Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : SP c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 562

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : S. P.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social dater du 21 août 2020 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Pierre Vanderhout
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 22 février 2022
Personne présente à l’audience : Appelante

Date de la décision : Le 25 février 2022
Numéro de dossier : GP-20-1963

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La requérante, S. P., n’a droit à aucun versement supplémentaire de pension du survivant du Régime de pensions du Canada. Elle n’a droit à des versements qu’à compter de janvier 2019. La présente décision explique pourquoi je rejette l’appel.

Aperçu

[3] La requérante aura 69 ans en mars. Elle a travaillé de nombreuses années au Canada. Elle a fini par s’installer à Las Vegas avec son défunt mari, T. T (cotisant). Elle était une auteure très riche.

[4] La requérante et le cotisant ont acheté une grande maison neuve à Las Vegas, mais ils ont par la suite fait face à une série d’événements traumatisants. Ils ont tous deux souffert de graves problèmes de santé dus à une grave intoxication par de multiples toxines. Leur maison s’est révélée être une « maison toxique ». Leur maison toxique et les litiges qui en ont résulté ont conduit le cotisant au suicide le 30 mars 2008. La requérante n’a pas été en mesure d’écrire d’autres livres et sa fortune a progressivement disparu. Elle a déclaré faillite en 2013 et s’est retrouvée à la rue en 2019. Bien qu’elle ait maintenant un logement à Las Vegas, le propriétaire est abusif et l’exploite en échange de celui-ci. Sa situation financière est désastreuse et elle ne peut pas se permettre les soins médicaux dont elle a tant besoin.

[5] En décembre 2019, la requérante a demandé une pension de survivant du Régime. Le ministre lui a accordé la pension avec janvier 2019 comme date de début du versement. À l’étape de la révision, le ministre a jugé que la requérante répondait à une « exception » aux règles relatives aux paiements rétroactifs et a devancé le début du versement de sa pension à janvier 2018Note de bas page 1. La requérante a fait appel de cette décision auprès du Tribunal. Elle voulait commencer à recevoir sa pension en mars 2008, au moment du décès du cotisant.

[6] La requérante affirme que la loi contient des dispositions qui lui permettent de recevoir la pension rétroactivement à compter du décès du cotisant. Elle dit que sa situation médicale, financière et de vie désespérée devrait être prise en compte. Elle est isolée, financièrement démunie et atteinte d’une invalidité permanente. Elle ne sait pas comment elle va survivre sans recevoir des paiements rétroactifs supplémentaires. Elle dit qu’elle n’a pas présenté de demande plus tôt parce que quelqu’un lui a dit que la pension n’existait plus. Elle a fait sa demande dès qu’elle a appris que la pension était toujours en vigueur.

[7] Le ministre n’a pas présenté d’observations écrites et n’a pas assisté à l’audience. Cependant, il a précédemment dit qu’il avait d’abord versé la pension à la requérante à compter de janvier 2019 parce que c’était la date la plus antérieure possible. Il a par la suite modifié cette date à janvier 2018 en raison de la situation de la requérante, en précisant que sa pension ne pouvait pas commencer plus tôt. Le ministre n’a pas expliqué le fondement juridique de cette date de début. Il affirme également qu’il ne peut pas ajuster le montant de la pension de la requérante en raison de ses difficultés financières. Ce montant est fondé uniquement sur les cotisations qu’elle a versées au Régime.

Ce que la requérante doit prouver

[8] Pour avoir gain de cause, la requérante doit prouver que l’article 72 du Régime de pensions du Canada ne s’applique pas à sa situation. Cet article limite la date de début de la pension à 11 mois avant la réception de la demande de pension. La requérante peut en outre établir une date de demande antérieure.

Motifs de ma décision

[9] Je conclus que la requérante n’a pas droit à des versements de pension avant janvier 2019. Je vais d’abord examiner les dispositions du Régime qui imposent une période de rétroactivité maximale de 11 mois.

La période de rétroactivité maximale est de 11 mois

[10] L’article 72 du Régime de pensions du Canada fixe la date de début d’une pension approuvée. Il prévoit aussi que la pension n’est « en aucun cas » payable plus de 11 mois avant la réception de la demande. La loi ne donne aucune flexibilité à cet égard. Comme la demande de la requérante a été reçue en décembre 2019, la pension ne peut pas lui être versée avant janvier 2019.

[11] La seule façon pour la requérante de voir sa pension commencer plus tôt serait d’établir une date de demande antérieure. Je vais maintenant examiner comment elle pourrait le faire.

La requérante doit établir qu’elle avait une incapacité

[12] Les seules dispositions du Régime qui pourraient aider la requérante sont celles qui traitent de l’incapacité. La requérante a demandé une pension en décembre 2019. Si elle peut établir une période d’incapacité avant la date de sa demande, celle-ci pourrait être modifiée dans certaines circonstancesNote de bas page 2.

[13] Il existe des règles concernant le délai dans lequel la requérante doit présenter une demande après la fin de son incapacitéNote de bas page 3. Cependant, la requérante doit d’abord satisfaire au critère d’incapacité du Régime.

[14] Le critère d’incapacité est extrêmement difficile à remplir. La requérante doit démontrer qu’elle « n’avait pas la capacité de former ou d’exprimer l’intention de faire une demande avant la date à laquelle celle-ci a réellement été faiteNote de bas page 4 ».

[15] Je conclus que la requérante n’a jamais satisfait à ce critère.

[16] Pour établir une incapacité, une personne ne peut pas se borner à dire qu’elle n’avait pas pensé à présenter une demandeNote de bas page 5.

[17] La requérante a essentiellement admis qu’elle ne satisfaisait pas au critère d’incapacité du Régime. Elle a dit qu’elle n’avait jamais été [traduction] « dans le comaNote de bas page 6 ». Bien qu’il s’agisse d’un exemple extrême du degré d’incapacité requis, ce n’est pas la seule façon de satisfaire au critère.

[18] La requérante a demandé à la Dre Erica Elliott de remplir un formulaire de déclaration d’incapacité. En octobre 2021, la Dre Elliott a indiqué dans le formulaire que la requérante ne satisfaisait pas au critère d’incapacité du RégimeNote de bas page 7. À l’audience, la requérante n’a pas contesté la conclusion de la Dre Elliott et a de nouveau affirmé que le formulaire [traduction] « exige essentiellement que je sois dans le coma ». Elle a aussi admis qu’aucun médecin ne l’avait jugée incapable de gérer ses affaires.

[19] Les activités de la requérante depuis le décès du cotisant ne correspondent pas non plus à une incapacité. Je reconnais que son niveau d’activité a diminué après son déménagement de 2000 dans la maison toxique de Las Vegas. Elle a écrit 12 livres en 1999 et 8 livres en 2000. Cependant, elle dit n’en avoir écrit que 2 en 2007 et n’en avoir pas écrit depuis le décès du cotisantNote de bas page 8.

[20] Bien que la requérante n’ait plus écrit de livres, elle avait un inventaire considérable de livres et de trousses. Elle vendait encore des livres (et des trousses associées à ses livres), même après avoir présenté une demande de pension. Elle recevait des commandes et les remplissait en utilisant son inventaire. Elle a employé une aide à temps partiel jusqu’à sa faillite de 2013. Elle a maintenu un site Web jusqu’en 2019 environ, puis il est a été fermé et elle n’a pas été en mesure de le remettre en ligne. Elle remplit toujours les commandes par courriel qu’elle reçoit de ses anciens clients. Les notes cliniques de ses fournisseurs de soins de santé confirment qu’elle a poursuivi ses activités professionnelles bien après 2008Note de bas page 9.

[21] Le fait que la requérante ait poursuivi ses activités est important. Les activités d’une personne au cours de la période en question peuvent être pertinentes pour nous éclairer sur son incapacité permanente de former ou d’exprimer l’intention requiseNote de bas page 10. La capacité de former l’intention de faire une demande de prestations n’est pas de nature différente de la capacité de former une intention relativement aux autres possibilités qui s’offrent à la requéranteNote de bas page 11. En remplissant des commandes, et même en recevant de l’aide rémunérée, la requérante a démontré qu’elle avait formé l’intention d’exploiter son entreprise. Elle a même concrétisé cette intention. Même s’il n’est pas nécessaire que je m’appuie sur ces faits, des actes quotidiens comme conduire une voiture ou utiliser une carte de crédit peuvent également être pertinents pour démontrer la capacité de former une intentionNote de bas page 12.

[22] Je reconnais que les activités de la requérante après le décès de son mari n’étaient pas aussi importantes qu’auparavant. Elle ne consacrait pas beaucoup d’heures à ses activités professionnelles. Elle se fatiguait facilement. Elle a dit qu’elle avait besoin de dormir après avoir effectué une tâche pendant quelques heures. Elle avait et a probablement toujours une invalidité. La Dre Elliott fait référence à de multiples formes d’invaliditéNote de bas page 13. Toutefois, avoir une invalidité n’équivaut pas à être incapable de former ou d’exprimer l’intention de faire une demandeNote de bas page 14. La preuve dans la présente affaire ne permet pas de conclure à une incapacité. Cela signifie que je ne peux pas modifier la date de sa demande.

[23] Je vais maintenant examiner deux autres questions soulevées par la requérante : l’avis erroné qu’elle a reçu et sa situation personnelle exceptionnelle.

La requérante a reçu un avis erroné

[24] La requérante ne peut dire exactement qui lui a dit que la pension (qu’elle appelle « allocation de veuve ») n’existait plus au moment du décès du cotisant. Cependant, elle pense qu’il pourrait s’agir de sa sœur. Elle croit avoir reçu cet avis à peu près au moment du décès du cotisant. Elle ne soutient pas qu’elle a reçu cet avis de la part du ministreNote de bas page 15.

[25] Le Tribunal ne peut pas aider la requérante à cet égard. Le Régime contient des dispositions correctives concernant les avis erronés. Toutefois, ces dispositions ne s’appliquent que lorsque le ministre a donné un avis erroné et qu’une partie requérante s’est vu refuser une prestation en raison de cet avisNote de bas page 16. De toute façon, le Tribunal n’a pas compétence pour tirer des conclusions sur des avis erronésNote de bas page 17. La requérante doit s’adresser au ministre à ce sujet.

La situation personnelle exceptionnelle de la requérante

[26] La requérante dit que sa situation personnelle exceptionnelle devrait être prise en compte. Je reconnais qu’elle a vécu de multiples tragédies, y compris le suicide de son mari, depuis qu’elle a déménagé à Las Vegas. Elle a des problèmes de santé permanents et ne peut pas se payer des soins de santé. La Dre Elliott a affirmé qu’en raison de sa grave intoxication, la requérante éprouve les problèmes de santé suivants : un lymphœdème de stade 4, des jambes très enflées rendant la marche difficile, de la fatigue chronique, un syndrome de dysfonction immunitaire, une ataxie, des pertes de mémoire, une dépression et de multiples sensibilités aux produits chimiquesNote de bas page 18.

[27] Les rapports de la requérante avec le système judiciaire américain ont été désastreux. De nombreuses personnes semblent avoir profité d’elle.

[28] La situation désespérée de la requérante contraste vivement avec la santé et la richesse qu’elle a déjà eues. Elle a gagné 500 000 $ en 1988. Elle a déjà employé sept personnes. Ses deux maisons à Las Vegas (elle a acheté sa deuxième maison alors qu’elle était encore propriétaire de la maison toxique) totalisaient 9 200 pieds carrés et comptaient 7 garages. Dans sa deuxième maison, elle a dépensé 100 000 $ pour concevoir et installer une piscine avec 3 huttes en pailleNote de bas page 19.

[29] J’ai beaucoup de sympathie pour la requérante. Je n’arrive pas à imaginer le traumatisme que le suicide de son mari lui a causé. La requérante a dit que le cotisant et elle ont dépensé près de 500 000 $ simplement pour comprendre pourquoi ils avaient des problèmes médicaux si graves. Bien qu’il ne s’agisse que d’un aspect de sa situation actuelle, les photos de ses jambes déformées sont troublantesNote de bas page 20. Elle vit actuellement dans un milieu abusif et dysfonctionnel.

[30] Cependant, le Régime m’empêche de rendre des décisions pour des motifs de compassion. Il ne permet pas non plus au Tribunal de tenir compte de situations personnelles exceptionnelles. Le Tribunal est créé par la loi et il ne peut accorder que les réparations qu’il est expressément autorisé à accorderNote de bas page 21. Il ne peut pas alléger les exigences du RégimeNote de bas page 22. Au mieux, le Régime permet au ministre (mais non au Tribunal) d’annuler un trop-payé, le cas échéantNote de bas page 23.

[31] Je remarque que le ministre n’a pas assisté à l’audience. Il n’a pas déposé d’observations écrites auprès du Tribunal et il n’a pas non plus expliqué d’où provenait son pouvoir juridique d’accorder des paiements de pension à compter de janvier 2018. À l’audience, la requérante a dit que le ministre ne lui avait pas non plus donné d’explications.

Conclusion

[32] Je conclus que la requérante a droit à la pension à compter de janvier 2019 parce qu’elle ne l’a demandé qu’en décembre 2019. Le Régime ne me permet pas d’antidater sa demande. Toutefois, le ministre peut toujours annuler le trop‑payé qui résulte de cette décision.

[33] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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