Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : WP c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 331

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : W. P.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision du ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 9 septembre 2021 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : James Beaton
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 21 mars 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Date de la décision : Le 25 mars 2022
Numéro de dossier : GP-21-2153

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] L’appelante, W. P., n’a pas droit à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Cette décision explique pourquoi je rejette l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante a 55 ans. Elle a travaillé pour la dernière fois comme trieuse de légumes. Elle a cessé de travailler en février 2019 en raison d’une arthrose avancée dans les deux genoux.

[4] L’appelante a demandé une pension d’invalidité du RPC le 8 avril 2020. Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté sa demande. L’appelante a porté en appel la décision du ministre devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[5] L’appelante affirme que son arthrose entraîne de nombreuses limitations fonctionnelles qui l’empêchent d’accomplir quelque travail que ce soit.

[6] Le ministre reconnaît que l’appelante a des limitations fonctionnelles attribuables à l’arthrose. Toutefois, le ministre soutient que l’appelante aurait dû essayer d’accomplir d’autres tâches. Le ministre affirme également que l’invalidité de l’appelante n’est pas prolongée parce qu’on lui a recommandé deux arthroplasties du genou.

[7] Je conviens avec l’appelante que son invalidité est grave. Toutefois, je conviens également avec le ministre que l’invalidité de l’appelante n’est pas prolongée. Une requérante ou un requérant doit avoir une invalidité à la fois grave et prolongée pour recevoir une pension d’invalidité du RPC. Comme l’invalidité de l’appelante n’est pas prolongée, elle n’a pas droit à une pension d’invalidité du RPC.

Ce que l’appelante doit prouver

[8] Pour obtenir gain de cause, l’appelante doit prouver qu’elle avait une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2020. Cette date est fondée sur ses cotisations au RPCNote de bas de page 1.

[9] Le Régime de pensions du Canada définit « grave » et « prolongée ».

[10] Une invalidité n’est grave que si elle rend une requérante ou un requérant régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératriceNote de bas de page 2.

[11] Cela signifie que je dois examiner l’ensemble des problèmes de santé de l’appelante pour voir quel effet ils ont sur sa capacité de travailler. Je dois également tenir compte de facteurs tels que son âge, son niveau de scolarité et son expérience professionnelle et personnelle antérieure. Et ce pour que je puisse obtenir une image réaliste de la gravité de son invalidité. Si l’appelante est en mesure d’effectuer régulièrement un travail qui lui permettrait de gagner sa vie, elle n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[12] Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 3.

[13] Cela signifie que l’invalidité de l’appelante ne peut comporter une date prévue de rétablissement. Il faut s’attendre à ce que l’invalidité empêche l’appelante de travailler longtemps.

[14] L’appelante doit prouver qu’elle a une invalidité grave et prolongée. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle est invalide.

Motifs de ma décision

[15] Je conclus que l’appelante n’a pas prouvé qu’elle était atteinte d’une invalidité grave et prolongée au 31 décembre 2020.

L’invalidité de l’appelante était-elle grave?

[16] L’invalidité de l’appelante était grave au 31 décembre 2020. J’en suis arrivé à cette conclusion en tenant compte de plusieurs facteurs. J’explique ces facteurs ci-après.

Les limitations fonctionnelles de l’appelante ont affecté sa capacité de travailler

[17] L’appelante est atteinte d’arthrose avancée aux deux genoux. Toutefois, je ne peux me concentrer sur le diagnostic de l’appelanteNote de bas de page 4. Je dois plutôt me demander si elle a des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de gagner sa vie au 31 décembre 2020Note de bas de page 5. Dans le cadre de cette démarche, je dois examiner tous les problèmes de santé de l’appelante (pas seulement le problème principal) et réfléchir à leur incidence sur sa capacité de travaillerNote de bas de page 6.

[18] Je conclus que l’appelante avait des limitations fonctionnelles au 31 décembre 2020.

Ce que l’appelante dit au sujet de ses limitations fonctionnelles

[19] L’appelante affirme que son état de santé a entraîné des limitations fonctionnelles qui ont affecté sa capacité de travailler au 31 décembre 2020. Elle dit avoir constamment des douleurs au genou, que ce soit en position assise ou debout. La douleur est la même tous les jours. Elle dit qu’elle ne peut pas marcher plus de 20 minutes et qu’elle fait peu de travaux ménagers. Elle éprouve particulièrement des difficultés avec les escaliersNote de bas de page 7.

[20] L’emploi de l’appelante comme trieuse de légumes l’obligeait à se tenir debout presque toute la journée, de 8 h à 17 h ou 18 h. On ne lui permettait de s’asseoir qu’à l’occasion, ce qui ne chassait pas la douleur. Elle a témoigné qu’elle ne pouvait plus travailler en septembre 2018, mais qu’elle a persévéré jusqu’en février 2019 en raison de besoins financiersNote de bas de page 8.

[21] L’appelante a aussi déclaré avoir perdu la vue en août 2020. Ce problème était lié à une poussée diabétique. À l’audience, elle a dit que sa vision est maintenant correcte. De plus, on lui a diagnostiqué du diabète et de l’asthme. Elle a témoigné qu’elle utilise de l’insuline pour traiter son diabète et qu’elle a un inhalateur (un aérosol-doseur) pour l’asthmeNote de bas de page 9. Elle n’a décrit aucune limitation fonctionnelle de ces affections.

Ce que la preuve médicale révèle au sujet des limitations fonctionnelles de l’appelante

[22] L’appelante doit fournir une preuve médicale démontrant que ses limitations fonctionnelles ont nui à sa capacité de travailler au 31 décembre 2020Note de bas de page 10.

[23] La preuve médicale étaye ce que dit l’appelante. Les radiographies montrent que l’appelante était atteinte d’arthrose modérée à grave aux deux genoux en septembre 2019. Une radiographie faite en novembre 2020 a montré que l’arthrose était avancéeNote de bas de page 11.

[24] Le Dr Matthew Katz a déclaré que l’appelante ressentait constamment des douleurs dues à l’arthrose depuis 2017. Il a déclaré ceci :

  • elle éprouvait de la douleur en mouvement et lorsqu’elle s’agenouillait et utilisait des escaliers
  • son amplitude de mouvement était limitée
  • elle avait de la difficulté à marcher, à se tenir debout et à rester assise pendant de longues périodesNote de bas de page 12.

[25] Le Dr Jason Crosby a déclaré que l’appelante :

  • avait de la difficulté dans les escaliers
  • devait prendre des pauses dans ses activités quotidiennes
  • ne pouvait marcher que quelques pâtés de maisons à la foisNote de bas de page 13.

[26] La preuve médicale confirme que l’incapacité de l’appelante de se tenir debout ou de s’asseoir longtemps sans douleur importante l’a empêchée d’accomplir son travail au 31 décembre 2020. Elle devait se tenir debout pendant huit heures ou plus (en prenant de brèves pauses en position assise) comme trieuse de légumes. En raison de ses limitations fonctionnelles, elle ne pouvait pas accomplir son travail au 31 décembre 2020.

[27] J’examinerai ensuite si l’appelante a suivi les conseils médicaux.

L’appelante a suivi les conseils médicaux

[28] Pour recevoir une pension d’invalidité, une requérante ou un requérant doit suivre les conseils médicauxNote de bas de page 14. Si une requérante ou un requérant ne le fait pas, il doit avoir une explication raisonnable. Je dois également examiner l’effet, le cas échéant, que les conseils médicaux auraient pu avoir l’invalidité de la requéranteNote de bas de page 15.

[29] L’appelante a suivi les conseils médicauxNote de bas de page 16. Elle attend deux arthroplasties du genou. Dans l’intervalle, elle a essayé des crèmes topiques, du Tylenol 3 et des plantes médicinales pour soulager la douleurNote de bas de page 17. Elle ne prend pas d’autres analgésiques, mais rien n’indique qu’ils lui ont été recommandés malgré ses douleurs importantes. Autrement dit, elle n’a pas refusé de prendre des médicaments.

[30] L’appelante a reçu des attelles pour ses genoux, ce qui n’aide pas à soulager sa douleurNote de bas de page 18. Elle avait l’habitude de recevoir des doses de cortisone. Cependant, elle ne peut plus en recevoir parce qu’elles font grimper son taux de glycémie, ce qui nuit à son diabèteNote de bas de page 19. Elle a subi une injection de viscosupplément (pour lubrifier ses articulations du genou)Note de bas de page 20. Elle a témoigné que les injections coûtent 500 $ et qu’elle ne peut se permettre de continuer à en recevoir. La décision de l’appelante est raisonnable. L’abordabilité d’un traitement médical constitue un facteur pertinent pour quelqu’un dans la situation financière de l’appelante.

[31] Je dois maintenant décider si l’appelante peut effectuer sur une base régulière d’autres types de travail. Pour pouvoir être qualifiées de sévères, les limitations fonctionnelles de l’appelante doivent l’empêcher de gagner sa vie dans n’importe quel type d’emploi, pas seulement dans son emploi habituelNote de bas de page 21.

L’appelante ne peut pas travailler dans le monde réel

[32] Lorsque je décide si l’appelante peut travailler, je ne peux pas simplement examiner ses problèmes de santé et leur incidence sur ce qu’elle peut faire. Je dois également tenir compte de facteurs comme :

  • son âge
  • son niveau de scolarité
  • ses compétences linguistiques
  • son expérience de travail et de vie antérieure.

[33] Ces facteurs m’aident à décider si l’appelante peut travailler dans le monde réel, c’est-à-dire s’il est réaliste de dire qu’elle peut travaillerNote de bas de page 22.

[34] Je conclus que l’appelante ne peut pas travailler dans le monde réel. Elle avait 54 ans au 31 décembre 2020. Elle n’a pas obtenu son diplôme d’études secondaires et n’a pas fait d’études formelles depuis. Elle ne possède pas d’ordinateur et n’en utilise un que pour la navigation sur Internet. Elle a décrit sa capacité de lire et d’écrire l’anglais comme étant « bonne »Note de bas de page 23.

[35] Les antécédents professionnels de l’appelante consistaient principalement à cuisiner et à servir de la nourriture. Elle a cuisiné dans un bar (de 2000 à 2004), un terrain de golf (en 2005), un parc-hôtel (en 2006), un petit restaurant (en 2008), un restaurant (de 2008 à 2010 environ) et un autre restaurant (jusqu’en 2012). Elle a été serveuse de banquet d’avril 2012 à septembre 2013. En 2007, elle était caissière dans un grand magasin jusqu’à la fermeture du magasinNote de bas de page 24.

[36] L’appelante n’est plus apte à cuisiner ou à servir de la nourriture, ni à être caissière. Ces emplois l’obligeraient souvent à rester debout, ce qu’elle ne peut pas faire.

[37] Compte tenu des limitations fonctionnelles de l’appelante, on ne sait pas exactement quel travail elle aurait été en mesure d’exécuter au 31 décembre 2020. À ce moment-là, elle ne pouvait pas s’asseoir, se tenir debout ou marcher pendant de longues périodes sans ressentir beaucoup de douleur. La douleur était constante et l’est toujours.

[38] Même si elle pouvait accomplir d’autres tâches, celles-ci nécessiteraient probablement un recyclage. Le manque de scolarité de l’appelante et ses compétences minimales en informatique rendraient cette tâche très difficile. Une fois formée, elle devrait quand même se trouver un emploi. En raison de son âge et de son manque d’expérience de travail dans un nouveau domaine ou une nouvelle profession, il est peu probable qu’un employeur l’embauche.

[39] Je conclus que l’invalidité de l’appelante était grave au 31 décembre 2020. Elle était alors incapable de travailler dans le monde réel. Cela signifie que je n’ai pas à tenir compte de l’argument du ministre selon lequel l’appelante n’a pas tenté de se trouver un autre emploiNote de bas de page 25.

L’invalidité de l’appelante était-elle prolongée?

[40] L’invalidité de l’appelante n’était pas prolongée au 31 décembre 2020.

[41] Pour être prolongée, une invalidité doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 26. L’arthrose de l’appelante n’est pas susceptible d’entraîner la mort. Elle fait de l’arthrose depuis 2017, soit une longue période. Toutefois, son invalidité ne durera probablement pas une période indéfinie.

[42] L’appelante a été recommandée pour deux arthroplasties du genou. Le seul problème médical qu’elle a qui entraîne des limitations fonctionnelles est l’arthrose aux genoux. Il est donc raisonnable de conclure que les interventions chirurgicales rectifieraient ces limitations. On sait généralement que l’arthroplastie du genou atténue la douleur et donne des résultats fonctionnels. Une fois que l’appelante se sera rétablie de l’intervention chirurgicale, il est plus probable qu’improbable qu’elle n’ait plus une invalidité grave.

[43] Je reconnais que les interventions chirurgicales n’ont pas encore été prévues. Toutefois, en octobre 2021, l’appelante a été reçue en consultation par un chirurgien. Le chirurgien lui a dit qu’elle pouvait s’attendre à un appel à la fin de l’été ou au début de l’automne 2022Note de bas de page 27.

[44] J’ai demandé à l’appelante si l’intervention chirurgicale serait planifiée à ce moment-là (c’est-à-dire à quel moment on lui donnerait une date pour l’intervention) ou à quel moment celle-ci aurait effectivement lieu. Elle n’était pas certaine. L’Office régional de la santé de Winnipeg dit toutefois qu’une intervention chirurgicale devrait être planifiée environ huit mois après la consultationNote de bas de page 28. Il est donc probable qu’elle subira une arthroplastie du genou cette année.

[45] Le Dr Crosby estimait auparavant que l’appelante serait en mesure de faire remplacer le deuxième genou quatre mois après le premierNote de bas de page 29. Même s’il faut plus de quatre mois, il ne s’agit pas d’un cas où la possibilité d’une intervention chirurgicale n’est que théorique. Elle a eu une consultation et le processus de planification des interventions pour elle est en cours.

[46] Je n’ai aucune preuve médicale quant à la probabilité que les interventions chirurgicales se déroulent bien. En même temps, je n’ai aucune preuve médicale indiquant qu’elles ne se dérouleront pas bien, même s’il faudra un certain temps à l’appelante pour se remettre d’une intervention chirurgicale. Le fardeau de la preuve incombe à l’appelante. Cela signifie qu’il lui incombe de prouver que son invalidité est prolongée. Il n’appartient pas au ministre de prouver que son invalidité n’est pas prolongéeNote de bas de page 30.

[47] L’appelante n’a pas prouvé que son invalidité était prolongée au 31 décembre 2020.

[48] Je reconnais que l’appelante ne peut pas travailler pendant qu’elle attend des interventions chirurgicales. Toutefois, la pension d’invalidité du RPC a pour objet « de rendre admissibles à une pension ceux qui sont, pour cause d’invalidité, incapables de travailler pour une longue période, et non de dépanner des réclamants au cours d’une période temporaire où des ennuis médicaux les empêchent de travaillerNote de bas de page 31. »

Conclusion

[49] Je conclus que l’appelante n’a pas droit à une pension d’invalidité du RPC parce que son invalidité n’était pas prolongée au 31 décembre 2020.

[50] Cela signifie que l’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.