Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

Informations sur la décision

Résumé :

La question que la division d’appel devait trancher consiste à savoir si, l’appelante a eu une chance équitable d’être entendue.

En juin 2017, l’appelante a demandé une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Elle affirmait ne plus pouvoir composer avec les exigences physiques de son travail d’infirmière en salle d’opération. Elle disait aussi qu’un certain nombre de problèmes de santé, dont la colite ulcéreuse, l’hypothyroïdie, l’hypertension, la fasciite plantaire, la dépression et l’anxiété, la rendaient invalide. Le ministre a rejeté la demande. Selon lui, l’appelante n’avait pas prouvé qu’elle avait une invalidité grave et prolongée pendant sa période minimale d’admissibilité, qui a pris fin le 31 décembre 2009.

L’appelante a fait appel de la décision du ministre devant la division générale. Celle-ci a tenu deux audiences par vidéoconférence. Durant la première audience, qui a eu lieu le 6 décembre 2021, le représentant de l’appelante, M. Uppal, a accusé la membre qui présidait l’audience d’avoir un parti pris parce qu’elle avait cerné ce qu’elle a appelé une « lacune » dans la preuve de février 2009 à mars 2010. En guise de réponse, la membre a déclaré que ses paroles et sa conduite ne pouvaient pas avoir raisonnablement donné une impression de partialité. À ce moment-là, l’appelante a fait une crise de panique, et la membre a reporté l’audience. Par la suite, la membre a invité M. Uppal à déposer des observations écrites au sujet de sa possible partialité. Le dossier ne contient aucun document indiquant qu’il l’a fait. La membre a fixé une autre date d’audience pour le 22 mars 2022. Le matin de la deuxième audience, le représentant de l’appelante a envoyé des courriels distincts au Tribunal pour exprimer sa consternation devant le fait que la membre ne s’était pas récusée (retirée) de l’appel. Les représentants ont affirmé qu’étant donné ce qui s’était passé, leur cliente ne pouvait pas s’attendre à ce que l’audience soit équitable. Ils ont ajouté qu’elle ne participerait pas à la vidéoconférence prévue pour l’après-midi même. La membre a convoqué l’audience. M. Merja, le deuxième représentant de l’appelante, s’est joint à la vidéoconférence et a confirmé que sa cliente n’y participerait pas. Il a présenté d’autres arguments pour convaincre la membre de se récuser. La membre a une fois de plus refusé de le faire, puis elle a mis fin à l’audience. Par la suite, elle a rejeté l’appel en se fondant sur l’examen des documents déjà au dossier. Dans les motifs écrits de sa décision, la membre a expliqué pourquoi le maintien de sa participation à l’appel n’a pas engendré une crainte raisonnable de partialité. Elle a ensuite conclu que, même si l’appelante présentait certaines limitations, la preuve ne démontrait pas qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice en date du 31 décembre 2009. L’appelante a fait appel de cette décision devant la division d’appel.

La division d’appel a conclu que la membre de la division générale avait le droit de poser des questions difficiles. Elle avait le pouvoir de dire à M. Uppal d’aborder les questions qu’elle voulait explorer. Elle était libre de demander à M. Uppal de s’abstenir de réciter la preuve documentaire qu’elle avait déjà lue. Quand l’appelante a demandé à la membre de la division générale de se récuser, cette dernière s’est trouvée dans une position quelque peu délicate, car elle devait trancher une affaire dans laquelle sa propre conduite était remise en cause. Toutefois, la membre avait non seulement le droit, mais aussi le devoir de répondre aux accusations de partialité avancées par l’appelante durant la première audience. Dans cette affaire, il fallait que la membre de la division générale assume le rôle d’une « personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » et qu’elle rende une décision préliminaire sur les accusations portées contre elle.

Contrairement aux allégations de l’appelante, la membre n’a pas empêché ses représentants de prendre la parole à l’une ou l’autre des audiences. À l’audience de décembre 2021, la membre a clairement dit que son intérêt envers le témoignage de l’appelante ne voulait pas dire qu’elle ne souhaitait pas entendre M. Uppal. Elle lui a demandé de poursuivre sa présentation, ce qu’il semblait prêt à faire jusqu’à ce que sa cliente signale qu’elle faisait une crise de panique. À l’audience de mars 2022, l’appelante et ses représentants ont eu une autre occasion de présenter leurs arguments. Le deuxième représentant de l’appelante, M. Merja, a commencé par exiger une nouvelle fois que la membre se récuse. Il a fait cette observation même si son collègue, M. Uppal, n’avait pas répondu lorsque la membre l’a invité à présenter des observations écrites sur la question. Après avoir écouté les observations de M. Merja, la membre a de nouveau refusé de se retirer. Elle a ensuite demandé à M. Merja s’il avait quelque chose à ajouter. Elle lui a aussi demandé s’il voulait téléphoner à sa cliente pour lui donner une dernière chance de témoigner. Il a refusé, invoquant la probabilité que sa cliente fasse une autre crise de panique si elle comparaissait devant la membre. Celle-ci a donc tranché l’appel sur la foi du dossier. Comme elle l’a souligné, le Tribunal a le droit de procéder en l’absence d’une partie s’il est convaincu que la partie a été avisée de la tenue de l’audience. De plus, il a l’obligation de veiller à ce que l’audience se déroule de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité et la justice naturelle permettent. Le Tribunal doit également tenir l’audience en l’absence d’une partie s’il a déjà accordé une remise ou un ajournement à la demande de la partie. L’audience avait déjà été ajournée six fois à la demande de l’appelante. Lorsque la membre a choisi d’aller de l’avant, elle ne faisait que respecter ses obligations réglementaires.

La division d’appel a conclu que la conduite de la membre de la division générale n’était pas parfaite, mais que malgré ses défauts, elle ne donnait pas lieu à une crainte raisonnable de partialité. Comme l’appelante n’avait aucune raison réelle de croire qu’elle n’aurait pas droit à une audience équitable, elle n’avait aucune raison de demander la récusation de la membre et de quitter l’audience devant son refus. Ce n’est pas la membre qui a coupé court à la procédure, c’est l’appelante. La membre a donné à l’appelante plusieurs occasions de s’exprimer, mais cette dernière a toujours refusé de le faire. En conséquence, elle ne peut plus prétendre qu’on l’a empêchée de témoigner. La division d’appel a conclu que la division générale n’avait pas fait une des erreurs qui s’inscrivent dans les moyens d’appel permis. Elle a agi de façon équitable, elle a examiné les éléments de preuve avec minutie et elle a appliqué la loi correctement. L’appel a été rejeté.

Contenu de la décision

[TRADUCTION]

Citation : AC c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2022 TSS 1515

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : A. C.
Représentants : Sunish Uppal et Vismay Merja
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentant : Joshua Toews

Décision portée en appel : Décision de la division générale datée du 10 mai 2022 (GP-20-435)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode de l’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Le 9 novembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Partie appelante
Représentants de la partie appelante
Représentant de la partie intimée
Date de la décision : Le 7 décembre 2022
Numéro de dossier : AD-22-482

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. La division générale n’a pas commis d’erreurs. Sa décision est maintenue.

Aperçu

[2] Le présent appel porte sur une audience qui a déraillé pour plusieurs raisons. La division d’appel doit décider si l’appelante a eu l’occasion d’être entendue pleinement et équitablement dans le contexte de la brouille qui a eu lieu.

[3] L’appelante est une ancienne infirmière autorisée de 61 ans qui souffre depuis de nombreuses années de douleurs chroniques au cou et au dos. En 2006, elle a subi une intervention chirurgicale au dos pour réparer un disque écrasé, et elle a cessé de travailler à temps plein deux ans plus tard.

[4] En juin 2017, l’appelante a présenté une demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada (RPC). Elle a affirmé qu’elle ne pouvait plus gérer les exigences physiques de son travail d’infirmière de salle d’opération. Elle a également affirmé être invalide en raison d’autres problèmes médicaux, dont la colite ulcéreuse, l’hypothyroïdie, l’hypertension, la fasciite plantaire, ainsi que la dépression et l’anxiété.

[5] La ministre a rejeté la demande. À son avis, l’appelante n’avait pas prouvé qu’elle souffrait d’une invalidité grave et prolongée pendant sa période minimale d’admissibilité (PMA), laquelle a pris fin le 31 décembre 2009Note de bas de page 1.

[6] L’appelante a fait appel du rejet de la ministre auprès de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a tenu deux audiences par vidéoconférence. Lors de la première audience, le 6 décembre 2021, le représentant de l’appelante, M. Uppal, a accusé la membre présidant l’audience de partialité parce qu’elle avait cerné, selon son expression, une « lacune » dans la preuve de février 2009 à mars 2010. En réponse, la membre a déclaré que ses paroles et sa conduite ne pouvaient pas raisonnablement avoir créé une impression de partialité. À ce moment-là, l’appelante a subi une crise de panique, et la membre a ajourné l’audience.

[7] La membre a ensuite proposé à M. Uppal de présenter des observations écrites concernant sa partialitéNote de bas de page 2. Il n’y a rien au dossier montrant qu’il a déposé de telles observations. La membre a organisé une autre audience le 22 mars 2022.

[8] Le matin de la deuxième audience, les représentants de l’appelante ont chacun envoyé un courriel au Tribunal pour exprimer leur consternation à l’égard du fait que la membre ne s’était pas récuséeNote de bas de page 3. Les représentants ont déclaré qu’étant donné ce qui s’était passé, leur cliente ne pouvait pas s’attendre à une audience équitable et ne participerait pas à la vidéoconférence prévue pour l’après-midi.

[9] La membre a convoqué l’audience. M. Merja a participé à la vidéoconférence pour confirmer que sa cliente ne se présenterait pas. Il a présenté d’autres arguments afin d’insister sur le fait que la membre devrait se récuser. La membre a de nouveau refusé de le faire, puis a mis fin à l’audience. Son rejet subséquent de l’appel était fondé sur un examen des documents déjà au dossier. Dans les motifs écrits de sa décision, la membre a expliqué pourquoi sa participation continue à l’appel ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité. Elle a ensuite conclu que la preuve ne montrait pas que l’appelante était régulièrement incapable d’exercer un emploi véritablement rémunérateur, même si elle avait certaines limitations physiques le 31 décembre 2009 ou avant cette date.

[10] L’appelante demande maintenant la permission de faire appel de la décision de la division générale. Elle soutient que la division générale a commis les erreurs suivantes :

  • La membre a fait preuve de partialité des façons suivantes :
    • Elle a tiré des conclusions avant la tenue de l’audience;
    • Elle était impolie et irritable à l’égard des représentants de l’appelante;
    • Elle a refusé de donner la parole à son représentant;
    • Elle a insisté pour que l’appelante témoigne directement;
    • Elle a laissé entendre que sa podiatre n’était pas une « vraie » médecin;
    • Elle a refusé de se récuser;
    • Elle a refusé d’ajourner la deuxième audience;
    • Elle a instruit l’appel sans avoir pris connaissance de la preuve.
  • La membre a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées des façons suivantes :
    • Elle a tenu compte de la douleur au cou et aux pieds de l’appelante, ainsi que de ses évanouissements, tout en ignorant ses autres problèmes de santé importants;
    • Elle a ignoré une décision de la Sécurité sociale des États-Unis selon laquelle l’appelante était invalide en août 2008.

[11] En septembre, j’ai accordé à l’appelante la permission de faire appel parce que je croyais qu’elle avait une cause défendable selon laquelle la division générale avait enfreint certaines règles d’équité procédurale. Le mois dernier, j’ai tenu une audience par vidéoconférence pour discuter en détail des allégations de l’appelante.

Questions en litige

[12] Il existe quatre moyens d’appel devant la division d’appel. Une partie appelante doit démontrer que la division générale a commis au moins une des erreurs suivantes :

  • Elle n’a pas fait preuve d’équité procédurale;
  • Elle a excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
  • Elle a commis une erreur de droit;
  • Elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 4.

[13] Pour avoir gain de cause, la partie appelante doit démontrer que la division générale a commis une erreur qui correspond à l’un des moyens d’appel ci-dessus. Dans cet appel, je devais répondre aux questions suivantes :

  • La conduite de la membre de la division générale a-t-elle soulevé une crainte raisonnable de partialité?
  • La membre aurait-elle dû se récuser?
  • La membre a-t-elle refusé à l’appelante la possibilité de se faire entendre?
  • La membre a-t-elle ignoré certains problèmes de santé de l’appelante?
  • La membre a-t-elle ignoré la décision américaine en matière d’invalidité?

Analyse

[14] J’ai examiné les documents au dossier, l’enregistrement de l’audience et la décision de la division générale. J’ai conclu que la division générale n’a pas commis d’erreur de droit, de fait ou de procédure.

Rien n’indique que la division générale a fait preuve de partialité

[15] L’audience, divisée en deux parties, a été entachée d’une série d’erreurs de communication et de malentendus entre la membre de la division générale et les représentants légaux de l’appelante. La membre n’a pas mené les délibérations de façon impeccable, mais, à mon avis, rien de ce qu’elle a dit ou fait n’a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité. L’appelante et ses représentants n’avaient aucune raison valable d’exiger une récusation et encore moins de boycotter la procédure lorsqu’il est devenu clair qu’une récusation n’aurait pas lieu.  

Le seuil d’établissement d’une conclusion de partialité est élevé

[16] La partialité dénote un état d’esprit prédisposé de quelque manière à un certain résultat. Le seuil d’établissement d’une conclusion de partialité est élevé, et il incombe à la partie qui affirme qu’il y a partialité de prouver qu’elle existe. La présence de partialité dépend des faits propres à chaque cas.

[17] La Cour suprême du Canada a déclaré que le critère à appliquer consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratiqueNote de bas de page 5 ». De simples soupçons ne suffisent pas. On doit démontrer une réelle probabilitéNote de bas de page 6.

[18] La partialité ne peut pas être fondée sur les conjectures ou les impressions d’une partie appelante. Elle doit être étayée par des preuves matérielles démontrant un comportement qui déroge à la normeNote de bas de page 7. La Cour suprême a également déclaré qu’un seuil élevé d’établissement d’une conclusion de partialité est nécessaire parce que « la norme exige une crainte de partialité fondée sur des motifs sérieux, vu la forte présomption d’impartialité dont jouissent les tribunauxNote de bas de page 8 ». 

[19] En gardant ces directives à l’esprit, je vais maintenant examiner divers points clés de la procédure.

La membre n’a pas préjugé du cas de l’appelante lorsqu’elle a relevé une « lacune » dans la preuve médicale

[20] Lors de la première audience, en décembre 2021, la procédure a commencé à l’amiable, mais elle s’est rapidement détériorée lorsque la membre a cerné ce qu’elle considérait comme une faiblesse dans le cas de l’appelante. La membre a peut-être cru qu’elle faisait une faveur à l’appelante en donnant à son représentant des conseils en amont sur la façon de focaliser ses arguments. Toutefois, ses propos ont immédiatement mis le représentant sur la défensive, et l’audience s’est rapidement envenimée.

[21] Au cours de son introduction, la membre a insisté sur le fait que son enquête porterait sur l’état de santé de l’appelante pendant la PMA. Elle a ensuite fait la remarque suivante :

[traduction] Il est aussi tout à fait évident qu’il n’y a aucun rapport médical — il y a des rapports de podiatrie, de physiothérapie et de chiropractie en 2009 —, mais autrement… il n’y a pas d’information provenant d’un médecin de la fin de 2008 à mars 2010, le moment où elle revoit le Dr Hynes… mais un an avant la fin de la PMA, rien sur son cou, rien sur son dos, rien sur ses autres problèmes de santé. J’ose dire que ce sera donc un problème pour vousNote de bas de page 9.

[22] Plus tard, M. Uppal a insisté sur le fait qu’il avait besoin que la membre lui donne le temps de lui expliquer certaines parties du dossier parce qu’elle [traduction] « n’a accordé aucun poids aux notes et aux dossiers cliniquesNote de bas de page 10 ». Cela a amené la membre à clarifier ce qu’elle avait dit :

[traduction] Non, ce n’est pas ce que j’ai dit. Ce que j’ai dit, c’est qu’il y avait de l’information qui datait d’avant décembre 2009. Il n’y avait rien sur ce qui semblait être des problèmes médicaux majeurs, particulièrement son cou, mais il y a beaucoup d’autres documents énumérés de 2009. Je n’ai pas dit qu’il n’y avait pas de renseignements médicaux du tout, il faut vraiment écouter ce que je dis. Je ne veux pas que mes propos soient mal interprétésNote de bas de page 11.

[23] À mon avis, c’était un commentaire pertinent, même s'il était mal formulé. La plupart des cas d’invalidité du RPC dépendent du montant de la preuve médicale disponible qui se rapporte à la période la plus pertinente, c’est-à-dire à peu près pendant la dernière période que l’appelante était couverte par le RPC. En l’espèce, la PMA de l’appelante a pris fin le 31 décembre 2009. Bien que l’appelante ait présenté plusieurs preuves documentaires, la plupart d’entre elles étaient postérieures à la PMA et n’étaient donc pas particulièrement pertinentes à l’état de santé de l’appelante pendant la période où elle devait prouver qu’elle était invalide.     

[24] L’appelante et son représentant semblent avoir conclu prématurément que la membre avait [traduction] « préjugé » de son cas. Ce n’est pas ainsi que je vois la situation. Chaque cas comporte des faiblesses et, à mon avis, la membre a rendu service à l’appelante en cernant un problème potentiel avant le début de l’audience. Ce faisant, la membre a donné à M. Uppal l’occasion d’adapter ses observations, s’il était disposé à le faire. Mais cela ne voulait pas dire qu’elle était déjà convaincue de l’issue de la procédure; elle souhaitait simplement obtenir plus d’information. J’estime qu’il n’est pas inapproprié de demander à une partie d’aborder des questions que le décideur ou la décideuse juge importantes.

La membre n’a pas eu tort de considérer la lettre d’une podiatre comme une preuve « non médicale »

[25] Il ne fait aucun doute que la membre aurait pu communiquer ses pensées et ses intentions plus clairement. Elle aurait certainement pu les communiquer plus délicatement. Lorsque M. Uppal a protesté en affirmant que sa cliente avait effectivement présenté une preuve « médicale » pour la période qui prenait fin le 31 décembre 2009, la membre a déclaré ce qui suit :

[traduction] Il y a l’information d’une podiatre, Shelly Garrow, et il y a l’information d’un autre fournisseur de soins de santé — un physiothérapeute ou un chiropraticien ou quelque chose du genre —, mais pas d’un médecin, à moins que vous ne considériez la podiatre comme une médecin. Cependant, la podiatre ne parlait pas de son couNote de bas de page 12.

[26] L’appelante et son représentant se sont offusqués. Ils croyaient que la membre faisait preuve d’une attitude méprisante à l’égard de la Dr Garrow, de sa profession et de ses rapports. Cependant, la membre n’a pas eu tort de faire remarquer que les podiatres ne sont pas des médecins. Bien qu’ils soient des professionnels formés, les podiatres traitent généralement des maladies moins graves des pieds que les médecins spécialistes comme les dermatologues ou les chirurgiens orthopédistes. Dans cette optique, la division générale avait raison d’écarter les rapports de la Dr Garrow, qui, de toute façon, indiquaient que la douleur au pied de l’appelante s’améliorait en décembre 2009Note de bas de page 13.

La membre n’a pas porté préjudice à l’appelante en éteignant brièvement sa caméra  

[27] Une autre situation problématique est survenue lorsque la membre de la division générale a éteint sa caméra vidéo pendant que le représentant de l’appelante présentait ses observationsNote de bas de page 14. En constatant qu’il ne pouvait plus voir la membre, l’échange suivant a eu lieu :

M. Uppal : Madame l’arbitre, je ne vous vois plus. 

Membre : Je suis là. J’écoute!

M. Uppal : Je vais m’y opposer… Pour défendre ma cliente équitablement, je dois savoir que j’ai votre attention.

Membre : Me voiciNote de bas de page 15.

[28] D’après ce que je peux comprendre, la caméra vidéo de la membre était éteinte pendant environ 60 secondes. Mais même si la caméra était éteinte plus longtemps, je ne vois pas comment cette action, en soi, aurait pu nuire à l’audience. Naturellement, après s’être brouillé avec elle à plusieurs reprises, M. Uppal n’a pas voulu donner le bénéfice du doute à la membre. Les faits suivants demeurent pertinents :

  • La membre a éteint sa caméra pendant une courte période seulement;
  • La membre avait une explication plausible pour avoir éteint sa caméraNote de bas de page 16;
  • Rien n’indique que la membre ne pouvait pas entendre ce que disait M. Uppal.

Compte tenu de ces circonstances, je ne vois pas en quoi cet incident relativement banal, même considéré dans le contexte de la conduite de la membre, justifierait une nouvelle audience pour des motifs d’équité procédurale.

La membre avait le droit de demander des arguments (non pas des éléments de preuve) du représentant de l’appelante

[29] Malheureusement, M. Uppal a mal interprété les remarques préliminaires de la membre. Après s’être convaincu que la membre était sceptique à l’égard des allégations de sa cliente, il a demandé [traduction] « d’avoir l’esprit ouvert et de [lui] donner l’occasion de présenter le plus d’éléments de preuve possible au nom de [sa] clienteNote de bas de page 17 ».

[30] Le choix de mots de M. Uppal était, au mieux, regrettable. C’est ce qui a amené la membre à dire immédiatement à M. Uppal qu’elle ne voulait pas qu’il parle au nom de sa cliente; elle voulait que l’appelante lui communique la preuve. Elle a également signalé qu’elle se préoccupait du fait que M. Uppal avait peut-être l’intention de prendre du temps de l’audience pour parcourir des documents médicaux qu’elle avait déjà lus. M. Uppal a assuré la membre qu’il poserait des questions à sa cliente, puis il a ajouté :

M. Uppal : En même temps, madame l’arbitre, ce qui est primordial, c’est qu’on comprenne où [sic] ma cliente doit avoir une chance équitable, parce qu’elle ne sait pas très bien s’exprimer. Étant donné que je suis son avocat, je parlerai en son nom pour passer en revue les notes cliniques et les dossiers avec vousNote de bas de page 18.

Membre : Ce que je veux vraiment, c’est entendre l’appelante. Sinon, tout ceci peut se faire par écrit.

[31] Essentiellement, la membre avait raison. On ne sait pas à coup sûr que M. Uppal avait l’intention de témoigner à la place de sa cliente ou simplement de présenter la preuve, toujours est-il que la membre avait le droit d’avertir l’avocat de s’en tenir à la plaidoirieNote de bas de page 19. Il n’était pas non plus inapproprié que la membre informe M. Uppal qu’elle s’attendait à entendre parler l’appelante elle-même.

[32] Mais encore une fois, il y a eu un malentendu. Il semble que M. Uppal ait compris que la membre ne voulait entendre que l’appelante. Je ne pense pas que ce soit ce que la membre ait voulu dire. Elle a précisé par la suite ce qu’elle voulait dire dans l’échange suivant :

M. Uppal : Madame l’arbitre, j’ai participé à plusieurs audiences du RPC et jamais un arbitre ne m’a dit qu’il ou elle voulait simplement entendre mon client et non pas moi.

Membre : Je n’ai pas dit que je voulais seulement entendre votre cliente. Vous me disiez que vous alliez me présenter beaucoup de documents médicaux, et j’ai dit que j’ai eu des situations par le passé où le représentant voulait parler pendant toute l’audienceNote de bas de page 20.

[33] À ce moment-là, le représentant de l’appelante aurait dû comprendre que la membre était disposée à le laisser parler, pourvu que ses observations n’empiètent pas sur le témoignage de sa cliente. Il se trouve que la membre avait de bonnes raisons de s’inquiéter de cette possibilité. M. Uppal a ensuite lu mot pour mot la décision en matière de sécurité sociale des États-Unis, laquelle comprenait une analyse détaillée du [traduction] « processus d’évaluation séquentiel en cinq étapes » pour décider si une personne est invalide au sens de la loi américaineNote de bas de page 21.

[34] La membre a laissé M. Uppal lire à haute voix pendant près de six minutes avant d’intervenir. Cela a provoqué à un affrontement verbal, lequel a mené à la détérioration définitive de la première audience.

L’observation de la division générale sur l’absence de rapport du Dr Hynes n’était pas inexacte ni un indicateur de partialité

[35] Pendant qu’il examinait la décision de la Sécurité sociale des États-Unis, M. Uppal a fait remarquer que l’appelante avait fréquenté la clinique du dos en février 2008 et X Pain Management Associates en mai 2008. Il s’est ensuite adressé à la membre en disant : [traduction] « Ce sont des docteurs en médecine qu’elle visitait, madame l’arbitre, ce ne sont pas seulement des physiothérapeutes et des podiatresNote de bas de page 22. » La membre a immédiatement répliqué avec une certaine force à cette remarque en disant qu’elle avait remarqué une lacune datant de l’année 2009, non pas de 2008 : [traduction] « Il n’y avait pas de rapport, d’après ce que je pouvais voir, provenant d’un médecin, en tout cas pas de la part du Dr HynesNote de bas de page 23 ». 

[36] Cela a incité l’appelante à intervenir. Elle a dit qu’elle n’avait pas vu le Dr Hynes depuis le jour où il l’a opérée — elle n’a vu que son adjoint, M. VelezNote de bas de page 24. Elle a accusé la membre de ne pas avoir lu son dossier : [traduction] « Le fait que vous mentionniez sans cesse que vous n’avez pas vu de rapport du Dr Hynes me semble redondant… Alors, arrêtez de dire “présentez des rapports”! C’est embêtant!Note de bas de page 25 »

[37] M. Uppal a ajouté :

[traduction] Madame Wilton, avec tout le respect que je vous dois, j’ai l’impression que vous aviez déjà décidé avant d’arriver aujourd’hui que ma cliente ne répondait pas aux critères... Soit nous demandons l’ajournement, ou bien nous vous demandons de vous récuser et de demander à quelqu’un d’autre de vous remplacer afin que ma cliente puisse obtenir une audience équitable. Je me sens mal à l’aise de faire des présentations. Vous avez fermé votre caméra une fois pendant que je parlais. Vous avez fait des grimaces. Je sens que je vous irrite... Vous avez dit que vous avez lu le dossier toute la semaine, mais, de toute évidence, vous avez raté plusieurs [parties des] documents médicaux pertinentsNote de bas de page 26.

[38] Il est important de s’arrêter ici et d’examiner pourquoi l’appelante s’est emportée. La membre ne faisait qu’observer — encore une fois — qu’il y a eu une longue période (de février 2009 à mars 2010) au cours de laquelle l’appelante n’a reçu aucun traitement documenté, que ce soit de la part du Dr Hynes, de M. Velez ou de tout autre fournisseur de soins de santé, pour ce qui est censé être l’une des principales causes de son invalidité. Après avoir examiné le dossier, je ne vois pas en quoi la membre s’est trompée.

[39] La membre a déclaré qu’elle ne se récuserait pas et qu’elle avait l’intention de poursuivre l’audience. Elle a souligné qu’elle voulait donner à l’appelante la chance de lui parler de ses limitations fonctionnelles en 2009. Cependant, l’appelante était toujours agitée, et son représentant a demandé une pause. À leur retour, l’appelante a déclaré qu’elle était en proie à une crise de panique : [traduction] « Je ne souhaite pas poursuivre dans cette voie parce que j’estime que vous avez un parti pris. J’aimerais vous dire que Shelly Garrow est une femme médecin — elle est podiatre. Vous n’avez pas examiné mon dossier... Je ne supporte pas votre comportementNote de bas de page 27. » 

[40] À ce moment-là, la membre a ajourné l’audience.

[41] De toute évidence, la membre ne s’est pas contentée d’accepter passivement les observations de l’appelante. Elle n’a pas hésité à dire au représentant de l’appelante ce qu’elle voulait entendre de lui. Elle s’est opposée à ce qu’elle percevait comme des faiblesses ou des incohérences dans la preuve. L’appelante a peut-être trouvé cette approche proactive déconcertante, mais cela ne signifie pas que la membre faisait preuve de partialité. Et même si l’appelante n’était pas d’accord avec ses commentaires, je n’ai rien vu qui indique que la membre a négligé de lire le dossier ou qu’elle en a mal compris les aspects principaux.

L’impolitesse, l’irritabilité ou le sarcasme ne sont pas nécessairement des signes de partialité

[42] L’appelante accuse la membre d’impolitesse, toutefois, cela ne correspond pas à un des motifs d’appel, et ce n’est pas nécessairement un signe de partialité. Bien sûr, l’impolitesse est une question de perception. Dans mon examen de l’enregistrement de l’audience, j’ai entendu la membre parler sans ménagement. J’ai entendu des échanges tendus entre la membre et M. Uppal. J’ai entendu la membre parler sarcastiquement ([traduction] « Qu’aimeriez-vous me dire que j’aurais peut-être manqué? Note de bas de page 28 ») lorsque M. Uppal a continué de lire la preuve. À plus d’une occasion, comme nous l’avons vu, la membre réussissait à peine à dissimuler son impatience lorsqu’elle avait l’impression que M. Uppal avait mal interprété ses paroles et ses actes.

[43] Cependant, la membre a réussi à garder son sang-froid pendant tout ce temps. Elle n’a pas haussé la voix. Elle a interrompu M. Uppal uniquement dans le but de le diriger vers des questions plus importantes. Elle a certainement contesté certaines des observations de M. Uppal, mais les expressions de doute ou de désaccord ne constituent pas, à elles seules, de l’impolitesse.  

[44] Les membres de la division générale sont des arbitres formés qui possèdent des compétences et de l’expérience dans la gestion des audiences et le traitement de l’information. Je n’ai rien entendu qui puisse contredire la présomption selon laquelle la membre a exercé ses fonctions de façon impartiale.

La division générale avait le droit de contrôler l’audience

[45] La loi donne aux tribunaux administratifs toute la latitude voulue pour tenir leurs audiences comme bon leur semble lorsqu’ils tentent de concilier les priorités que sont l’informalité, l’efficacité et l’équité. À cet égard, la Cour suprême du Canada a déclaré :

En règle générale, ces tribunaux sont considérés maîtres chez eux. En l’absence de règles précises établies par loi ou règlement, ils fixent leur propre procédure à la condition de respecter les règles de l’équité et, dans l’exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, de respecter les règles de justice naturelleNote de bas de page 29.

[46] La membre de la division générale avait le droit de poser des questions difficiles. Elle avait le pouvoir de demander à M. Uppal d’aborder les questions dont elle voulait entendre parler. Elle était libre de demander à M. Uppal de s’abstenir de réciter la preuve documentaire qu’elle avait déjà lue. Je n’ai rien vu ni entendu qui pourrait me faire croire que la membre a abordé l’appel de l’appelante avec un esprit qui n’était pas complètement ouvert.

La membre n’avait pas besoin de se récuser

[47] Une fois que l’appelante lui a demandé de se récuser, la membre s’est trouvée dans la position quelque peu embarrassante de devoir trancher une affaire dans laquelle sa propre conduite était en cause. Toutefois, la membre avait non seulement le droit, mais aussi le devoir, de répondre d’abord aux accusations de partialité de l’appelante avant de passer à autre chose.

[48] Dans l’affaire Grigorenko, la Cour fédérale s’est demandé qui doit appliquer le critère de la partialité :

Il va sans dire que les critères d’analyse de la crainte de partialité s’appliquent non seulement aux juges à qui on demande de réviser la décision, mais aussi à celui-là même envers qui on a formulé cette crainte. Dans R. c S. (R. D.), le juge Cory a écrit ceci :

C’est un principe bien établi que tous les tribunaux juridictionnels et les corps administratifs sont tenus d’agir équitablement envers les parties qui ont à comparaître devant eux. [...] Afin de remplir cette obligation, le décideur doit être impartial et paraître impartial (c’est moi qui souligne).

Il ressort de cet extrait qu’en dépit de la difficulté, plus apparente que réelle pour un juge à qui on demande de se récuser pour apparence de partialité, de se placer dans la peau d’un observateur renseigné et raisonnable, c’est pourtant ce qu’il lui faut faireNote de bas de page 30.

[49] En l’espèce, il convenait que la membre de la division générale se demande « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique », et qu’elle traite d’abord des accusations portées contre elle. Comme l’a fait remarquer le représentant de la ministre, les juges et les membres des tribunaux décident régulièrement si leur conduite a suscité une crainte raisonnable de partialité. On l’a vu à la Cour fédérale, à la Cour d’appel fédérale et au Tribunal de la sécurité socialeNote de bas de page 31.

[50] La présomption de neutralité judiciaire et quasi judiciaire a amené la Cour suprême à imposer une norme de preuve élevée aux parties alléguant la partialité. La présomption reconnaît la tradition d’intégrité et d’impartialité de notre système de justice, mais elle protège également contre un danger pratique, car une norme faible pourrait encourager les parties à chercher un autre arbitre lorsqu’elles s’attendent à un résultat défavorable. À mon avis, l’intégrité du Tribunal pourrait être remise en question si les membres se récusent sur demande. On peut comprendre que l’appelante et son représentant aient voulu substituer un nouveau membre de la division générale à la place de la membre en se rendant compte que leurs observations n’étaient pas acceptées sans réserve. Mais aucun fondement juridique ne justifiait la récusation de la membre, donc elle avait raison de ne pas le faire.

La division générale n’a pas refusé à l’appelante la possibilité d’être entendue

[51] Dans le présent appel, j’ai porté une attention particulière à l’incident qui a initialement déclenché l’allégation de partialité de l’appelante, ce qui a mené à la série de malentendus. Je cherchais à savoir si le représentant avait un motif objectif justifiant d’une part sa demande de récusation et d’autre part sa décision de conseiller sa cliente de ne pas assister à la deuxième audience. En fin de compte, j’ai conclu qu’il n’existait pas un tel motif objectif.  

[52] Comme je l’ai expliqué ci-dessus, l’appelante et son représentant n’avaient aucune raison d’accuser la membre de partialité et n’avaient donc aucune raison de demander une récusation. Ils n’avaient aucune raison de se retirer de la première audience en détresse et en colère lorsque la membre a refusé de se récuser sur-le-champ. Ce faisant, l’appelante — suivant les conseils de son représentant — a perdu la chance de présenter sa version des faits.   

[53] Je sais que l’appelante était contrariée d’entendre la membre remettre en question sa preuve. Je comprends qu’elle s’inquiétait du résultat de l’audience. Mais sa délicatesse émotionnelle n’a pas changé le fait qu’elle n’avait aucun fondement réel pour remettre en question l’impartialité de la membre. M. Uppal n’est certainement pas venu en aide lorsqu’il a fait ses propres allégations infondées.   

[54] Le Tribunal a organisé une autre audience en mars 2021. M. Uppal semble avoir présumé qu’un autre membre de la division générale prendrait la relève. Le matin de la deuxième date d’audience, lorsqu’il a compris que la membre continuerait d’instruire l’appel, il a conseillé à sa cliente de ne pas se présenter, ce qui a coûté à cette dernière une autre occasion de témoigner. M. Uppal s’est abstenu de participer à la deuxième audience; il a envoyé plutôt un autre représentant de son cabinet.  

[55] Contrairement à ce que prétend l’appelante, la membre n’a pas empêché ses représentants de prendre la parole lors des audiences. Lors de l’audience de décembre 2020, la membre a clairement affirmé que le fait qu’elle voulait entendre le témoignage de l’appelante ne signifiait pas qu’elle ne voulait pas entendre parler M. Uppal. Elle a demandé à M. Uppal de poursuivre sa présentation, et il semblait prêt à le faire, jusqu’à ce que l’appelante indique qu’elle était en proie à une crise de panique.

[56] Lors de l’audience de mars 2022, l’appelante et ses représentants ont eu une autre occasion de présenter leurs arguments. Le deuxième représentant de l’appelante, M. Merja, a commencé en exigeant que la membre se récuse. Il a fait cela même si son collègue, M. Uppal, n’avait pas répondu à l’invitation préalable de la membre de présenter des observations écrites sur cette question.  

[57] Après avoir entendu les observations de M. Merja, la membre a de nouveau refusé de se retirer. Elle a ensuite demandé à M. Merja s’il avait autre chose à ajouterNote de bas de page 32. Elle a également demandé à M. Merja s’il voulait téléphoner à sa cliente et lui donner une dernière chance de témoignerNote de bas de page 33. Il a refusé l’offre en affirmant que sa cliente subirait probablement une autre crise de panique si elle devait se présenter devant la membre.  

[58] La membre a procédé à trancher l’appel sur la foi du dossier. Comme elle l’a souligné plus tard, le Tribunal a le droit de procéder en l’absence d’une partie s’il est convaincu que la partie a reçu l’avis de l’audienceNote de bas de page 34. Le Tribunal a également l’obligation de procéder de la manière la plus informelle et expéditive que les circonstances, l’équité, et la justice naturelle le permettentNote de bas de page 35. De plus, « le Tribunal tient l’audience en l’absence de la partie à la demande de laquelle il a déjà accordé une remise ou un ajournement [je souligne]Note de bas de page 36. » D’après mes calculs, l’audience avait déjà été ajournée six fois à la demande de l’appelante. Lorsque la membre a choisi d’aller de l’avant, elle ne faisait rien d’autre que de respecter ses obligations réglementaires.    

[59] Comme il a été mentionné, la conduite de la membre n’était pas impeccable, mais, quelles que soient ses lacunes, elles n’ont pas donné lieu à une crainte raisonnable de partialité. Comme l’appelante n’avait aucune raison de croire qu’elle n’aurait pas droit à une audience équitable, elle n’avait aucune raison de demander une récusation et de se retirer lorsqu’elle n’en a pas eue. Ce n’est pas la membre qui a coupé court aux procédures, c’est l’appelante. La membre a offert à l’appelante plusieurs occasions de s’exprimer, mais elle les a refusées. Ayant agi ainsi, elle ne peut pas ensuite prétendre qu’on l’a empêchée de se faire entendre.

La division générale a tenu compte de l’ensemble des problèmes de santé de l’appelante

[60] L’appelante prétend que la division générale n’a tenu compte que de ses principaux problèmes physiques — douleurs au cou et aux pieds, évanouissements — pendant sa PMA. Elle affirme que la division générale n’a pas tenu compte d’un grand nombre de ses problèmes de santé de l’époque, notamment :

  • Névralgie occipitale;
  • Douleur au dos;
  • Douleur bilatérale aux jambes;
  • Douleur à la hanche gauche;
  • Colite ulcéreuse;
  • Trouble de concentration;
  • Étourdissement;
  • Somnolence;
  • Insomnie;
  • Hypertension;
  • Hypothyroïdie;
  • Trouble dépressif majeur;
  • Fatigue et niveau faible d’énergie;
  • Anxiété.

[61] Je ne vois pas le bien-fondé de cet argument.

[62] L’un des rôles de la division générale est d’établir les faits, ce qui sous-entend qu’elle a examiné tous les documents dont elle disposaitNote de bas de page 37. Cela signifie qu’elle n’a pas à mentionner chaque élément de preuve dans sa décision.

[63] Quoi qu’il en soit, les motifs de la décision de la division générale comprenaient une section sur les autres affections de l’appelante, laquelle traitait précisément de sa colite ulcéreuse, de son hyperthyroïdie, de son hypertension, ainsi que de son anxiété et de sa dépressionNote de bas de page 38. De plus, lorsqu’elle a discuté des douleurs au cou et aux pieds de l’appelante, ainsi que de ses évanouissements, la division générale s’est également penchée sur ses maux de tête, ses douleurs au dos et ses étourdissementsNote de bas de page 39.

[64] Il est vrai que la décision de la division générale ne mentionnait pas les douleurs aux jambes et à la hanche gauche, les difficultés de concentration, la somnolence ou l’insomnie de l’appelante. La division générale avait raison d’agir ainsi, car tous les éléments de preuve médicale disponibles à l’appui de ces affections dataient d’après la fin de la PMA de l’appelante. La douleur aux jambes de l’appelante a été mentionnée pour la première fois dans un rapport de février 2012Note de bas de page 40, tandis que la douleur à la hanche de l’appelante a été mentionnée pour la première fois dans un rapport de novembre 2014Note de bas de page 41. Les problèmes d’insomnie et de concentration ont été mentionnés pour la première fois dans les rapports de juin 2010 et d’octobre 2010, respectivementNote de bas de page 42. Enfin, la somnolence n’est mentionnée dans les rapports médicaux que comme un effet secondaire de l’Ambien et du XanaxNote de bas de page 43.

[65] L’appelante n’est peut-être pas d’accord avec son analyse, mais la division générale, dans son rôle de juge des faits, a droit à une certaine latitude dans la façon dont elle choisit d’évaluer la preuveNote de bas de page 44. Je ne vois aucune raison de modifier la façon dont la division générale a évalué l’état de santé de l’appelante.

La division générale a abordé la décision de la Sécurité sociale des États-Unis

[66] En avril 2011, la Social Security Administration des États-Unis a conclu que l’appelante était invalide depuis le 1er août 2008Note de bas de page 45. L’appelante soutient que la division générale n’a pas dûment tenu compte de cette décision. Elle fait remarquer que la Social Security Act des États-Unis et le Régime de pensions du Canada emploient des définitions semblables de l’invalidité.

[67] Je ne trouve pas cet argument convaincant.

[68] D’abord, bien que les deux définitions aient des points semblables, il faut convenir qu’elles ne sont pas identiques et qu’elles présentent des différences importantes. De plus, le régime de sécurité sociale des États-Unis fonctionne dans un pays différent dans un contexte législatif et juridique différent. La définition de l’invalidité aux États-Unis est étayée par une jurisprudence qui ressemble probablement peu à son équivalent canadien.

[69] Compte tenu de ces différences, la division générale aurait pu légitimement rejeter la décision des États-Unis en disant qu’elle n’était pas pertinente. Elle a choisi de ne pas le faire. Elle a plutôt consacré une partie importante de sa décision à une réfutation point par point de l’analyse de l’arbitre des États-Unis. Compte tenu de cela, je ne pense pas qu’on puisse dire avec justesse que la division générale n’a pas [traduction] « bien évalué le contenu » de la décision américaine.

[70] D’après ce que je peux voir, la division générale a conclu que la décision américaine s’appliquait peu à son enquête pour les raisons suivantes (entre autres) :

  • L’arbitre des États-Unis a mis l’accent sur la question de savoir si l’appelante était invalide en avril 2011, et non en décembre 2009;
  • L’arbitre des États-Unis n’a pas tenu compte de l’absence de rapports médicaux sur l’état du cou de l’appelante de février 2009 à mars 2010;
  • L’arbitre des États-Unis n’a pas tenu compte des rapports montrant que l’appelante était capable d’effectuer des activités physiques importantes après décembre 2009Note de bas de page 46;  
  • L’arbitre des États-Unis a tenu compte d’un rapport orthopédique d’octobre 2010 qui a été préparé après la fin de la PMA de l’appelanteNote de bas de page 47.

[71] L’appelante n’est peut-être pas d’accord avec cette analyse, mais, mis à part le fait qu’elle a simplement déclaré que l’analyse était erronée, elle n’a pas précisé les erreurs qu’elle contenait. Ce n’est pas suffisant pour infirmer la décision de la division générale.

Conclusion

[72] La division générale n’a pas commis d’erreur qui relève des motifs d’appel autorisés. D’après ce que je peux voir, elle a procédé de façon équitable, a examiné les éléments de preuve consciencieusement et a appliqué la loi correctement. Sa décision est maintenue.

[73] L’appel est donc rejeté.

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