrique précise selon laquelle la seule pensée d’avoir à documenter formellement ses problèmes de santé mentale devant une autorité gouvernementale l’a plongée dans un état de dissociation paralysant. Le requérant dans cette affaire-ci n’a pas de preuve comparable.

[28] La Cour a signalé clairement que l’affaire Blue s’agissait d’une exception :

[traduction] Avant de conclure, il convient de noter qu’il s’agit d’un cas exceptionnel. Dans de nombreux cas, la capacité d’une personne à effectuer les activités ordinaires de la vie peut indiquer sa capacité à former ou à exprimer l’intention de demander une pension d’invalidité. Toutefois, dans cette affaire, l’invalidité de Mme Blue, bien que grave, est très ciblée, son traumatisme et ses problèmes de santé mentale étant liés à ses rapports avec les hôpitaux, la profession médicale et les personnes exerçant l’autoritéNote de bas de page 11.   

[29] Comme pour entériner ce point, la Cour d’appel fédérale a rendu une décision dans l’affaire Walls, peu de temps plus tard, qui a confirmé une conclusion voulant que le requérant n’était pas atteint d’incapacité malgré ses détériorations physiques et mentales qui entraînaient un [traduction] « état mental végétatif ressemblant à celui d’un zombieNote de bas de page 12 ». Dans cette affaire, la Cour a conclu que Monsieur Walls, contrairement à Mme Blue, n’avait pas fourni la preuve psychologique pertinente pouvant écarter la question des activités quotidiennes pendant la période d’incapacité alléguée.

[30] Cela s’applique également à cette décision. Le requérant a fourni un nombre important d’éléments de preuve psychiatriques et d’autres de type médical montrant qu’il avait une dépression grave et qu’il était anxieux; toutefois, cela ne démontre pas qu’il n’avait pas la capacité, lorsqu’on lui présentait des options précises, de faire des choix de vie éclairés au cours de la période en question. Comme nous le verrons, il se peut que le requérant n’ait pas eu le désir ou la volonté de gérer sa vie, mais la capacité c’est autre chose.

[31] Les éléments de preuve écrits et oraux disponibles laissent entendre que le requérant était capable d’effectuer des activités quotidiennes et de faire des choix de vie qui s’apparentaient à la formation d’une intention de faire une demande de prestations.

Les déclarations du médecin de famille ne tranchent pas cette question

[32] À plusieurs reprises, le médecin de famille du requérant a affirmé que le requérant était atteint d’incapacitéNote de bas de page 13. Le Dr Coodin a écrit que le requérant n’est pas capable de gérer sa vie quotidienne de façon autonome en raison de son TSPT, son agoraphobie, sa dépression grave et ses crises de panique. Le Dr Coodin a aussi écrit que la mère du requérant gère ses affaires financières et fait ses courses. Il a ajouté que le requérant ne sort pas de la maison sans être accompagné de sa mère.    

[33] Je concède que le Dr Coodin connaît aussi bien le requérant – sinon mieux – que les autres fournisseurs de soin qu’il a consultés. Toujours est-il que je ne peux pas accorder trop d’importance à ses rapports. Premièrement, son opinion fait partie d’un ensemble d’opinions que je dois examiner; parmi celles-ci, certaines démontrent que le requérant serait plus fonctionnel qu’il ne le prétendNote de bas de page 14. Deuxièmement, même les constatations du Dr Coodin ont soulevé des questions concernant l’ampleur de l’incapacité du requérant. Par exemple, un questionnaire qu’il a rempli dans le cadre d’une demande pour un Crédit d’impôt pour personnes handicapées, le Dr Coodin a noté que le requérant [traduction] « vit tout seul » et a affirmé qu’il pouvait « prendre des décisions appropriées et émettre des jugements appropriés au quotidien ». Il ajoute que le requérant « avait la capacité et la perspicacité pour prendre ses médicaments de façon autonomeNote de bas de page 15 ». Ce questionnaire attribuait largement l’invalidité du requérant à un cas sévère d’anxiété sociale, mais cette condition en elle-même n’empêcherait pas nécessairement une personne de faire des choix de vie importants.

Le requérant vit tout seul

[34] La mère du requérant a confirmé que son fils vit seul dans la maison où il habitait avec sa famille avant que sa femme ne déménage. La mère du requérant a soutenu que son fils ne quitte la maison que lorsqu’on le conduit à ses rendez-vous médicaux. Elle a souligné qu’elle vit à proximité et qu’elle lui rend visite tous les jours pour lui apporter des provisions et lui préparer des repas. Cependant, il y avait des éléments de preuve montrant que le requérant a la capacité de prendre soin de lui-même à un niveau de base.

[35] La mère du requérant a déclaré que le matin il est capable de se lever et de s’habiller, même si certains jours il préfère rester au lit. Elle a dit qu’il y avait des jours où il se sentait mieux que d’autres : [traduction] « S’il parvient à sortir de sa dépression, il fera la vaisselle et nettoiera la salle de bain. Il fera cela quand il le peutNote de bas de page 16. » Contrairement à son témoignage, la mère du requérant a rédigé une lettre au nom de son fils indiquant qu’il faisait parfois ses courses : [traduction] « Si je dois aller au magasin, j’attends l’heure de la fermeture pour ne pas être obligé de parler à quelqu’un. Parfois, je dois partir avant d’avoir terminé de faire mes courses parce que je commence à paniquerNote de bas de page 17 ».

[36] Il est clair que le requérant a de la difficulté à gérer sa vie. Bien que sa capacité à effectuer des activités quotidiennes ne soit pas constante, elle laisse entendre qu’il n’est pas atteint d’une incapacité continue depuis 2008.

Le requérant est capable de s’occuper un peu de son enfant

[37] La représentante du requérant a soutenu que son fils ne s’intéressait pas vraiment à ses enfants ni n’interagissait avec eux pendant la période en question. La preuve documentaire indique autre chose.  

[38] Le Dr Coodin a déclaré que le requérant était atteint d’incapacité ou invalide à de nombreuses reprises. Toutefois, les notes de clinique du médecin de famille laissent entendre que le requérant n’était pas tout à fait indifférent, et qu’il s’impliquait même dans la vie de ses enfants. En mai 2018, le Dr Coodin a écrit que le requérant s’est blessé à l’épaule droite en jouant au basketball avec ses enfants. En mars 2019, le Dr Coodin a affirmé que même s’il ne socialise pas avec d’autres personnes, le requérant [traduction] « s’occupe de ses enfants la fin de semaine ». En novembre 2020, le Dr Coodin a noté que le requérant s’inquiétait de la [traduction] « pandémie et ses enfantsNote de bas de page 18 ».        

[39] Ces informations étaient conformes aux autres informations du dossier, lesquelles indiquaient que le requérant s’intéressait vraiment à ses enfants. En janvier 2010, un neurologue a affirmé que le requérant a eu une crise pendant qu’il préparait le [traduction] « dîner de ces enfantsNote de bas de page 19 ». En mai 2018, un psychiatre a noté que les enfants du requérant lui rendaient visite les fins de semaine et deux soirs par semaine : [traduction] : « Il a déclaré qu’il a de la difficulté à les emmener faire des activités vu l’inconfort qu’il ressent en sortant de chez lui, mais qu’il joue avec eux à la maisonNote de bas de page 20. » Dans sa demande de prestations, le requérant a écrit lui-même qu’il avait essayé de [traduction] « louer des jeux gonflables pour enfants, mais j’étais incapable de quitter la maison et d’interagir avec les gensNote de bas de page 21. » Bien que le requérant ait été isolé chez lui, cela ne l’empêchait pas de former l’intention de faire quelque chose qui aiderait ses enfants. C’est vrai même si par la suite il n’a pas été en mesure de le concrétiser.

[40] Pris ensemble, ces éléments de preuve montrent que le requérant était capable de s’impliquer dans la vie de ses enfants plus que ne l’indiquait le témoignage de sa mère.

Le requérant a consenti à suivre des traitements médicaux

[41] La représentante du requérant soutient que son fils n’est pas capable de s’occuper de sa santé ni de consentir à suivre des traitements médicaux. Elle a déclaré qu’elle ou son époux conduit le requérant à ses rendez-vous médicaux et assiste à toutes ses consultations. La représentante a dit que le requérant ne s’intéresse pas aux conseils médicaux et accepte simplement de faire tout ce qu’elle lui ditNote de bas de page 22.

[42] Toutefois, la preuve semble indiquer le contraire. En juin 2009, le requérant a été aiguillé vers le psychiatre James Bolton, lequel a noté que le processus de réflexion du requérant était [traduction] « linéaire et organisé » et ses capacités cognitives étaient « intactes ». Le consentement au traitement ne semble pas avoir été un problème :

[traduction] Monsieur K. s’intéresse à la fois aux approches pharmacologiques et psychothérapeutiques pour traiter son trouble de stress post-traumatique. Je vais continuer pendant une période limitée à faire des suivis en clinique avec le requérant en vue de mener une séance de thérapie cognitivo‑comportementale et de gérer ses médicaments. Il a commencé à prendre du Sertraline et nous allons augmenter la dose et observer les effets bénéfiquesNote de bas de page 23.

[43] La mère du requérant a déclaré qu’elle a assisté à tous ses rendez-vous médicaux. Toutefois, selon les notes de clinique du Dr Coodin, la mère du requérant a assisté plusieurs fois, mais elle n’a pas assisté à tous les rendez-vousNote de bas de page 24. Quoi qu’il en soit, le requérant semble avoir pu discuter de ses problèmes de santé mentale avec le Dr Coodin. Ce dernier a documenté ce qui semble être la volonté expresse du requérant de refuser tout traitement. En 2016, il a refusé d’être aguillé vers des services psychiatriques et, deux ans plus tard, il a refusé l’offre de son médecin de famille d’ajuster ses médicamentsNote de bas de page 25. La question de savoir si ces décisions étaient judicieuses n’est pas pertinente. Cependant, ses décisions démontrent qu’il était investi, du moins dans une certaine mesure, dans ses soins médicaux et qu’il en avait le contrôle.

[44] À une occasion documentée, un psychiatre consultant a demandé au requérant que sa mère quitte la salle d’examen. L’évaluation a ensuite continué et le requérant a pu répondre aux questions du psychiatre sans aide : 

[traduction] Il était en larmes à certains moments de l’entretien. Il y avait une bonne gamme d’affects et ceux-ci étaient appropriés au contenu. Le processus de réflexion était logique et organisé. Il n’y avait aucun signe de trouble de la pensée ou d’anomalie perceptive. Le contenu des pensées était vague et comprenait des thèmes anxieux de peur et d’incertitude quant à l’avenir, ainsi que des thèmes de culpabilisation et de dévalorisation. Il n’y avait pas d’idéation ou de projet suicidaire ni homicidaire. La mémoire et la concentration n’ont pas été formellement évaluées, mais semblent intactes. L’intuition et le jugement étaient correctsNote de bas de page 26.

[45] La capacité du requérant peut également être détectée ailleurs dans ses choix de soins de santé. Il a tenté de régler ses problèmes de toxicomanie en participant aux Alcooliques anonymes et à au moins une séance à la Fondation manitobaine de lutte contre les dépendancesNote de bas de page 27. En juin 2018, on lui a diagnostiqué un cancer de la peau. La mère du requérant a déclaré qu’il ne voulait pas suivre un traitement et avait refusé les radiographies et la chirurgieNote de bas de page 28. Cependant, la preuve montre qu’il n’a pas refusé tous les traitements. En octobre 2018, il a subi une excision chirurgicale de lésions de mélanome sur son cuir cheveluNote de bas de page 29. Rien ne m’indique que quelqu’un d’autre que le requérant a consenti à cette intervention effractive nécessaire d’un point de vue médical.   

Le requérant a choisi d’essayer de retourner au travail

[46] Les récits varient quant à ce qui a mené le requérant à accepter un emploi de préposé à l’entretien dans une école. La mère du requérant a déclaré que sa femme avait menacé de le quitter s’il ne tentait pas de travaillerNote de bas de page 30. Cependant, un rapport psychiatrique indique qu’il a commencé à chercher un emploi seulement après que sa femme l’ait quitté et qu’il ait réalisé qu’il ne pouvait plus dépendre d’elle. Quoi qu’il en soit, le requérant a fait ce qui semble être une tentative consciente de reprendre sa vie en main et de sortir de sa maison. Il importe peu que le requérant ait réagi à une menace de sa femme ou à une suggestion de sa mère ou qu’il ait pris la décision lui-même; ce qui importe, c’est qu’il a réagi à des pressions internes ou externes, qu’il a volontairement accepté un emploi et qu’il a ensuite fait un effort – même s’il s’est avéré infructueux – pour remplir ses fonctions. 

[47] La mère du requérant a déclaré qu’il arrivait que son fils conduise son camion certains jours pour se rendre à son lieu de travailNote de bas de page 31. Cela indique un niveau de fonctionnalité qui ne correspond pas à la définition législative de l’incapacité. Les circonstances entourant le congédiement du requérant m’emmènent également à douter de son incapacité. Il a été licencié puisque son assiduité n’était pas fiable, mais cela n’indique pas nécessairement une incapacité à former ou à exprimer une intention de demander des prestations d’invalidité.

[48] Il ne fait aucun doute que les trois mois d’emploi du requérant se sont mal terminés. Mais il a échoué à son travail parce qu’il était invalide, non pas parce qu’il était atteint d’incapacité. Le questionnaire de l’employeur, rempli par un représentant de l’école secondaire Saint-Paul, indique clairement que le requérant a été congédié, non pas en raison d’une incapacité mentale quelconque, mais parce qu’il était de plus en plus en retard au travail, possiblement en raison de son enivrementNote de bas de page 32. En effet, le questionnaire indique que le requérant a relativement bien travaillé au début avant que sa performance ne se détériore. Il se peut que le requérant soit un alcoolique, et il s’est peut-être servi de l’alcool pour gérer le stress qu’il ressentait en travaillant parmi des étrangers. Cependant, j’estime qu’il est improbable qu’un tel abus ait continuellement nui à sa capacité à prendre des décisions quotidiennes. 

Le requérant a donné son consentement et a conclu des accords sans procuration

[49] Selon le dossier, le requérant a fait des choses au cours de la dernière décennie qui exigent habituellement un niveau élevé de consentement éclairé. Comme mentionné, lorsque le requérant a subi une chirurgie du cuir chevelu en 2018, il n’avait pas encore donné de procuration à sa mère. Je trouve difficile de croire que le chirurgien aurait procédé s’il avait eu des raisons de soupçonner que son patient n’était pas capable de donner son consentement. De plus, le requérant a encaissé ses REER en août 2018Note de bas de page 33. Bien que la mère du requérant ait déclaré qu’elle a entièrement dirigé cette transaction, je trouve improbable qu’une banque ou une institution financière soit allée de l’avant avec cette transaction s’il y avait un doute sur la compétence du requérant.   

[50] Le requérant n’a pas signé de procuration avant octobre 2020Note de bas de page 34. Selon la mère du requérant, les avocats de l’aide juridique ont insisté sur ce point pour qu’elle puisse agir au nom de son fils dans le cadre des procédures du tribunal de la famille avec son ex-épouse. Cependant, l’acte même de signer la procuration soulève des questions sur l’incapacité du requérant : a-t-elle eu lieu? Et si oui, à quel moment? Une procuration est un document juridique d’une importance considérable, mais elle n’a aucune validité juridique si la personne qui la signe est déjà atteinte d’incapacité. Une personne signe un tel document en prévision d’une incapacité qui aura lieu à une date ultérieure ou au cas où elle ne serait pas disponible ou ne serait pas disposée à gérer ses affaires en personne. 

[51] Si le requérant a signé une procuration en octobre 2020, cela signifiait, pour qu’elle soit valide, qu’il était compétent à cette date. Il n’y avait aucune preuve que le requérant avait retrouvé sa capacité; en fait, la mère du requérant a soutenu le contraire – elle a soutenu que l’état mental de son fils s’était constamment détérioré au fil des années depuis 2008. Si le requérant était vraiment atteint d’incapacité en octobre 2020, la mère du requérant aurait dû, à juste titre, s’adresser au tribunal pour obtenir une ordonnance la déclarant tutrice de la personne et des biens de son fils. Il n’y a aucune preuve que cela s’est jamais produit.  

Le requérant a formé l’intention précise de demander des prestations d’invalidité

[52] Les affaires Blue et Wall exige que l’on évalue les activités de la partie requérante qui pourraient nous informer sur la capacité de cette personne de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande de prestations d’invaliditéNote de bas de page 35. Il en découle que les activités doivent être en rapport avec l’incapacité évoquée pendant la période en question.  

[53] Dans cette affaire, j’estime que les activités – le fait de prendre soin de ses enfants, ses rendez-vous médicaux, ses efforts pour recommencer à travailler – avaient un rapport avec sa capacité de former ou d’exprimer l’intention de demander des prestations. Il faut se rappeler que « former » une intention fait appel à une activité mentale seulement. Les diagnostics du requérant – TSPT, dépression, agoraphobie, alcoolisme – ont pu nuire à sa volonté de faire une demande, mais je ne vois pas comment elles ont diminué ses pouvoirs cognitifs essentiels pour former une intention de faire une demande. Le dossier montre que, lorsque le requérant se voit offrir des options et qu’on lui indique laquelle choisir, il forme une intention précise d’accomplir une action préciseNote de bas de page 36.  

[54] Je ne nie pas que la mère du requérant prend de nombreuses décisions et effectue de nombreuses tâches au nom de son fils, mais ces actes en soi ne prouvent pas qu’il est atteint d’incapacité. Bien que le requérant n’ait peut-être pas eu la motivation ou l’initiative de demander des prestations d’invalidité, il avait la capacité mentale de le faire. En effet, il semble que la demande de prestations d’invalidité a été présentée en retard parce que le requérant ignorer qu’elles existaient. La preuve démontre que, lorsque le Dr Coodin leur a parlé des prestations, le requérant et sa mère ont rapidement présenté une demandeNote de bas de page 37.

[55] Un manque de connaissance quant à l’admissibilité à une pension ne constitue pas une incapacitéNote de bas de page 38. Il est vrai que la mère du requérant a pris l’initiative d’obtenir et de remplir les formulaires de demande. Cependant, une fois qu’elle a dit au requérant qu’il aurait intérêt à présenter une demande de prestations, il a formé une intention précise de le faire et a signé les formulaires.  

Conclusion

[56] Je rejette cet appel. Bien que la division générale ait commis une erreur en fondant sa décision sur le fait que le requérant était devenu père, ma propre évaluation de la preuve ne me convainc pas qu’il était atteint d’incapacité à un tel point qu’il ne pouvait pas présenter une demande de prestations d’invalidité entre février 2008 et mai 2020.

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