Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : JB c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 322

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : J. B.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision du ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 3 novembre 2020 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Anne S. Clark
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 15 février 2022
Personne présente à l’audience : Le 15 février 2022

Date de la décision : Le 8 mars 2022
Numéro de dossier : GP-21-278

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Décision

[1] L’appel est accueilli.

[2] L’appelante, J. B., a droit à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada (RPC). Les paiements commencent au mois de novembre 2018. Cette décision explique pourquoi j’accueille l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante a 40 ans. Elle vit avec ses deux jeunes enfants et son copain. Elle a étudié les arts culinaires au collège et a travaillé pour la dernière fois comme cuisinière principale dans un hôpital. Elle possède également de l’expérience dans un centre d’appels et comme barmaid.

[4] L’appelante a eu son deuxième enfant en juillet 2016. Elle a pris un congé de maternité jusqu’en juillet 2017. Elle avait hâte de reprendre le travail. Après plusieurs semaines, l’appelante est tombée malade. Elle décrit son affection comme une maladie respiratoire. Elle avait de la difficulté à respirer même en prenant des médicaments, dont des aérosol-doseurs et des stéroïdes. Elle a dû cesser de travailler. Le 11 août 2017, son copain l’a trouvée dans la chambre à coucher. Elle semblait alors avoir des hallucinations. Il a appelé les secours et elle a été transportée par avion dans un hôpital pour une défaillance de « plusieurs organes ».

[5] L’appelante a appris qu’elle avait une affection appelée syndrome hémolytique et urémique atypique (SHUa). Elle a été traitée à l’hôpital et s’est rétablie. Elle ne présente pas de symptômes continus. Elle a appris qu’elle pouvait subir un autre épisode, bien que ce soit rare. Elle sait qu’elle ne peut rien faire pour l’empêcher. La maladie extrême et la crainte de récurrence créent pour elle énormément d’anxiété. Cela a aggravé ses problèmes de santé mentale et elle ne s’en est pas remise.

[6] L’appelante a géré des limitations causées par la dépression et l’anxiété depuis environ 2003. Elle avait aussi des symptômes de psychose en 2013 après avoir eu son premier enfant. Les symptômes de santé mentale ont augmenté après l’arrivée de son deuxième enfant en juillet 2016. Ils ont augmenté de nouveau après qu’elle a commencé à ressentir le SHUa. Elle a déclaré que les symptômes du SHUa l’ont empêchée de travailler. Elle a ajouté que les limitations continues causées par des problèmes de santé mentale l’ont empêchée de retourner au travail.

[7] L’appelante a demandé une pension d’invalidité du RPC le 15 octobre 2019Footnote 1. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demandeFootnote 2. L’appelante a porté en appel la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[8] L’appelante affirme qu’elle ne peut pas fonctionner assez bien pour interagir avec les autres et retourner au travail en raison des limitations causées par la dépression chronique et l’anxiété. L’incident survenu en août 2017 a également aggravé son anxiété chronique. Elle a dit qu’elle n’était pas capable de fonctionner assez bien pour s’occuper des tâches ménagères ou de bon nombre de ses besoins personnels de base.

[9] Le ministre affirme que l’appelante n’a pas droit à une pension d’invalidité du RPC. Le ministre a écrit qu’elle avait récupéré du SHUa et que cette affection ne lui causait aucune limitation. Le ministre a noté que l’appelante est atteinte d’un trouble de l’humeur ou d’anxiété. Cependant, ce trouble ne prouve pas son invalidité, parce qu’une évaluation a démontré qu’elle a la capacité de travailler.

Ce que l’appelant doit prouver

[10] Pour obtenir gain de cause, l’appelante doit prouver qu’elle avait une invalidité grave et prolongée à la date de l’audience, soit le 15 février 2022. Il s’agit de la période minimale d’admissibilité ou PMA de l’appelanteFootnote 3.

[11] Le ministre a fait valoir que la PMA de l’appelante a pris fin le 31 décembre 2019Footnote 4. L’argument du ministre est erroné. La PMA de l’appelante s’étend au-delà du 31 décembre 2019 en raison de la disposition sur l’éducation des enfantsFootnote 5.

[12] En vertu de la disposition sur l’éducation des enfants, un parent n’a pas à cotiser au RPC lorsqu’il n’est pas sur le marché du travail parce qu’il s’occupe d’un enfant de moins de sept ans. Le plus jeune enfant de l’appelante est né en juillet 2016. Elle a été la principale responsable d’un enfant de moins de sept ans à compter de juillet 2016, et ce jusqu’après le 31 décembre 2022. Cela signifie que sa PMA est prolongée jusqu’au 31 décembre 2022. Puisque la PMA de l’appelante prend fin après la date de l’audience, elle doit prouver qu’elle avait une invalidité grave et prolongée à la date de l’audience.

[13] Le Régime de pensions du Canada définit « grave » et « prolongée ».

[14] Une invalidité n’est grave que si elle rend une partie appelante régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceFootnote 6.

[15] Cela signifie que je dois examiner l’ensemble des problèmes de santé de l’appelante pour voir quel effet ils ont sur sa capacité de travailler. Je dois également tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau de scolarité et son expérience professionnelle et personnelle antérieure. Et ce pour que je puisse obtenir une image réaliste de la gravité de son invalidité. Si l’appelante est en mesure d’effectuer régulièrement un travail lui permettant de gagner sa vie, elle n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[16] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décèsFootnote 7.

[17] Cela signifie que l’invalidité de l’appelante ne peut comporter une date prévue de rétablissement. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité empêche l’appelante de travailler longtemps.

[18] L’appelante doit prouver qu’elle a une invalidité grave et prolongée. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle est invalide.

Motifs de ma décision

[19] Je conclus que l’appelante était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au 15 février 2022. J’ai pris cette décision en tenant compte des questions suivantes :

  • L’invalidité de l’appelante est-elle grave?
  • L’invalidité de l’appelante est-elle prolongée?

L’invalidité de l’appelante est-elle grave?

[20] L’invalidité de l’appelante est grave. J’en suis arrivée à cette conclusion en tenant compte de plusieurs facteurs. J’explique ces facteurs ci-après.

Les limitations fonctionnelles de l’appelante affectent effectivement sa capacité de travailler

[21] L’appelante a des problèmes de santé mentale qui comprennent la dépression, l’anxiété, la mauvaise humeur chronique avec tendances paranoïdes et un trouble schizo-affectif possible du type bipolaire. Elle a également reçu un diagnostic de SHUa en 2017.Footnote 8 Toutefois, je ne peux me concentrer sur les diagnostics de l’appelanteFootnote 9. Je dois plutôt me demander si elle a des limitations fonctionnelles qui l’empêchent de gagner sa vieFootnote 10. Dans le cadre de cette démarche, je dois examiner tous les problèmes de santé de l’appelante (pas seulement le problème principal) et réfléchir à leur incidence sur sa capacité de travaillerFootnote 11.

[22] Je juge que l’appelante a des limitations fonctionnelles.

Ce que l’appelante dit au sujet de ses limitations fonctionnelles

[23] L’appelante affirme que sa santé mentale entraîne des limitations fonctionnelles qui affectent sa capacité de travailler. Elle dit être tellement anxieuse qu’elle ne peut se concentrer sur autre chose. Elle craint tout. Elle pleure facilement et est dépassée par de simples activités quotidiennes. Elle est très peu énergique et n’interagit pas bien avec les autres. Elle est constamment fatiguée et facilement irritée. Elle trouve que l’anxiété la rend incapable de prendre des décisions ou d’assumer quelque responsabilité que ce soit. Elle ne peut cuisiner pour sa famille et doit compter sur son petit ami ou sur les enfants pour les tâches ménagères de base.

[24] L’appelante croyait que son état s’améliorait après avoir commencé à prendre des médicaments, mais cette amélioration n’a pas duré. Elle est incapable de se concentrer. Aujourd’hui, elle n’a aucun espoir pour l’avenir.

Ce que la preuve médicale révèle au sujet des limitations fonctionnelles de l’appelante

[25] L’appelante doit fournir une preuve médicale démontrant que ses limitations fonctionnelles ont nui à sa capacité de travailler au 15 février 2022Footnote 12.

[26] La preuve médicale étaye ce que dit l’appelante. Les conseillers de l’appelante, le psychiatre et l’infirmière praticienne ont décrit ses problèmes de santé et l’effet qu’ils ont sur ses capacités fonctionnelles. Par exemple :

  • En décembre 2019, la Dre Vienneau, psychiatre, a écrit que l’appelante présentait des symptômes d’anxiété grave, de dépression et de psychose. Elle a déclaré que les symptômes de l’appelante satisfont aux critères du trouble schizo-affectif et qu’il s’agissait d’une forme grave de trouble bipolaireFootnote 13.
  • En février 2020, J. Anderson, infirmière praticienne, a écrit que l’appelante est atteinte d’un trouble schizo-affectif. Elle a effectué 21 visites au cours des 12 derniers mois. Mme Anderson a déclaré que le pronostic de rétablissement était inconnu. Cependant, elle ne croyait pas que l’appelante puisse retourner au travail à l’avenirFootnote 14.
  • Le Dr Anand Natarajan, psychiatre, a écrit que l’appelante a été traitée pour des problèmes de santé mentale à partir de 2003. Au début, elle présentait des symptômes de dépression et d’anxiété. Après avoir reçu un diagnostic de trouble schizo-affectif du type bipolaire, elle a commencé à prendre des médicaments par injections mensuelles. Elle a bien répondu au début, mais l’effet positif a plafonné. L’épisode de SHUa subi en 2017 a affecté sa santé mentale et elle a cessé de travailler. Elle a continué d’être très émotive par rapport au diagnostic et à la crise médicale qu’elle a vécue en 2017. Le Dr Natarajan a déclaré que l’appelante avait eu des symptômes de dépression plus graves au cours des dernières années. Elle avait des hallucinations auditives et continuait de subir une dépression, de l’anxiété et des tendances paranoïdes importantes. Il a écrit au sujet de la nécessité d’ajuster la médication contre la dépression et le trouble schizo-affectif pour tenter de trouver un équilibreFootnote 15.
  • Le ministre a noté une analyse fonctionnelle qui a été effectuée en juin 2019 et qui, à son avis, a montré que l’appelante a la capacité de travaillerFootnote 16. Le ministre a également mentionné le rapport du Dr Sheridan, selon lequel l’appelante pouvait participer à une évaluation fonctionnelleFootnote 17. L’appelante m’a demandé de tenir compte du fait que ces opinions et rapports se rapportent à sa santé physique. Elle a reconnu s’être remise, physiquement, de l’épisode survenu en août 2017. Je conviens avec l’appelante que ces rapports ne montrent pas qu’elle s’est également remise des symptômes de santé mentale. En fait, les données probantes des professionnels de la santé mentale traitants montrent que les limitations de sa santé mentale continuent de l’empêcher de travailler.

[27] La preuve médicale confirme que les problèmes continus de santé mentale de l’appelante l’empêchaient de reprendre le travail ou de prendre part à un recyclage au 15 février 2022.

[28] J’examinerai ensuite si l’appelante a suivi les conseils médicaux.

L’appelante a suivi les conseils médicaux

[29] Pour recevoir une pension d’invalidité, une appelante doit suivre les conseils médicauxFootnote 18. Si une appelante ne suit pas ces conseils, elle doit avoir une explication raisonnable pour ne pas le faire. Je dois également examiner l’effet, le cas échéant, que les conseils médicaux auraient pu avoir sur son invaliditéFootnote 19.

[30] L’appelante a suivi les conseils médicauxFootnote 20. Elle consulte régulièrement ses professionnels de la santé. Elle prend les médicaments conformément aux ordonnances. Cependant, elle a reconnu que c’est parfois difficile, parce que chaque médicament a une incidence sur d’autres affections. Elle peine à faire face aux effets secondaires. Elle voit son aidant principal environ toutes les deux semaines. Elle a un rendez-vous ou un appel avec un psychiatre tous les deux mois et parle à un thérapeute toutes les deux semaines. La preuve n’entre pas en conflit avec le témoignage de l’appelante selon lequel elle suit les conseils médicaux.

[31] Je dois maintenant décider si l’appelante peut effectuer sur une base régulière d’autres types de travail. Pour pouvoir être qualifiées de sévères, les limitations fonctionnelles de l’appelante doivent l’empêcher de gagner sa vie dans n’importe quel type d’emploi, pas seulement dans son emploi habituelFootnote 21.

L’appelante ne peut pas travailler dans le monde réel

[32] Lorsque je décide si l’appelante peut travailler, je ne peux pas simplement examiner ses problèmes de santé et leur incidence sur ce qu’elle peut faire. Je dois également tenir compte de facteurs comme :

  • son âge
  • son niveau de scolarité
  • ses compétences linguistiques
  • son expérience de travail et de vie antérieure.

[33] Ces facteurs m’aident à décider si l’appelante peut travailler dans le monde réel, c’est-à-dire s’il est réaliste de dire qu’elle peut travaillerFootnote 22.

[34] Je conclus que l’appelante ne peut pas travailler dans le monde réel. On ne peut nier qu’elle est jeune, instruite et qu’elle possède probablement des compétences transférables. Toutefois, elle a aussi de nombreuses limitations causées par des problèmes de santé mentale. Elle continue de ressentir une fatigue constante et une anxiété accablante. Elle est incapable d’interagir avec les autres. Elle se sent désespérée et ne peut se concentrer même sur des tâches de base. J’estime que ces limites l’emportent sur ses études et ses compétences transférables et l’empêchent d’être candidate à un recyclage ou à un autre emploi.

[35] À l’audience, l’appelante a présenté un témoignage clair et plausible sur la façon dont son état de santé mentale l’affecte. Je crois ce qu’elle m’a dit. Elle a parlé de son travail et du plaisir qu’elle en tirait. Je crois qu’elle retournerait au travail si elle le pouvait.

[36] Les compétences transférables de l’appelante ne la rendent pas employable. Son problème est le suivant : les limitations qui l’empêchent de travailler à son emploi précédent l’empêchent également d’accomplir tout autre type de tâche, y compris un travail à temps partiel. En raison de la dépression, de l’anxiété et du trouble schizo-affectif de type bipolaire, elle n’est pas fiable et est incapable de se recycler ou de travailler.

[37] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était grave au 15 février 2022.

L’invalidité de l’appelante est-elle prolongée?

[38] L’invalidité de l’appelante est prolongée.

[39] Les problèmes de santé de l’appelante ont commencé en 2003 (dépression et anxiété) et en 2017 (trouble schizo-affectif de type bipolaire et anxiété accrue découlant de la crise causée par le SHUa). Ces affections se sont poursuivies depuis et elles se poursuivront probablement pour une durée indéfinieFootnote 23. Au début du traitement, l’appelante éprouvait un certain soulagement. Toutefois, son état ne s’est pas suffisamment amélioré pour qu’elle puisse retourner au travail. Même avec une thérapie et un traitement continus, ses symptômes ne se sont pas encore atténués. La preuve ne démontre pas que ses affections se résorberont ou s’atténueront probablement avec le temps ou grâce au traitement.

[40] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était prolongée au 15 février 2022.

Début des paiements

[41] L’appelante avait une invalidité grave et prolongée en août 2017. Elle était alors incapable de continuer à travailler en raison de limitations causées par des problèmes de santé mentale.

[42] Toutefois, en vertu du Régime de pensions du Canada, une appelante ou un appelant ne peut être considéré comme invalide plus de 15 mois avant que le ministre reçoive sa demande de pension d’invalidité. Par la suite, il y a une période d’attente de quatre mois avant le début des paiementsFootnote 24.

[43] Le ministre a reçu la demande de l’appelante en octobre 2019. Cela signifie qu’elle est considérée comme devenue invalide en juillet 2018.

[44] Le paiement de sa pension débute en novembre 2018.

Conclusion

[45] Je conclus que l’appelante a droit à une pension d’invalidité du RPC parce que son invalidité est grave et prolongée.

[46] Cela signifie que l’appel est accueilli.

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