Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : MF c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1554

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel

Décision

Partie appelante : M. F.
Partie intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentante : Viola Herbert

Décision portée en appel : Décision rendue par la division générale le 11 août 2022 (GP-21-2402)

Membre du Tribunal : Neil Nawaz
Mode d’audience : Questions et réponses écrites
Date de la décision : Le 27 décembre 2022
Numéro de dossier : AD-22-708

Sur cette page

Décision

[1] L’appel est rejeté. La division générale a enfreint un principe d’équité procédurale, car elle n’a pas fourni des motifs suffisants dans sa décision. Toutefois, après avoir examiné le dossier moi-même, je conclus que la requérante n’avait pas droit à la prestation de décès du Régime de pensions du Canada.

Aperçu

[2] Le père de la requérante cotisait au Régime de pensions du Canada. Il est décédé en novembre 2015. La requérante a demandé la prestation de décès du Régime en octobre 2020.

[3] Le ministre a rejeté la demande parce que le cotisant n’avait pas versé assez de cotisations au Régime. Le ministre a aussi conclu que la requérante ne pouvait pas s’appuyer sur un accord international entre le Canada et l’Italie qui permet aux personnes résidant dans l’un ou l’autre des pays de toucher des prestations de sécurité sociale de l’autre pays.

[4] La requérante a porté le refus du ministre en appel à la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a examiné les documents au dossier avant de rejeter l’appel. Elle était d’accord avec le ministre sur deux points : le cotisant n’avait pas versé assez de cotisations au Régime pour que la requérante ait droit à la prestation de décès et l’accord Canada-Italie n’aidait pas la requérante.

[5] La requérante demande maintenant la permission de faire appel à la division d’appel. Elle avance que la division générale a fait une erreur de droit, car elle s’est fondée sur une ancienne version de l’accord Canada-Italie. Elle fait remarquer que la décision de la division générale faisait référence à un accord de 1979 qui a été remplacé par une version à jour entrée en vigueur en 2017.

[6] En octobre, j’ai accordé à la requérante la permission de faire appel parce que je croyais qu’elle avait une cause défendable. À la demande de la requérante, l’audience s’est déroulée par des questions et réponses écrites.

Question en litige

[7] Il y a quatre moyens d’appel à la division d’appel. La partie appelante doit démontrer l’une des choses suivantes :

  • la division générale a agi de façon injuste;
  • elle a outrepassé ses pouvoirs ou a refusé de les exercer;
  • elle a mal interprété la loi;
  • elle a fondé sa décision sur une erreur de fait importanteNote de bas de page 1.

[8] Mon travail consiste à vérifier si l’une ou l’autre des allégations de la requérante correspond à au moins un des moyens d’appel permis et, si c’est bien le cas, à décider si l’une d’entre elles est fondée.

Analyse

[9] Je suis convaincu que la division générale a enfreint une règle d’équité procédurale : elle n’a pas appuyé sa décision sur des motifs suffisants. Comme il faut annuler la décision de la division générale pour cette seule raison, je ne vois pas la nécessité d’examiner les autres allégations de la requérante.

Les motifs de la division générale n’abordent pas les observations de la requérante

[10] Devant la division générale, la requérante a essentiellement appuyé son appel sur un seul argument : elle disait que le ministre lui avait refusé la prestation de décès sur la base d’une vieille version de l’Accord de sécurité sociale entre le Canada et l’Italie, soit la version de 1979, qui a été remplacée par un accord entré en vigueur en 2017Note de bas de page 2.

[11] Dans sa décision, la division générale a reconnu l’argument de la requérante, mais elle l’a rapidement écarté :

[La requérante] soutient que le ministre a pris la mauvaise décision, car il n’a pas utilisé la bonne version de l’Accord sur la sécurité sociale entre le Canada et l’Italie. [Elle] dit que le ministre a utilisé un accord qui a depuis été résilié.

Le membre du Tribunal a examiné l’Accord entre le Canada et l’Italie qui est en vigueur. Je suis d’accord avec le ministre pour dire qu’aux termes de cet Accord, [la requérante] n’est pas admissible à une prestation de décès du [Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 3] [c’est moi qui souligne].

[12] Je suis certain qu’après avoir lu ce passage, la requérante n’avait toujours aucune idée de la raison pour laquelle la division générale a rejeté son argument principal.

[13] Premièrement, on ne sait pas trop ce que la division générale a voulu dire par « en vigueur ». Faisait-elle référence à l’Accord de 1979 ou à celui de 2017? Il ne fait aucun doute que l’Accord de 2017 était « en vigueur » lorsque la division générale a rendu sa décision. Pourtant, la division générale a appliqué au registre des gains du cotisant décédé les dispositions de l’Accord de 1979. Elle a conclu que la seule année où il a cotisé au Régime (1966) ne permettait pas d’appliquer les dispositions réciproques de l’Accord de 1979Note de bas de page 4.

[14] Deuxièmement, la division générale n’a pas expliqué comment un accord qui a pris fin en 2017 pouvait encore régir la demande de la requérante, qu’elle a présentée en 2020. Il se peut que la division générale ait décidé que l’Accord de 1979 s’appliquait parce que le cotisant était décédé en 2015, soit deux ans avant l’entrée en vigueur de l’Accord de 2017. Si c’est ce qui s’est passé, elle ne l’a pas mentionné dans ses motifs écrits. Elle n’a cité ni l’un ni l’autre des accords et n’a fait référence à aucune disposition de compétence ou de transition tirée des accords de 1979 et de 2017.

[15] D’après ce que je peux voir, la décision de la division générale n’aborde pas les motifs invoqués par la requérante dans son appel. Une telle omission soulève des questions de justice naturelle et d’équité procédurale, deux principes qui exigent qu’une décision soit accompagnée d’une explication intelligible. Dans une affaire appelée REM, la Cour suprême du Canada a décrit le critère du caractère suffisant des motifs dans le contexte du droit criminel. Elle a cité avec approbation une décision antérieure de la Cour d’appel de l’Ontario :

« En motivant sa décision, le juge de première instance essaie de faire comprendre aux parties le résultat et le pourquoi de sa décision » (je souligne). L’essentiel est d’établir un lien logique entre le « résultat » – le verdict – et le « pourquoi » – le fondement du verdict. Il doit être possible de discerner les raisons qui fondent la décision du juge, dans le contexte de la preuve présentée, des observations des avocats et du déroulement du procèsNote de bas de page 5.

[16] Cette logique s’applique également aux décisions des tribunaux administratifs. Dans l’affaire Vavilov, la Cour suprême a affirmé que les personnes qui rendent des décisions administratives, comme les membres du Tribunal, doivent tenir compte de toutes les circonstances entourant une affaire et y appliquer les dispositions pertinentesNote de bas de page 6. Leurs décisions doivent être transparentes, intelligibles et justifiées. Elles doivent aussi être fondées sur une analyse essentiellement cohérente et rationnelle qui est défendable en droit et en faitNote de bas de page 7.

[17] Pour la division générale, en arriver au « bon » résultat n’était pas suffisant. Elle devait aussi montrer comment elle en est arrivée à ce résultat. À mon avis, la division générale n’a pas expliqué pourquoi elle appliquait l’Accord de 1979 plutôt que celui de 2017, qui était en vigueur quand la requérante a fait sa demande. C’était un manquement à l’équité procédurale.

Réparation

Il y a deux façons de corriger l’erreur de la division générale

[18] Lorsque la division générale fait une erreur, la division d’appel peut régler les choses de deux façons : i) elle peut renvoyer l’affaire à la division générale pour qu’elle la juge à nouveau ou ii) elle peut rendre la décision que la division générale aurait dû rendreNote de bas de page 8.

[19] Le Tribunal doit voir à ce que l’instance se déroule aussi rapidement que les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent. De plus, la Cour d’appel fédérale a affirmé que la personne qui rend la décision doit tenir compte du temps écoulé pour régler la demande de pension d’invalidité. Plus de deux ans se sont écoulés depuis que la requérante a demandé la prestation de décès. Un renvoi à la division générale retardera inutilement la résolution de l’affaire.

Le dossier est assez étoffé pour trancher l’affaire sur le fond

[20] Je suis convaincu que le dossier dont je dispose est complet. Les faits dans la présente affaire ne sont pas contestés, et les deux parties conviennent que le cotisant décédé avait versé des cotisations au Régime de pensions du Canada seulement pendant un an. Les autres questions à trancher sont toutes des questions de droit :

  • Lequel des deux accords internationaux avec l’Italie s’applique à la requérante?
  • Pendant combien d’années faut-il verser des cotisations canadiennes pour déclencher la totalisation?

[21] Comme le présent appel se résume à des questions de droit, je peux examiner les documents dont disposait la division générale et rendre la décision qu’elle aurait dû rendre. À mon avis, la division générale est arrivée au bon résultat, même si elle n’a pas suivi une procédure équitable pour y arriver. Ma propre évaluation du dossier me convainc que le cotisant décédé ne remplissait pas l’exigence légale pour que sa succession ait droit à la prestation de décès.

La demande de la requérante est régie par l’Accord de 1979

[22] Je suis convaincu que l’Accord de 1979 régit la demande de prestation de décès présentée par la requérante. En effet, l’Accord de 2017 contient la disposition transitoire que voici :

Les demandes de prestations qui étaient à l’étude à la date d’entrée en vigueur du présent Accord et les demandes de prestations reçues après la date à laquelle le droit aurait existé avant cette date suite à l’application de l’Accord sur la sécurité sociale entre le Canada et l’Italie signé à Toronto le 17 novembre 1977, sont déterminées en fonction dudit Accord pour ce qui est des droits établis jusqu’à la date d’entrée en vigueur du présent Accord, et conformément au présent Accord pour ce qui est des droits découlant du présent AccordNote de bas de page 9 [c’est moi qui souligne].

[23] Pour comprendre cette disposition, il est utile de la diviser en plusieurs parties. Les demandes de prestations qui :

  • étaient à l’étude à la date d’entrée en vigueur de l’Accord de 2017,
  • pour ce qui est des droits établis jusqu’à la date d’entrée en vigueur de l’Accord de 2017,

sont déterminées en fonction de l’Accord de 1979.

[24] Dans la présente affaire, la demande de la requérante :

  • a été reçue en octobre 2020, soit après l’entrée en vigueur de l’Accord de 2017;
  • pour ce qui est d’un droit, c’est-à-dire l’admissibilité potentielle de la succession du cotisant à la prestation de décès, établi avant l’entrée en vigueur de l’Accord de 2017.

[25] Le droit de la succession a été établi avant octobre 2017 parce que le cotisant est décédé en novembre 2015.

[26] Ainsi, même si la requérante a présenté la demande trois ans après l’entrée en vigueur de l’Accord de 2017, c’est celui de 1979 qui s’appliquait encore aux droits acquis par la succession de son père. 

L’Accord de 1979 exigeait le versement de cotisations canadiennes pendant deux ans

[27] Après avoir quitté le Canada, le cotisant a vécu et travaillé en Italie. Aux termes de l’Accord de 1979, si une personne a cotisé au régime de sécurité sociale italien et à son équivalent canadien pendant au moins deux ans, on pourrait alors totaliser ses cotisations pour peut-être lui donner droit aux prestations du Régime de pensions du CanadaNote de bas de page 10.

[28] Mais le cotisant a versé des cotisations canadiennes pendant seulement un an. L’Accord de 1979 ne permet donc pas à la requérante de remplir les conditions requises pour recevoir la prestation de décès.

[29] Je sais que la requérante sera déçue par ma décision, mais je peux exercer uniquement les pouvoirs que me confère la loi qui habilite la division d’appelNote de bas de page 11. Je n’ai d’autre choix que de suivre la lettre de la loi.

Conclusion

[30] Je rejette l’appel. La division générale n’a pas fourni des motifs suffisants dans sa décision. Par contre, mon propre examen du dossier me convainc que la succession du cotisant n’a pas droit à la prestation de décès du Régime de pensions du Canada.

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