Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : RP c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 326

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : R. P.
Représentante ou représentant : A. A.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision du ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 1 er octobre 2020 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Sarah Sheaves
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 14 mars 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelant
Personne chargée de représenter l’appelant
Date de la décision : Le 18 mars 2022
Numéro de dossier : GP-20-1632

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelant, R. P., a droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements commencent en mars 2019. Cette décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelant est un homme de 55 ans qui travaillait comme opérateur de machine qui fabriquait des pièces de frein pour véhicules. En août 2017, il a subi une perte auditive soudaine pendant un quart de travail. Il a subi une perte auditive totale à l’oreille droite et partielle à l’oreille gauche. Il a commencé à éprouver des douleurs à l’oreille, des étourdissements, une perte d’équilibre, des troubles du sommeil et une dépression à la suite de cet incident.

[4] L’appelant a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC le 18 février 2020. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. L’appelant a porté en appel la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] L’appelant affirme que ses problèmes de santé sont graves et prolongés. Ils nuisent à sa capacité de communiquer, de marcher, de dormir, de se concentrer et d’utiliser les transports en commun. Il affirme que compte tenu de ses limites, de son travail et de ses antécédents scolaires, aucun emploi ne conviendrait.

[6] Le ministre affirme que les problèmes de santé de l’appelant ne sont pas graves et qu’il pourrait chercher d’autres emplois dans le cadre de ses limitations fonctionnelles. Il soutient qu’il n’a pas essayé de chercher un autre emploi ni de se recycler.

Ce que l’appelant doit prouver

[7] Pour obtenir gain de cause, l’appelant doit prouver qu’il avait une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2020. Cette date est fondée sur ses cotisations au RPCNote de bas page 1.

[8] Le Régime de pensions du Canada définit « grave » et « prolongée ».

[9] Une invalidité n’est grave que si elle rend un appelant régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas page 2.

[10] Cela signifie que je dois examiner l’ensemble des problèmes de santé de l’appelant pour voir quel effet ils ont sur sa capacité de travailler. Je dois également tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau de scolarité, ses capacités linguistiques et son expérience professionnelle et personnelle. Et ce pour que je puisse obtenir une image réaliste de la gravité de son invalidité. Si l’appelant est en mesure d’effectuer régulièrement un travail qui lui permettrait de gagner sa vie, il n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[11] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas page 3.

[12] Cela signifie que l’invalidité de l’appelant ne peut comporter une date prévue de rétablissement. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité empêche l’appelant de travailler longtemps.

[13] L’appelant doit prouver qu’il a une invalidité grave et prolongée. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités, c’est-à-dire qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’il est invalide.

Motifs de ma décision

[14] Je conclus que l’appelant était atteint d’une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2020. J’ai pris cette décision en tenant compte des questions suivantes :

  • L’invalidité de l’appelant était-elle grave?
  • L’invalidité de l’appelant était-elle prolongée?

L’invalidité de l’appelant était-elle grave?

[15] L’invalidité de l’appelant était et est grave. J’en suis arrivée à cette conclusion en tenant compte de plusieurs facteurs. J’explique ces facteurs ci-après.

Les limitations fonctionnelles de l’appelant affectent effectivement sa capacité de travailler

[16] L’appelant a reçu les diagnostics suivants :

  • perte auditive totale dans l’oreille droite et perte auditive de 20 % dans l’oreille gauche
  • acouphène (sonnerie constante ou bourdonnement dans les oreilles)
  • douleurs aux oreilles et maux de tête
  • étourdissements et perte d’équilibre
  • troubles du sommeil
  • dépression.

[17] Toutefois, je ne peux me concentrer sur les diagnostics de l’appelantNote de bas page 4. Je dois plutôt me demander s’il avait des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de gagner sa vieNote de bas page 5. Dans le cadre de cette démarche, je dois examiner tous les problèmes de santé de l’appelant (pas seulement le problème principal) et réfléchir à leur incidence sur sa capacité de travaillerNote de bas page 6.

[18] Je juge que l’appelant a des limitations fonctionnelles.

Ce que l’appelant dit au sujet de ses limitations fonctionnelles

[19] L’appelant affirme que ses problèmes de santé ont entraîné des limitations fonctionnelles qui affectent sa capacité de travailler. Il dit ce qui suit :

  • Il a une perte auditive définitive dans l’oreille droite.
  • Il a une perte auditive de 20 % dans l’oreille gauche.
  • Il a de la difficulté à écouter et a besoin que les gens parlent fort et se répètent fréquemment.
  • Il doit utiliser le sous-titrage codé pour suivre une vidéo ou la télévision.
  • Il ne peut lire que pendant quelques minutes parce qu’il a de la difficulté à se concentrer.
  • Il entend constamment des sonneries ou des bourdonnements. Il lui est donc difficile de réfléchir et de se souvenir des choses.
  • Son sommeil est affecté par la sonnerie dans ses oreilles, ses cauchemars et ses pensées anxieuses.
  • Il a environ trois ou quatre heures de sommeil réparateur par nuit.
  • Il doit souvent faire une sieste durant la journée en raison de la fatigue.
  • Il éprouve de la douleur à l’oreille droite quotidiennement. Des bruits forts et le vent aggravent ses douleurs aux oreilles. Le temps froid peut aussi aggraver la situation.
  • Il doit se trouver dans un environnement calme en raison de son état.
  • Il se sent étourdi plusieurs fois par jour. Ces étourdissements nuisent à sa capacité de marcher pendant plus de 5 à 10 minutes à la fois. Habituellement, il ne sort pas seul.
  • Il a une perte d’équilibre en raison de ses problèmes d’oreille. Sa démarche est inclinée latéralement. Il est tombé plusieurs fois et a besoin d’une canne pour marcher, même dans la maison.

Ce que la preuve médicale indique au sujet des limitations fonctionnelles de l’appelant

[20] L’appelant doit fournir une preuve médicale démontrant que ses limitations fonctionnelles ont nui à sa capacité de travailler au 31 décembre 2020Note de bas page 7.

[21] La preuve médicale étaye ce que dit l’appelant.

[22] Un rapport d’audiologie de l’hôpital St. Michael’s daté du 30 août 2017 confirme une perte auditive « grave et profonde » dans l’oreille droite et une légère perte auditive dans l’oreille gaucheNote de bas page 8.

[23] Dans un rapport daté du 29 mars 2018, la Dre Sze, psychiatre, a diagnostiqué un trouble dépressif majeur avec stress anxieux. Elle a noté que l’appelant avait de la difficulté à composer avec ses symptômes, notamment sa mauvaise humeur, sa faible énergie, ses problèmes de sommeil et de concentration, ses pleurs tous les jours et ses pensées suicidairesNote de bas page 9.

[24] Le Dr Rajasingham, le médecin de famille, a rempli un rapport médical pour le RPC le 14 février 2020. Il a déclaré que l’appelant était incapable de fonctionner en raison d’étourdissements, qu’il titubait sur le côté et qu’il était incapable de se concentrer en raison de la douleur et des acouphènesNote de bas page 10. Il a confirmé que l’appelant est déprimé et qu’il ne s’attendait pas à un retour au travail à l’avenir.

[25] Dans une note manuscrite datée du 3 avril 2020, le Dr Rajasingham a déclaré que l’appelant est totalement incapable de se présenter au travailNote de bas page 11.

[26] En juillet 2020, l’oto-rhino-laryngologiste de l’appelant, la Dre Zirkle, a diagnostiqué une perte auditive complète à l’oreille droite avec vertige, instabilité et hypofonction vestibulaire lorsqu’il est en mouvementNote de bas page 12.

[27] Dans son rapport, la Dre Zirkle a déclaré que l’appelant était constamment instable. En raison d’une perte auditive supplémentaire à l’oreille gauche, elle dit qu’il aura de la difficulté à localiser le son et qu’il éprouvera des problèmes d’équilibre. Elle a noté qu’il avait mal à l’oreille la nuit et des problèmes d’articulation temporo-mandibulaire (ATM), l’articulation de la mâchoire.

[28] Dans un rapport daté du 5 août 2020, le Dr Rajendra, psychiatre, a diagnostiqué un trouble d’adaptation avec anxiété et dépression. Il a fait observer que l’appelant a continué à avoir des pensées suicidaires en raison de ses problèmes de santéNote de bas page 13.

[29] La preuve médicale confirme que la perte auditive importante, les étourdissements, le déséquilibre, l’acouphène et la dépression de l’appelant l’ont empêché d’effectuer son travail antérieur comme opérateur de machine au 31 décembre 2020.

[30] Les problèmes de santé de l’appelant affectent sa capacité d’entendre, de réfléchir clairement, de se souvenir des choses et de marcher tous les jours.

[31] J’examinerai ensuite si l’appelant a suivi les conseils médicaux.

L’appelant a suivi les conseils médicaux

[32] L’appelant a suivi les conseils médicaux.

[33] Pour recevoir une pension d’invalidité, un appelant doit suivre les conseils médicauxNote de bas page 14. Si un appelant ne suit pas ces conseils, il doit avoir une explication raisonnable pour ne pas le faire. Je dois également examiner l’effet, le cas échéant, que les conseils médicaux auraient pu avoir sur son invaliditéNote de bas page 15.

[34] L’appelant a suivi les conseils médicauxNote de bas page 16.

[35] L’appelant a pris des médicaments pour traiter la douleur à son oreille et son acouphène. Les médicaments n’ont pas réglé ses affections. Il arrive que les médicaments soulagent temporairement la douleur aux oreilles. Il n’existe pas de traitement pour ses problèmes d’acouphène et de déséquilibre vestibulaire.

[36] L’appelant m’a dit qu’il avait également suivi des traitements aux oreilles, ce qui n’a eu aucun effet sur son état.

[37] L’appelant voit régulièrement le Dr Rajasingham. Il voit la Dre Zirkle une fois par année.

[38] L’appelant a reçu des services de counseling psychologique à l’hôpital de Scarborough pendant environ deux ans. C’est là que la Dre Sze a surveillé son état. Les traitements ont été suspendus en 2020 en raison de la pandémie.

[39] L’appelant m’a dit qu’on l’avait renvoyé pour recommencer à suivre un traitement psychiatrique. Il attend de savoir quand sera son rendez-vous. À l’audience, il pleurait en racontant les pensées suicidaires qu’il continue d’avoir actuellement et sa lutte pour sa santé mentale. Sa famille vérifie son état plusieurs fois par jour.

[40] On a dit à l’appelant qu’une prothèse auditive n’améliorerait pas sa condition auditiveNote de bas page 17. Il m’a dit qu’un implant cochléaire lui avait été suggéré par quelqu’un, mais que ce n’est pas inscrit comme recommandation dans son dossier médical.

[41] L’appelant a dit qu’il ne veut pas d’implant parce qu’il s’agit d’une procédure invasive. On lui a également dit que la durée de l’implant est limitée et qu’il doit être remplacé au moyen d’une intervention chirurgicale tous les dix ans. On lui a dit que cela ne rétablirait pas l’audition dans l’oreille droite.

[42] Je conclus qu’il est raisonnable que l’appelant n’ait pas choisi de recevoir un implant chirurgical pour traiter sa perte auditive, d’après ce qu’il m’a dit à l’audience. La pose de cet implant requiert des interventions chirurgicales invasives répétées qui comportent des risques. De plus, il n’a pas reçu l’assurance que cela améliorerait son ouïe. Rien ne confirme que cela améliorerait son état physique et les limitations qui l’ont empêché de travailler.

[43] De plus, on ne sait pas exactement qui a proposé l’implant, car la Dre Zirkle ou le Dr Rajasingham n’en font pas mention dans leurs rapports et dossiers.

[44] Je dois maintenant décider si l’appelant peut effectuer sur une base régulière d’autres types de travail. Pour pouvoir être qualifiées de sévères, les limitations fonctionnelles de l’appelant doivent l’empêcher de gagner sa vie dans n’importe quel type d’emploi, pas seulement dans son emploi habituelNote de bas page 18.

L’appelant ne peut pas travailler dans le monde réel

[45] Lorsque je décide si l’appelant peut travailler, je ne peux pas simplement examiner ses problèmes de santé et leur incidence sur ce qu’il peut faire. Je dois également tenir compte de facteurs comme :

  • son âge
  • son niveau de scolarité
  • ses compétences linguistiques
  • son expérience de travail et de vie antérieure.

[46] Ces facteurs m’aident à décider si l’appelant peut travailler dans le monde réel, c’est-à-dire s’il est réaliste de dire qu’il peut travaillerNote de bas page 19.

[47] Je conclus que l’appelant ne peut pas travailler dans le monde réel.

  • L’appelant a 55 ans. Il n’a pas fréquenté l’école depuis plus de 40 ans. Il aurait de la difficulté à retourner à l’école ou à se recycler compte tenu de son âge et du temps écoulé depuis ses études.
  • L’appelant a terminé une huitième année au Guyana. Il s’agit d’un obstacle important qui l’empêche de trouver un emploi dans une nouvelle industrie ou d’être admissible à un programme d’études.
  • Il peut aussi avoir de la difficulté à trouver un emploi compte tenu de son âge et de ses limitations fonctionnelles.
  • L’appelant n’a pas de compétences en informatique qui l’aideraient à trouver un emploi dans un bureau.
  • L’appelant n’a travaillé comme manœuvre qu’au Canada, plus particulièrement dans l’industrie automobile.
  • L’appelant n’a pas de permis de conduire. Il m’a dit qu’il avait échoué au test au Canada.
  • L’appelant a de la difficulté à se déplacer en transport en commun en raison du bruit, de ses étourdissements et de son déséquilibre.
  • Il parle bien anglais et ce n’est pas un obstacle pour lui sur le marché du travail.

[48] Je conclus que l’invalidité de l’appelant était grave au 31 décembre 2020. Ses études et ses antécédents professionnels sont limités. Il n’a pas les compétences transférables pour le travail de bureau.

[49] De plus, je ne trouve pas réaliste qu’il puisse occuper n’importe quel emploi, compte tenu de son acouphène, de son déséquilibre, de sa difficulté à se concentrer et à se rappeler et de sa déficience auditive. Les limitations occasionnées par ces problèmes de santé le touchent quotidiennement.

L’invalidité de l’appelant était-elle prolongée?

[50] L’invalidité de l’appelant était et est prolongée.

[51] Les problèmes de santé de l’appelant ont commencé en août 2017. Ils se sont poursuivis depuis et se poursuivront probablement pour une durée indéfinieNote de bas page 20.

[52] La perte auditive de l’appelant est permanente. On lui a dit que sa perte auditive pourrait se poursuivre dans l’oreille gauche.

[53] Il n’existe aucun médicament ni traitement pour la perte d’équilibre et l’acouphène. L’appelant continuera d’avoir des limitations fonctionnelles causées par ces problèmes de santé qui affectent sa capacité d’entendre, de réfléchir et de se souvenir des choses.

[54] Il n’y a eu aucune amélioration de l’état physique ou des limitations fonctionnelles de l’appelant depuis 2017.

[55] L’état psychologique de l’appelant ne s’est pas amélioré, malgré deux années de counseling. Il attend de recommencer ce traitement. Toutefois, même si cette affection s’améliore à l’avenir avec plus de traitements, je ne crois pas que cela lui permettrait de retourner au travail, compte tenu de ses problèmes physiques et de ses limites.

[56] Compte tenu du temps qui s’est écoulé sans amélioration, il est peu probable que l’état et les limites de l’appelant changent à l’avenir.

[57] Le Dr Rajasingham a confirmé qu’il ne s’attend pas à ce que l’appelant puisse retourner travailler à l’avenirNote de bas page 21.

[58] Je conclus que l’invalidité de l’appelant était prolongée au 31 décembre 2020.

Début des paiements

[59] L’appelant avait une invalidité grave et prolongée en août 2017. C’est la date de l’incident au travail qui a causé ses problèmes de santé. Il n’a pas travaillé depuis.

[60] Toutefois, en vertu du Régime de pensions du Canada, un appelant ne peut être considéré comme invalide plus de 15 mois avant que le ministre reçoive sa demande de pension d’invalidité. Par la suite, il y a une période d’attente de quatre mois avant le début des paiementsNote de bas page 22.

[61] Le ministre a reçu la demande de l’appelant en février 2020. Cela veut dire qu’il est considéré comme devenu invalide en novembre 2018.

[62] Le paiement de sa rente débute en mars 2019.

Conclusion

[63] Je conclus que l’appelant a droit à une pension d’invalidité du RPC parce que son invalidité est grave et prolongée.

[64] Cela signifie que l’appel est accueilli.

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