Régime de pensions du Canada (RPC) – autre

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[TRADUCTION]

Citation : LM c Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2023 TSS 359

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de la sécurité du revenu

Décision

Appelante : L. M.
Intimée : Ministre de l’Emploi et du Développement social
Représentantes : Tiffany Glover et Rebekah Ferriss

Décision portée en appel : Décision découlant d’une révision du ministre de l’Emploi et du Développement social datée du 12 juillet 2019 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : George Tsakalis
Mode d’audience : Vidéoconférence
Date de l’audience : Les 26 et 27 septembre 2022
Personnes présentes à l’audience : Appelante
Représentantes de l’intimé
Témoins experts de l’intimé
Observateurs de l’intimé
Date de la décision : Le 23 mars 2023
Numéro de dossier : GP-20-975

Sur cette page

Décision

[1] La contestation constitutionnelle et l’appel sont rejetés.

[2] L’appelante, L. M., ne peut recevoir de pension de survivant du Régime de pensions du Canada (RPC) avant le 1er janvier 2019. Cette décision explique pourquoi je rejette l’appel.

Aperçu

[3] L’appelante est née en septembre 1963. Son conjoint est décédé en juillet 1998, deux mois avant qu’elle ait 35 ans.

[4] L’appelante a demandé une pension de survivant du RPC. Le ministre de l’Emploi et du Développement social (le ministre) a rejeté sa demande en septembre 1998. À ce moment‑là, la loi ne permettait pas à l’appelante de toucher une pension de survivant parce qu’elle n’avait pas 35 ans à la date du décès de son époux, qu’elle n’avait pas d’enfant et qu’elle n’était pas atteinte d’une invaliditéNote de bas de page 1.

[5] L’appelante affirme qu’elle a de nouveau demandé une pension de survivant lorsqu’elle a eu 45 ans. Sa demande a été rejetée. À ce moment‑là, la loi ne lui permettait pas de toucher une pension de survivant parce qu’elle n’avait pas d’enfant et qu’elle n’était pas atteinte d’une invaliditéNote de bas de page 2.

[6] Le ministre a écrit à l’appelante le 4 janvier 2019. Il l’a informée que la loi avait changé le 1er janvier 2019. Les personnes ayant moins de 35 ans à la date du décès de leur conjoint ne devaient plus avoir un enfant à charge ou être déclarées invalides pour toucher une pension de survivant. Le ministre a informé l’appelante qu’elle était peut‑être admissible à une pension de survivant. Il lui a fourni un formulaire de demandeNote de bas de page 3.

[7] Le ministre a reçu la demande de pension de survivant de l’appelante le 25 janvier 2019Note de bas de page 4.

[8] Il a accordé à l’appelante une pension de survivant dont la date de début était le mois de janvier 2019. L’appelante n’était pas d’accord avec la décision du ministre. À son avis, le ministre aurait dû lui verser une pension de survivant remontant à août 1998, soit le mois suivant le décès de son épouxNote de bas de page 5.

[9] Le ministre a écrit à l’appelante en juillet 2019. Il l’a informée que la loi ne lui permettait pas de lui verser une pension de survivant avant janvier 2019Note de bas de page 6. L’appelante était en désaccord avec la décision du ministre. Elle a porté cette décision en appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

Instances devant le Tribunal

[10] La division générale du Tribunal a tenu une audience par vidéoconférence et a rejeté l’appel le 14 novembre 2019. Elle a décidé que le RPC ne permettait pas à l’appelante de recevoir une pension de survivant avant janvier 2019.

[11] L’appelante a porté la décision de la division générale en appel devant la division d’appel du Tribunal, qui a accueilli l’appel le 22 juin 2020. La division d’appel a décidé que la division générale n’avait pas assuré à l’appelante une procédure équitable parce qu’elle n’avait pas tenu compte des arguments de l’appelante selon lesquels les droits que lui garantit la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) avaient été violés. La division d’appel a renvoyé l’appel à la division générale pour réexamen et posé la question de savoir si l’avis de question constitutionnelle (AQC) de l’appelante était suffisant pour que l’argument fondé sur la Charte soit tranché.

[12] J’ai été saisi de cet appel. Le ministre n’était pas d’accord pour dire que l’AQC de l’appelante était suffisant pour que l’argument fondé sur la Charte soit tranché. Le ministre a fait valoir que l’appel devrait être rejeté parce que la Cour suprême du Canada a statué dans Law c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)Note de bas de page 7 que les dispositions du RPC autorisant un traitement différentiel en ce qui concerne l’admissibilité à une pension de survivant ne violaient pas la CharteNote de bas de page 8.

[13] J’ai décidé que l’AQC de l’appelante était suffisant pour que l’argument fondé sur la Charte soit tranché. J’ai dit que le dossier de l’appelante posait problème notamment parce que j’étais tenu de suivre la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Law. Toutefois, la Cour suprême du Canada a statué dans les arrêts Carter c Canada (Procureur général)Note de bas de page 9 et Canada (Procureur général) c BedfordNote de bas de page 10 que les décideurs peuvent réexaminer des précédents dans deux situations : (1) lorsqu’une nouvelle question juridique se pose; et (2) lorsqu’une modification de la situation ou de la preuve change radicalement la donne. L’appelante semblait avoir un dossier difficile, surtout en raison de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Law. Mais les décisions de la Cour suprême du Canada dans les affaires Carter et Bedford ont semblé offrir aux appelants la possibilité d’établir une distinction entre des précédents exécutoires dans un ensemble limité de circonstances. J’ai décidé de donner à l’appelante la possibilité de présenter un dossier fondé sur la Charte et je lui ai conseillé de présenter un dossier complet parce que je pouvais rejeter son appel sans audience complète si je concluais que ses arguments n’étaient pas fondésNote de bas de page 11.

[14] L’appelante a produit un dossier fondé sur la Charte. J’ai examiné le dossier et conclu que l’appelante avait produit suffisamment d’éléments de preuve pouvant démontrer qu’elle a soulevé une nouvelle question juridique et qu’une modification de la situation ou de la preuve a changé radicalement la donne. Je n’ai pas décidé que l’appelante avait eu gain de cause dans son appel. Toutefois, j’ai décidé que son dossier avait soulevé suffisamment de questions pour que le ministre soit tenu de fournir un dossier en réponseNote de bas de page 12.

[15] J’ai reçu le dossier du ministre en réponse. J’ai également rendu une autre décision interlocutoire donnant à l’appelante une autre occasion de signifier son AQC aux procureurs généraux provinciaux et territoriauxNote de bas de page 13. L’appel a été instruit par vidéoconférence complète les 26 et 27 septembre 2022.

Dispositions législatives pertinentes

[16] L’appelante affirme que les articles 44(1)d) et 58(1) du RPC sont inconstitutionnels.

[17] À la date du décès de l’époux de l’appelante en juillet 1998, l’article 44(1)d) du RPC prescrivait que les personnes qui avaient moins de 35 ans et qui n’avaient pas d’enfant et n’étaient pas atteintes d’une invalidité ne pouvaient toucher une pension de survivant.

[18] L’article 44(1)d) du RPC a été modifié en 2018. Les modifications ont éliminé l’exigence selon laquelle les personnes de moins de 35 ans à la date du décès de leur conjoint devaient avoir un enfant à charge ou être déclarées invalides pour recevoir une pension de survivant. Cette modification est entrée en vigueur le 1er janvier 2019.

[19] À la date du décès de l’époux de l’appelante, l’article 58(1)a) du RPC prescrivait que le montant de la pension de survivant pour les survivants de moins de 45 ans qui n’avaient pas d’enfant à charge ou qui n’étaient pas invalides était réduit de 1/120 par mois pour le nombre de mois restant à courir, à la date du décès de l’époux, avant que le survivant n’atteigne l’âge de 45 ans. Cette disposition avait pour effet, dans la pratique, de réduire la pension de survivant à zéro si le survivant était âgé de 35 ans à la date du décès de son conjoint.

[20] L’article 58(1)a) du RPC a été modifié le 1er janvier 2019. L’article 58(1)a.1) a supprimé la réduction afin que tous les survivants reçoivent un montant de pension non réduit.

[21] Ces modifications et plusieurs autres modifications ont été apportées au RPC à la suite du processus d’examen triennal prévu à l’article 113.1(1) du RPC. L’article 113.1(1) du RPC exige que les ministres des Finances du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires examinent la situation financière du RPC tous les trois ans.

[22] L’article 114(4) du RPC prescrit que les modifications importantes du RPC nécessitent l’approbation des deux tiers des provinces comptant les deux tiers de la population.

Dispositions constitutionnelles pertinentes

[23] L’article premier de la Charte garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[24] Aux termes de l’article 15(1) de la Charte, la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[25] L’article 15(2) de la Charte prévoit que le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

[26] L’article 52 de la Loi constitutionnelle prévoit que la Constitution du Canada est la loi suprême du Canada et qu’elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Arguments de l’appelante

[27] L’appelante a fait valoir ce qui suit :

  • Les articles 44(1)d) et 58(1) du RPC sont inconstitutionnels. Elle affirme dans son AQC qu’ils ont violé les droits à l’égalité qui lui sont garantis par l’article 15(1) de la Charte en raison de son âge, du fait qu’elle n’avait pas d’enfant et du fait qu’elle n’était pas atteinte d’une invalidité à la date du décès de son épouxNote de bas de page 14. À l’audience, elle a déclaré qu’elle ne faisait valoir que l’âge comme motif de discriminationNote de bas de page 15.
  • Les conditions d’admissibilité à une pension de survivant à la date du décès de son époux n’étaient pas pertinentes et elles étaient discriminatoires. Les modifications qui ont eu pour effet de supprimer ces conditions d’admissibilité constituent un aveu de violation de la CharteNote de bas de page 16.
  • Le RPC permettait d’arrondir le montant d’une pension de retraite. Comme elle avait presque 34 ans lorsque son conjoint est décédé, l’appelante aurait dû être considérée comme étant âgée de 35 ans et toucher une pension de survivantNote de bas de page 17.

[28] L’appelante a demandé que je fasse droit à l’appel et que je lui accorde une pension de survivant à compter de 1998, s’élevant à 84 425,36 $Note de bas de page 18.

Les arguments du ministre

[29] Le ministre a fait valoir que je dois rejeter le présent appel pour les motifs suivants :

  • Je dois suivre la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Law. La Cour suprême du Canada a statué que la distinction fondée sur l’âge pour une pension de survivant ne violait pas l’article 15(1) de la CharteNote de bas de page 19.
  • L’appelante n’a pas satisfait au critère permettant d’écarter la décision Law. Elle n’a pas soulevé une nouvelle question juridique ni démontré qu’il y a eu une modification de la situation ou de la preuve qui changeait radicalement la donne, comme l’a exigé la Cour suprême du Canada dans Carter et BedfordNote de bas de page 20.
  • L’appelante n’a pas démontré que les droits à l’égalité qui lui sont garantis par l’article 15(1) de la Charte ont été violés. Elle n’a pas démontré que l’article 44(1)d) du RPC créait une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue au titre de l’article 15(1) du RPC [sic], et elle n’a pas démontré si la distinction avait pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’exacerber un désavantageNote de bas de page 21.
  • Même si l’appelante démontrait que l’article 44(1)d) du RPC contrevient à l’article 15(1) de la Charte, la restriction quant à la date d’entrée en vigueur du paiement au 1er janvier 2019 existe dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, conformément à l’article premier de la CharteNote de bas de page 22.

Questions en litige

[30] Les articles 44(1)d) et 58(1) du RPC sont‑ils discriminatoires à l’endroit de l’appelante en raison de son âge, contrairement à l’article 15(1) de la CharteNote de bas de page 23?

[31] Pour trancher cette question, il faut déterminer ce qui suit :

  1. La décision rendue dans Law me lie-t-elle?
  2. Si la décision rendue dans Law me lie, je rejetterai l’appel de l’appelante sur la question constitutionnelle. Je déciderai ensuite si l’appelante est admissible à une pension de survivant avant le 1er janvier 2019.
  3. Dans la négative, je dois déterminer moi‑même si les articles 44(1)b) et 58(1) du RPC établissent à l’endroit de l’appelante une distinction fondée sur son âge, contrairement à l’article 15(1) de la Charte.
  4. Si je conclus que les articles 44(1)d) et 58(1) du RPC violent l’article 15(1) de la Charte, je dois également déterminer si cette restriction existe dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, conformément à l’article premier de la Charte.

Motifs de ma décision

[32] Je rejette l’appel de l’appelante sur la question constitutionnelle parce que je dois suivre l’arrêt Law. L’appelante n’a pas satisfait au critère permettant d’écarter la décision Law. Elle n’a pas soulevé une nouvelle question juridique ni démontré qu’il y a eu une modification de la situation ou de la preuve qui a changé radicalement la donne, comme l’exige la Cour suprême du Canada dans les arrêts Carter et Bedford.

[33] J’en suis arrivé à cette décision après avoir pris en considération :

  • le témoignage de l’appelante;
  • le témoignage de l’expert du ministre;
  • la jurisprudence.

Le témoignage de l’appelante

[34] L’appelante a déclaré qu’elle avait reçu une prestation de décès après le décès de son époux. Elle a également demandé une pension de survivant. Toutefois, sa demande a été rejetée parce qu’elle était âgée de moins de 35 ans, qu’elle n’avait pas d’enfant et qu’elle n’était atteinte d’aucune invalidité. Elle a de nouveau demandé une pension de survivant à l’âge de 45 ans, mais sa demande a de nouveau été rejetée. Elle a songé à faire appel pour obtenir une rémunération rétroactive. Mais elle a décidé de ne pas faire appel à ce moment‑là. Elle a décidé d’attendre d’avoir 65 ans pour toucher sa pension de survivantNote de bas de page 24.

[35] L’appelante a confirmé qu’elle a demandé une pension de survivant en janvier 2019. Elle a confirmé avoir reçu une lettre du ministre avant de présenter la demande. Elle a commencé à recevoir des paiements en janvier 2019. Elle croit toutefois qu’elle est admissible à une rémunération rétroactive jusqu’en 1998 parce qu’elle a été victime de discrimination en raison de son âge. L’appelante a déclaré avoir suivi un cours sur la paie de 2016 à 2018. Elle a appris en suivant ce cours qu’elle allait obtenir un avis sur son admissibilité à une pension de survivant. Elle aurait demandé une prestation et interjeté appel même si elle n’avait pas reçu de lettre du ministre.

[36] L’appelante affirme qu’elle a éprouvé des difficultés financières après le décès de son époux. Elle a déclaré faillite. Selon elle, le but d’une pension de survivant est d’offrir une protection aux survivants. Mais personne ne lui a fourni une telle protection après le décès de son mari. Elle affirme que les restrictions relatives à l’âge, au fait de ne pas avoir d’enfant et au fait de ne pas être atteinte d’une invalidité étaient des considérations non pertinentes pour l’admissibilité à une pension de survivant.

[37] L’appelante a fourni un article partiel du Globe and Mail daté du 13 décembre 2017. J’ai examiné l’article de journal complet qui se trouve dans le dossier de la Charte du ministre.

[38] L’article traitait des modifications apportées au RPC, en vertu desquelles les survivants, peu importe leur âge, recevraient la totalité des prestations de survivant, ce qui viendrait modifier cinq décennies de politique fédérale.

[39] L’article mentionnait que des recherches du gouvernement fédéral avaient révélé que les règles antérieures rendaient le tiers environ des survivants inadmissibles à des prestations immédiates.

[40] L’article mentionnait également ce qui suit :

[traduction]
Pendant des décennies, le gouvernement a maintenu que les restrictions relatives à l’âge prenaient en considération le fait qu’un survivant sans enfant ni handicap devait être en mesure de s’adapter financièrement à la perte d’un partenaire en retournant au travail. Les prestations étaient versées lorsque le conjoint survivant atteignait l’âge de 65 ans.
Un fonctionnaire du ministère des Finances a déclaré que les modifications prenaient en compte le fait que les survivants de tout âge éprouvaient des difficultés financières à la suite du décès du conjoint.Note de bas de page 25

[41] L’appelante affirme que, depuis Law, la société a changé et, entre autres choses, les femmes participent davantage au marché du travail.

Témoignage de l’expert du ministre

[42] Le ministre a appelé Andrew Williamson à titre de témoin expert. M. Williamson a été qualifié de témoin expert en ce qui concerne l’historique législatif et l’administration du RPC.

Le but du RPC

[43] M. Williamson a témoigné au sujet du but du RPC. Il a dit que le RPC est un régime d’assurance sociale. Il a cité le livre blanc du mois d’août 1964 sur le RPC :

[traduction]
Le but du Régime de pensions du Canada est de pourvoir les personnes ayant atteint l’âge normal de la retraite, les personnes atteintes d’une invalidité et les personnes qui étaient à la charge de personnes décédées, d’un revenu minimum raisonnable. Il sera possible de maintenir et d’élargir les régimes de retraite privés afin d’offrir des prestations supérieures à ces niveaux minimums.Note de bas de page 26

[44] M. Williamson a déclaré que le RPC n’avait jamais été conçu pour assurer le revenu de retraite ou de survivant au complet que les Canadiens souhaitaient avoir. Il a de nouveau fait référence au Livre blanc de 1964 sur le RPC :

[traduction]
Le Régime est exhaustif, c’est‑à‑dire qu’il couvre le plus de personnes possible. Il ne vise pas à assurer le revenu de retraite ou de survivant au complet que de nombreux Canadiens souhaitent avoir. Il s’agit d’une question de choix individuel et, de l’avis du gouvernement, cela doit à juste titre provenir de l’épargne individuelle et des régimes de retraite privés. […]Note de bas de page 27

[45] M. Williamson a déclaré que le but du RPC demeure le même que celui décrit dans le Livre blanc de 1964.

[46] Il a expliqué que le RPC est financé par les cotisations des employeurs, des employés et des travailleurs autonomesNote de bas de page 28.

[47] Il a discuté du concept d’interfinancement des prestations. Comme tout régime d’assurance collective, le RPC repose sur un interfinancement. L’interfinancement consiste à regrouper les éventualités. Certaines personnes cotisent au RPC davantage qu’elles ne retirent de celui‑ci. Tandis que d’autres tirent davantage parti du RPC que ce qu’elles y contribuent. Il existe généralement deux types d’éventualités. Le premier concerne la prévisibilité liée à la retraite. La probabilité qu’une personne prenne sa retraite est assez élevée. Le deuxième est moins prévisible et implique une invalidité et un décès. Il est plus difficile de prévoir le décès et l’invalidité que la retraite. L’interfinancement est implicite dans chacune de ces éventualités. Il signifie que certaines parties en ressortent gagnantes et d’autres, non. Par exemple, l’interfinancement va des personnes valides aux personnes atteintes d’une invalidité, et des cotisants célibataires aux cotisants mariés ou conjoints de faitNote de bas de page 29.

Processus de modification du RPC

[48] M. Williamson a témoigné au sujet du processus de modification du RPC. Il y a deux types de modifications. Selon le premier, le gouvernement fédéral apporte des modifications unilatérales au RPC. Selon le deuxième, des changements sont apportés au fond et à la gérance du RPC.

[49] Les gouvernements fédéral et provinciaux gèrent conjointement le RPC. Le gouvernement fédéral administre le RPC. Le RPC prescrit toutefois que les modifications importantes nécessitent l’approbation du gouvernement fédéral et des gouvernements des deux tiers au moins des provinces comptant les deux tiers au moins de la population du Canada. Les modifications apportées au RPC qui nécessitent une approbation provinciale visent notamment les prestations générales versées par le RPC, les catégories de prestations versées par le RPC, le taux de cotisation et les formules de calcul des cotisations et des prestations payables par le RPCNote de bas de page 30.

[50] L’article 113.1 du RPC prescrit que les ministres des Finances fédéral et provinciaux examinent le RPC tous les trois ans afin d’assurer sa viabilité financière et de déterminer si les prestations ou les taux de cotisation doivent être modifiés. Il prescrit également que les ministres tiennent compte de certains facteurs, comme le plus récent rapport actuariel préparé par le bureau de l’actuaire en chefNote de bas de page 31. L’article 115 du RPC prescrit que l’actuaire en chef prépare un rapport tous les trois ans en conjonction avec l’examen triennal requis en application de l’article 113.1 du RPCNote de bas de page 32.

L’objet de la pension de survivant

[51] M. Williamson a déclaré qu’au départ, la pension de survivant était justifiée par le fait que les maris étaient censés être les principaux soutiens financiers de leurs familles. La plupart des femmes mariées étaient censées être des femmes au foyer avec enfants et soit sans emploi, soit avec des emplois à faible revenu à l’extérieur de la maison. Compte tenu de cette dépendance à l’égard des maris, on a supposé que le décès de ces derniers créerait un besoin financier chez la survivanteNote de bas de page 33.

[52] M. Williamson a décrit les critères d’admissibilité à une pension de survivant avant le 1er janvier 2019. Il a dit qu’il y avait des « tranches d’admissibilité ». Ces tranches d’admissibilité comprenaient ce qui suit :

  • Le survivant âgé de moins de 35 ans qui n’avait pas d’enfant à charge et qui n’était atteint d’aucune invalidité à la date du décès du cotisant n’était admissible à aucune pension de survivant. Ce survivant devait attendre d’avoir atteint l’âge de 65 ans pour obtenir une pension de survivant.
  • Le survivant de 35 à 45 ans qui n’avait pas d’enfant à charge et qui n’était atteint d’aucune invalidité verrait sa pension de survivant réduite de 1/120 par mois pour le nombre de mois restant à courir avant qu’il atteigne l’âge de 45 ans. Il en découlait que ce survivant verrait ses prestations de pension de survivant réduites à zéro s’il était âgé de 35 ans à la date du décès du conjoint.
  • Pour le survivant admissible à une pension qui n’avait pas atteint l’âge de 65 ans, le montant était calculé comme étant la partie à taux fixe plus 37,5 % de la pension imputée du cotisant décédé.
  • Le survivant qui était âgé de moins de 35 ans et qui avait des enfants à charge à la date du décès de son conjoint était admissible à une pleine pension de survivant, pourvu qu’il ait des enfants à charge.
  • Le survivant qui était atteint d’une invalidité à n’importe quel moment avant l’âge de 65 ans était admissible à une pleine pension de survivant.
  • À l’âge de 65 ans, toutes les pensions de survivant étaient recalculées. Le montant de la prestation de survivant dépendait alors entièrement des cotisations au RPC du conjoint décédé. Le montant de la pension de survivant à l’âge de 65 ans correspondait à 60 % de la pension de retraite imputée du cotisant décédé.

[53] M. Williamson a déclaré que, lorsque la pension de survivant a été promulguée, on a présumé que les personnes âgées de moins de 35 ans qui n’avaient pas d’enfant ni de handicap pouvaient entrer sur le marché du travail et gagner un revenu. M. Williamson m’a renvoyé au commentaire suivant formulé au Parlement par l’honorable Judy LaMarsh, ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, en 1964 :

[traduction]
Si un chef d’une famille décède et laisse une veuve avec de jeunes enfants, cette dernière aura droit à une pension qui l’aidera au cours de ces années difficiles. Une veuve de 35 ans ou plus, même sans enfant à charge, a souvent de la difficulté à réintégrer le marché du travail et à se trouver un emploi […]. On a prévu une pension pour les personnes de ce genre. Plus une veuve est âgée, moins elle a d’occasions de pourvoir à ses propres besoins et plus grands sont ses besoins; c’est pourquoi elle touchera une pension plus élevée.

L’idée qui sous‑tend le versement d’une pension à la veuve âgée de moins de 65 ans est qu’une pleine pension devrait être offerte aux personnes qui ne peuvent pas facilement trouver un emploi […] Les jeunes veuves dans la vingtaine et dans la trentaine ont généralement peu de difficulté à trouver un emploi et, bien sûr, beaucoup d’entre elles se remarient.
Je suis sûre que mon collègue sait que la plupart des femmes âgées de 35 ans peuvent trouver un emploi. Les prestations les plus coûteuses de tout le régime sont celles qui sont versées aux survivants. Cette proposition a été rédigée en partant du principe qu’une femme âgée de 35 ans au moment du décès de son mari, sans personne à charge, serait en mesure de trouver un emploi et de cotiser à sa propre pension par la suite. Il s’agit peut‑être d’un changement dans notre approche sociale selon laquelle les femmes devraient se tenir debout financièrement et prendre des dispositions pour l’avenir, tout comme les hommes.Note de bas de page 34

Changements apportés à la pension de survivant, entrés en vigueur en 2019

[54] M. Williamson a déclaré que la pension de survivant avait été modifiée au 1er janvier 2019 en application du projet de loi C‑74Note de bas de page 35. Les conditions concernant l’âge, le fait de ne pas avoir d’enfant et le fait de ne pas être atteint d’une invalidité ont été supprimées comme conditions d’admissibilité à une pension de survivant. Le projet de loi C‑74 a également modifié l’article 58(1) du RPC. Avant 2019, l’article 58(1) du RPC prescrivait que le montant de la pension de survivant pour le survivant âgé de moins de 45 ans qui n’avait pas d’enfant à charge ou qui n’était pas atteint d’une invalidité était réduit de 1/120 par mois pour le nombre de mois restant à courir avant que le survivant atteigne l’âge de 45 ans à la date du décès du cotisant. Les modifications apportées au RPC ont supprimé cette réduction aux fins des pensions de survivant payables à compter de janvier 2019Note de bas de page 36.

[55] Depuis le 1er janvier 2019, une pleine pension de survivant est versée à chaque survivant admissible âgé de moins de 65 ans, même s’il n’a pas d’enfant et qu’il n’est atteint d’aucune invalidité. Tout survivant est admissible à une pleine pension de survivant, à condition que le conjoint décédé ait versé des cotisations suffisantes au RPC.

[56] M. Williamson a déclaré que le RPC avait été modifié par suite de l’examen triennal que doivent effectuer les ministres des Finances. Il a déclaré que la raison d’être initiale des critères d’admissibilité à une pension de survivant s’était érodée. Il y avait eu un changement démographique. Plus de femmes étaient entrées sur le marché du travail. Les familles à deux revenus étaient plutôt la norme, et les survivants plus jeunes travaillent déjà. La famille à revenu unique qui prévalait au moment de la création du RPC a laissé place à la famille à deux revenus. La raison d’être initiale des critères d’admissibilité reposait sur le fait qu’il y aurait un choc financier au décès du conjoint parce que l’épouse aurait alors peu de revenus. Ce choc financier subsistait pour les ménages à deux revenus, et les modifications apportées au RPC avaient pour but d’y remédier.

[57] M. Williamson a déclaré que l’élimination de la condition fondée sur l’âge pour être admissible à une pension de survivant reposait sur les changements constatés à long terme sur le plan de la participation des femmes au marché du travail. Le taux d’activité des femmes est passé de 35,3 % à 75,5 % de 1966 à 1990. Ce taux est passé de 75,5 % à 81,1 % de 1990 à 2005 et de 81,1 % à 82,3 % de 2005 à 2020. M. Williamson a également déclaré que l’écart entre les sexes dans la participation au marché du travail avait diminué, passant de 61,8 points de pourcentage en 1966 à 7,8 points de pourcentage en 2020Note de bas de page 37.

[58] On a demandé à M. Williamson pourquoi les modifications étaient entrées en vigueur le 1er janvier 2019. Il a déclaré que le 1er janvier 2019 n’était pas considéré comme une date rétroactive. Il a dit que la ministre avait tenu pour acquis que les modifications législatives sont censées être prospectives, c’est‑à‑dire qu’elles s’appliquent à l’avenir. Les modifications devaient recevoir la sanction royale à l’automne 2018, de sorte que l’entrée en vigueur le 1er janvier 2019 était la solution la plus logique.

Autres éléments de preuve fournis par l’expert du ministre

[59] M. Williamson s’est fait demander pourquoi le gouvernement avait fixé à 35 ans l’âge d’admissibilité à une pension de survivant avant le 1er janvier 2019. Il a répondu que de telles décisions avaient été prises dans l’ensemble du RPC, notamment en ce qui concerne l’âge auquel une période de cotisation commençait et prenait fin, l’âge auquel un enfant à charge pouvait être admissible à une prestation d’enfant de cotisant invalide et l’âge d’admissibilité à une pension de retraite. Il était inévitable que des gens, comme l’appelante, se retrouvent exclus de ce fait.

[60] M. Williamson a précisé que le choix de l’âge de 35 ans ne reposait pas sur une formule magique. Il reposait sur des jugements de valeur portés par les législateurs à la date de l’adoption du RPC. Selon lui, le gouvernement canadien a examiné d’autres régimes de retraite lorsqu’il a conçu le RPC. Il ne disposait pas du large éventail de statistiques dont il dispose aujourd’hui. Le Canada a emprunté la restriction relative à l’âge de 35 ans à la Suède, ainsi que l’échelle mobile pour les prestations de survivant prévue à l’article 58(1) du RPC. L’échelle mobile des prestations de survivant reposait sur la prémisse voulant que les survivants assez jeunes et suffisamment en santé puissent retourner sur le marché du travailNote de bas de page 38.

Je suis lié par la décision Law

[61] Je rejette l’appel constitutionnel de l’appelante parce que la Cour suprême du Canada a abordé cette question dans l’affaire Law en 1999 et a conclu que les articles 44(1)d) et 58(1) du RPC ne violaient pas l’article 15(1) de la Charte. L’appelante n’a pas satisfait au critère énoncé dans les arrêts Bedford et Carter me permettant de m’écarter de la décision Law.

[62] Les tribunaux administratifs doivent suivre les décisions des cours supérieures qui ont déjà traité les mêmes faits et questions en litige.

[63] Dans l’arrêt Law, la Cour suprême du Canada a examiné la situation d’une femme qui était âgée de 30 ans, qui n’avait pas d’enfant et qui n’était atteinte d’aucune invalidité, à qui on avait refusé les prestations de survivant du RPC. Elle avait fait valoir que les distinctions fondées sur l’âge établies aux articles 44(1)d) et 58(1) du RPC étaient discriminatoires à son endroit contrairement à l’article 15(1) de la Charte. La Cour suprême du Canada a rejeté l’appel fondé sur la Charte. Les faits et les questions soulevés dans la décision Law sont pratiquement identiques aux questions soulevées par l’appelante.

[64] La Cour suprême du Canada a statué dans les arrêts Carter et Bedford que les décideurs peuvent réexaminer les précédents dans deux situations :

  • une nouvelle question juridique se pose;
  • une modification de la situation ou de la preuve changement radicalement la donne.

[65] Ces exceptions à la règle générale selon laquelle les tribunaux administratifs ne peuvent pas réexaminer un précédent ont été qualifiées d’étroites. Ces exceptions étroites ne constituent pas une invitation générale à réexaminer la décision exécutoire sur le fondement de tout type de preuve. Les appelants doivent atteindre un seuil élevé pour que les exceptions énoncées dans les arrêts Carter et Bedford s’appliquentNote de bas de page 39. Je suis d’accord avec le ministre pour dire que l’appelante n’a pas atteint ce seuil.

[66] L’appelante n’a pas soulevé une nouvelle question juridique. Les questions dont je suis saisi étaient semblables aux questions soulevées dans la décision Law.Je conclus également que l’appelante n’a pas démontré une modification de la situation ou de la preuve qui change radicalement la donne.

[67] Dans l’arrêt Bedford, la Cour suprême du Canada a réexaminé une décision qu’elle avait rendue en 1990, qui confirmait la constitutionnalité de l’interdiction des maisons de débauche et de la communication à des fins de prostitution. Le dossier de preuve dans l’affaire Bedford contenait des recherches qui n’existaient pas en 1990, selon lesquelles les hypothèses sociales, politiques et économiques posées dans la décision antérieure de la Cour suprême du Canada n’étaient plus exactes.

[68] Dans l’arrêt Carter, la Cour suprême du Canada a réexaminé une décision rendue en 1993, dans laquelle elle avait statué qu’un article du Code criminel, qui interdisait l’aide au suicide, était inconstitutionnel. Le dossier de preuve dans l’affaire Carter contenait des éléments de preuve dont la Cour suprême n’avait pas été saisie lorsqu’elle avait rendu sa décision en 1993. Ces éléments de preuve consistaient notamment en des revues médicales et en des chapitres d’un ouvrage concernant les conceptions juridiques et éthiques à l’égard de l’aide au suicide, en des statistiques sur le suicide au Canada, en des renseignements historiques sur les interdictions morales et juridiques du suicide, en des renseignements sur les soins palliatifs, en des rapports sur la santé et en des rapports des comités juridiques sur l’euthanasie.

[69] Dans les affaires Bedford et Carter, le dossier de preuve était plus étoffé et différait de ce que la Cour suprême du Canada avait à sa disposition lorsqu’elle s’était prononcée auparavant. Étant donné que de nouvelles questions juridiques ont été soulevées dans un cadre juridique différent, la Cour suprême du Canada n’était pas tenue de suivre ses décisions antérieures.

[70] En l’espèce, l’appelante n’a pas fourni de dossier de preuve qui soulevait de nouvelles questions juridiques dans un cadre juridique différent, comme cela a été le cas dans les affaires Bedford et Carter.

[71] L’appelante a fourni au Tribunal un article du Globe and Mail. Dans cet article,un fonctionnaire du ministère des Finances a déclaré que les modifications apportées à la pension de survivant prenaient en compte le fait que les survivants de tout âge éprouvaient des difficultés financières à la suite du décès du conjoint. Toutefois, je suis d’accord avec le ministre pour dire que cette preuve n’était pas vraiment différente de celle dont disposait la Cour suprême du Canada dans Law. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a fait référence à un rapport qui favorisait en fait l’élargissement des prestations de survivant à tous les conjoints. La Cour suprême du Canada, tout comme le fonctionnaire du ministère des Finances, a reconnu que les conjoints survivants de tous âges sont vulnérables à la suite du décès d’un conjoint. Il reste que la Cour suprême du Canada a tout de même conclu que les restrictions relatives à l’âge n’étaient pas inconstitutionnelles.

[72] L’article du Globe and Mail faisait également référence à des recherches qui ont montré que le tiers environ des survivants étaient exclus du bénéfice des prestations immédiates en raison des règles antérieures à 2019. Je n’ai pas vu un tel renvoi à cette recherche dans Law. Toutefois, la Cour suprême du Canada était consciente du fait que de jeunes Canadiens étaient privés des prestations de survivant du RPC lorsqu’elle a prononcé l’arrêt Law.

[73] L’appelante a tenté de faire une distinction d’avec la décision Law en disant qu’elle est maintenant une veuve plus âgée. Cet argument ne distingue pas les faits dans Law de sa situation. L’appelante était âgée de 34 ans lorsqu’elle a demandé une pension de survivant en 1998. Les faits qui la concernent sont très semblables aux faits sur lesquels la Cour suprême du Canada s’est penchée dans la décision Law, où l’appelante était âgée de 30 ans à la date du décès de son époux. L’appelante avait 55 ans lorsque le ministre lui a accordé une pension de survivant en janvier 2019. Je ne vois pas comment elle peut dire que la modification apportée au RPC a soulevé une nouvelle question juridique ou a changé radicalement la donne. Sans les modifications apportées au RPC, elle aurait dû attendre d’avoir atteint l’âge de 65 ans avant de toucher une pension de survivant.

[74] L’appelante a également déclaré que la femme participe davantage au marché du travail depuis que la décision Law a été rendue. Je ne crois pas que cet argument soulève une nouvelle question juridique ou montre qu’il y a eu une modification de la situation ou de la preuve qui a radicalement changé la donne. Les statistiques fournies par M. Williamson ne font état que d’une faible augmentation de la participation des Canadiennes au marché du travail depuis la décision Law.

[75] Le témoignage de M. Williamson selon lequel le Canada a emprunté à la Suède la restriction relative à l’âge et l’échelle mobile des prestations de survivant n’a pas été mentionné par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Law. Toutefois, je ne crois pas que cette preuve soulève une nouvelle question juridique ou qu’elle ait changé radicalement la donne. Dans l’arrêt Law, la Cour suprême du Canada a reconnu que le RPC s’appuyait « sur des généralisations statistiques documentées qui peuvent ne pas correspondre parfaitement aux besoins financiers à long terme de tous les conjoints survivants […] »Note de bas de page 40. La Cour suprême du Canada a tout de même conclu que le RPC avait un objectif égalitaire et que le ministre pouvait légitimement fonder le RPC sur des généralisations documentées sans contrevenir à l’article 15(1) de la Charte.

[76] Dans l’affaire Law, l’appelante n’a soulevé que l’âge en tant que motif énuméré de discrimination en application de la Charte. En l’espèce, l’appelante a allégué dans son AQC que le RPC avait créé des distinctions fondées sur l’âge, l’invalidité et le fait qu’elle n’avait pas d’enfant à chargeNote de bas de page 41. Dans l’arrêt Law, la Cour suprême du Canada a abordé directement le motif de l’âge énuméré et a également tenu compte du fait que Mme Law n’était pas atteinte d’une invalidité et qu’elle n’avait pas d’enfant à charge lorsqu’elle a conclu que les articles 44(1)b) et 58(1) du RPC n’étaient pas inconstitutionnels.

[77] Le droit en ce qui concerne l’article 15(1) de la Charte a évolué depuis que la Cour suprême du Canada s’est prononcée dans Law en 1999. En 2020, la Cour suprême du Canada s’est prononcée dans l’affaire Fraser c Canada (Procureur général)Note de bas de page 42. Elle y a expliqué « clairement ce qui permet de reconnaître cette discrimination »Note de bas de page 43. Selon la décision Fraser, il y a discrimination par suite d’un effet préjudiciable lorsqu’une loi en apparence neutre touche de façon disproportionnée les membres d’un groupe protégé sur le fondement d’un motif énuméré ou analogue.

[78] Toutefois, la décision Fraser ne vient pas en aide à l’appelante. Dans l’arrêt Fraser, la Cour suprême a effectivement mentionné la décision Law dans ses motifs à l’appui de la proposition selon laquelle non seulement la Charte confère une protection contre une discrimination directe ou intentionnelle, mais encore elle confère une protection contre la discrimination par suite d’un effet préjudiciableNote de bas de page 44.

[79] Je dois également suivre les décisions de la Cour d’appel fédérale. La Cour d’appel fédérale s’est prononcée dans l’affaire Landau c Canada (Procureur général) après que la Cour suprême du Canada eut rendu sa décision dans FraserNote de bas de page 45. Dans l’affaire Landau, l’appelante a soutenu qu’elle avait droit à une pension de retraite accrue en vertu du RPC en raison de l’article 15(1) de la Charte. Elle a déclaré que le RPC avait fait preuve de discrimination à son égard et à l’égard d’autres personnes célibataires. La Cour d’appel fédérale a rejeté son appel. Ce faisant, elle a déclaré que la décision Fraser n’avait pas jeté de doute sur la justesse de la décision Law.

[80] La Cour d’appel fédérale s’est également prononcée dans l’affaire Weatherley c Canada (Procureur général)Note de bas de page 46 en 2021, après que la Cour suprême du Canada eut statué dans l’affaire Fraser. Dans l’affaire Weatherley, l’appelante a allégué que ses droits garantis par la Charte avaient été violés parce que le RPC la limitait à toucher une seule pension de survivant. La Cour d’appel fédérale n’a conclu à aucune violation de la Charte et a cité avec approbation la décision Law.

[81] Je dois donc suivre la décision Law et rejeter cet appel constitutionnel parce que l’appelante n’a pas satisfait au critère énoncé dans les arrêts Bedford et Carter. La situation de l’appelante est identique aux faits dans Law, où la Cour suprême du Canada a rendu une décision selon laquelle les dispositions du RPC concernant le survivant étaient constitutionnelles. Le témoignage de l’appelante ne m’a pas convaincu qu’elle a soulevé une nouvelle question juridique ou que le cadre juridique a changé depuis que la décision Law a été rendue.

[82] Je ne souscris pas non plus à l’argument de l’appelante selon lequel les modifications apportées au RPC constituaient en fait un aveu d’inconstitutionnalité de la part du ministre.

[83] Le Tribunal a déjà décidé « qu’il faut accorder une certaine latitude aux gouvernements pour créer de nouveaux programmes et les réviser pour les rendre plus efficaces, sans que la révision ne soit nécessairement considérée comme une admission que le programme initial était un échec ou violait l’article 15 de la Charte »Note de bas de page 47.

[84] Ayant conclu que je suis tenu de suivre la décision rendue dans Law, je n’ai pas besoin d’entreprendre une analyse fondée sur l’article 15(1) de la Charte. Il n’est pas non plus nécessaire que je décide si la violation alléguée est faite dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique conformément à l’article premier de la Charte.

L’appelante n’est pas admissible à une pension de survivant avant le 1er janvier 2019

[85] Je rejette l’appel de l’appelante concernant son admissibilité à une pension de survivant avant le 1er janvier 2019.

[86] Je ne suis pas d’accord avec l’argument de l’appelante selon lequel le ministre aurait dû arrondir son âge et lui accorder une pension d’invalidité. Le RPC prescrivait que l’appelante était réputée avoir atteint l’âge de 35 ans au début du mois suivant le mois au cours duquel elle a atteint 35 ansNote de bas de page 48. Il ne contenait aucune disposition permettant d’arrondir son âge pour recevoir une pension de survivant.

[87] La loi prescrivait clairement que les survivants qui, comme l’appelante, avaient moins de 35 ans, n’étaient atteints d’aucune invalidité et n’avaient pas d’enfant à charge n’avaient pas droit à la pension de survivant à la date du décès de leur conjoint. Dans sa version actuelle, le RPC prescrit clairement que les modifications apportées aux articles 44(1)d) et 58(1)a) sont entrées en vigueur en janvier 2019. L’appelante n’a pas droit à une pension de survivant avant cette date.

[88] Je dois donc rejeter le présent appel.

Conclusion

[89] Je rejette la contestation constitutionnelle de l’appelante.

[90] Je rejette également l’appel relatif à l’admissibilité de l’appelante à une pension de survivant avant le 1er janvier 2019.

[91] Cela signifie que l’appelante n’est pas admissible à une pension de survivant avant le 1er janvier 2019.

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