Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : ERc Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 366

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Partie appelante : E. R.
Représentant  : Miguel Mederos Baillanti
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision rendue par le ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 8 juillet 2013 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Pierre Vanderhout
Mode d’audience : Téléconférence
Date de l’audience : Le 17 mars 2022
Personne présente à l’audience : Appelante
Représentant de l’appelante
Observateurs de l’appelante
Date de la décision : Le 4 avril 2022
Numéro de dossier : GP-14-3951

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Décision

[1] L’appel est rejeté.

[2] La requérante, E. R., n’est pas admissible à une pension de survivant du Régime de pensions du Canada au titre des lois antérieures à 2019. Toutefois, elle peut encore être admissible à une pension de survivant au titre de la loi actuelle. La présente décision explique pourquoi je rejette l’appel.

Aperçu

[3] La requérante demande une pension de survivant du Régime à la suite du décès de W. B. (cotisant). Le cotisant était un Canadien à la retraite qui passait ses vacances à Cuba. La requérante a seulement vécu à Cuba. Ils semblent s’y être mariés en avril 1999, alors que le cotisant était âgé de près de 69 ans. La requérante avait alors 27 ans et deux enfants (âgés de 5 ans et de 10 ans) d’une relation précédente.

[4] La requérante a ensuite demandé la résidence permanente au Canada, mais sa demande a été rejetée en août 2000. Le représentant canadien de l’immigration a déclaré que le mariage visait principalement à faire entrer la requérante au Canada plutôt qu’à lui permettre de vivre en permanence avec le cotisantNote de bas de page 1.

[5] Même après leur mariage en 1999, la requérante et le cotisant ont vécu dans des pays différents, sauf lorsque le cotisant était en vacances à Cuba. Le cotisant tentait toujours de parrainer la requérante à titre de membre de la catégorie du regroupement familial lorsqu’il est décédé le 3 janvier 2001. La requérante a demandé une pension de survivant le 30 avril 2012 (la « première demandeNote de bas de page 2 »). Le ministre a rejeté cette première demande après révision. La requérante a donc fait appel auprès du Tribunal de la sécurité sociale le 2 octobre 2014.

[6] Cette affaire remonte à loin. Tout d’abord, la requérante n’a présenté une demande de pension que plus de 11 ans après le décès du cotisant. Ensuite, en novembre 2016, le Tribunal a conclu que la requérante avait abandonné son appel.

[7] Bien que l’appel de la requérante ait été rétabli par la suite, les lois avaient changé depuis qu’elle avait fait appel auprès du Tribunal. En raison des modifications législatives entrées en vigueur en 2019, la requérante a déposé une deuxième demande de pension de survivant en septembre 2021 (la « deuxième demandeNote de bas de page 3 »). Cependant, le ministre n’a pas encore rendu de décision concernant cette deuxième demande. Par conséquent, la décision de révision du 8 juillet 2013 dicte la portée du présent appel. Cette décision était fondée uniquement sur la première demande.

[8] La requérante soutient qu’elle était l’épouse du cotisant à son décès. Elle dit également que le cotisant a adopté « de fait » ses deux fils, ce qui lui donnerait droit à une pension de survivant même si elle avait moins de 35 ans au décès de celui-ci. La requérante déclare que le cotisant était particulièrement proche de son fils aîné.

[9] Le ministre affirme que la requérante n’avait pas droit à la pension de survivant au titre des lois antérieures à 2019 parce qu’elle avait moins de 35 ans et qu’elle n’était pas invalide au décès du cotisant. Par conséquent, le ministre soutient qu’elle ne peut avoir gain de cause que si le cotisant a adopté « de fait » ses enfants. Cependant, le ministre ajoute que l’influence du cotisant sur les enfants de la requérante et le degré de surveillance qu’il exerçait à leur égard n’étaient pas suffisants pour conclure à une adoption « de fait ».

Ce que la requérante doit prouver

[10] Pour avoir gain de cause, la requérante doit prouver qu’elle était l’épouse du cotisant à son décès. Comme elle avait alors moins de 35 ans, elle doit également prouver qu’elle est invalide ou qu’elle entretenait les enfants du cotisant à ce moment‑là.

Motifs de ma décision

[11] Je conclus que la requérante était l’épouse du cotisant à son décès. Cependant, je conclus également qu’elle ne répondait pas à toutes les autres exigences de la pension de survivant du Régime. En particulier, elle n’entretenait pas les enfants du cotisant lorsqu’il est décédé. Cela signifie qu’elle n’avait pas droit à la pension de survivant dans le cadre de sa première demande. Sa première demande s’applique à la période antérieure à 2019. J’explique ci-dessous les raisons pour lesquelles je tire cette conclusion.

La requérante était-elle l’épouse du cotisant à son décès?

[12] J’admets que la requérante était l’épouse du cotisant lorsqu’il est décédé le 3 janvier 2001. Elle a déposé un certificat de mariage qui confirme qu’ils se sont mariés le 2 avril 1999Note de bas de page 4. Rien dans la preuve n’indique qu’ils se sont séparés ou ont divorcé avant le 3 janvier 2001. En fait, la requérante et le cotisant ont présenté une demande de résidence permanente au Canada pour elle à titre de membre de la catégorie du regroupement familial en août 2000Note de bas de page 5. Bien que le représentant canadien de l’immigration à Cuba ait mis en doute la sincérité de leur mariage, cela ne signifie pas que celui-ci était invalide.

[13] Rien ne prouve non plus que le cotisant vivait en union fait ou avait contracté un autre mariage au Canada. Le frère du cotisant, H. B., a mis en doute la validité du mariage, mais il a aussi dit que le cotisant [traduction] « aimait vivre seul [au Canada] parce qu’il n’avait de comptes à rendre à personneNote de bas de page 6 ». Comme H. B. voyait régulièrement le cotisant au Canada, je me fie à son témoignage pour conclure que le cotisant n’avait pas d’autre relation pendant son mariage avec la requérante. Cependant, comme H. B. n’est jamais allé à Cuba, j’accorde peu de poids à ses réflexions au sujet de la validité du mariage. Enfin, je note que le ministre a reconnu que la requérante était l’épouse de droit du cotisantNote de bas de page 7.

[14] Je vais maintenant examiner si la requérante satisfaisait aux autres exigences de la pension.

La requérante satisfaisait-elle à toutes les autres exigences de la pension de survivant du Régime?

[15] Selon le Régime de pensions du Canada, la requérante doit être la survivante du cotisant. Le cotisant doit également avoir versé les cotisations requises. Si ces conditions préalables sont remplies, la requérante serait admissible à une pension de survivant si :

  1. elle a atteint l’âge de 65 ans;
  2. elle avait atteint l’âge de 35 ans au moment du décès du cotisant,
  3. elle est invalide;
  4. elle était une survivante avec enfant à charge au moment du décès du cotisantNote de bas de page 8.

La requérante était la survivante du cotisant

[16] Le Régime dit que la survivante ou le survivant d’une personne cotisante décédée s’entend de sa conjointe ou de son conjoint de fait à son décès. S’il n’y a pas de conjointe ou de conjoint de fait, la survivante ou le survivant de la personne cotisante s’entend de son épouse ou son époux à son décèsNote de bas de page 9.

[17] J’ai déjà conclu que le cotisant ne vivait pas en union de fait à son décès. J’ai également jugé que la requérante et lui étaient toujours mariés lorsqu’il est décédé. Par conséquent, je conclus que la requérante était la survivante du cotisant.

Le cotisant a versé les cotisations requises au Régime

[18] L’article 44(3) du Régime décrit les cotisations que le cotisant doit verser pour qu’une pension de survivant puisse être accordée.

[19] Je remarque que le ministre n’a pas contesté dans ses observations que le cotisant a versé les cotisations requises au Régime. Il soutient plutôt que la requérante ne satisfaisait pas aux exigences relatives à l’âge, à l’invalidité et aux enfants à chargeNote de bas de page 10. Le ministre n’a pas non plus laissé entendre dans ses décisions initiales de refus et de révision que le cotisant n’avait pas versé les cotisations requises au RégimeNote de bas de page 11. Je ne vois pas non plus de détails sur les cotisations du cotisant au Régime dans le dossier de révision. H. B. a déclaré que le cotisant a travaillé jusqu’à ce qu’il subisse un accident du travail à l’âge de 57 ansNote de bas de page 12.

[20] Je suis convaincu que le cotisant a probablement versé les cotisations requises au Régime. De toute façon, il serait injuste de conclure le contraire parce que le ministre n’a jamais soulevé cette question. Je vais maintenant aborder les exigences relatives à l’âge et à l’invalidité.

La requérante ne satisfaisait pas aux exigences relative à l’âge et à l’invalidité

[21] La requérante est née le XNote de bas de page 13. Elle avait 29 ans au décès du cotisant. Elle a maintenant 50 ans. Comme elle n’a pas encore 65 ans, elle n’a pas droit à la pension de survivant en fonction de son âge actuel. Elle n’a pas non plus droit à la pension en fonction de son âge au décès du cotisant, puisqu’elle n’avait pas encore 35 ans.

[22] Je ne suis pas convaincu que la requérante est invalide. Elle a dit avoir souffert d’une profonde dépression après le décès du cotisant (aggravée par la mort de son fils aîné plus tard cette année-là). À l’audience, elle a dit qu’elle avait été hospitalisée pour cela. Elle a affirmé qu’elle a encore des crises de santé mentale qui exigent qu’elle soit hospitalisée et qui interfèrent avec son travailNote de bas de page 14. Toutefois, elle n’a fourni aucune preuve documentaire à cet égard.

[23] Le critère d’invalidité défini dans le Régime est très strict. Une personne est considérée comme invalide seulement si elle a une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Une invalidité est grave si elle rend la personne « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou entraîner vraisemblablement le décèsNote de bas de page 15. Toutefois, une personne doit fournir des éléments de preuve médicale objectifs confirmant qu’elle a une invalidité grave et prolongéeNote de bas de page 16. Je ne vois aucun élément de preuve de ce genre dans la présente affaire. J’admets que la mort du fils de la requérante a dû être particulièrement traumatisante pour la requérante, mais je ne peux pas conclure qu’elle est invalide aux termes du Régime.

[24] Néanmoins, ces conclusions ne sont pas fatales à l’appel de la requérante. Elle pourrait toujours être admissible à la pension de survivant si ses enfants étaient des enfants à charge du cotisant à son décès.

Les enfants de la requérante n’étaient pas des enfants à charge du cotisant à son décès

[25] Les fils de la requérante avaient tous les deux l’âge requis pour être des enfants à charge au décès du cotisant. Y. A. est né le X et avait donc 12 ans en janvier 2001Note de bas de page 17. Y. L. est né le X et avait donc 7 ans en janvier 2001Note de bas de page 18. Leurs prénoms sont parfois écrits différemment. Les enfants de moins de 18 ans remplissent l’exigence relative à l’âge pour être des enfants à chargeNote de bas de page 19.

[26] Je reconnais également que la requérante a continué d’entretenir Y. A. et Y. L. après le décès du cotisant. Cependant, la question cruciale est de savoir si Y. A. ou Y. L. étaient des « enfants à charge » du cotisant à son décèsNote de bas de page 20.

[27] Selon le Régime, « enfant » d’une personne cotisante s’entend d’une personne âgée de moins de 21 ans qui a été adoptée légalement ou « de fait » par la personne cotisante ainsi que d’une personne dont la personne cotisante avait « la garde ou la surveillanceNote de bas de page 21 ».

[28] Rien ne donne à penser que le cotisant a adopté légalement Y. A. ou Y. L. après son mariage avec la requérante. La requérante ne laisse pas non plus entendre cela. Elle affirme plutôt que le cotisant a adopté « de fait » Y. A. et Y. L. après l’avoir épousé.

[29] Je vois des éléments de preuve pour et contre l’adoption « de fait » par le cotisant des enfants de la requérante. Je vais d’abord les résumer ci-dessous.

Éléments de preuve à l’appui de l’adoption « de fait »

[30] La requérante a déclaré que le cotisant l’avait soutenue financièrement. Cependant, son témoignage sur le montant et la fréquence de ce soutien financier n’était pas cohérent. En 2012, elle a dit que le cotisant [traduction] « m’appelait souvent et m’envoyait de l’argent pour moi et mes deux enfants mineursNote de bas de page 22 ». Cependant, des documents de 2015 portent à croire que le cotisant ne lui a envoyé de l’argent qu’à trois occasions. Les sommes d’argent étaient de 1 000 $, de 1 500 $ et de 300 $Note de bas de page 23. En juillet 2021, elle a répété ces trois sommes, mais a dit que le cotisant lui avait envoyé d’autres sommes (sans donner de détailsNote de bas de page 24). Cependant, à l’audience, elle a dit que le cotisant lui avait envoyé de l’argent chaque mois de 1997 à 2000. Parfois, il lui avait même envoyé deux paiements dans le même mois. Ces paiements visaient à l’aider elle et ses enfants. La requérante a affirmé qu’elle avait reçu un premier paiement de 1 000 $. Elle ne se souvenait pas des autres paiements, mais pensait qu’ils étaient de 500 $ ou de 600 $ (US).

[31] Compte tenu des changements importants dans le témoignage de la requérante, je préfère son témoignage selon lequel elle a reçu seulement trois paiements. C’était le premier témoignage précis qu’elle a donné au sujet du nombre et du montant des paiements. De plus, la requérante a dit à l’audience que les paiements du cotisant étaient destinés à la fois à elle et à ses enfants. Il est difficile de dire qu’en envoyant ces paiements le cotisant ait assumé la responsabilité financière des enfantsNote de bas de page 25. Par conséquent, j’accorde relativement peu de poids à ces paiements.

[32] La requérante a fourni des photos de piètre qualité, apparemment du cotisant, qui semblent le montrer avec au moins un de ses enfants. Cependant, d’autres personnes figurent sur les photos et il est difficile d’en déduire quoi que ce soit sur la relation que le cotisant avait avec les enfants de la requéranteNote de bas de page 26.

[33] La requérante a affirmé que le cotisant exerçait un contrôle parental normal et une autorité sur ses enfantsNote de bas de page 27. Elle a dit qu’il les emmenait partout. Il leur donnait aussi des conseils. Par exemple, le cotisant leur a dit qu’il était très important d’étudier. Il leur a aussi dit de [traduction] « respecter tout le monde ». Elle a affirmé que le cotisant [traduction] « les aimait comme ses propres enfants », car il n’en avait pasNote de bas de page 28. Il était particulièrement proche de son fils aîné. Son fils aîné les aurait accompagnés au Canada immédiatement, tandis que le plus jeune serait parti plus tard, lorsqu’il serait assez vieux pour aller à l’école.

[34] Ce témoignage n’a pas été validé de façon indépendante. Cependant, il entre en conflit avec d’autres éléments de preuve indiquant que le cotisant avait au moins un enfant par alliance d’un mariage précédent. H. B. a affirmé que la première femme du cotisant avait cinq enfants issus de son mariage précédent, et que le cotisant était le beau-père d’au moins un enfant (D. B.)Note de bas de page 29. Je remarque que le cotisant a nommé D. B. comme sa belle-fille dans son testament. Il l’a également désignée comme bénéficiaire et exécutrice testamentaire suppléanteNote de bas de page 30.

Éléments de preuve contre l’adoption « de fait »

[35] Le cotisant a passé très peu de temps avec la requérante et semble avoir passé encore moins de temps avec les enfants de celle-ci. Des documents juridiques de 2015 portent à croire que le cotisant et la requérante ont passé les moments suivants ensembleNote de bas de page 31 :

1997 4 nuits (à l’hôtel Tropicoco)
1998 2 semaines (au domicile de la requérante)
1998 2 semaines (dans une maison privée louée)
1999 2 semaines (lieu inconnu)
1999 2 semaines (mariage – à l’hôtel et au domicile de la requérante)
2000 1 visite d’une durée inconnue dans un lieu inconnu (mais voir ci-dessous)

[36] La requérante a plus tard déclaré ce qui suit : le cotisant et elle [traduction] « allaient généralement à l’hôtel Tropicoco » et « plus tard, nous sommes allés chez moiNote de bas de page 32 ». À l’audience, elle a également dit que la visite de 2000 avait duré un mois. Ils étaient restés à l’hôtel pendant trois semaines et chez elle pendant une semaine. Cependant, la requérante a dit que lorsqu’elle séjournait à l’hôtel, ses enfants restaient avec sa mère (leur grand-mère). Elle a toutefois aussi affirmé que ses enfants étaient toujours avec elle et le cotisant. Je note en outre que selon la requérante, ses enfants n’ont pas assisté au mariage parce qu’ils devaient aller à l’écoleNote de bas de page 33. Il est difficile de concilier ces déclarations.

[37] À un autre moment, la requérante a dit que le cotisant et elle séjournaient principalement dans des hôtels. Ils séjournaient le plus souvent à l’hôtel Tropicoco, car il offrait de bien meilleures commodités et conditions que sa propre maisonNote de bas de page 34.

[38] Il semble donc que la requérante et le cotisant n’aient été ensemble que pendant quatre semaines par année. Le cotisant semble avoir passé encore moins de temps avec les enfants de la requérante, car ils étaient probablement avec la mère de celle-ci lorsque le cotisant et la requérante étaient à l’hôtel. Le cotisant ne semble avoir été à Cuba qu’une seule fois au cours de l’année précédant son décès, et la majeure partie de cette visite a eu lieu à l’hôtel (alors que les enfants étaient probablement avec leur grand-mère).

[39] Les enfants de la requérante n’ont jamais rendu visite au cotisant au Canada, bien que cela soit attribuable en partie au fait que la requérante n’a pas obtenu de visa. Cependant, il se peut que la demande de visa n’ait été faite que pour elle-même. L’agent d’immigration canadien qui a refusé le visa n’a pas du tout mentionné ses enfantsNote de bas de page 35. Ce n’est que lorsque la demande a été rejetée que la requérante a laissé entendre que le cotisant entamait une demande de regroupement familial pour les faire venir elle et ses enfants au CanadaNote de bas de page 36. Je n’ai vu aucun élément de preuve objectif concernant cette demande.

[40] Je ne vois rien qui indique que le cotisant ait été désigné comme étant le père des enfants de la requérante dans des documents tels que des dossiers scolaires. Les enfants de la requérante n’ont pas non plus adopté le nom du cotisant. Malheureusement, Y. A. est décédé dans un accident en août 2001. Son certificat de décès nomme son père biologique, mais ne fait aucune mention du cotisantNote de bas de page 37.

[41] Il y a des éléments de preuve contradictoires quant à savoir si le cotisant pouvait communiquer avec les enfants de la requérante. À l’audience, la requérante a dit que ses enfants ne parlaient que l’espagnol. Elle a dit que le cotisant parlait anglais, allemand, espagnol et un peu français. Cependant, H. B. a déclaré que le cotisant ne parlait que l’anglais et l’allemandNote de bas de page 38.

[42] Le dernier testament du cotisant semble dater d’octobre 1993. Comme c’était avant qu’il ne rencontre la requérante, il ne mentionne ni elle ni ses enfantsNote de bas de page 39. Cependant, il était marié à la requérante depuis près de deux ans lorsqu’il est décédé et n’avait pris aucune disposition pour ses enfants dans l’éventualité de son décès.

L’appréciation de la preuve montre qu’il n’y a pas eu d’adoption « de fait »

[43] La Commission d’appel des pensions s’est déjà penchée sur la signification des termes « de fait ». Elle a déclaré que « de fait » signifie « véritable [et] réel en comparaison à sous-entendu ou déduit ». L’expression « de fait » ne veut pas dire « en théorie » ou « tel que l’imagine un individuNote de bas de page 40 ». Cette distinction est importante, car la requérante attribue souvent le manque de temps passé avec le cotisant à la décision rendue en août 2000 par les autorités de l’immigration du CanadaNote de bas de page 41. Avoir l’intention de passer du temps avec le cotisant n’est pas la même chose que de passer réellement du temps avec lui, que ce soit pour la requérante ou ses enfants.

[44] La cause de la requérante aurait été beaucoup plus solide si elle et au moins un de ses enfants avaient réussi à obtenir la résidence permanente au Canada. Le fait de vivre ensemble avec le cotisant de cette manière aurait peut-être démontré une véritable adoption « de fait ». Cependant, je ne peux pas trancher cette affaire en me basant sur des situations hypothétiques. Au mieux, la requérante avait l’intention que le cotisant adopte ses enfants « de fait ».

[45] En fin de compte, j’accorde beaucoup de poids au fait que le cotisant a passé très peu de temps avec les enfants de la requérante. Au cours de sa dernière année, il n’a passé peut-être qu’une semaine environ avec eux, même s’il a été à Cuba pendant un mois. Il est très difficile d’établir une adoption « de fait » avec si peu de présence physique et d’interaction.

[46] Cependant, même le fait de passer un mois par année avec les enfants de la requérante n’aurait probablement pas suffi non plus. Dans une récente décision que je trouve convaincante, qui impliquait également une épouse cubaine et un mari canadien, le Tribunal a observé que le fait que le couple passait seulement un mois ensemble chaque année n’était pas suffisant pour établir une adoption « de fait ». Le Tribunal a déclaré qu’« une relation à distance sporadique » était un facteur important pour évaluer si une telle adoption avait eu lieuNote de bas de page 42.

[47] Je trouve également significatif que le cotisant n’ait jamais mis à jour son testament pour refléter une relation avec les enfants de la requérante. Il a nommé la requérante comme bénéficiaire de l’un de ses investissements canadiens, de sorte qu’il semble qu’il ait au moins pensé à elleNote de bas de page 43.

[48] Je n’accorde pas beaucoup de poids aux témoignages concernant les compétences linguistiques du cotisant. H. B. n’était pas bien placé pour évaluer ses compétences en espagnol. En même temps, je me méfie aussi des déclarations de la requérante au sujet du cotisant et de son lien avec ses enfants. Elle dit qu’il n’avait pas d’enfants et qu’il a donc accueilli ses enfants comme s’il s’agissait des siens, mais il avait clairement une belle-fille issue de son mariage précédent. Le testament de 1993 du cotisant montre clairement qu’il avait une relation importante avec cette belle-fille.

[49] J’estime que les éléments de preuve contre une adoption « de fait » sont plus convaincants que ceux en faveur d’une telle option. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’éléments de preuve appuyant une adoption « de fait ». Cela veut dire que, dans l’ensemble, ils ne sont pas aussi convaincants que les éléments de preuve contre une adoption « de fait ». Toutefois, la requérante a le fardeau juridique de prouver qu’une adoption « de fait » est plus probable qu’improbable. Si elle ne s’acquitte pas de ce fardeau, je ne peux conclure qu’il y a eu une adoption « de fait ».

[50] Après avoir évalué la preuve, je conclus que la requérante n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que le cotisant a adopté « de fait » ses enfants.

[51] Je vais maintenant aborder la seule question restante : le cotisant avait-il la « garde et la surveillance » des enfants de la requérante?

Le cotisant n’avait pas la « garde et la surveillance » des enfants de la requérante

[52] Le Tribunal et la Commission d’appel des pensions ont examiné ce que signifie avoir « la garde et la surveillance » d’enfants. Ils ont convenu qu’il était difficile d’avoir « la garde et la surveillance » d’enfants lorsqu’il n’y a que de courtes périodes de contact par intermittence, en particulier lorsque les enfants se trouvent dans un pays éloigné. Les appels interurbains ne permettent pas non plus de maintenir la « garde et la surveillance » d’enfantsNote de bas de page 44.

[53] Je suis d’accord pour dire la grande distance entre Cuba et le Canada et la très rare présence physique du cotisant à Cuba empêchent de conclure qu’il avait la « garde et la surveillance » des enfants de la requérante. Je dis cela sans même tenir compte des possibles difficultés linguistiques ou autres, bien que ces problèmes existaient peut‑être aussi.

[54] Comme le cotisant n’avait pas la « garde et la surveillance » des enfants de la requérante à son décès, je ne vois aucun autre motif qui pourrait permettre à la requérante d’avoir gain de cause. Cela signifie que son appel doit être rejeté.

La période après 2018

[55] Comme je l’ai mentionné, la législation a changé en 2019. Les exigences relatives à l’âge pour la pension de survivant du Régime ont été éliminées. Cela donne à penser que la requérante pourrait être admissible à la pension de survivant à un moment donné après 2018.

[56] Je ne peux pas rendre une décision exécutoire au sujet de la période postérieure à 2018. La décision de révision dans le présent appel ne tient pas compte de cette période, car la nouvelle législation n’existait pas encore. Toutefois, en 2021, la requérante a déposé sa deuxième demande relativement à cette période. Le ministre a activement encouragé la requérante à présenter sa deuxième demande.

[57] Dans les circonstances, j’exhorte le ministre à rendre une décision sur cette deuxième demande le plus tôt possible. Il serait dans l’intérêt supérieur de toutes les parties que l’on décide finalement si la requérante est actuellement admissible à la pension.

Conclusion

[58] Je conclus que la requérante n’est pas admissible à la pension de survivant du Régime dans le cadre de sa première demande. Elle n’a pas établi que le cotisant avait adopté « de fait » l’un de ses deux enfants. Toutefois, les lois ont changé en 2019, bien après que la décision de révision sur cette première demande ait été rendue. La requérante a déposé sa deuxième demande en réponse à ces modifications législatives. Bien que je ne puisse me prononcer sur celle-ci ou sur l’admissibilité de la requérante après 2018, j’exhorte le ministre à statuer sur la deuxième demande dès que possible. Ma décision dans cet appel n’empêche pas la requérante d’obtenir gain de cause dans sa deuxième demande. Elle ne l’empêche pas non plus de faire appel de l’éventuelle décision finale du ministre relativement à cette deuxième demande auprès du Tribunal si elle n’en est pas satisfaite.

[59] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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